Roman-photo

Un roman-photo[1] est un genre narratif proche de la bande dessinée, dans lequel une succession de photographies, généralement agrémentées de textes disposés ou non dans des phylactères, conduit la narration.

Cet article concerne la bande dessinée photographique. Pour le projet de musique français, voir Roman Photo.

Origine et histoire

Grâce aux progrès techniques dans la reproduction mécanique des photos, le mélange texte/photo fait son apparition à la fin du XIXe siècle. La librairie Nilsson est connue pour avoir été pionnière, dès 1896, dans ce commerce de collections de romans populaires imprimés à grand tirage et illustrés à l'aide de phototypes, procédé moderne à l'époque (une centaine de clichés pour des livres de 200 pages), inaugurant un genre qui allait devenir le roman-photo. Son slogan était : « Roman inédit illustré par la photographie d'après nature ». Cette photolittérature fut initiée[2] par Alphonse Daudet avec L’Élixir du R. P. Gaucher, illustré par Henri Magron[3] en 1889/1890. Nilsson fut concurrencée sur ce terrain par les Frères Offenstadt puis, plus tard, par Flammarion et Calmann-Lévy.

Le roman-photo moderne tire son origine de l'Italie d'après-guerre, en 1947, au croisement du cinéma et de la bande dessinée[4]. La paternité de l'invention est attribuée à Stefano Reda, un jeune scénariste, qui réalisa Nel Fondo del Cuore, le premier roman-photo de l'histoire en 1947 pour le magazine italien Il Mio Sogno. Elle est également attribuée au trio Luciano Pedrocchi, Damiano Damiani et Franco Cancellieri qui officiaient chez Mondadori pour le magazine Bolero Film dont le premier numéro fut publié à deux semaines d'intervalle de Il Mio Sogno et qui utilisera d'emblée le néologisme "fotoromanzo" (roman-photo) sur sa couverture. Le nom du scénariste Cesare Zavattini, à l'origine de nombreuses expériences menées dans le domaine de la bande-dessinée et figure de proue du mouvement néoréaliste italien, est également évoqué. Outre le côté technique, le roman-photo s'inspire du cinéma en reprenant le topos sentimental du bonheur individuel véhiculé par les productions américaines de l'époque. Les techniques de découpage et de présentation de la bande dessinée sont repris, mais peu de romans-photos se sont intéressés aux techniques d'expression propres à la bande dessinée. C'est un succès, au point qu'un documentaire sur le sujet est réalisé par Michelangelo Antonioni en 1949[5].

Le roman-photo fera sa première apparition en France en juin 1949 dans le magazine Festival, sous l'impulsion de l'éditeur Cino Del Duca qui l'introduira progressivement dans la quasi-totalité de ses autres revues dont Nous Deux, en .

Les magazines Nous Deux pour la France (il se vend chaque semaine à 1,5 million d'exemplaires et présente des vedettes des yé-yé comme Johnny Hallyday[5]) et Grand Hôtel pour Italie, demeurent les deux seuls hebdomadaires à publier des romans-photos[réf. souhaitée]. Dans les années 1960, un Français sur trois lit des romans-photos. Des déclinaisons érotiques sont également publiées[5].

Plusieurs personnalités sont apparues dans des romans-photos avant de devenir célèbres, notamment pour gagner de l'argent, comme Sophia Loren à l'âge de 16 ans[5].

Peu d'auteurs ont vraiment marqué le genre. Citons Gébé et le professeur Choron, qui ont publié dans les années 1960 et 1970 de nombreux romans-photos comiques dans Hara-Kiri[5], Jean Teulé (Gens de France et d'ailleurs, réédité par Ego Comme X) qui a inventé le roman-photo de reportage, ainsi que Léandri qui a publié des romans-photos courts et humoristiques.

Dans les années 1970, il est victime d'un déclin. Pour Frédérique Deschamps, commissaire d'une exposition sur le sujet organisée au Mucem en 2017-2018, « les feuilletons à l'eau de rose, qui faisaient le sel du genre et lui ont valu d'être très largement haï par les intellectuels communistes autant que par les chrétiens, ont été supplantés par les histoires d'amour des stars sublimées par la presse people »[5].

Dans les années 1980, des tentatives experimentales sont tentées, notamment aux éditions de Minuit[5].

En 1991, Christian Bruel publie sous la dénomination photoroman, La mémoire des scorpions, récit policier photographié et mis en scène par Xavier Lambours (Le Sourire qui mord, diff. Gallimard). Dans La balançoire de plasma (1996), ouvrage réédité en 2006 par Cornélius, Jean Lecointre et Pierre La Police rendent un hommage très décalé à la série B.

Grégory Jarry s'intéresse à ce genre avec L'os du gigot (Ego comme X, 2004) et Savoir pour qui voter est important (FLBLB, 2007). Des mêmes auteurs, le numéro 14 de la revue Flblb Fricassée de romans-photos édité en 2003, propose un panorama des possibilités de ce genre narratif.

Le roman-photo et le numérique

Il est désormais possible de lire des romans-photos en ligne et sur mobile. En Europe et au Canada le lectorat est essentiellement féminin, mais dans le reste du monde les deux sexes sont presque à égalité. Internet et le téléphone portable permettent la délocalisation de l'accès à l'information. La gratuité et l'intimité de la lecture par ce biais redonnent une nouvelle jeunesse à un genre de littérature qui correspond à une population qui n'osait ou ne pouvait acheter des magazines.

Entre 2010 et 2012, Lia Rochas-Pàris a réalisé des romans-photos 2.0 derrière le titre Vasistas. Une vitrine de la vie parisienne publiée chaque semaine sur internet. La première saison a été édité en livre et lancé à la librairie Yvon Lambert en . La presse française et belge en ont parlé comme le Grand Retour du roman-photo.

Depuis , Lia Rochas-Pàris a repris le genre avec Le Café Matinal : Des interviews sous forme de romans-photos visibles sur le site lecafematinal.com[6] publiés tous les mercredis. La rencontre entre la rédactrice en chef de Nous Deux et Lia Rochas-Paris est visible sur le site du Café Matinal.

Dans un style plus cinéma, Antoine Besson et Claude Defresne présentent Le Secret des Trois Clés (2013), Le Secret de l'Archange (2014) et Le Secret du L.Y.S (2016) une trilogie de romans-photo "nouvelle génération", avec Justine Thibaudat, Marwan Berreni, Annie Chaplin, Julien Charles, Coline d'Inca, Niseema Theillaud, Dounia Coesens, Vincent Rocher Rocher et Eve Peyrieux.

Le roman-photo et le détournement

Dans la veine du détournement situationniste, qui utilisait des bandes-dessinées et des films pour en détourner le contenu, le roman-photo peut aussi servir de support pour le détournement, à travers la modification du texte des phylactères. Les romans-photos du magazine Nous deux ont plusieurs fois été réutilisés à des fins de détournement subversif[7],[8].

D'autres romans-photos

Associer narration et images photographiques est une démarche récurrente dans l'histoire des arts, qui outrepasse largement le seul champ du roman-photo. Il semble que la notion de roman-photo doive être initialement attribuée au Constructivisme russe, dès les années 1930[réf. souhaitée].

Parmi les expériences notables en la matière, on peut citer :

  • Chris Marker a donné le sous-titre Photo-roman à son fameux court-métrage La Jetée (1962), composé presque exclusivement de photos fixes,
  • Hervé Guibert a quant à lui sous-titré Roman-Photo son livre écrit à partir des photos qu'il avait prises de ses deux tantes, Suzanne et Louise (1980, réédition 2005, Gallimard).
  • Dans les années 1980, le scénariste Benoît Peeters et la photographe Marie-Françoise Plissart ont publié aux Éditions de Minuit des ouvrages qui tentent de renouveler en profondeur le genre.
  • Les Éditions Thierry Magnier ont lancé en 2006 la collection Photoroman, codirigée par un écrivain (Jeanne Benameur) et un photographe (Francis Jolly). Chaque volume paru associe un photographe et un écrivain, le second rédigeant une histoire à partir des photos du premier, sans autre indice que ce matériau iconographique brut.
  • Avec Mars et Avril, le scénariste Martin Villeneuve et le photographe Yanick Macdonald proposent eux aussi un roman-photo d'un genre nouveau (sous-titré "photo-roman revisité"), aux antipodes du roman de gare ou à l'eau de rose ; deux tomes sont parus à ce jour aux Éditions de la Pastèque.
  • On doit au photographe Chenz les romans-photos publiés dans Hara-Kiri.
  • Lia Rochas-Pàris considère "La vie comme un roman-photo 3.0" et publie quotidiennement des bribes de son quotidien sur son compte instagram.
  • Xavier Lambours, Le Mystère du fétiche noir, Télérama Hors-série, .
  • Xavier Lambours, La Mémoire des Scorpions, Gallimard, Le Sourire qui mort, 2005.
  • Les Éditions FLBLB publient régulièrement depuis les années 2000 des roman-photos d'auteurs, notamment Pauline à Paris (Benoit Vidal), 2015, Même le grand soir a commencé petit (Clément Xavier et Lisa Lugrin), 2018, Le Syndicat des algues brunes (Amélie Laval), 2018, ou encore Contrôle des voyageurs (Xavier Courteix), 2020.
  • En janvier 2019, Mahler publie Nohmi - La quête de l’UniCité aux éditions Y.I.L.

Roman-photo et enquête documentaire

  • Valérie Igounet et Vincent Jarousseau, L'Illusion nationale : deux ans d'enquête dans les villes FN, Paris, Les Arènes, coll. « Enquêtes », , 168 p. (ISBN 978-2-35204-597-7).
  • Vincent Jarousseau, Les racines de la colère : deux ans d'enquête dans une France qui n'est pas en marche, Paris, Les Arènes, Coll. Enquêtes, 2019, 168 p. (ISBN 2711201260 et 9782711201266)
  • Benoit Vidal, L'effet schizomètre, Quand l'art brut dégivre la psychopathologie, Paris, Epel, 2018, 128p. (ISBN 978-2-35427-193-0)

Exposition

  • « Le roman-photo », Mucem, Marseille, 2017-2018[9]

Notes et références

  1. ou photo-roman. Les deux termes sont attestés par le Grand dictionnaire terminologique québécois (2005).
  2. D'après Paul Edwards, L’Ouphopo, n°24[-36], 8 rue Dareau, Paris 14e.
  3. Qui deviendra lui-même éditeur du genre.
  4. Philippe Sohet, Les ruses du roman-photo contemporain [lire en ligne], Études littéraires, vol. 30, n° 1, 1997, p. 105-115.
  5. Frédérique Deschamps, interviewée par Toma Clarac, « Le roman-photo entre au musée », Vanity Fair n°53, décembre 2017, page 48.
  6. « Le Café Matinal », sur lecafematinal.com (consulté le )
  7. Détournement de fonds, « Roman-photo : L’hiver sera chaud », (consulté le )
  8. Détournement de fonds, « Roman-photo : Le printemps sera chaud », (consulté le )
  9. « Roman-Photo », sur Mucem — Musée des civilisations et de la Méditerranée (consulté le )

Annexes

Bibliographie

Années 1970

Années 1980

  • Jean-Claude Chirollet, Esthétique du Photoroman, Édilig, Paris, 1983, 223 p. (ISBN 2-85601-045-8)

Années 1990

  • Jan Baetens et Ana González Salvador (éd). Le Roman Photo, Rodopi, Amsterdam, 1996, 226 p. (ISBN 9042001003)
  • Fabien Lecœuvre et Bruno Takodjerad, Les Années roman-photos, H. Veyrier, Paris, 1991, 288 p. (ISBN 2851995901)

Années 2000

  • Jean-Claude Chirollet, Photo-archaïsme du XXe siècle , Paris, éditions L'Harmattan, Chapitre 12 (Photoromans, p. 113-120), 2006, 245 p. (ISBN 2-296-00679-5)
  • Alain Virmaux et Odette Virmaux, Le Ciné-roman : un genre nouveau, Édilig, Paris, [sd], 127 p. (ISBN 285601027X)
  • Daniel Fondanèche (préf. Pierre Brunel), Paralittératures, Paris, Vuibert, , 734 p. (ISBN 2-7117-7214-4, OCLC 300495050), p. 423-434
  • Collectif (Big Ben, Matt Broersma, Philippe Coudray, Narcisse Delcopette, Fafé, Yann Fastier, Grimm, Ilius, Jean Lecointre, Lou Fife, Rémi Lucas, Nicole, Otto T, Tony Papin, Gébé), numéro 14 de la revue Flblb, , 100 p. (ISBN 9782914553117)

Années 2010

  • Dominique Faber, Marion Minuit et Bruno Takodjerad, Nous Deux présente la saga du roman-photo, Jean Claude Gawsewitch, Paris, 2012, 240p. (ISBN 9782350133638)
  • Mowwgli, déc. 2017.
  • Réponses Photo, 2017-2018.
  • Vincent Bernière et Benoît Peeters (interviewé), « Peut-on encore mépriser le roman-photo ? », Les Cahiers de la bande dessinée, no 6, , p. 12
  • Roman-photo, co-édition Éditions Textuel et Mucem, 256 pages.
  • Jan Baetens, Pour le roman-photo, Les Impressions Nouvelles, Bruxelles, 2017, 256p. (ISBN 9782874495731)
  • Jan Baetens et Clémentine Mélois, Le roman-photo, Le Lombard, Bruxelles, 2018, 88p. (ISBN 9782803637355)

Articles connexes

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