Essentialisme

L'essentialisme est un courant philosophique qui considère que toute entité peut être caractérisée par un ensemble d'attributs essentiels nécessaires à son identité et à sa fonction[1]. Ainsi, dans la philosophie antique, Platon considérait que toute chose possède une « forme » ou une « idée » dans le « monde des Formes » non physique.

Le terme a des acceptions différentes selon qu'il est utilisé dans le contexte de la biologie, de la sociologie ou de la philosophie.

En biologie

Essentialisme contre nominalisme

En biologie, l'essentialisme est une conception selon laquelle les diverses espèces animales et végétales diffèrent entre elles « par essence »[2], ce qui supposerait des classifications d'origine non humaine dans la nature. La conception opposée, selon laquelle les individus et leurs populations préexistent, et les catégories ne sont que des regroupements établis par l’homme pour commodité au sein d'un vaste continuum de formes dans la nature, est le « nominalisme ». L'essentialisme a quelque temps été nommé « réalisme » au Moyen Âge.

De même, l'essentialisme de genre désigne des natures féminine et masculine différentes par essence, ce qui s'oppose au constructivisme social.

L'essentialisme est pratiqué par Aristote, qui fait remarquer dans son Organon que la nature semble stable en espèces : on y trouve, explique-t-il, des juments et des vaches, mais jamais de formes intermédiaires entre les deux.

Les études des hybrides viendront par la suite introduire des considérations plus nuancées : tigrons, zébrânes, etc.

Critiques

Selon ses détracteurs[3], l'essentialisme biologique servirait de base idéologique au ségrégationnisme, en considérant des différences établies pour la commodité pratique comme différences de « nature » entre les hommes. En d'autres termes, des repères purement conventionnels seraient confondus avec des différences qualitatives et « naturelles ». Selon les critères retenus pour établir ces discriminations, on parlera alors de sexisme, de racisme ou d'homophobie.

Dans la pratique, on observe souvent que des classifications paraissant claires vues de loin deviennent moins évidentes quand on s'intéresse à leur détail. Ainsi Konrad Lorenz fait remarquer que dans les cas des mouettes, la notion d'espèce elle-même devient imprécise, deux variétés interfécondes avec une même troisième pouvant ne pas l'être entre elles, mettant à mal la notion de transitivité qui la définit.

En sociologie

Essentialisme contre constructivisme

L'essentialisme désigne en sociologie l'idée selon laquelle hommes et femmes diffèrent (même de façon autre que physique) par essence, c'est-à-dire que leur nature (féminine ou masculine) ne détermine pas que leur physiologie, mais a une influence sur leurs aptitudes ou goûts personnels. La notion opposée est le constructivisme social, que résume une phrase de Simone de Beauvoir en clin d'œil à Érasme[4] :

« On ne naît pas femme : on le devient. »

La position essentialiste en ce domaine estime que l'innéité biologique est un paramètre qui influence les acquisitions d'un individu[5].

Essentialisme et genre

Le féminisme essentialiste (ou féminisme différentialiste) considère qu'il n'y a pas lieu de distinguer sexe et genre, puisque le sexe d'une personne détermine le genre correspondant[6]. Le féminisme radical reprend cette notion. Le féminisme radical matérialiste non-essentialiste considère toutefois que le sexe équivaut au genre, ces notions étant indissociables, car le sexe est une notion sociale tout aussi artificielle que le genre, et que par conséquent est femme toute personne perçue comme femme dans la société patriarcale[7]. Cette doctrine est développée par Monique Wittig dans La Pensée straight.

Le courant actuel de féminisme radical considère le sexe et le genre comme deux entités séparées, le sexe étant le moyen de reproduction qui différencie les êtres humains entre mâle et femelle, le genre étant les différences sociales acquises entre les deux sexes. Le féminisme radical a pour but la déconstruction du genre, considérant que rien ne lie entre elles les femmes mis à part leur biologie, et que leur attribuer d'autres traits communs (goûts, capacités, etc) est forcément misogyne. Le but est ainsi de libérer les femmes du fardeau des attendus sociaux. Le féminisme radical considère l'essentialisme biologique comme une naturalisation des stéréotypes de genre et se bat fermement contre pour cette raison.
[réf. nécessaire]

La notion américaine de « french feminism » correspond à un mouvement de défense des femmes qui met en avant les qualités et les valeurs traditionnellement attribuées à ce sexe[8]. Selon Christine Delphy, cette notion n'est cependant pas française, mais le résultat de l'agrégat de textes divers d'autrices françaises non féministes ayant pour objectif de faire ressortir la position essentialiste des autrices américaines ayant présenté la notion[9].

En philosophie

Essentialisme contre existentialisme

En philosophie, l'essentialisme est le nom de la conception de l'homme qui s'oppose à l'existentialisme et au nominalisme. L'essentialisme philosophique suppose que l'essence d'une chose précède son existence. Sans nier ni affirmer le libre arbitre éventuel de l'individu, il le rend tributaire de quelques déterminismes dont il ne peut pas commodément s'extraire et qui le définissent donc en partie.

L'existentialisme distingue entre les objets relevant d'une conception préalable (il existe bien une « essence » du couteau, qui est d'avoir un manche et une lame pour pouvoir assurer des fonctions de découpe et de prise en main) et celle des objets relevant de constructions causales dans le monde sans idée de finalité. L'humain, lui, se construit principalement par l'histoire, la culture, et l'individu par ses actes, d'où, pour l'humain, le célèbre « l'existence précède l'essence » sartrien. Il n'existe pas dès lors de « nature humaine », ce qui est évidemment porteur de dangers et dérives historiques possibles. La brève conférence de Jean-Paul Sartre L'existentialisme est un humanisme[10] le mentionne explicitement.

Le nihilisme contre l'essentialisme

Les nihilistes rejettent l'anthropocentrisme et le libéralisme en général, car il s'agit de vouer un culte à l'essence de l'humanité et à la culture. L'humanisme serait ainsi un principe religieux et moraliste. Max Stirner va jusqu'à critiquer l'essence au nom de l'unicité.

Le déterminisme contre l'essentialisme

Le déterminisme rejette l'idée de liberté : personne n'est responsable de ses actes. L'Homme n'est pas le fruit de la contingence, mais de la nécessité. Le déterminisme s'oppose, à la fois à l'existentialisme et à l'essentialisme[11]. Cette philosophie met à mal l'humanisme (synonyme : libéralisme), car en balayant les croyances en un libre-arbitre, elle balaie aussi les croyances en l'essence de l'Homme et conduit à l'amoralisme. Les déterministes célèbres sont Spinoza, Hume et Nietzsche.

Notes et références

Crédit d'auteurs

Notes

  1. Richard L. Cartwright, « Some Remarks on Essentialism », The Journal of Philosophy, vol. 65, no 20, , p. 615–626 (DOI 10.2307/2024315, JSTOR 2024315)
  2. On nomme d'ailleurs précisément « essences », dans le langage courant, les diverses variétés d'arbres (Essence forestière).
  3. Guillaume Lecointre, Corinne Fortin, Marie-Laure Le Louarn Bonnet, Guide critique de l'évolution, Humensis, , p. 87.
  4. Danièle Sallenave, « On ne naît pas homme. On le devient » sur franceculture.fr.
  5. « Cet essentialisme qui n’ (en) est pas un », sur univ-paris8.fr
  6. Naomi Shor, « Cet essentialisme qui n'(en) est pas un ». « En termes moins abstraits et plus pratiques, un(e) essentialiste, dans le contexte du féminisme, est celle ou celui qui, au lieu de prendre soin de séparer les pôles du sexe et du genre, situe le féminin […] au même lieu que l’appartenance au sexe féminin […]. »
  7. Diana Fuss, Essentially Speaking : Feminism, Nature and Difference, Routledge, 2013, p. 2-6.
  8. Christine Delphy, « L'invention du "French Feminism": une démarche essentielle », Nouvelles Questions Féministes, (lire en ligne)
  9. Daniel Martin, « L'existentialisme est un humanisme », sur www.danielmartin.eu (consulté le )
  10. vivrespinoza, « Spinoza, déterminisme et fatalisme (3/3) », sur Vivre Spinoza,

Articles connexes

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