Nancy Spero

Nancy Spero, née à Cleveland le et morte le [1] à New York, est une artiste américaine plasticienne et peintre.

Biographie

Nancy Spero étudie à l’Art Institute of Chicago et à l’École des beaux-arts de Paris, avant de s’installer à Paris dans les années 1950. Elle y vit dans les années 1950-1960. C’est à cette époque qu’apparaissent les « Peintures noires » dans lesquelles les personnages sont alourdies par de lourds impasto.

En 1964, elle quitte la France pour les États-Unis, s’installe à New York, où elle devient porte-parole de toute une génération, avec ses dessins sur papier originaux, sophistiqués et énigmatiques. Galvanisée par la guerre du Viêt Nam, elle réalise une suite féroce de peintures contre la guerre où elle exprime sa rage face à la violence de la guerre et à l’oppression. Ces cinq années consacrées à cette série de gouaches sur papier aboutissent à The War Series. « Ces dessins sont un manifeste contre l’incursion des États-Unis au Vietnam, une tentative personnelle d’exorcisme. » Cet ensemble historique sera montré pour la première fois à Paris et exposée à la documenta X en 1997.

Nancy Spero introduit de nombreuses images et thèmes dans son travail et anticipe sur l’esthétique postmoderne de la fracture, de la dissonance et du collage.

Son travail a été montré dans de nombreux musées internationaux, dont le MoMA de New York, le Whitney Museum of American Art (New York), le New Museum of Contemporary Art (New York), le Hirshhorn Museum and Sculpture Garden (Washington), le musée d'art contemporain de Los Angeles, à la National Gallery of Canada, au musée d'art moderne de la ville de Paris ainsi qu’au Centre Georges-Pompidou. Des expositions personnelles ont eu lieu également au Malmö Konsthall, en Suède, au Hiroshima City Museum of Art, au Japon, Ikon Gallery, Grande-Bretagne ainsi qu’au Centro Galego de Arte Contemporánea, en Espagne.

Œuvres

Peintures noires et œuvres de jeunesse

Nancy Spero a été formée, entre 1945 et 1949, à l’école d’art de Chicago, marquée alors par la tradition de l’expressionnisme allemand. Après son diplôme elle part pour Paris et étudie pendant une année à l’École des beaux-arts et à l’atelier d’André Lhote. De cette période découle une série intitulée Carnival, et dont reste préservée une petite huile sur bois conservée au musée de Brooklyn. À cette époque, sa peinture semble largement influencée par le travail de Jean Dubuffet.

À son retour aux États-Unis, elle épouse le peintre Léon Golub, qu’elle avait rencontré à l'école d’art de Chicago, ville où le couple s’installe et où leurs premiers enfants, Stefen et Philip, naissent respectivement en 1953 et 1954. Nancy Spero travaillait alors à une seule peinture sur toile, qu’elle effaçait et retravaillait, sans arriver à la terminer[2]. Jusqu’au milieu des années 1960, sa peinture reste très sombre. La figure humaine y est dominante : figure debout, corps-colonnes, couple enlacés, constituent son vocabulaire formel pendant près de dix ans.

Parallèlement à ces peintures, un travail sur papier prend forme, dans lequel elle semble plus à l’aise. Dans ces estampes qui n’ont jamais connu d’édition, les figures gardent la monumentalité des peintures mais en acquérant une présence diaphane et spectrale.

En 1959, Nancy Spero et son mari s’installent à Paris, elle poursuit alors son travail avec la série Black Paintings qui marqueront ses dernières peintures sur toile.

Le dessin occupe un place centrale dans son travail. Elle reprend les mêmes sujets dans ses œuvres sur papier, mais semble les radicaliser. Les couples enlacés sont plus féroces, les mères à l’enfant[pas clair] ressemblent de plus en plus à des monstres et d’étranges créatures qui ressemblent à des murènes, crient « merde » en tirant la langue.

War series

Avec son retour aux États-Unis en 1964, la période des peintures noires se termine. Nancy Spero est horrifiée par la guerre du Viêt Nam qu’elle découvre à travers les reportages diffusés à la télévision américaine. Elle abandonne alors consciemment la peinture à l’huile et la toile, selon elle  trop connotées au monde masculin, et les remplace par du papier fin et bon marché, et de la gouache. Pendant cinq ans, de 1966 à 1970, elle réalise un important corpus qu’elle estime à cent cinquante œuvre :« la War Series », conçu comme des manifestes pour protester contre l’incursion des États-Unis au Viêt Nam.

« Les bombes y sont d’horribles représentations phalliques et sexuelles -très exagérés- du penis avec leur tête à la langue tirée et leur description violente du corps humain. Les nuages qu’elle provoquent sont remplis de têtes hurlantes qui vomissent leur poison sur les victimes placées en dessous. »[3]

Artaud painting

La lanque d’Antonin Artaud, sa force d’imprécation devient chez Spero l’organe, le muscle et la muqueuse de sa pratique durant quatre années. Tout d’abord dans sa première série, Artaud paintings, qu’elle réalise entre 1969 et 1970. Ainsi se forme entre eux une collaboration forcée comme dit Spero: une association avec un homme qui n’en aurait sans doute point voulu-bien au contraire- et qui prend, chez elle, la forme d’une « incorporation » plus encore qu’une incarnation. Elle s’incruste en effet dans les travaux de l’artiste, pour les rendre deux fois proches d’une écriture clandestine:

une fois parce qu’elle trahit, c’est-à-dire traduit la cruauté d’Artaud en « figures » , c’est-à-dire traduit la dosa artistique dont elle s’est expatriée, en aller-retour.

Elle dessine à l’aquarelle les sombres citations, les mêlant parfois à des corps fragmentés, des figures amères.

Codex artaud

Dans cette seconde série, réalisée de 1971 à 1972, Nancy Spero se sert de la machine à écrire pour recopier des fragments de textes provenant du langage fissuré d’Artaud pour les combiner avec des morceaux d’images animales ou humaines, peintes, découpées et collées sur du papier.

Elle introduit donc ainsi une technique qui deviendra une importante constituante de son langage plastique. Textes et figures sont ainsi « désengagés » de leur milieu d’origine, séparés et replacés sur une bande de papier d’archives. Le format du rouleau prime sur la taille de la feuille. Ainsi, le Codex Artaud tient à la fois de la poésie « beat », d’une partition, d’un répertoire de figures récurrentes, d’un programme politique et esthétique, de l’interjection, d’une plastique sonore, le tout juxtaposé dans une composition qui invalide les conditions de l’expérience perceptuelle léguée par le modernisme.

Quel lui aura légué Artaud? Premièrement la paradoxe de la lettre : le langage parti, restent les lettres. Il s’agit de réécrire Artaud, de le relever en le réensemençant avec ses propres lettres.

On peut ainsi remonter aux sources du dada, c’est-à-dire anti guerre et anti art, d’une telle utilisation explosive de la typographie, des mots et des images. Ce qui frappe en effet dans l’œuvre de Nancy Spero, c’est la remontée d’une pratique où la langue et les corps sont des données à reconstruire.

Torture in Chile

Cette série, débuté en 1974 marque un grand chapitre dans l’œuvre de Nancy Spero:

sa recherche se consacre à présent uniquement à des personnages féminins.

L’artiste décide de « représenter « l’homme » seulement par des images de femmes »[4], son choix fixe les termes d’un débat où le féminin pluriel remplace le masculin et crée le temps de son histoire. Cette histoire, Spero la réimprime, littéralement, usant de procédés qui lui sont habituels de collage et d’impression, amplifiés par la technique qui consiste à superposer ou surimposer des empreintes, de façon à aller contre toute chronologie linéaire. Abandonnant l’écrit, elle convoque les images pour réactualiser l’histoire, « des textes anciens aux déesses mythologiques, des poèmes d’H.D sur Hélène d’Egypte »[5] aux représentations érotiques des vases grecs, des figures paléolithiques aux documents photographiques d’actualité, de Sheelina-gig, la déesse celte de la fertilité, à Winnie Mandela ou à une femme vietnamienne- leur puissance et leur souffrance. 

Les langues tirées n’ont plus cours, ce sont les personnages féminins qui ont, latéralement, investi l’espace. Celui -ci se déroule somme un tapis devant silhouettes: moins des portraits ou des « individus » que des figures et des rythmes, des variations.

Nancy Spero s’est toujours battue – et notamment aux côtés de féministes dites constructivistes auprès desquelles elle se sentait convaincue d’essentialisme[6] – pour généraliser, sinon universaliser le féminin.

Son programme, elle ne l’a jamais caché, a été de poursuivre plastiquement le projet d’écriture féminine, élaboré notamment par Hélène Cixous, en France, dès 1975-6. 

Paradoxalement, Spero aurait pu tout aussi bien dialoguer avec l’écrivain Monique Wittig, lesbienne radicale, escamotant la différence homme-femme, considérée comme un legs de « la pensée straight » s’est ingéniée comme elle à remployer les grands rêves en féminisant tout leur héros. En se construisant comme un sujet parlant, indivisible par le genre, Wittig a cherché à étendre cette qualité de sujet au opprimés en général avec l’objectif d’universaliser le point de vue minoritaire. De son côté, c’est en venant de l’hypothèse inverse que Spero a produit, à destination d’un usage public au musée, un théâtre de féminin universel. Partant de la décolonisation, pour y réfléchir l’émancipation, deux utopies, ici, se sont croisées.

Prix

  • 1996 : Hiroshima Art Prize, avec son mari Leon Golub

Expositions

Expositions personnelles

Expositions collectives

  • 1972 : « American Women Artists Show », Gedok-Kunsthaus, Hambourg
  • 1984 : « Art and ideology », The New Museum of Contemporary Art, New York
  • 1989 : « Magiciens de la terre », La Villette et Centre Georges-Pompidou, Paris
  • 1996-1997 : « Face à l'Histoire », Centre Pompidou
  • 1996 : « Inside the Visible », ICA, Boston - Whitechapel, Londres

Bibliographie

  • J. Bird, J. A. Issak, S. Lotringer, Nancy Spero, Phaidon, 1996 (ISBN 0-7148-3340-1)
  • B. Buchloh, « Spero's Other Traditions », Inside the Visible, MIT Press, 1996
  • I. Goldberg, « Entre le politicalt correct et l’artistically correct », dans : Face à l'Histoire, Centre Pompidou et Flammarion, 1996 (ISBN 2-85850-898-4)
  • Robert Storr et Leon Golub, The War Series (1966-1970), 2003 (ISBN 88-8158-457-3)
  • Geneviève Breerette, Spero, The Paris Black Paintings, 2007 (ISBN 978-2-86882-081-5)

Notes et références

  1. « Nancy Spero ne crie plus », Libération, 22 octobre 2009
  2. (en) Nancy Spero, Codex Spero Selected Writings and Interviews, 1950-2008,, Rome, , 199 p., p.29
  3. (en) Nancy Spero, The War Series 1966-1970, Milan, Charta,
  4. (en) Nancy Spero, Codex Spero : Nancy Spero : Selected Writings And Interviews, 1950 2008, Roma, , 199 p., p.84
  5. (en) Nancy Spero, Codex Spero : Nancy Spero : Selected Writings And Interviews, 1950 2008, Roma, , 199 p., p. Interview par Jo Anna Issak, 1994, p.91
  6. (en) Nancy Spero, Codex Spero : Nancy Spero : Selected Writings And Interviews, 1950 2008, Roma, , 199 p., p. LeonGolub, « Conversation with John Roberts, 2000 », p.123

Article connexe

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