Tractatus de herbis

Le Tractatus de herbis (Traité des herbes), parfois aussi appelé Secreta salernitana (Secrets de Salerne), est une tradition textuelle et figurative d'herbiers transmise par plusieurs manuscrits enluminés du Moyen Âge tardif. Le plus ancien d'entre eux est le manuscrit Egerton 747 de la British Library de Londres, qui aurait été compilé à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe siècle.

Pour les articles homonymes, voir Tractatus.

Il s'agit de versions illustrées du Circa instans, un texte de la deuxième moitié du XIIe siècle attribué à Matthieu Platearius, et rédigé dans le milieu de l'école de médecine de Salerne. Elles sont augmentées d'extraits d'autres sources de l'Antiquité tardive et du Moyen Âge, dont notamment Dioscoride et le Pseudo-Apulée, de la médecine arabe, des principes diététiques d'Isaac Israeli et incluent peut-être des connaissances pharmaco-botaniques issues de la tradition orale. Ces traités présentent des simples, c'est-à-dire des substances végétales, minérales ou animales pures, possédant des vertus thérapeutiques. Elles y sont regroupées par ordre alphabétique et souvent accompagnées d'illustrations.

Le Tractatus de herbis est à l'origine du Livre des simples médecines, le nom collectif donné à plus d'une vingtaine de manuscrits en français des XVe et XVIe siècles. Une autre version dérivée, l'Arbolayre, est publiée en 1486 à Paris et à Besançon. Ce premier herbier imprimé en langue française sera réédité plusieurs fois dans la première moitié du XVIe siècle, sous le titre Le Grant Herbier en françoys. Il sera par la suite traduit en anglais comme The Grete Herball.

Historiographie

En 1886, Jules Camus est le premier à mettre en évidence une version allongée du Circa instans à travers l'analyse de deux manuscrits du XVe siècle conservés à la bibliothèque Estense de Modène[alpha 1]. L'un d'eux, le ms. lat. 993 (désormais connu sous la cote alfa.l.09.28), est désigné sous le titre Tractatus de herbis d'après son excipit et considéré comme la plus ancienne version illustrée du texte. En 1950, l'historien autrichien Otto Pächt remarque que le ms. Egerton 747 de la British Library est sans doute possible le texte original du manuscrit de Modène, et qu'il a été rédigé 150 ans plus tôt. Il établit aussi que deux autres codex, conservés respectivement à Florence et à Rome, sont des dérivés directs du Tractatus de herbis de Londres[alpha 2]. En 1974, l'historien suisse Felix Baumann (de) explore la tradition figurative de ces ouvrages, en marge de son travail sur l'herbier de Carrara, et la rapproche de celles de trois manuscrits illustrés sans texte originaires d'Italie du Nord. Il reclasse ces sept codex comme Tractatus de herbis et les relie à d'autres herbiers français et italiens du XVe siècle. Il crée aussi une division en deux catégories : le « groupe d'Italie du Nord » (Oberitalienische Gruppe) et les « manuscrits français » (Französische Handschriften)[alpha 3].

Transmission

Le Tractatus de herbis est connu sous deux rédactions distinctes, probablement apparentées, et transmises par les deux plus anciens manuscrits de la tradition. Chacun d'eux a donné lieu à des copies, des versions dérivées et des traductions en langue vernaculaire.

Liens supposés entre les différents manuscrits du Tractatus de herbis
LONDRES
Egerton 747
1280-1350
 
 
 
 
 
 
 
PARIS
Latin 6823
1301-1350
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
FLORENCE
Pal. 586
1350
 
 
 
 
 
 
 
NEW YORK
Morgan M. 873
1350-1375
 
PARIS
Masson 116
1365-1375
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ROME
Casan. 459
1395-1400
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Livre des simples médecines
(28 manuscrits)
1425-1540
 
 
 
 
 
 
 
 
 
VATICAN
Chigi F.VII.158
Début XVe siècle
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Petroneller
Kräuterbuch

Milieu XVe siècle
 
 
 
 
 
 
 
 
LONDRES
Sloane 4016
1440
 
MUNICH
Cim. 79
1440
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
MODÈNE
alfa.l.09.28
1458
 
 
 
BÂLE
K II 11
Milieu XVe siècle
 
VATICAN
Chigi F.VIII.188
Milieu XVe siècle
 
VATICAN
Ross. 1067
XVe siècle
 
SIENNE
L. VIII. 18
Fin XVe siècle
 
COPENHAGUE
Thott 191 2°
Fin XVe siècle

Version du « Pseudo-Barthélémy »

Egerton 747, fo 45 vo : les chapitres De gratiadeo, De golgema et De gelesia.

Le Tractatus de herbis contenu dans le manuscrit Egerton 747 de la British Library de Londres est le texte le plus ancien qui ait été conservé et il est possible qu'il constitue la version originale dont sont dérivées toutes les autres. Il a été attribué à un dénommé Barthélémy Mini de Sienne, qui n'en est vraisemblablement pas l'auteur original (voir infra). Le traité occupe les 109 premiers folios du codex, qui contient également d'autres textes, dont un Antidotaire Nicolas (en)[alpha 4].

Sur la base de son corpus illustratif et de son écriture gothique, le manuscrit est daté d'une période s'étendant entre le dernier quart du XIIIe siècle et les premières décennies du XIVe siècle. L'analyse des sources du Tractatus ne montre cependant aucune utilisation d'œuvres postérieures à 1250, et il est possible que le codex ait été copié d'un ouvrage plus ancien, ou qu'il ait utilisé un texte préexistant, probablement non illustré, dont la trace a été perdue[alpha 5]. L'origine géographique du manuscrit Egerton 747 est elle aussi obscure : certains auteurs ont avancé qu'il a été compilé en Toscane, et plus précisément à Sienne[1], alors que d'autres le considèrent comme provenant d'Italie du Sud, dans la région de Naples ou de Salerne[alpha 6]. Ces tentatives de localisation sont toutes fondées sur les illustrations du manuscrit, car le texte lui-même n'offre aucun indice sur son origine, et il peut avoir été rédigé dans n'importe quelle partie de la péninsule italienne, puis recopié dans le codex[alpha 5].

Il existe notamment deux indices que le Tractatus de herbis du manuscrit Egerton 747 constitue une compilation originale. D'une part, des extraits d'Isaac Israeli ont manifestement été ajoutés dans les marges du manuscrit après la première rédaction, alors que ces passages sont intégrés au corps du texte et cités dans les sommaires des versions ultérieures (voir infra). D'autre part, la réglure de nombreux folios ne s'étend que sur la partie supérieure des colonnes, afin de permettre l'insertion des illustrations et d'éviter que la peinture ne s'accumule dans les lignes. Cette indication d'une collaboration proche entre le scribe et les illustrateurs pourrait être le signe d'une entreprise de création originale au niveau figuratif, plutôt que de la copie d'un ouvrage existant[alpha 7].

Quelle que soit sa provenance exacte, le manuscrit Egerton 747 a rapidement traversé les Alpes et a dû se trouver en mains françaises à une date assez précoce. Il existe en effet une version du traité rédigée en occitan vers 1350[alpha 8], et une copie directe en latin effectuée en Bresse en 1458[alpha 5] (voir infra).

Version de Manfred

Latin 6823, fo 16 vo: De asaro.

Le manuscrit latin 6823 de la Bibliothèque nationale de France à Paris contient une version du Tractatus de herbis sensiblement différente de celle d'Egerton 747. Également intitulée Liber de herbis et plantis, elle a été écrite et illustrée par un dénommé Manfred de Monte Imperiale, un auteur inconnu dont l'origine fait débat (voir infra). L'œuvre n'a pu être datée avec précision et aurait été rédigée entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle. La date terminus post quem de 1296 est cependant retenue en raison de la présence d'extraits de la Clavis sanationis de Simon de Gênes, rédigée cette année-là. À l'origine, le traité était suivi d'un texte illustré du Liber medicinae de animalibus, ce qui explique la présence de nombreux dessins d'animaux dans les manuscrits dérivés de Paris latin 6823[alpha 9].

La version de Manfred est bien plus complète et sophistiquée que celle du Pseudo-Barthélémy, et balaie un horizon culturel plus varié et plus profond[alpha 10]. Le lien entre les deux œuvres n'a par ailleurs pas été élucidé et fait débat parmi les spécialistes. Ceux-ci s'accordent à tracer des parallèles entre le corpus illustratif du manuscrit de Londres et celui de Paris, lequel est plus développé et perfectionné[alpha 11]. Ces similitudes conduisent certains chercheurs à avancer que Manfred aurait compilé son traité à partir du manuscrit Egerton 747, ou éventuellement d'une version apparentée à celui-ci[alpha 12]. Pour être admissible, l'hypothèse d'un lien direct entre les deux variantes du Tractatus implique l'un des scénarios suivants[alpha 13] :

  1. Manfred se serait servi d'une version du traité contenant des illustrations dérivées de celle d'Egerton 747, mais un texte sensiblement différent ;
  2. Le compilateur aurait eu la version du Pseudo-Barthélémy sur sa table de travail, mais aurait consciemment et systématiquement remplacé le contenu de certains chapitres par des textes extraits d'autres sources ;
  3. Les deux versions descendent d'un archétype commun, mais auraient connu des développements distincts.

Quelle que soit la réponse à cette question, la version de Manfred constitue une étape essentielle de l'histoire de la transmission du Tractatus de herbis et des versions étendues et illustrées du Circa instans[alpha 14]. S'étant vraisemblablement trouvée en Lombardie dès la deuxième moitié du XIVe siècle[note 1], elle a servi de base à certaines des plus célèbres éditions de l'œuvre, rassemblées sous le nom de groupe d'Italie du Nord (voir infra)[alpha 15]. En dehors du manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, des copies du traité de Manfred ont été transmises par quatre autres codex plus récents : les manuscrits Ross. 1067 et Chigi F. VIII. 188 de la Bibliothèque apostolique vaticane, le manuscrit L. VIII. 18 de la Biblioteca Comunale degli Intronati (en) de Sienne[note 2] et le manuscrit Thott 191 2° de la Bibliothèque royale de Copenhague, lequel est incomplet et dépourvu d'illustrations[alpha 16].

Groupe d'Italie du Nord

M. 873, fo 50 vo : Une plante (De ghimandrea) et quelques animaux : coq et poule, écrevisse, salamandre.

Le plus ancien des manuscrits du groupe semble être le ms. M. 873 de la Morgan Library and Museum de New York, qui est titré Compendium Salernitanum [alpha 17]. Il a la particularité de ne comprendre que des illustrations, même si un volume séparé avec le texte a peut-être existé. Les 488 images, toutes de la même main, suivent l'ordre de celles de la version de Manfred[alpha 15]. Les chapitres sans illustrations ne sont pas représentés, mais le manuscrit new-yorkais intègre aux côtés des simples les animaux du Liber medicinae de animalibus[alpha 17]. L'analyse des costumes et de l'écriture a permis d'en situer l'origine en Italie du Nord, probablement en Vénétie, et de le dater du troisième quart du XIVe siècle[alpha 15]. Le codex a appartenu à Marcellin-Hercule Bompart[note 3], médecin de Louis XIII, puis à Antoine Vallot, archiatre de Louis XIV[alpha 17].

Un deuxième manuscrit sans texte est conservé par la bibliothèque de l'École nationale des Beaux-Arts de Paris sous la cote Masson 116[note 4]. Une note difficilement déchiffrable[note 5] au bas du premier folio, ainsi que plusieurs indices iconographiques, relient le codex à la ville de Padoue. Les 580 illustrations, dont le niveau non homogène traduit la participation de plusieurs artistes, sont présentées dans un ordre désormais perturbé par une restauration maladroite de la reliure et qui ne correspond pas à la séquence originale. Contrairement au manuscrit de la Morgan Library, Masson 116 n'était initialement pas conçu pour ne contenir que des images : les folios montrent en effet la trace d'une discrète réglure à la plume, et les arbres sont placés au centre des pages afin de permettre l'insertion de deux colonnes de texte[alpha 18]. Les détails des costumes et certaines scènes figurées présentent beaucoup de similitudes avec les illustrations d'un Guiron le courtois et d'un Lancelot du Lac transmis par deux manuscrits parisiens[note 6], suggérant qu'ils pouvaient provenir d'un même atelier, et ont permis de dater Masson 116 des années 1370 ou 1380[alpha 19]. Le travail de certains des illustrateurs du manuscrit correspond aussi étroitement aux canons stylistiques d'Altichiero da Zevio ou de Jacopo Avanzi, deux artistes qui œuvraient à Padoue entre 1376 et 1379[alpha 20].

Sloane 4016, fo 44 vo : scène courtoise au milieu des simples médecines.

Bien qu'elle soit apparemment involontaire, l'absence de texte de Masson 116 semble avoir servi une tendance remarquable des XVe et XVIe siècles à préférer les livres d'images aux traités scientifiques. Le manuscrit de l'École des Beaux-Arts, ou une copie de celui-ci, a ainsi servi de base à deux ouvrages conçus pour ne présenter que des illustrations. Le premier est le ms. Chigi F. VII. 158 de la Bibliothèque apostolique vaticane, daté de la fin du XIVe siècle ou du début du XVe siècle[alpha 21]. Bien qu'il soit étiqueté « Dioscoride latin » et qu'il ait été étudié comme tel[2], le codex ne contient que des images appartenant à la tradition figurative du Tractatus de herbis[alpha 22]. Le second est le manuscrit Sloane 4016 de la British Library, dont les illustrations sont des copies presque identiques de celles de Masson 116, mais ajustées et regroupées pour remplir toute la surface des folios. Elles sont accompagnées de légendes indiquant le nom du simple et ses synonymes, et comportent des scènes qui indiquent une nette prédilection de leur commanditaire pour les aspects courtois et mondains, témoignant d'une réalisation à but principalement esthétique[alpha 18]. Les détails des costumes et des coiffures ont été altérés par rapport à l'original et ont servi à dater le manuscrit aux années 1440, par comparaison avec les fresques attribuées aux Zavattari dans la chapelle de la reine Théodelinde de la cathédrale de Monza[alpha 19]. Le lien avec cette famille de peintres lombards, ainsi que la présence d'emblèmes des Visconti[note 7], permettrait de situer l'origine de Sloane 4016 à Pavie ou à Milan[alpha 22]. D'autres auteurs ont cependant proposé une réalisation plutôt vénitienne autour de 1450[alpha 23].

C'est à la cour des Visconti qu'a justement été réalisée la version la plus luxueuse des dérivés du traité de Manfred : le ms. 459 de la bibliothèque Casanatense de Rome, autrement connu sous le nom de Historia plantarum, est une édition grandiose de plus de 900 entrées qui incarne un sommet de l'illustration scientifique médiévale[alpha 24]. Sa conception et la décoration de ses bordures correspondent au style employé par Giovannino et Salomone de' Grassi pour le Livre d'heures commandé par Jean Galéas Visconti. Il est probable que l'Historia plantarum ait été réalisé dans le même atelier, par les mêmes artistes[note 8] et pour le même commanditaire.

Casanatense ms. 459, fo 1 ro : frontispice et chapitre dédié à l'or (De auro)[note 9].

La représentation des espèces végétales s'inscrit dans la continuité de la tradition du Tractatus de herbis et ressemble beaucoup à celle de Masson 116, ce qui pourrait faire penser à un archétype commun aux deux manuscrits[alpha 25]. Celle des animaux et des scènes figurées s'en distingue en revanche nettement : ils correspondent plutôt aux études effectuées dans l'atelier des de' Grassi et présentent de nombreux points communs avec la production contemporaine des Tacuinum sanitatis illustrés dans la région lombarde[4]. Au niveau textuel, l'auteur anonyme du manuscrit romain s'est servi des mêmes sources que Manfred (voir infra) pour produire une compilation plus approfondie et plus complète. Il a également opéré une sélection parmi les chapitres de la version parisienne pour ne retenir que les substances « nobles » (parfums, épices, plantes et fruits exotiques), ainsi que celles pouvant être facilement illustrées. Les entrées relatives à la nature des animaux sont parfaitement intégrées au milieu de celles traitant des simples. Elles sont extraites du Liber medicinae de animalibus, mais aussi des Cyranides, un recueil de l'Antiquité tardive relevant plutôt de l'hermétisme. Cette singulière combinaison entre pharmacopée, diététique et magie est révélatrice de la nature de l'Historia plantarum : l'ouvrage n'était pas une encyclopédie médico-botanique, mais une œuvre destinée à un public de cour, réalisée pour offrir du plaisir et de l'agrément à la lecture des merveilles du monde de la nature[alpha 26]. Le manuscrit pourrait dater de la période 1394-1395, quand Jean Galéas tentait de persuader le roi des Romains de l'investir du duché de Milan en échange de son soutien financier. Venceslas de Luxembourg, à qui l'ouvrage a été offert, est en effet représenté sur le frontispice entouré de ses électeurs et des sept vertus. Ces dernières pourraient d'ailleurs constituer une allusion au titre de comte de Vertus conféré à Jean Galéas après son mariage avec Isabelle de France[alpha 27]. Le manuscrit a ensuite rejoint par héritage la célèbre bibliothèque du roi Matthias Corvin, lequel a fait placer ses armoiries par dessus celles de la maison de Luxembourg sur ce même frontispice[5]. Une copie de l'Historia plantarum a été produite au XVe siècle durant ce séjour en Hongrie. Transmise par le ms. Cim. 79 (anciennement ms. 604 2°) de la Bibliothèque universitaire de Munich (de), et connue sous le titre de Lexicon plantarum, elle s'est essentiellement limitée aux simples d'origine végétale[alpha 24]. Rédigé dans une écriture bâtarde latine, le manuscrit était probablement destiné à l'origine à un hôpital[6].

Manuscrits français

Le manuscrit Palatino 586 de la Bibliothèque nationale centrale de Florence est la version la plus insolite du traité : un parchemin de 30 cm sur 20 cm présentant quatre images par folio, réalisé en deux campagnes distinctes, et par ailleurs incomplet[alpha 28]. Il s'ouvre par une série de quatrains en occitan contenant les Dits de philosophes, au bas desquels le copiste donne son nom (« Aguiton ») dans une formule latine répandue parmi les scribes médiévaux : « Nomen scriptoris: aguito plenus amoris ». Suivent les portraits de sept « docteurs » prononçant des aphorismes en latin et en occitan : Adam, Hippocrate, Avicenne, Johannitius, Averroès, Mésué et Sérapion[7]. Les folios 9 à 29 contiennent la première série de simples, qui suit très fidèlement l'ordre des chapitres du manuscrit Egerton 747. Les images sont surmontés de cinq lignes de texte comportant de nombreuses abréviations et correspondent à des versions très condensées des chapitres traduits en occitan. Les plantes sont entourées de personnages et de grotesques, ce qui constitue une caractéristique unique au sein de la tradition du Tractatus de herbis. Cette première partie du manuscrit, qui est datée du milieu du XIVe siècle, s'achève avec la lettre F. Les folios 30 à 65 ne comprennent que des images, et à partir du folio 38, seuls les dessins préparatoires au trait noir sont présents. Cette seconde campagne d'illustration a été réalisée selon une technique différente et dans un style très comparable à celui du Maître de la Bible de Jean de Sy. Ce dernier serait apparu durant les dernières années du règne de Jean le Bon et aurait fréquemment travaillé pour Charles V. Il est possible que le ms. Pal. 586 ait été apporté à Paris depuis le Sud de la France afin d'y être enluminé pour un patron royal dans les années 1370-1375[alpha 28].

Ms. alfa.l.09.28, fo 142 ro : De zedoaria, De zizania, De zibullis et De zuchara.

Le manuscrit alfa.l.09.28 (anciennement ms. Lat. 993) de la bibliothèque Estense de Modène est une version latine du XVe siècle, très proche de celle du manuscrit Egerton 747, et la première à avoir reçu le titre de Tractatus de herbis. Elle contient même l'explicit avec la signature (usurpée) de Barthélémy Mini de Sienne, dont le patronyme a été retranscrit de manière erronée comme « Mundsens » dans le catalogue de la bibliothèque[alpha 29]. Le traité comprend 390 images de plantes, 50 de minéraux et d'autres substances, souvent représentés dans des boîtes, et 22 scènes enluminées sans cadres. L'illustrateur pourrait être le Maître du Prince de Piémont, un artiste connu par son travail pour le futur duc Amédée IX de Savoie[alpha 30]. Le dernier folio du traité comprend un second explicit en français à la suite de celui d'Egerton 747, qui renseigne sur la provenance du manuscrit (Bourg-en-Bresse), la date de sa réalisation (1458) et le nom de son copiste (« Le petit pelous »)[alpha 31] :

Explicit cest herbollaire
Auquel a heu assés affaire
A bourg il a este escript
Mil CCCC cinquante et huit
Et l'a escript cest tout certain
Le patron de sa propre main
Priés pour luy je vous en prye
Pour amour de la compagnye

 Le petit pelous, etc., 1458

Le Tractatus de herbis a fait l'objet d'une traduction en français, communément appelée Livre des simples médecines, à la fin du XIVe siècle[alpha 32] ou au début du XVe siècle[alpha 33]. Cette période correspond en France au passage du latin à la langue vulgaire de nombreuses œuvres scientifiques et philosophiques. Le lecteur francophone ne devait en effet pas rencontrer beaucoup de difficultés pour repérer la mention d'une plante dans le traité en latin, mais il devait en être tout autrement de la recherche d'une pathologie spécifique. La version vernaculaire s'accompagne d'ailleurs de nouveautés : un glossaire permettant d'expliciter les termes savants (souvent traduits littéralement depuis le latin) et un index des remèdes efficaces contre les différentes maladies[alpha 34]. Elle a été transmise par au moins 28 manuscrits[alpha 35], alternativement titrés Livre des secrets de Salerne ou Arboriste[8]. La plupart d'entre eux se rattachent à deux grands regroupements géographiques : les manuscrits de la France du Nord et des États bourguignons, et ceux de l'Ouest de la France[alpha 36]. Les plus anciens datent du deuxième quart du XVe siècle et la majorité de la seconde moitié de ce siècle[alpha 37].

Arbolayre (1486), p. 109 : chapitre De gariofilis.

Le Livre des simples médecines est clairement dérivé de la version du Pseudo-Barthélémy : il contient les mêmes chapitres, présentés dans le même ordre, et respecte strictement l'ordre alphabétique, même lorsque le passage au français en aurait exigé autrement[note 10]. Il présente cependant certains traits spécifiques qui pourraient faire penser que la traduction originale a été réalisée non pas à partir du ms. Egerton 747, mais d'un autre codex contenant une version dérivée, plus proche de celle du manuscrit de Modène[note 11]. Enfin, si le stemma codicum du Livre des simples médecines tend à indiquer un archétype unique[8], la traduction originelle s'est développée avec le temps et a évolué en plusieurs sous-rédactions, au gré de ce que ses copistes se sentaient autorisés à ajouter ou à retrancher. Certaines contiennent ainsi des extraits de l'œuvre du médecin italien Gentile da Foligno et du Tacuinum sanitatis, deux sources absentes des versions antérieures du traité [alpha 38].

C'est précisément l'une de ces rédactions qui a servi à produire le premier herbier imprimé en langue française : publié à Besançon en 1486 ou 1487-1488, il a reçu le titre d'Arbolayre contenant la qualitey et virtus, proprietey des herbes, arbres, gommes et semences, extrait de pluseurs tratiers de medicine, comment d'Avicenne, de Rasis, de Constantin, de Ysaac et Plateaire, selon le commun usaige bien correct[note 12]. L'ouvrage est un grand in-folio en écriture gothique sur deux colonnes, avec des bois gravés[9], qui a fait l'objet de deux rééditions parisiennes en 1498 et en 1520, sous le nom cette fois de Grant Herbier en françoys. Ces publications ne semblent pas avoir connu beaucoup de succès : par exemple, seuls dix exemplaires de celle de 1498 ont été conservés[alpha 35]. Leur texte présente quelques points remarquables qui le différencient de toutes les versions dérivées du Tractatus de herbis et du Livre des simples médecines, telle la présence de chapitres absents ailleurs. Comme il semble peu probable que l'éditeur ait pris lui-même l'initiative de faire de tels ajouts à une œuvre existante, cela signifie que le manuscrit à la source de ces impressions doit encore être déterminé[alpha 39]. Le Grant Herbier a été à son tour traduit en anglais sous le titre de The Grete Herball et publié plusieurs fois entre 1526 et 1561. Ces ouvrages imprimés, derniers représentants de la tradition du Tractatus de herbis, voient leur carrière interrompue dans la deuxième moitié du XVIe siècle par l'introduction dans les pharmacopées européennes des produits issus du Nouveau Monde et des principes médicaux paracelsiens[10].

Kräuterbuch d'Europe centrale

Bâle ms. K II 11, fo 11 vo : plantes de l'initiale E.

En dehors des deux groupes de manuscrits définis par Felix Baumann, une version abrégée du Tractatus de herbis a été transmise par deux manuscrits originaires de l'aire culturelle allemande. Elle est limitée aux seules substances d'origine végétale et a été épurée de toutes données relatives à la médecine pour ne conserver que les informations lexicographiques. Le texte, qui est accompagné d'illustrations plutôt grossières, est cependant clairement assimilable à la rédaction du ms. Egerton 747[alpha 40]. Ce Kräuterbuch livre des herbes ») est contenu dans le ms. K II 11 de la Bibliothèque universitaire de Bâle, qui ne comprend que 200 chapitres. Le manuscrit avait été daté de la fin du XIVe siècle sur la base du costume porté par le personnage de son unique scène figurée[11]. Mais, en 1990, la découverte d'un second manuscrit a rendu cette première analyse caduque : le « Petroneller Kräuterbuch », ainsi surnommé parce qu'il était conservé dans la bibliothèque du château des comtes de Abensberg-Traun à Petronell en Autriche, s'avère être le modèle de celui de Bâle et date du milieu du XVe siècle[12]. Ce manuscrit, qui a été vendu aux enchères chez Sotheby's en 1985 et se trouve désormais en mains privées, présente aussi une spécificité importante pour l'histoire de la transmission du Tractatus de herbis : un lecteur anonyme de la fin du XVe siècle a inséré entre chaque page un folio supplémentaire qui présente une traduction complète du texte en allemand, dans un dialecte du groupe austro-bavarois[alpha 40].

Origines, structure et contenu

Auteurs

La version du manuscrit Egerton 747 a traditionnellement été attribuée à Barthélémy Mini de Sienne (en latin : Bartholomeus Mini de Senis), un apothicaire par ailleurs inconnu[8]. Jules Camus a suggeré qu'il était apparenté à Andrea Mino da Siena, un poète toscan du XIVe siècle de la famille Piccolomini[alpha 41]. Le nom Bartholomeus Mini a également été retrouvé avec ses armoiries sur le plafond d'un salon du Museo dell'Opera Metropolitana del Duomo de Sienne et daté au plus tôt de 1347[13]. Un dénommé Bartalomeo d'Antonio di Mino, résident du Terzo di Camollìa, est encore cité plusieurs fois entre 1453 et 1474 sur les listes de la guilde des apothicaires de Sienne[14], mais cette connexion tardive est peu vraisemblable[alpha 42].

Cette attribution provient du colophon du manuscrit original Egerton 747, qui a été recopié dans la version de Modène lat. 993. Il cite Diascorides (Dioscoride), Platone (Appuleius Platonicus), Galienus (Galien) et Macronem (Macer Floridus) comme auteurs du traité, et mentionne le nom de « Bartholomeus » comme compilateur et comme scribe [alpha 43] :

Colophon du manuscrit Egerton 747, fo 106 ro.

« Explicit tractatus h[e]rbar[um] Diascorides &
Platone adq[ue] Galienus et Macrone[m] tra[n]s
latate manu et i[n]tellectu bartholomei mini
d[e] senis i[n] arte speciare se[m]p[er] i[n]fusus d[e]o gra[tia]s am[en].

Q[u]i scripsit scribat se[m]p[er] cu[m] d[omi]no vivat.
Vivat i[n] celis bartho[lo]m[eu]s i[n] no[m]i[n]e felix.
 »

Incipit du manuscrit latin 6823, fo 3 ro.

Il apparaît clairement que ces deux mentions sont des ajouts plus tardifs, rédigés dans une écriture similaire mais différente et avec une encre plus foncée[alpha 44]. Il est aussi peu probable que le compilateur et le scribe du texte soient la même personne et que celle-ci ait signé deux fois. L'abréviation « barthoms » sert à remplir un espace de neuf caractères dans une formule (« Qui scripsit… ») par ailleurs très courante chez les scribes médiévaux. La raison de cette usurpation reste inconnue, mais il est possible que Barthélémy Mini de Sienne ait effectué plusieurs corrections et ajouts au texte original et qu'il ait considéré ces modifications comme une justification suffisante pour substituer son nom à ceux de l'auteur et du scribe[alpha 45].

L'incipit de la version du traité contenu dans le manuscrit latin 6823 contient quant à elle une signature incontestable[alpha 31] : « Cum ego, Manfredus de Monte Imperiali, in artis speciarie semper optans scire virtutes […] in libro hoc scripsi et per figuram demonstravi. » Le nom n'apparaît cependant dans aucune autre source, et rien n'est connu de l'auteur en dehors de ce qu'il dit lui-même dans ce passage, c'est-à-dire qu'il est un érudit en médecine ayant une connaissance approfondie de la littérature existante sur les simples médecines et une expérience de première main avec les plantes et leurs propriétés médicinales[alpha 15]. Le toponyme « Monte Imperiale » a été rapproché de Kaysersberg en Alsace[15], de Poggibonsi (anciennement Poggio Imperiale) près de Sienne[16], ou encore de Castel del Monte dans les Pouilles, un château construit par l'empereur Fédéric II[alpha 46].

Le lien de Manfred avec l'école de médecine de Salerne a été supposé à partir de son explicit[alpha 17] :

Ne vero presentis operis prolixitas in immensum infundatur, haec leto fine illud concludimus. Actenus Arcanum Salerne diximus urbis littera et in lassa pollice sistat opus.

« Afin d'éviter que la prolixité de cet ouvrage ne devienne trop longue, nous le clôturons avec plaisir. Jusqu'à présent, nous avons parlé des secrets de Salerne et l'ouvrage s'achève sur une écriture lasse et un pouce [fatigué]. »

La mention aux « secrets de Salerne » est présente sous une forme raccourcie en français dans les Livre des simples médecines et a souvent été utilisée comme titre alternatif de l'œuvre. Elle est cependant déjà présente dans le manuscrit Egerton 747, ainsi que dans plusieurs versions du Circa instans pourtant rédigées loin de Salerne[alpha 47].

Sources

Incipit du Tractatus de herbis, copié du Circa instans, dans le manuscrit alfa.l.09.28 de Modène (fo 1 ro).

Les chapitres du Tractatus de herbis du Pseudo-Barthélémy offrent une compilation pharmacologique caractéristique du champ de connaissances d'un lecteur du milieu du XIIIe siècle. L'auteur était probablement un bon expert des textes de médecine et de thérapeutique, mais pas un intellectuel formé dans une Université : le recueil ne montre en effet aucune influence des sources académiques typiques de l'époque, comme le Canon d'Avicenne. Il est plutôt représentatif d'une médecine « populaire », basée sur les sources circulant dans le milieu culturel de l'école de Salerne et sur les textes typiques de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Âge[alpha 48].

Le prologue, qui commence par la phrase « Circa instans negotium in simplicibus medicinis », est directement tiré d'un traité attribué à Matthieu Platearius et par ailleurs connu sous un nom faisant allusion à cet incipit : Circa instans. Compilée au milieu du XIIe siècle par un membre de l'école de médecine de Salerne, cette œuvre ne connaît pas de versions illustrées antérieures à celles du Tractatus de herbis[alpha 4]. Contrairement aux autres sources du traité qui n'apparaissent que sous forme d'extraits, le Circa instans y est intégralement recopié et dicte la structure générale de la compilation[alpha 49]. Bien que l'auteur du Tractatus de herbis ne cite pas Platearius dans son colophon[alpha 43], c'est par le Circa instans qu'il transfère à son traité l'essentiel de la tradition thérapeutique salernitaine[alpha 50].

L'Herba celidonia du Pseudo-Apulée est l'une des sources du chapitre « De celidonia » du Tractatus.

La seconde source d'importance du traité est l'Herbarius dit du « Pseudo-Apulée », un herbier compilé en latin au IVe siècle et artificiellement attribué à Apulée de Madaure. Basé sur des sources grecques et latines, en particulier Pline l'Ancien et la Médecine de Pline, l'Herbarius comprend 131 chapitres illustrés, consacrés chacun à une plante distincte[17]. Dans le Tractatus de herbis, 49 chapitres sont directement copiés de l'œuvre du Pseudo-Apulée, et dans 32 cas supplémentaires, des extraits servent à interpoler le contenu du Circa instans[alpha 51].

En comparaison de l'utilisation massive du Circa instans et de l'Herbarius, le rôle des autres sources est plutôt limité. Trois chapitres seulement[note 13] sont tirés du De viribus herbarum de Macer Floridus, un poème botanique composé en France à la fin du XIe siècle. Il est cependant utilisé à de nombreuses reprises, non pas comme texte de référence, mais pour introduire des informations particulières dans le texte d'une autre source. Macer Floridus est aussi l'unique source du Tractatus qui soit systématiquement citée comme telle : les passages copiés du De viribus herbarum sont ainsi introduits par des phrases telles que « Et etiam dicit Macro, quod multas habet virtutes, […] » (« Et Macer, qui a de nombreuses vertus, dit encore […] »)[alpha 52]. Le compilateur anonyme du Tractatus fait encore allusion à l'autorité de Dioscoride, et il est évident que de nombreux extraits du texte sont issus du De materia medica. La question de la version utilisée, parmi les nombreuses formes, directes et indirectes, sous lesquelles circulait le texte antique au XIIIe siècle, n'est pas résolue. Plusieurs chapitres présentent néanmoins des similitudes avec le texte des Dioscoride alphabétiques latins du XIe siècle, qui est le réarrangement par ordre alphabétique de la traduction latine du VIe siècle, enrichie de plusieurs additions[alpha 53].

La méthodologie de la compilation est relativement simple à restituer : chaque section alphabétique débute par les chapitres du Circa instans, présentés selon la même séquence que dans l'œuvre originale. Ils sont suivis de chapitres additionnels construits à partir des autres sources, qui sont souvent regroupés en fonction de leur provenance. La structure interne des chapitres suit trois typologies distinctes[alpha 54] :

  1. La reproduction parfaite, sans modifications ou ajouts, à partir d'une source unique (en l'occurrence, le Circa instans ou l'Herbarius) ;
  2. L'interpolation du contenu d'une source à l'intérieur des données issues d'une autre source ;
  3. Les « chapitres mixtes », dans lesquels plusieurs sources sont mises à profit pour décrire les différentes propriétés de la substance.
Le chapitre sur l'Amandier doux, extrait d'Isaac Israeli, est intégré dans la marge inférieure du folio 6 vo .

La dernière source d'importance du Tractatus de herbis n'a pas de liens avec la médecine et la pharmacologie : il s'agit du De diaetis particularibus d'Isaac Israeli, un traité de nutrition et de diététique. Dans le manuscrit Egerton 747, les extraits de l'œuvre sont rédigés dans une écriture plus petite et sont insérés dans les espaces vides des colonnes ou dans les marges. Ces chapitres particuliers, par ailleurs absents des sommaires, sont de la même main que le texte principal mais constituent incontestablement des ajouts ultérieurs. Ils pourraient être la preuve que le manuscrit n'est pas une copie mais un arrangement original, et aussi que les autres versions du Tractatus de herbis en sont directement dérivées. Celles-ci intègrent en effet les chapitres diététiques dans le corps du texte et les citent dans les sommaires ouvrant chaque section alphabétique[alpha 7].

Sur les plus de 500 chapitres du traité, une centaine n'a pas de sources identifiées. Ils sont pour la plupart regroupés à la fin de chaque section alphabétique, ce qui pourrait montrer une volonté de la part du compilateur de les séparer des autres chapitres. Certains pourraient avoir été extraits d'appendices aux autres textes, dont on a perdu la trace[alpha 55]. Le chapitre « De hecino » présente ainsi des similitudes avec un texte contenu en annexe d'un codex florentin comprenant en outre un Pseudo-Apulée et un Pseudo-Dioscoride[alpha 56]. Mais de nombreux autres chapitres ont une forme tout à fait particulière qui amène une autre explication : ils sont rédigés dans un style moins rigide et dans une langue montrant d'importantes influences romanes ; ils contiennent également une description de la plante qui correspond toujours parfaitement à celle de l'illustration. L'hypothèse a donc été émise qu'ils pourraient provenir non pas de sources écrites, mais de la tradition orale. Si elle se vérifie, la physionomie du Tractatus de herbis mériterait d'être redéfinie non plus comme une compilation savante, mais comme un vade-mecum mélangeant les données des manuels médicaux avec la pratique pharmaco-botanique[alpha 55].

La version de Manfred se distingue quant à elle par une utilisation plus vaste et plus fouillée de la littérature pharmaco-botanique disponible à la fin du XIIIe siècle : l'auteur inclut ainsi la science médicale arabe, représentée par le Canon d'Avicenne et le Liber aggregatus in medicinis simplicibus du Pseudo-Sérapion (de). Il fait également usage de la Clavis sanationis de Simon de Gênes, un dictionnaire de terminologie médicale latine, grecque et arabe. Manfred se réapproprie enfin la matière médicale de Dioscoride, et utilise pour cela une version qui ne correspond pas complètement aux Dioscoride alphabétiques latins. Les extraits attribuables au médecin d'Anazarbe sont ainsi beaucoup plus nombreux et développées que dans la version du manuscrit Egerton 747, et sont systématiquement substitués à ceux du Pseudo-Apulée[alpha 10].

Matière traitée

Sommaire de l'initiale E dans le manuscrit latin 6823 de Paris.

Le Tractatus de herbis consiste en une compilation alphabétique de plus de 500 simples, chaque chapitre étant consacré à la description d'un produit différent. L'énumération débute après un court prologue issu du Circa instans, qui explique qu'une simple médecine est une substance utilisée telle qu'elle est trouvée dans la nature, sans ajouts ou modifications[alpha 4]. Chaque initiale commence par un sommaire, qui ne correspond pas toujours exactement aux produits réellement traités. À l'intérieur d'une même section alphabétique, les chapitres suivent une séquence qui ne respecte pas l'ordre alphabétique, mais semble dictée par les sources utilisées pour la compilation. Le traité est majoritairement constitué de plantes et de substances d'origine végétale, mais présente également plusieurs simples animaux (comme l'ambre gris, le castoréum ou le musc) et minéraux (comme le mercure, l'orpiment ou la magnétite). Il contient également certains produits transformés, tels l'amidon, le beurre, le vinaigre, ou… la momie.

L'organisation interne des chapitres varie en fonction des sources utilisées. Ceux issus du Circa instans partagent cependant tous une structure similaire : ils débutent par la mention de la nature du simple (chaud ou froid, sec ou humide) et de sa place dans le système des degrés, puis donnent des informations de type lexicographique, comme les synonymes et parfois l'étymologie du nom, et indiquent enfin les qualités secondaires de la substance (par exemple une action astringente) ainsi que l'humeur qu'elle sert à réguler (sang, phlegme, bile). Après cette introduction qui constitue en quelque sorte la « carte d'identité » du produit, le texte en mentionne les différentes propriétés thérapeutiques. Celles-ci sont regroupées par parties du corps et suivent souvent une séquence a capite ad calcem de la tête au talon »)[alpha 57].

Exemple de la variété des techniques utilisées pour les illustrations de plantes dans Egerton 747 (fo 16 vo).

Le manuscrit Egerton 747 contient 406 illustrations de plantes, qui ont été qualifiées par Pächt de « mi-images, mi-diagrammes »[alpha 2]. Il n'y a aucune tentative d'ombrage ou de modélisation, et les végétaux sont représentés de manière schématique et strictement bidimensionnelle. Dans quelques rares cas, les feuilles, les tiges ou les branches se chevauchent, s'entrelacent ou se courbent pour montrer le profil de croissance de la plante. Les détails des feuilles et des fleurs, ainsi que leur disposition sur la tige, sont cependant représentés avec suffisamment de précision pour que la plante puisse être, dans la majorité des cas, identifiée à partir de la seule illustration[alpha 58].

Notes et références

Notes

  1. Le manuscrit latin 6823 est, dans tous les cas, enregistré dans l'inventaire de la bibliothèque des Visconti à Pavie en 1426.
  2. Connu sous le nom de « Codex Sermoneta », d'après son premier possesseur le médecin siennois du XIVe siècle Alessandro Sermoneta.
  3. Signalé par une note sur le folio 94.
  4. Le manuscrit appartient à un fonds légué à la bibliothèque par le collectionneur Jean Masson en 1935.
  5. Interprétée comme « J. Bacciarinus 4 denariorum in Padua 20 febr. MCCCLXII ».
  6. Respectivement NAF (Nouvelles acquisitions françaises) 5243 et Français 343, conservés à la Bibliothèque nationale de France.
  7. L'aigle impérial sur l'écu du soldat du fo 10 vo, ou le collier du léopard sur le fo 50 ro.
  8. Au moins sept mains distinctes ont été reconnues, dont Salomone de' Grassi lui-même[3].
  9. Bien que le manuscrit respecte scrupuleusement l'ordre alphabétique, le chapitre, qui aurait du se trouver à la fin de l'initale A, a volontairement été placé en premier pour des raisons de prestige.
  10. Par exemple, « aurum » devenu « or ».
  11. Ce manuscrit ne peut par ailleurs pas constituer la source de la traduction, puisqu'il est postérieur de plusieurs décennies aux premiers témoignages du Livre des simples médecines.
  12. Le terme « arbolayre » est une déformation du latin herbolarium ou herbarium et désigne toujours un « livre des herbes ».
  13. Il s'agit des chapitres « De atriplex », « De herpillos » et « De urtica ».

Références à la bibliographie

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Autres références

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Annexes

Bibliographie

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Liste des manuscrits

Référence Origine et datation Lien externe
Londres, British Library, Egerton 747. Italie du Sud (?), entre 1280 et 1350. Manuscrit digitalisé
Paris, Bibliothèque nationale de France, Latin 6823. Italie du Sud (?), début du XIVe siècle. Manuscrit digitalisé
Florence, Bibliothèque nationale centrale, Palatino 586. Sud de la France, vers 1350. Manuscrit digitalisé
New York, Morgan Library and Museum, M.873. Italie du Nord (Vénétie), entre 1350 et 1375. Manuscrit digitalisé
Paris, Bibliothèque de l'École des Beaux-Arts, Masson 116. Italie du Nord (Padoue), vers 1370. Manuscrit digitalisé
Rome, Bibliothèque Casanatense, 459. Italie du Nord (Milan), fin du XIVe siècle. Manuscrit digitalisé
Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Chigi F.VII. 158. Italie du Nord, fin du XIVe siècle ou début du XVe siècle. Manuscrit digitalisé
Londres, British Library, Sloane 4016. Italie du Nord (Lombardie), vers 1440. Manuscrit digitalisé
Munich, Bibliothèque de l'Université Louis-et-Maximilien, Cim. 79. Nord des Alpes, après 1440. Manuscrit digitalisé
Fonds privé, vente Sotheby's du , lot 64. Europe centrale, milieu du XVe siècle Notice en ligne
Bâle, Bibliothèque universitaire, K II 11. Espace allemand centre-oriental, vers 1450. Manuscrit digitalisé
Modène, Bibliothèque Estense, alfa.l.09.28. France (Bourg-en-Bresse), 1458. Manuscrit digitalisé
Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Chigi F.VIII. 188. Italie du Nord, deuxième moitié du XVe siècle. Non disponible en ligne.
Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Ross. 1067. XVe siècle. Non disponible en ligne.
Sienne, Biblioteca Comunale degli Intronati (en), L. VIII. 18. Italie, dernier quart du XVe siècle. Non disponible en ligne.
Copenhague, Bibliothèque royale, Thott 191 2°. France, XVe siècle. Non disponible en ligne.

Articles connexes

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