Ontologie

L'Ontologie est, en philosophie, « l'étude de l'être ». Le terme est composé d'onto-, tiré du grec ancien ὤν (ôn, ontos) « étant, ce qui est », et de -logia, tiré du grec ancien λόγος (logos) « discours, traité ». Mais on le trouve utilisé dans d'autres domaines.

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L’ontologie réfère aussi à « la nature de la réalité, à la nature des choses (êtres humains et non-humains, objets) et à la nature de leurs relations (incluant leur existence, leur enchevêtrement et leur devenir communs) telles que conçues, vécues et mises en actes par les acteurs culturels / agents sociaux[1] ».

Philosophie

L'ontologie est un domaine philosophique qui se consacre à l'étude de l’Être. Le terme, introduit par Goclenius (1547-1628), désigne la généralité de la philosophie de l'être pour opposition aux spécialisations de la métaphysique (théologie, cosmogonies, etc.)[2]

L'ontologie, anciennement conçue comme synonyme de métaphysique générale[2], s'occupe de l'étude de l'être en tant qu'être (l'expression vient d'Aristote et de ses modalités. Christian Wolff (1679-1754), Bentham (1748-1832), Kant (1724-1804) entretiennent cette similitude[2].

Les philosophes classent les ontologies de diverses façons à l'aide de critères tels que le degré d'abstraction et le champ d'application[3] :

  1. Ontologie de base (en) : concept sur lequel le développement de tous les autres pourrait s'appuyer.
  2. Ontologie de domaine (le plus souvent rencontré) : décrit un champ de connaissances ou répond à des objectifs particuliers. Par exemple : dans les technologies de l'information (Ontologie (informatique)), les langages naturels ou les domaines scientifiques.
  3. Ontologie d'interface : relie différents domaines de spécialités entre eux.
  4. Ontologie de processus : décrit les modalités de transformations ou évolutions à travers les entrées, sorties, contraintes à travers le temps. Par exemple : pour les mouvements financiers, les réactions physiques ou cognitives.

Philosophie des sciences

Certains philosophes des sciences pensent que les avancées scientifiques de la mécanique quantique en particulier, incitent à remettre profondément en question certaines idées courantes de nature ontologique qui ne s'appliquent plus au niveau du monde microscopique[4]. Michel Bitbol parle à ce sujet de nouvelles ontologies en cours de développement :

« Selon Kuhn, changer de paradigme scientifique c'est aussi changer de monde. [...] Changer de monde, dans l'acception la plus ambitieuse de cette expression, ce n'est pas seulement modifier l'emplacement, le rapport mutuel et le cadre légal des objets qui le peuplent. C'est aussi et surtout refondre les objets eux-mêmes ; c'est aller jusqu'à altérer le découpage de ce qui arrive en une multitude d'entités stables porteuses de déterminations. C'est en somme changer d'ontologie. »

 Michel Bitbol, Mécanique quantique, une introduction philosophique, p. 365

Le premier concept remis en question est celui de propriété : alors que les objets macroscopiques qui nous environnent semblent pouvoir être caractérisés par des grandeurs physiques existant de manière absolue (position, vitesse...), la mécanique quantique est contextualiste, c'est-à-dire que l'existence des propriétés physiques n'est garantie que lorsque l'on précise un contexte expérimental permettant de les mesurer.

Par exemple, en vertu des relations d'incertitude de Heisenberg, si le contexte expérimental permet une mesure précise de la position, il est tout à fait inapproprié de parler de sa vitesse ou de faire comme si le système en avait une. Cet aspect de la mécanique quantique est la source des débats entre Bohr et Einstein, la philosophie réaliste de ce dernier ne pouvant s’accommoder de la disparition de ce qu’il appelait des éléments de réalité[5].

Le deuxième concept remis en question est celui de séparabilité : deux objets ayant interagi peuvent être intriqués ; ils doivent alors être pensés comme un tout, et leurs états ne peuvent être décrits séparément. En particulier, on observe des corrélations entre les mesures effectuées sur un objet et celles réalisées sur l'autre objet, comme un lien entre eux malgré la distance qui les sépare. En mécanique quantique, on explique ces corrélations en disant que le système global est formé par les deux objets pris comme un tout indissociable.

Le troisième concept remis en question est celui d'individualité : même sans être intriquées, deux particules fondamentales sont intrinsèquement indiscernables l'une de l'autre, de sorte que l'on ne peut parler de l'électron no 1 ou de l'électron no 2, mais d'un système composé de deux électrons.

Globalement, la physique quantique fragilise le concept d'objet, ou de système physique. Par exemple, une particule est vue en théorie quantique des champs non comme un objet fondamental, mais comme l'un des multiples états possibles d'un champ, voire comme un état excité du vide quantique. La question de savoir pourquoi le monde macroscopique qui nous entoure ne ressemble pas à sa contrepartie microscopique n'est pas encore complètement tranchée, et fait partie des problèmes d'interprétation de la mécanique quantique. En parallèle à l'interprétation de Copenhague, la plus utilisée en pratique, selon laquelle le monde est divisé en une partie macroscopique « classique » et une partie microscopique « quantique », l'approche conceptuelle de la décohérence quantique tente de faire émerger la phénoménologie qui nous est familière à partir des principes de la mécanique quantique.

Ontologie de domaine

Ontologie physique

L’« étude de l'être réel » est également abordée par les scientifiques avec la stricte application de leur méthode de validation ; on parle alors d’ontologie physique pour souligner la perspective particulière qui est prise dans ce cadre[6]. Ceci relève du contrat tacite du chercheur en sciences.

Récemment le terme de matériologie, concaténation de matérialisme comme ontologie, est apparu pour clarifier les positions des mondes idéaliste et spiritualiste par rapport au monde du matérialisme et du monde de la science[7].

Anthropologie

Dans sa mission traditionnelle, l’anthropologie a pour but d’interpréter une ontologie donnée pour la rendre accessible à la science, universelle. Blaser [8] précise cela en avançant l'idée des ontologies comme pratiques : elles sont par exemple politiques et éthiques, donc allant au-delà d'une dimension simplement théorique ou métaphysique. Poirier complète cette idée en disant que les ontologies sont « des théories que des groupes humains ont élaborées afin de définir le réel, le déploiement du monde ainsi que les relations et les enchevêtrements entre l’humain et le non-humain, soit-il animal, végétal, minéral, ancestral, divin ou autre » [1]. De plus, quelques auteurs, comme Blaser et Poirier, mais aussi Clammer et Schimmer[9] argumentent que la modernité est la cause d'une crise des ontologies, puisque les différentes visions du monde n'arrivent plus à cohabiter sereinement, en raison d'incompréhensions et de rapports de pouvoir. Quelques auteurs, à la suite de ce constat, ont initié ce qui s'appelle aujourd'hui le tournant ontologique, et parmi eux figurent Bruno Latour, Tim Ingold, Eduardo Viveiros de Castro ou encore Philippe Descola. De manière générale, ce tournant ontologique concerne l'épistémologie, plus précisément sur la façon dont le savoir et les représentations des théories de l'existence se forment. On y critique la distinction formelle entre nature et culture.

Ontologie et langage

L'ontologie du langage naturel ('natural language ontology') s'intéresse à l'ontologie reflétée dans les langues naturelles[10]. Elle fait partie de la métaphysique descriptive ou naîve en contraste avec la métaphysique fondamentale[11].

Notes et références

  1. Poirier Sylvie, "Ontologies", sur Anthropen.org, Paris, 2016, Éditions des archives contemporaines.
  2. entrée Ontologie de Christian Godin, Dictionnaire de philosophie, Paris, Fayard, coll. « Éditions du temps », , 1.534 p. (ISBN 978-2-213-62116-6), p. 905.
  3. Vesselin Petrov, Ontological Landscapes : Recent Thought on Conceptual Interfaces Between Science and Philosophy, Ontos Verlag, Vesselin Petrov, ed, , 137 ff p. (ISBN 978-3-86838-107-8 et 3-86838-107-4, lire en ligne), « Chapter VI: Process ontology in the context of applied philosophy »
  4. Michel Bitbol, Mécanique quantique, une introduction philosophique, 1re éd. 1996 [détail de l’édition]
  5. (en) Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen, « Can Quantum-Mechanical Description of Physical Reality Be Considered Complete? », Phys. Rev., vol. 47, , p. 777-780 (résumé, lire en ligne); Voir également l'article Paradoxe EPR.
  6. Dominique Lecourt, La philosophie des sciences, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », , 127 p. (ISBN 978-2-13-062444-8)
  7. Collectif, Matériaux philosophiques et scientifiques pour un matérialisme contemporain, t. 2, Paris, Éditions Matériologiques, , 1017 p. (ISBN 978-2-919694-25-9)
  8. Blaser, M., « «Ontological Conflicts and the Stories of Peoples in Spite of Europe. Toward a Conversation on Political Ontology» », Current Anthropology, vol. 54, no 5, , p. 1-22.
  9. Clammer, J. R.,, Poirier, Sylvie, 1953- et Schwimmer, Eric, 1923-, Figured worlds : ontological obstacles in intercultural relations (ISBN 978-1-4426-7489-9 et 144267489X, OCLC 314202183, lire en ligne)
  10. (en) Friederike Moltmann, « Natural Language Ontology », Oxford Research Encyclopedia of linguistics, (DOI 10.1093/acrefore/9780199384655.013.330, lire en ligne, consulté le )
  11. (en) Kit Fine, « Naive Metaphysics », Philosophical Issues, vol. 27, no 1, , p. 98–113 (ISSN 1533-6077, DOI 10.1111/phis.12092, lire en ligne, consulté le )

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