Protévangile de Jacques

Le Protévangile de Jacques, intitulé à l'origine Nativité de Marie. Révélation de Jacques ou Évangile de Jacques, est un apocryphe pseudépigraphique du type « évangile de l'enfance » datant de la seconde moitié du IIe siècle et placé sous l'autorité de Jacques le Juste, frère de Jésus.

Annonciation à sainte Anne, fresque de Giotto à la chapelle des Scrovegni de Padoue, qui abrite la série iconographique relative au Protévangile la mieux conservée.

Ce texte est le plus important des évangiles apocryphes, celui qui a exercé la plus grande influence sur la théologie comme sur l’iconographie du christianisme.

Présentation

Le titre usuel de l'ouvrage — Protévangile de Jacques — n'est pas son titre original, lequel varie selon les manuscrits. Il a été donné pour la première fois par l'érudit Guillaume Postel qui en imprime la première traduction latine à Bâle en 1552[1], car il porte sur des événements antérieurs à ceux qui sont relatés dans les Évangiles canoniques. « Protévangile » signifie : « qui se situe au commencement de » ou « qui est immédiatement antérieur à » l'Évangile.

Concernant les sources et documents antiques sur ce texte, sa plus ancienne trace écrite (le papyrus Bodmer 5, daté du IVe siècle) porte le titre de Nativité de Marie. Révélation de Jacques. Cependant, dès le milieu du IIIe siècle, Origène mentionne déjà, dans un Commentaire sur Matthieu[2], un Évangile de Jacques[1].

Cette œuvre a connu une large diffusion, comme en attestent près de cent quarante manuscrits en grec qui existent encore de nos jours ; et son antiquité[1], comme le nombre de citations qui en sont faites dans les premiers siècles du christianisme, laisse penser que sa valeur théologique était — au moins à l'époque de sa rédaction — aussi considérable que celle des évangiles devenus canoniques, à l'instar d'autres apocryphes anciens[3].

Le Protévangélique de Jacques est le plus ancien et le plus important des évangiles apocryphes, celui qui a exercé la plus grande influence sur la théologie et l'art, aussi bien en Orient qu'en Occident[4]. Ses thèmes sont fréquemment repris par l’iconographie chrétienne, par exemple dans la représentation de Joseph sous les traits d'un homme âgé, en référence à ses paroles dans le chapitre 10:2[5]. Il constitue également une source essentielle pour la mariologie[4].

Contenu

Le récit nomme les parents de Marie — ce que ne font pas les textes canoniques —, soit Anne et Joachim. Marie est consacrée au Seigneur par un vœu de sa mère, puis Joseph, déjà vieux, veuf et ayant des fils, est choisi pour prendre la jeune fille sous sa garde. Le texte raconte comment celle-ci devient enceinte sans avoir perdu sa virginité et met au monde Jésus. Il développe le thème légendaire de la Nativité dans une grotte[6] : au cours du voyage de la Sainte famille de Nazareth à Bethléem, Marie enceinte descend de l'âne pour se reposer auprès d'un point d'eau, dans le village actuel de Bir-el Quadismu (nom arabe signifiant « puits du repos »)[7]. Elle n'a pas le temps d'atteindre Bethléem, Joseph trouve une grotte, y introduit Marie et met près d'elle ses fils (issus d'un premier mariage). Alors qu'il est parti chercher une sage-femme juive[8] dans la région de Bethléem, Jésus apparaît miraculeusement dans la grotte[9].

Le texte tend, en fait, à réfuter les attaques qui, à son époque, visaient à discréditer la foi chrétienne, affirmant en particulier que Jésus était le fils de Joseph et Marie ; il insiste sur la virginité de Marie qui aurait été constatée par la sage-femme et par Salomé, même après la mise au monde de Jésus.

Objet

Pour Simon Claude Mimouni, contrairement à ce qui est souvent affirmé, « le texte n'est nullement une histoire édifiante issue des milieux populaires[10] », « c'est plutôt une œuvre exégétique à la manière sans doute des commentaires midrashiques que l'on trouve abondamment dans la littérature judéenne toutes tendances confondues[10]. » Le texte semble poursuivre le double objectif de répondre à des conflits tant externes qu'internes au christianisme de l'époque[11].

D'une part il s'agit de lutter contre la polémique de milieux judéens qui font de Marie une impure et adultérine mise enceinte par un soldat romain du nom de Panthère : l'auteur réaffirme non seulement la naissance miraculeuse de Jésus mais en plus celle de Marie elle-même, consacrée au Temple depuis l'enfance et voyant dès lors sa pureté garantie par les autorités sacerdotales[11].

D'autre part, c'est peut-être également une réponse aux chrétiens gnostiques, docètes et adoptianistes, avec une teinte encratisante. À ce titre, il est représentatif des mêmes tendances qui ont conduit à la rédaction des récits canonisés de l'enfance rédigés quelques dizaines d'années plus tôt[11].

Description et diffusion

Il existe des versions de ce texte en grec, syriaque, en copte, en éthiopien, arménien, géorgien, arabe, vieux slave[12], … Son auteur, qui se présente à la fin du document comme Jacques, frère de Jésus, est inconnu, et sa composition est datée de la seconde moitié du IIe siècle[3] peut-être en Égypte ou en Syrie[1]. L'aspect pseudépigraphique est attesté par l'ignorance évidente que l'auteur, non-juif, a de la Palestine et de ses coutumes[13]. L'auteur a par contre une bonne connaissance des récits des quatre Évangiles canoniques[9].

Clément d'Alexandrie et Origène y font allusion, mais probablement dans une version différente  notamment en ce qui concerne le martyre de Zacharie (père de Jean le Baptiste), à la fin du récit  du texte que nous connaissons aujourd'hui.

Le Décret dit de Gélase, en sa cinquième partie — composée par un particulier au début du VIe siècle[14] — le liste parmi les apocryphes, mais il est resté en faveur dans la chrétienté orientale qui connaît foison de manuscrits en grec ancien et de traductions en diverses langues anciennes[12]. Le texte est encore en usage dans certains monastères orientaux, mis en lecture lors de la fête de la nativité de Marie[15].

Malgré ces réticences, l'influence de tels apocryphes se fait sentir sur la liturgie comme en témoigne l'instauration de fêtes mariales[15] telles que la Nativité de Marie, de la Présentation au Temple ou de la Conception d'Anne. Il a en outre eu une influence notable sur l'iconographie concernant l'enfance de Marie ou celle de Jésus[12].

En occident, la teneur de l'Évangile de Jacques se diffuse également à travers ses remaniements antiques en latin, — le Pseudo-Matthieu (VIe siècle) — puis médiévaux — le De Nativitate Mariae (IXe siècle)[15]. Certains passages sont également intégrés à la Compilation J.

Il sert à fonder la doctrine orthodoxe concernant les « frères » de Jésus cités dans le Nouveau Testament, qui seraient nés d'un premier mariage de Joseph[16],[17].

Pour l'Église catholique, les « frères » de Jésus cités dans le Nouveau Testament ne font plus l'objet de débats depuis la promulgation le du Catéchisme de l'Église catholique, qui dispose en son article 500 que « si l'on objecte parfois que l'Écriture mentionne des frères et sœurs de Jésus (cf. Mc 3, 31-35 ; 6, 3 ; 1 Co 9, 5 ; Ga 1, 19), l'Église a toujours compris ces passages comme ne désignant pas d'autres enfants de la Vierge Marie : en effet Jacques et Joseph, "frères de Jésus" (Mt 13, 55), sont les fils d'une Marie disciple du Christ (cf. Mt 27, 56) qui est désignée de manière significative comme "l'autre Marie" (Mt 28, 1). Il s'agit de proches parents de Jésus, selon une expression connue de l'Ancien Testament (cf. Gn 13, 8 ; 14, 16 ; 29, 15 ; etc.). »[18]

Notes et références

  1. Enrico Norelli, Marie des apocryphes. Enquête sur la mère de Jésus dans le christianisme antique, Genève, Labor et Fides, coll. « Christianismes antiques », 2009, p. 47-48.
  2. 10,17.
  3. Simon Claude Mimouni, Les Traditions anciennes sur la Dormition et l'Assomption de Marie. Études littéraires, historiques et doctrinales, Leyde-Boston, Brill, coll. « Supplements to Vigiliæ Christianæ, 104 », 2011, p. 343.
  4. Thomas Söding, Die Anfänge im Kleinen. Neutestamentliche und apokryphe Kindheitsevangelien, Neutestamentliche Vorlesung im Wintersemester 2013-2014 (Vorlesungsskript). Onlineveröffentlichung, Bochum 2013, p. 81–84.
  5. Geza Vermes, The Nativity. History and Legend, Penguin Books, London, 2006 (ISBN 978-0-14102-446-2), p. 11.
  6. Protévangile de Jacques, XVIII, 11.
  7. Le concile d'Éphèse, qui proclame le dogme du Théotokos en 431, suscite une nouvelle vénération de la Vierge Marie, si bien qu'Hikélia, « épouse du gouverneur, devenue ensuite diaconesse du Christ », fonde, vers 455, une église au « Vieux Kathisme » sur le site associé à cette halte.
  8. L'Évangile du pseudo-Matthieu met en scène deux sages-femmes, Zélémi et Salomé, dont l'une ose vérifier manuellement que Marie est toujours vierge après la naissance. La scène où l'on voit la sage-femme et son aide baignant le nouveau-né est introduite dans l'iconographie de la Nativité à partir du VIIe siècle. Source : Hans-Ruedi Weber, Voici Jésus l'Emmanuel. La Venue de Jésus dans l'art et la Bible, Labor et Fides, , p. 42.
  9. (en) Kenneth E. Bailey, Jesus Through Middle Eastern Eyes : Cultural Studies in the Gospels, InterVarsity Press, , p. 27
  10. Simon Claude Mimouni, Les Traditions anciennes sur la Dormition et l'Assomption de Marie. Études littéraires, historiques et doctrinales, Leyde-Boston, Brill, coll. « Supplements to Vigiliæ Christianæ, 104 », 2011, p. 343.
  11. Simon Claude Mimouni, Les Traditions anciennes sur la Dormition et l'Assomption de Marie. Études littéraires, historiques et doctrinales, Leyde-Boston, Brill, coll. « Supplements to Vigiliæ Christianæ, 104 », 2011, p. 343-344.
  12. Jean-Daniel Kaestli, Daniel Marguerat (dir.), Le Mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue, 2e édition, Genève, Labor et Fides, coll. « Essais bibliques, 26 », 2007, p. 33.
  13. Claudio Moreschini et Enrico Norelli, Histoire de la littérature chrétienne antique grecque et latine, 1. De Paul à l'ère de Constantin, Genève, Labor et Fides, 2000, p. 186.
  14. Simon Claude Mimouni, Les Traditions anciennes sur la Dormition et l'Assomption de Marie. Études littéraires, historiques et doctrinales, Leyde-Boston, Brill, coll. « Supplements to Vigiliæ Christianæ, 104 », 2011, p. 250.
  15. Édouard Cothenet, « Présentation », in Jean Longère, et al., Marie dans les récits apocryphes chrétiens, éd. Mediaspaul, 2004, p. 9.
  16. « Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi. » Et Joseph fit des objections disant : « J'ai des enfants et je suis vieux, tandis qu'elle est fort jeune ; je crains d'être un sujet de moquerie pour les fils d'Israël. » Protévangile de Jacques, chap. IX.
  17. Jean Maximovitch, La Vénération de la mère de Dieu dans l'Église orthodoxe, L'Âge d'homme, La Lumière du Thabor, p. 26.
  18. « Catéchisme de l'Église catholique - IntraText », sur www.vatican.va (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

  • Émile Amann, Le Protévangile de Jacques et ses remaniements latins, Paris, Letouzey et Ané, , 404 p. (disponible sur Internet Archive).
  • Émile de Strycker (intr., éd. trad. com.) La forme la plus ancienne du Protévangile de Jacques : recherches sur le Papyrus Bodmer 5, Société des Bollandistes, Bruxelles, 1961.
  • Albert Frey (intr., trad.) Protévangile de Jacques dans Écrits apocryphes chrétiens, t. 1, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1997, p. 73-104.

Articles connexes

Liens externes

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