Transsubstantiation

La transsubstantiation (en latin : transsubstantiatio, en grec ancien : μετουσίωσις / metousiosis) est un phénomène surnaturel, qui signifie littéralement la conversion d'une substance en une autre. Le terme désigne, pour une partie des chrétiens (en particulier les catholiques et les orthodoxes), la conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ lors de l'Eucharistie par l'intermédiaire du Saint Esprit.  

Le « Ceci est mon corps » pendant la Cène, par Andreas Meinrad (1751)

Le terme, qui est attesté pour la première fois chez Étienne de Baugé au début du XIIe siècle[1], est défini comme concept du dogme par le quatrième concile du Latran (1215) et confirmé par celui de Trente (1545-1563)[2].

Sur le plan religieux, l'Église catholique (dont les maronites et les arméniens catholiques) emploie le terme de « transsubstantiation » pour expliquer que, dans l'Eucharistie, le pain et le vin, par la consécration de la messe, sont « réellement, vraiment et substantiellement » transformés ou convertis en corps et sang du Christ, tout en conservant leurs caractéristiques physiques ou « espèces » (texture, goût, odeur : les apparences) initiales. La conséquence en est la « présence réelle » du Christ dans les espèces consacrées.

Théologie de la transsubstantiation

La substance est ce qui existe par soi-même (ipsum esse subsistens). Ainsi, la forme d'un chapeau n'est pas le chapeau lui-même, pas plus que sa couleur, sa taille, sa texture ni aucune autre propriété sensible. C'est le chapeau lui-même (sa « substance ») qui possède une forme, une couleur, une taille, une texture tout en étant distinct de ces propriétés. Contrairement à ces apparences ou accidents, la substance ne peut être perçue par les sens. La substance est une des dix catégories de l'être définies par Aristote (une substance et neuf accidents).

Lorsque Jésus dit pendant la Cène : « Ceci est mon corps », ce qu'il tient dans ses mains a l'apparence d'un pain mais, selon la doctrine romaine catholique, la substance de ce pain a été convertie en chair du Christ. C'est donc vraiment son corps, même si les apparences accessibles aux sens ou aux études scientifiques demeurent celles du pain. La même conversion survient lors de chaque célébration de l'Eucharistie.

« Par la consécration du pain et du vin s'opère le changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son sang ; ce changement, l'Église catholique l'a justement et exactement appelé transsubstantiation[3]. »

On parle de « présence réelle ». Dans ce cadre, la présence eucharistique du Christ commence au moment de la consécration et dure aussi longtemps que les saintes espèces (pain et vin) subsistent. D'où le culte du Saint-Sacrement, qui connaîtra un grand développement à l'époque baroque. On considère que le Christ est réellement présent dans le Saint-Sacrement.

Historique

Antiquité

Dans les écrits d'Hippolyte de Rome (IIIe siècle), il est demandé de faire preuve d'une vénération particulière pour le Sacrement. La croyance en la transsubstantiation était partagée par plusieurs apôtres des premiers siècles de la chrétienté. La consécration de moniales à Jésus-Eucharistie à l'époque de Cyprien de Carthage atteste l'antiquité de cette doctrine. Augustin d'Hippone, au Ve siècle, dit : « Que personne ne mange cette chair sans d'abord l'adorer ; ... nous pécherions si nous ne l'adorions pas. »

Haut Moyen Âge

Paschase Radbert, moine de l'abbaye de Corbie, fut l'auteur du premier traité théologique sur l'Eucharistie, De corpore et sanguine Domini (Livre du corps et du sang du Seigneur), rédigé en 831 et présenté au roi Charles le Chauve, en 844. Pour Paschase Radbert, le pain et le vin consacrés sont réellement le corps et le sang de Jésus. Par la consécration, il y a mutation transubstantielle du pain et du vin qui deviennent présence spirituelle du corps historique du Christ.

Moyen Âge classique

Selon G. K. Chesterton[4], le mot qui apparaît dès la fin du XIe siècle chez Hildebert de Tours vers 1079, est défini comme terme du dogme par le quatrième concile du Latran (1215), mais l'idée est selon lui « visiblement présente dès les premiers temps de l'Église ».

La doctrine de la transsubstantiation a été fixée par le théologien dominicain Thomas d'Aquin à partir de la métaphysique aristotélicienne (aristotélisme) : la matière est composée de qualités premières (la substance elle-même) et de qualités secondes (les sensations). La transsubstantiation, consistant en la modification des qualités premières seules (puisque le goût du pain et du vin - qualités secondes - ne sont eux pas modifiés), trouve selon cette théorie une explication rationnelle[5].

Dans le contexte de la définition proprement dite, ce qui est appelé substance et espèce doit, en définitive, être compris d’après les catégories médiévales aristotéliciennes de substance et accident : la substance est ce qui existe par soi (ipsum esse subsistens) et l’accident est ce qui change, ce qui n’existe qu’en un autre. Ce ne sont donc pas les caractéristiques physiques (accidents, apparences) du pain et du vin qui changent. Contrairement à ces apparences ou accidents, la substance ne peut être perçue par les sens. La substance est une des dix catégories de l’être définies par Aristote. Cette doctrine de la transsubstantiation rend ainsi compte de la présence réelle du Christ dans les espèces eucharistiques après la consécration.

Le luthéranisme rejette cette doctrine au profit de celle de la consubstantiation[6].

Époque moderne

Le Concile de Trente (1545-1563) confirma le dogme de la transsubstantiation. Au XVIIe siècle, le dogme de la transsubstantiation, s'appuyant sur le schéma aristotélicien de la substance et des accidents, apparut incompatible avec l'atomisme, tel que le proposa Galilée dans L'Essayeur en 1623, à tel point que beaucoup d'historiens des sciences pensent que c'était la véritable raison de l'opposition des jésuites à Galilée[7], comme le suggère l'historien Pietro Redondi[8].

Transsubstantiation et consubstantiation

Le concept transsubstantiation s'oppose à la simple consubstantiation défendue par certains théologiens comme Ratramne de Corbie, Guillaume d’Occam ou Duns Scot et qui fut reprise par les protestants luthériens. Ainsi, le canon 1 de la 13e session du concile Latran IV déclare :

« Si quelqu'un nie que le Corps et le Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec son Âme, et la Divinité, et par conséquent Jésus-Christ tout entier, sont contenus véritablement, réellement, et substantiellement au Sacrement de la Très-Sainte Eucharistie ; mais dit qu'ils y sont seulement comme dans un signe, ou bien en figure, ou en vertu : qu'il soit anathème. »

La transsubstantiation selon les Églises chrétiennes

Église catholique

L’Église catholique privilégie la transsubstantiation par rapport à la consubstantiation en s'appuyant sur les écrits des Évangiles (« ceci est mon corps, [...] ceci est mon sang »[9]) qui sont compris comme parlant à ce propos de transformation et non de présence simultanée.

Églises orientales

L'Église orthodoxe et les Églises des trois conciles, ainsi que l'Église apostolique assyrienne de l'Orient, admettent que le pain et le vin deviennent réellement le corps et le sang du Christ. Cependant elles ne vont généralement pas aussi loin dans la spéculation philosophique relative à la théorie de la transsubstantiation et parlent plutôt de « mystère ». Craignant de dévier de la vérité en voulant deviner trop de détails, elles préfèrent parler de « changement » (en grec μεταβολή) du pain et du vin.

Luthéranisme

Les luthériens croient que, lors de la célébration eucharistique, le corps et le sang de Jésus Christ sont objectivement présents « dans, sous et avec la forme » du pain et du vin : in pane, sub pane, cum pane (Formule de Concorde de 1577). Luther a explicitement rejeté la transsubstantiation en affirmant que le pain et le vin restaient pleinement pain et vin tout en étant pleinement chair et sang de Jésus Christ. Il a insisté sur la présence réelle (et non symbolique ou figurative) du Christ dans l'eucharistie. Sa doctrine doit toutefois être distinguée de la consubstantiation au sens strict : le corps et le sang du Christ, selon Luther et ses successeurs, ne sont pas contenus de manière locale dans le pain et le vin. Les substances ne sont pas unies de manière permanente, mais seulement dans le cadre du sacrement, d'où le terme d'« union sacramentelle ».

Calvinisme

Les dénominations calvinistes, ce qui inclut les Églises réformées comme des Églises presbytériennes ou congrégationalistes, croient à la présence réelle mais l'expliquent sans avoir recours à la transsubstantiation, retenant la doctrine calviniste de la « présence pneumatique » : la présence du Christ dans la Cène n'est pas matérielle mais spirituelle, ce qui, pour des croyants, fait de la présence du Christ une véritable réalité. La mort sacrificielle du Christ est rendue « effective dans le croyant lorsqu’il prend part aux éléments dans la foi. » Ainsi, selon la conception calviniste, comme chez les catholiques et les luthériens, il y a une union réelle et substantielle du croyant avec le Christ lors de l'eucharistie et non une simple cérémonie mémorielle et symbolique tel que d'autres théologiens, dont Zwingli, l'expriment[10].

On voit qu'ici présence réelle n'implique pas transsubstantiation. C'est donc sans aucune difficulté que l'Église presbytérienne des États-Unis a pu signer un accord avec l'Église évangélique luthérienne d'Amérique, dans lequel les deux églises ont affirmé leur croyance en la présence réelle.

Anglicanisme

Sous le règne d'Édouard VI, fils d'Henri VIII, l'Église anglicane se rapprocha de la théologie protestante et s'opposa à la transsubstantiation. Élisabeth Ire approuva les Trente-Neuf articles qui marquaient la différence entre les doctrines anglicane et romaine : « La transsubstantiation (ou le changement de la substance du pain et du vin) lors du dernier repas du Christ, ne peut être prouvée par les Saintes Écritures ; mais elle est incompatible avec les termes même de l'Évangile, elle réduit à néant la nature du Sacrement et a donné lieu à de nombreuses superstitions. »

L'anglicanisme tolérant une diversité doctrinale interne, certains anglicans (en particulier des anglo-catholiques) acceptent la transsubstantiation tandis que d'autres la rejettent. L'archevêque John Tillotson a dénoncé son caractère « barbare », considérant impie de croire que les fidèles qui participent à la communion « mangent et boivent vraiment la chair et le sang naturels du Christ ». Certains auteurs anglicans récents acceptent toutefois la doctrine de la transsubstantiation ou, évitant le terme lui-même, parlent d'une « présence objective » du Christ dans l'Eucharistie. D'autres soutiennent des idées proches de la consubstantiation, position tenue par les Églises luthériennes.

Thomas Cranmer assimile la transsubstantiation au cannibalisme, à une dévoration rituelle[11].

Un rituel anglican[12] donne les instructions suivantes :

« Et pour ôter toute occasion de débat et de superstition que l'on pourrait avoir touchant le Pain et le Vin, il suffira que le Pain soit comme celui qu'on mange ordinairement, pourvu qu'il soit du meilleur Pain de Froment qui puisse commodément se trouver. S'il reste du Pain et du Vin qui n'ait point été consacré, le Ministre en disposera comme du sien : s'il en reste de ce qui a été consacré, on ne l'emportera point hors de l'église, mais le Prêtre et ceux des Communiants qu'il appellera alors, le mangeront et le boiront avec respect et gravité, immédiatement après la Bénédiction. »

Évangélisme

De nombreuses Églises protestantes évangéliques estiment que la communion commémore de manière symbolique le dernier repas du Christ avec ses disciples (Ulrich Zwingli) ou que sa célébration prend son importance dans la signification qu'elle prend aux yeux de croyant (« transsignification »). Certains protestants considèrent que toute doctrine de la présence réelle relève de l'idolâtrie car elle reviendrait à vénérer du pain et du vin comme si c'était Dieu[réf. souhaitée].

La transsubstantiation selon les Églises issues du christianisme

Mormonisme

Les saints des derniers jours célèbrent la Cène en prenant le pain et l'eau en souvenir du sacrifice expiatoire du Christ. Le pain rompu représente sa chair brisée ; l'eau représente le sang qu'il a versé pour expier les péchés de l'humanité.

Notes et références

  1. Dictionnaire de Théologie Catholique, Paris, Letouzey et Ané, (lire en ligne), p. 652, col. 1289
  2. Ngalula Tumba, Petit Dictionnaire de liturgie et de théologie sacramentaire, Francfort-Sur-Le Main, Peter Lang, , 173 p. (ISBN 978-3-631-66915-0 et 3-631-66915-1), p. 153
  3. Concile de Trente, cité dans l'encyclique Ecclesia de Eucharistia, 2003, chap.1 §15
  4. Twelve Types, p. 88.
  5. Yves Gingras, L'atomisme contre la transsubstantiation « Copie archivée » (version du 29 juillet 2014 sur l'Internet Archive)[PDF], La Recherche no 446, novembre 2010
  6. Ngalula Tumba, Petit Dictionnaire de Liturgie et de Théologie Sacramentaire, Frankfort-Sur-Le Main, Peter Lang, , 173 p. (ISBN 978-3-631-66915-0 et 3-631-66915-1), « Eucharistie, consubstantiation, consécration, présence réelle », p. 153
  7. Georges Minois, L'Église et la science, Histoire d'un malentendu, tome 2, p. 29
  8. Pietro Redondi, Galilée hérétique
  9. Ecclesia de Eucharistia, § 2, 5, 12, 56
  10. Édouard Pache, La Cène selon Calvin, article de la Revue de théologie et de philosophie, 24e année (1936), cahier 101 .
  11. Marie Couton, Isabelle Fernandes, Christian Jérémie et Monique Vénuat, Pouvoirs de l'image aux 15e, 16e et 17e siècles, Presses Universitaires Blaise Pascal, , p. 32
  12. La liturgie, ou formulaire des prières publiques, selon l'usage de l'Église unie d'Angleterre et d'Irlande, publiée à Guernesey par l’Imprimerie de T. de la Rue, au bas du Pollet, 1814

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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