Poche de Courlande

La poche de Courlande désigne l'encerclement par l'Armée rouge des forces de l'Axe dans la péninsule de Courlande, à l'ouest de la Lettonie, durant la dernière année de la Seconde Guerre mondiale.

Avancée soviétique du 1er septembre 1943 au 31 décembre 1944 : la poche de Courlande se situe en Lettonie.

Préambule

Le , trois ans après le début de l'opération Barbarossa, l'Armée Rouge lance l'opération Bagration destinée à libérer entièrement de toute occupation militaire allemande la RSS de Biélorussie (Russie blanche[N 1]) et à éliminer le Heeresgruppe Mitte.

Ainsi, le 30 juin 1944, son chef d'état-major Kurt Zeitzler, soutenu par les commandants sur le front, notamment Walther Model, alors commandant sur le Front de l'Est[1], proteste contre l'ordre, de Hitler, de refus au retrait des troupes allemandes de Courlande, alors que l'Armée rouge n'a pas encore atteint la Baltique, protestation qui reste sans effet[2].

Après deux mois de combats et dans le cadre de la poursuite des offensives soviétiques de l'été 1944, les unités soviétiques qui ont enfoncé la ligne de front de plus de 600 km et détruit un grand nombre de divisions du Heeresgruppe Mitte, les troupes du 1er front de la Baltique atteignent les rivages de la mer Baltique le 28 juillet 1944 après le succès de l'offensive Siauliai qui permet de libérer Siauliai, le , et Jelgava le . Cette offensive menace alors directement la Courlande[3],[1] d'enfermement du groupe d'armées Nord dans les pays baltes. Cependant, un succès précaire allemand maintient cette menace éloignée pendant encore quelques semaines.

La Courlande dans la stratégie allemande

Hitler réitère son opposition à ce retrait le 18 octobre, à l'occasion d'un échange avec Heinz Guderian[4], lors de la préparation de l'offensive des Ardennes ; par la suite, en , notamment[5], Guderian évoque à de nombreuses reprises lors de conférences plus tardives dans le conflit, sans autre résultat que l'évacuation partielle de trois des divisions de la poche ; l'évacuation de la totalité des unités maintenues dans la poche aurait permis la constitution d'une réserve opérationnelle en mesure de stopper les opérations menées par les Alliés contre le territoire du Reich proprement dit[4]. Au mois de , peu de temps avant son limogeage, Guderian, conscient de la réalité de la situation militaire, tente une dernière fois d'obtenir, sans succès, l'évacuation de la poche[6].

Cependant, cette évacuation aurait généré de nombreux problèmes logistiques, totalement occultés par Guderian et son état-major : le retrait aurait été une opération rendue compliquée par la forte concentration d'unités soviétiques dans le secteur, par les possibilités d'attaques aériennes constantes et par les capacités de la Kriegsmarine à ce stade de la guerre, l'évacuation de la totalité des unités engagées en Courlande aurait mobilisé les moyens d'une flotte importante pendant 24 jours[7]. De plus, la perspective de cette évacuation, ou plus simplement de vastes transferts d'unités par une Kriegsmarine encore en mesure de les opérer, constitue, lors de la planification opérative de l'Armée rouge des opérations en Prusse-Occidentale, un facteur important appuyant fortement, à partir de , les arguments en faveur de la conquête soviétique de Dantzig et Gotenhafen[8].

De plus, Hitler considère la péninsule de Courlande comme une base devant faciliter la reconquête des territoires perdus au cours de l'année 1944, reconquête qui pourrait être rendue possible par d'hypothétiques succès face aux Alliés occidentaux[2]. Ainsi, à la suite du possible succès dans les Ardennes, une offensive lancée conjointement depuis la Vistule et la poche permettrait d'encercler les unités soviétiques en Pologne et dans les pays baltes[4].

Enfin, influencé par Dönitz, Hitler souhaite conserver des points d'appui dans l'est de la Baltique afin de disposer d'une base d'essais pour la nouvelle génération de sous-marins promis par la marine[9]. Cependant, le 17 mars 1945, Dönitz se ravise et affirme à Guderian que le contrôle des ports de la péninsule de Courlande n'est pas indispensable à la mise au point des nouveaux sous-marins, la mer comprise entre la péninsule du Jutland et le delta de la Vistule étant, selon lui, nécessaire[4].

Unités engagées

Initialement composées d'unités du groupe d'armées Nord, les unités déployées dans la poche sont placées sous le commandement de Ferdinand Schörner, relevé le , par Heinrich von Vietinghoff, alors en poste en Italie. Ce dernier prend dès lors en charge des unités, dépendant anciennement du groupe d'armées Nord, regroupées sous l'appellation de groupe d'armées Courlande[N 2],[10].

Dans un périmètre de 240 km, sont confinés 500 000 hommes, soit 32 divisions allemandes, réparties en deux armées allemandes, soutenues par 510 blindés et 178 avions de combat[11]. En , le groupe d'armée compte 180 000 combattants[12].

À ces soldats s'ajoutent de nombreux collaborateurs baltes, réfugiés dans la poche[13].

Formation de la poche

L'encerclement est mené côté soviétique par le général Bagramian dans le cadre de l'offensive de la Baltique de l'automne 1944, lorsque, lors de l'opération Memel, le , des unités de la 51e armée soviétique atteignirent la mer Baltique au nord de Palanga (Apskritis de Klaipėda en Lituanie). Ainsi, le groupe d'armées allemand Nord, composé des 16e et 18e armées, a finalement été coupé du centre du groupe d'armées[7].

Le même jour, quatre armées soviétiques (1er choc, 61e, 67e, 10e gardes) tentent de prendre Riga. Cependant, la 16e armée allemande qui oppose une résistance féroce, et lance plusieurs des contre-offensives, la partie est de Riga est finalement prise par les Russes le et la partie ouest le [14].

La superficie de la poche de Courlande était de 15 000 km2. La communication avec le reste de l'Allemagne s'effectuait via les ports de Liepaja et de Ventspils. Les 250 000 militaires Allemands qui étaient ainsi encerclés, étaient répartis en deux armées. Le commandement général du groupement de Courlande est assuré par Carl Hilpert. Du point de vue du commandement allemand, la poche de Courlande était une tête de pont.

À partir du la ligne de contact des troupes germano-soviétiques longeait la ligne Tukums-Liepaja et mesurait 200 km.

Isolées depuis le mois d'octobre du reste du Reich, les unités engagées en Courlande restent en contact avec le reste du Reich et leur ravitaillement constitue l'une des priorités de la Kriegsmarine[N 3],[15].
Ce ravitaillement s’opère, jusqu'au mois de mars, à partir des ports de Dantzig et Gotenhafen, pas encore contrôlés ou même directement menacés par l'Armée rouge[16].
Les hommes stationnés dans la poche restent en contact avec leur famille restée dans le Reich en entretenant une correspondance qui parvient irrégulièrement à ses destinataires[17].

Le le groupe d'armées allemandes enfermé dans la poche est renommé groupe d'armées Courlande .

Batailles

Il est connu environ cinq tentatives sérieuses de l'offensive des troupes soviétiques dans le but d'éliminer le groupe Courlande, qui ont toutes échoué.

1re bataille

La première tentative pour percer la ligne de défense allemande a eu lieu du 16 au 19 octobre 1944, immédiatement après la création de la "poche" et la prise de Riga. Le quartier général du commandement suprême ordonne aux 1er et 2e fronts balte de liquider immédiatement le groupement de troupes allemandes du Courlande. La 1re armée de choc, avançant sur la côte du golfe de Riga, a agi avec plus de succès que les autres armées soviétiques. Le , elle traverse la rivière Lielupe et s'empara du village de Kemeri, mais le lendemain, elle fut arrêtée par les Allemands à la périphérie de Tukums. Le reste des armées soviétiques ne pouvait pas avancer en raison de la résistance farouche des Allemands, qui lançaient des contre-attaques.

2e bataille

La deuxième bataille de Courlande a eu lieu du 27 au . Les armées des deux fronts baltes ont combattu sur le Kemeri - Gardena - Letskava - au sud de la ligne Liepaja. Les tentatives des armées soviétiques (six armées combinées et une armée de chars) pour percer les défenses allemandes n'apportèrent que des succès tactiques. Le , la plupart du personnel et du matériel offensif étaient en panne, les munitions étaient épuisées.

3e bataille

La troisième tentative a été faite du 21 au lorsque les troupes soviétiques attaquent la ville de Liepaja. Selon les Allemands, les troupes soviétiques de Courlande ont perdu jusqu'à 40 000 soldats et 541 chars.

4e bataille

La quatrième tentative pour percer la ligne de front eu lieu du au . Le 1er front balte renforcé par les 6e garde et la 51e armée, lance une opération offensive dont le but était de couper les lignes de chemin de fer Priekule-Liepaja et Jelgava-Liepaja, qui étaient les principales communications du groupement sud de Liepaja, l'empêchant de se replier vers le port de Liepaja. Cependant, il n'a pas été possible de liquider les groupements allemands de Priekule et de Skuodas et de couper les lignes de chemin de fer. À la fin du mois, les troupes du front arrêtent l'offensive et commencent à consolider leurs positions sur les lignes atteintes.

5e bataille

L'opération offensive du 2e front de la Baltique avait pour but d'avancer sur Priekule, de vaincre le groupement allemand et de s'emparer de la ligne de la rivière Bartuva.

Il était censé lancer une offensive et capturer Liepaja afin de priver l'ennemi de la possibilité d'utiliser le port de Liepaja.
Le , la 1re armée de choc et une partie des forces de la 22e armée ont attaqués sur l'aile droite du front.
Le , le groupement principal du front (la 6e armée de la Garde et une partie des forces de la 51e armée) passe à l'offensive. Après une forte préparation d'artillerie et des bombardements par l'aviation, la ligne de front dans la région de Priekule est percée par des unités des 6e armée de la Garde et 51e armée, auxquelles se sont opposés les 11e, 12e, 121e et 126e divisions d'infanterie de la 18e armée allemande.
Le premier jour de la percée, les troupes soviétiques ne réussissent à avancer de 2-3 km, seulement, avec des combats très difficiles.
Au matin du , Priekule était occupée par les unités de flanc droit de la 51e armée, l'avance des troupes soviétiques ne dépassant pas 2 km. La base de la défense ennemie était constituée de chars enterrés dans le sol le long de la tour. Selon les souvenirs du général Mikhail Kazakov (en), les chars allemands ne pouvaient être écrasés que par des bombes et des canons de gros calibre, dont les munitions faisaient cruellement défaut. La résistance ennemie grandissait, de nouvelles divisions des deuxième et troisième échelons ont été introduites dans la bataille, y compris les « pompiers de Courlande », la 14e Panzerdivision. La 126e division d'infanterie battue est remplacée le par la 132e division d'infanterie et les troupes allemandes ont fini par réussir à arrêter l'avancée des troupes soviétiques.
Dans la soirée du , les formations de la 6e armée de la Garde et de la 51e armée, renforcées par le 19e corps blindé soviétique, parviennent à percer les défenses allemandes sur 25 kilomètres et, après avoir avancé de 9 à 12 kilomètres de profondeur, ils atteignent la rivière Vartava. La tâche immédiate des armées était achevée. Mais, il n'y avait aucune force pour développer le succès tactique en opérationnel et percer à Liepaja, à laquelle était située à environ 30 kilomètres.
Le , l'opération est donc interrompue.

6e bataille

La sixième bataille de Courlande eu lieu du 17 au .
Au sud de la ville de Saldus, le matin du , les troupes soviétiques font leur dernière tentative afin de percer la ligne de défense allemande. Au matin du , l'avancée des troupes a eu lieu sur deux ailes, au plus profond des défenses ennemies. Malgré le fait que certaines unités ont obtenu un succès significatif, certaines d'entre elles ont ensuite été obligées de se replier, en raison du début de leur encerclement par les troupes allemandes, comme cela s'est produit avec les 8e et 29e divisions de fusiliers de la garde dans la région du village de Zeni. Le , la 8e division motorisée des fusiliers de la garde, commandée par le général Ivan Panfilov, encerclée par l'ennemi, mène des combats très durs pendant deux jours. Ce n'est que le que l'unité soviétique, ayant rompu l'encerclement, rejoint ses unités.

Liste des unités

Liste des unités qui ont pris part aux batailles :

Union soviétique

soit environ 430 000 hommes.

Allemagne

Le Groupe d'armées Courlande se composait de moins de 30 divisions, incomplètes, dont seulement 230 000 soldats prirent part aux combats dans la dernière phase des batailles.

Fin de la poche

Le , une partie des troupes (y compris la 6e armée de la garde, la 10e armée de la garde, la 15e armée de l'air) est transférée du 2e front balte dissous au front de Leningrad, et il est chargé de poursuivre le blocus.

Le , après la capitulation allemande, une autre tentative est faite pour briser la défense de la Courlande, après quoi plusieurs villages sont occupés et les unités allemandes commencent à se rendre.

Opérations

Durant les huit mois d'existence de la poche, une guerre de coups de main et d'espions est menée par les Allemands et les collaborateurs lettons.

En effet, conformément aux ordres de Beria, la répression s'organise le long de la ligne de front, des raids de parachutistes et de saboteurs missionnés par les Allemands sont ainsi déjoués en permanence par les services de renseignement soviétiques[18].

Collaboration dans la poche

De nombreux collaborateurs lettons se sont réfugiés, devant l'avancée soviétique, dans le territoire sous contrôle allemand.

Refuge

Le territoire de la poche s'affirme au fil des mois comme le refuge de nombreux collaborateurs politiques et économiques, qui sont précieux auxiliaires locaux des Allemands.

Évacuation

Devant les succès soviétiques, de nombreux collaborateurs quittent la Courlande. Ainsi, en septembre 1944, les premiers trains partent de Riga vers le Reich. À partir du moment où les liaisons ferroviaires avec le Reich sont coupées, des évacuations par bateau sont organisées[19].

Lors de la reddition de la poche, von Vietinghoff, chargé du commandement, adresse au nouveau président du Reich un communiqué dans lequel il l'informe de la volonté de certains collaborateurs lettons de poursuivre la guerre contre les Soviétiques et demande la position du nouveau gouvernement en cas de proclamation de l'indépendance de la Lettonie pour pouvoir éventuellement transformer son groupe d'armées en corps franc[12].

Notes et références

Notes

  1. L'historien militaire allemand Paul Carell parle d'opération « Russie blanche » (1968, p. 261).
  2. le groupe d'armée Nord correspondant dorénavant aux unités chargées de défendre la Prusse orientale.
  3. Dönitz érige ce ravitaillement en objectif stratégique de la Kriegsmarine.

Références

  1. Lopez 2014, p. 356.
  2. Baechler 2012, p. 234.
  3. Lopez 2014, p. 359.
  4. Lopez 2010, p. 34.
  5. Kershaw 2012, p. 573, note 158.
  6. Kershaw 2012, p. 333.
  7. Lopez 2010, p. 35.
  8. Lopez 2010, p. 350.
  9. Kershaw 2012, p. 136.
  10. Kershaw 2012, p. 270.
  11. Lopez 2010, p. 32.
  12. Kershaw 2012, p. 469.
  13. Denis 2008, p. 306.
  14. Kershaw 2012, p. 137.
  15. Kershaw 2012, p. 271.
  16. Lopez 2010, p. 336.
  17. Kershaw 2012, p. 251.
  18. Denis 2004, p. 310.
  19. Denis 2013, p. 83.

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Chistian Baechler, Guerre et extermination à l'Est : Hitler et la conquête de l'espace vital. 1933-1945, Paris, Tallandier, , 524 p. (ISBN 978-2-84734-906-1). 
  • Juliette Denis, « Identifier les « Éléments ennemis » en Lettonie. Une priorité dans le processus de resoviétisation (1942-1945) », Cahiers du Monde russe, vol. 2, no 49, , p. 297-318 (lire en ligne ). 
  • Juliette Denis, « Complices de Hitler ou victimes de Staline ? Les déplacés baltes en Allemagne de la sortie de guerre à la guerre froide », Le Mouvement Social, vol. 3, no 244, , p. 81-97 (DOI 10.3917/lms.244.0081, lire en ligne ). 
  • Ian Kershaw (trad. de l'anglais), La Fin : Allemagne, 1944-1945, Paris, Seuil, , 665 p. (ISBN 978-2-02-080301-4). 
  • Jean Lopez, Berlin : Les offensives géantes de l'Armée Rouge. Vistule - Oder - Elbe (12 janvier-9 mai 1945), Paris, Economica, , 644 p. (ISBN 978-2-7178-5783-2). 
  • Jean Lopez, Opération Bagration : La revanche de Staline (1944), Paris, Economica, , 409 p. (ISBN 978-2-7178-6675-9). 

Articles connexes

Liens externes

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