Vignoble de Normandie

Le vignoble de Normandie est une ancienne région viticole française. Important aux XIe et XIIe siècles, il a disparu à cause du phylloxéra et de la Première Guerre mondiale pour renaître aujourd'hui autour de Grisy. Son vin est labellisé calvados (IGP).

Les vinailles (vendanges) en Calvados

Histoire

Banquet de Guillaume le Conquérant fêtant sa victoire d'Hastings au vin de Normandie offert par son demi-frère l'évêque Odon de Bayeux commanditaire de la Tapisserie de Bayeux, (fin XIe siècle)

L'archéologie atteste l'existence de la vigne sur le sol normand dès l'époque romaine[1]. Cette présence est confirmée au haut Moyen Âge par des textes[2]. L'Église, dont les messes nécessitent du vin, a sûrement joué un rôle dans ce développement[3]. C'est surtout à l'époque ducale que remonte la vraie conquête de la vigne en Normandie.

Une vigne dans une propriété de Duclair en Seine-Maritime.

Dès la fin du Xe siècle, on remarque l'essor des vignobles de Longueville[4], autour de Vernon, et d'Argences à l'est de Caen, « où les abbayes se disputent à prix d'or les moindres parcelles[5] ». Aux siècles suivants, la vigne apparaît partout, plus exactement sur toutes les pentes bien exposées (à l'exception du Cotentin)[6]. Trois zones de production se distinguent néanmoins : la vallée de la Seine, les coteaux d'Argences et l'Avranchin. À cette époque et jusqu'à la fin du XIIIe siècle, le duché de Normandie bénéficie de conditions climatiques relativement favorables à ce type de production. Il produit même suffisamment pour exporter jusqu'en Angleterre. Ensuite, l'essor viticole s'arrête, entravé par la dégradation du climat à la fin de l’optimum climatique médiéval et par la concurrence d'autres régions viticoles. Après 1154, l'intégration de la Normandie à l'empire Plantagenêt ouvre la région aux vins de meilleure qualité de la Loire et ceux de Bordeaux[7]. Si la conquête du duché par le roi de France Philippe Auguste en 1204, affranchit la Normandie de cette concurrence, celle-ci se retrouve en retour débordée par les vins d'Île-de-France et de Bourgogne.

Paysans normands buvant du vin du Calvados

À l'époque moderne, la viticulture normande n'offre qu'une maigre production. Selon certains, prompts à dénigrer : « Les vignes résiduelles, comme celle des coteaux d'Argences, près de Caen, ne sont plus qu'une curiosité dont le produit est unanimement méprisé[8] ». On recourt donc à l'importation. Au XVIIe siècle, des vignes sont arrachées autour de Vernon. Le mauvais goût du vin et la lourdeur des taxes sur la production ont raison des derniers pieds. En 1816, subsistent des vignes sur les coteaux d'Argences, à Port-Mort près des Andelys, à Nonancourt et Ménilles[9]. En 1866, le département de l'Eure comptabilisait 1 136 ha de vignes soit 0,19 % de sa superficie, pour un rendement d'une vingtaine d'hectolitres à l'hectare[10]. De nombreuses vignes sont également présentes dans la vallée de l'Eure (Écardenville-sur-Eure) et la vallée de l'Iton, les actes d'état civil du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles attestent une importante activité vinicole.

Causes de la disparition du vignoble

Le Petit Âge glaciaire, qui a duré de 1350 à 1855, a été la période la plus froide avec des pics minimums en 1440-1460, 1450 en fut le minimum thermique, et 1575 fut l'année de l'essor de la larve de pyrale, appelée « dadin » en normand, larve rongeant le pied des vignes fragilisées. La période de 1660 à 1705 ruina le vignoble de Normandie, le raisin arrivant à peine à maturité et manquant de soleil, qui fit du vin de la piquette. Durant cet âge, 1750 à 1775 eut lieu le maximum thermique de cette période. Comme les alentours de 1860-1900 furent un bref réchauffement qui sera quant à lui, celui de l'extension du phylloxéra pour la vigne normande (ainsi que dans la majorité des régions viticoles françaises). Début XXe, des inondations au pays de Caux virent la quasi-disparition des vignes de Normandie orientale en Seine-Maritime, dont celles de Kollinu à Pavilly, entortillée autour des pommiers, et de Conihout à Jumièges, en échalas. Peu après, les quelques vignes restantes furent subventionnées à l'arrachage, par l'État français et la région.

Aujourd'hui encore, on voit, dans certaines propriétés, quelques pieds qui poussent le long de murs, mais les grappes de raisin ne sont plus pressées.

IGP Calvados rosé.

Fêtes des vinailles ou vendanges

Les vendanges sont appelées vinailles lorsqu'il est question du vignoble normand. Ce mot de parler normand est hérité du latin vinalia, « fête des vendanges », ce qui atteste de l'ancienneté de la transmission des traditions dans le vignoble normand (en outre, ce mot vinailles est la seule attestation d'une survivance du mot latin vinalia dans les langues d'oïl, ce qui le rend d'autant plus intéressant)[11],[12].

Comme son ancêtre latin vinalia, qui était un nom pluriel neutre, le mot vinailles s'emploie de préférence au pluriel (on parle des vinailles mais rarement de la vinaille).

Comme dans toutes régions vinicoles, les vendanges se terminaient par une fête, dont l'instrument traditionnel était la haute loure (sorte de grosse cornemuse normande). Des chansons furent composées à cet effet, dont le branle (danse) : Trinquons seigneur, appelée aussi Sophie Don Don (attribuée à Olivier Basselin), et la danse à figure Allons voir nos vignes, qui furent dansées du XIVe au XIXe siècle.

Reprise des vignobles normands


Le vignoble les Arpents du Soleil est situé à Grisy, au sud de Caen (Calvados), bénéficiant d'un microclimat sec et chaud.

Son propriétaire, Gérard Samson[13], débuta en 1973 en plantant dans sa propriété familiale, près de Saint-Pierre-sur-Dives au Pays d'Auge, son cep de raisin de table. Les résultats obtenus en 1980 l'incitèrent à s'étendre, et en 1995, il reçoit la permission de planter des vignes sur les 9 hectares du site. Le 1er millésime des « Arpents du Soleil » est récolté en 1998, la production est de 2800 bouteilles de 50 cl de vin blanc. La récompense sera la sélection de son Millésime au guide Hachette des Vins.

C’est un sol argilo-calcaire, superficiel et très pierreux, qui s’est développé sur une roche calcaire du Jurassique, dure, mais fissurée. Le drainage est parfait, et les racines de la vigne plongent profondément.

Ce sol conjugué à un microclimat très sec, moins de 600 mm, et 25 jours de moins de pluie par an qu’à Caen distant de seulement 25 km à vol d’oiseau, permet à l’automne une surmaturation des raisins sans risque de pourriture.

En 2007, les vignes s'étendaient sur 3 hectares, et 15 000 bouteilles de 50 cl furent produites, dont un premier vin rouge. Désormais la production a quasiment doublé. Le vignoble produit sept cépages et six vins : cinq blancs et un rouge (le pinot noir).

Les « Arpents du Soleil » ont été onze fois récompensés au Guide Hachette des Vins, et ont reçu trois médailles de bronze au Challenge international du vin de Bourg-sur-Gironde. Le vigneron normand continue le développement de son vignoble par la plantation progressive des 6 hectares restants. En 2009, il obtient la dénomination Indication géographique protégée « Calvados (Grisy) »[14]. Il existe désormais une IGP Calvados.

Des vignobles ont récemment été établis sur les îles de Brecquhou et de Sercq [15], et d'autres ont existé pendant des décennies à Jersey[16].

Le Clos Bonnard à Vernon (27)[17].

Voir aussi

Bibliographie

  • Loïc Bouquerel, 2012, « La Normandie et le vin », Les Métiers d'autrefois, Éditions Charles Corlet, 48 p., (ISBN 978-2-84706-365-3).
  • Abbé Cochet, « Les anciens vignobles de la Normandie », Revue de Rouen et de la Normandie, Rouen, 1er semestre 1844, p. 338-354.
  • Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au Moyen Âge, Évreux, A. Hérissey, 1851, p. 418-470.
  • Thierry Dutoit et Jérôme Chaïb, « Quand la Haute Normandie cultivait ses vignobles : analyse bibliographique et essai d'écologie historique », Le Viquet, no 109, 1995, Saint-Michel, p. 3-24.
  • J. A. Chandon, « Cultivez votre vigne », Encyclopédie d'utovie, 1997 50 p..
  • J. A. Chandon, « Faites votre vin », Encyclopédie d'utovie, 1997 50 p..
  • Bérénice Chang-Ricard, Micro Vino : faire mon vin dans mon jardin, Bordeaux, Confluences, 2009, 98 p.
  • Christian Chervin, Je fais mon vin, Paris, Hachette , 2006, 130 p..
  • Marc De Brouwer, Traité de vinification Bruxelles, CEP , 1998, 242 p..
  • Albert Demangeon, « La Vigne en Picardie : Mr Duchaussoy, La vigne en Picardie et le commerce des vins de Somme » Annales d’histoire économique et sociale, 1929, vol. 1, no 3 p. 430-434.
  • Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle, Paris, 1959
  • Pierre Galet, Cépages et vignobles de France, t. III, Vignobles de France, vol. 2, Paris, Tec & Doc, Ed. Lavoisier, 2006, 1285 p.
  • Pierre-André Gianadda, Tout savoir pour faire son propre vin, préface de Jean-Claude Buffin, Lausanne, Favre, 2012, 130 p.
  • Alexandre Golovko, Comment faire soi-même un bon vin, Paris, De Vecchi, 1999, 127 p.
  • Marcel Lachiver, « Vin, vigne et vignerons en région parisienne du XVIIe au XIXe siècle », Compiègne, Société Historique et Archéologique de Pontoise, 1982, 957 p.
  • Jean-Claude Le Bihan, « Quelles variétés planter ? » La Feuille de Vigne bulletin de l’UVVOS no 9 , 2010, p. 4.
  • Jean-Claude Le Bihan, Cultiver sa treille bio, Mens, Terre Vivante Éditions, 2011, 162 p..
  • Jean-Claude Le Bihan, « Une treille ? ça se tente », Les 4 Saisons au jardin bio, n° 190 sept-oct 2011, p. 32-36.
  • Max Léglise, Les Méthodes biologiques appliquées à la vinification et à l'œnologie, Paris, Le Courrier du livre, t. 1 & 2, 1999, 170 & 195 p. (ISBN 978-2-70290-294-3).
  • Georges Lesage, « Les vignobles d'Argences », Mémoires de l'Académie nationale des Sciences, Arts et belles Lettres de Caen, Caen, 1910, p. 81-130.
  • Lucien Musset, « Essai sur les vignobles des monastères normands (Xe-XIIIe) », Recueil Dr Jean Fournée, Nogent-sur-Marne, 1979, p. 235-236.

Notes et références

  1. Vincent Carpentier, Emmanuel Ghesquière, Cyril Marcigny, Archéologie en Normandie, éd. Ouest-France, INRAP, 2007, p. 77
  2. Grégoire de Tours signale une vigne autour de Lisieux au VIe siècle.
  3. Élisabeth Deniaux, Claude Lorren, Pierre Bauduin, Thomas Jarry, La Normandie avant les Normands, Rennes, Ouest-France, 2002, p. 303
  4. Le domaine de Longueville s'étendait sur les communes actuelles de Vernon, de Saint-Pierre-d'Autils, de Saint-Marcel et de Saint-Just
  5. Lucien Musset, « Naissance de la Normandie », dans Michel de Boüard (dir.), Histoire de la Normandie, Toulouse, Privat, 1970, p. 127
  6. Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au Moyen Âge, Evreux, 1851, p. 418-470.
  7. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, Rennes, Ouest-France, 1998, p. 212-213
  8. J.-P. Bardet, P. Chaunu, J.-M. Gouesse, P. Gouhier, A. et J.-M. Vallez, « Le duché face au royaume, XVIe-XVIIe siècles, dans Michel de Boüard (dir.), Histoire de la Normandie, Toulouse, Privat, 1970, p. 274 »
  9. J.-P. Bardet, P. Chaunu, J.-M. Gouesse, P. Gouhier, A. et J.-M. Vallez, Ibid., p. 301.
  10. Louis-Étienne Charpillon et l'abbé Caresme, Département historique de toutes les communes du département de l'Eure, t. I, 1868, p. 65 et 72.
  11. Jean-Claude Viel, Vins, vignes et vignerons de Normandie, Histoire d'un vignoble (presque) disparu, éd. du Léopard Normand, 2016
  12. Abbé Jean-Benoît-Désiré Cochet, L'ancien vignoble de Normandie, 1844, rééd. en 2020 par Les éditions des régionalismes
  13. « Présentation du vignoble de Gérard Samson » (consulté le )
  14. Launet, E. (2014) Le seigneur des îles Paris : Stock, p. 128 et 139.
  15. (en) « La Mare Wine Estate »
  16. Clos Bonnard à Vernon

Articles connexes

Autres vignobles de régions non viticoles :

Liens externes

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