Musidora (actrice)

Jeanne Roques, dite Musidora, née dans le 5e arrondissement de Paris le [1] et morte dans le 14e arrondissement de Paris le , est une actrice et réalisatrice française, célèbre pour son rôle d'Irma Vep, dans la série Les Vampires de Louis Feuillade, et pour Judex, autre série de Feuillade.

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Musidora
Portrait de Musidora
Nom de naissance Jeanne Roques
Naissance
Paris (France)
Nationalité Française
Décès
Paris (France)
Profession Actrice, réalisatrice
Films notables Les Vampires,
Judex

Pour toute une génération, elle est cette « vamp », cette « beauté fatale ». Les surréalistes l'adoptent, elle est l'une de leurs nombreuses muses.

Biographie

Débuts

Musidora photographiée par Henri Manuel.

Son père Jacques Roques (1852-1931)[2], compositeur et théoricien du socialisme[3] et sa mère Adèle Porchez (1855-1928)[4], peintre et grande combattante de la cause féministe, lui transmettent leur goût de la littérature. C’est en lisant Théophile Gautier qu’elle choisit le pseudonyme de Musidora, l’héroïne de Fortunio[5]. Enfant douée, elle peint, écrit, sculpte. Encouragée par sa mère, elle suit pendant trois ans le cours Frémiet[6], mais c’est dans la danse et la comédie qu’elle exprime le mieux ses passions artistiques. Après de modestes débuts dans des revues parisiennes et quelques apparitions dans des petits films aujourd’hui presque tous disparus, elle se fait remarquer, en 1910, dans la pièce La loupiotte de Aristide Bruant, où elle joue la môme Liquette. Elle connaît son premier succès, deux ans plus tard au Bataclan, dans la revue Ça grise dont elle partage l’affiche avec Colette.

Elle dira : « J'ai joué le vaudeville et un homme est venu me chercher pour jouer le drame. Un autre qui m'avait vue dans le drame, m'a entraînée dans la revue ; celui qui m'avait vue dans la revue m'a écrit : « Le cinéma est un art, venez faire du cinéma », et ceux qui m'ont vue au cinéma m'ont dit : « Ici c'est un café-concert, ici c'est un music-hall, ici c'est un cabaret. Venez, vous ferez un tour de chant. Venez vous passerez dans un sketch, venez vous direz des chansons ». Et comme je finissais de dire des chansons, un artiste russe m'offrait de jouer une pantomime. »

Musidora se produit dans des cabarets et sur les planches des théâtres de l’Odéon et du Châtelet. La jeune comédienne aux beaux yeux noirs fait ses vrais débuts au cinéma dans les Misères de l'aiguille, drame social destiné aux Maisons du Peuple réalisé en par Raphaël Clamour, l’histoire d’une couturière qui, à la mort de son mari, tente de se suicider avec son enfant pour échapper à la misère. C'est alors que Louis Feuillade la remarque, en danseuse de tango dans la Revue Galante aux Folies-Bergère. Les portes de la maison Gaumont s'ouvrent alors pour Musidora.

En 1914, elle tourne dans une poignée de films pour Gaston Ravel, mais c’est Louis Feuillade qui la révèle dans l’adaptation de la pièce de François Coppée Severo Torelli avec Fernand Herrmann dans le rôle-titre. Elle est alors une des multiples actrices que le cinéaste emploie dans des productions patriotiques et des vaudevilles. Mais avec ses yeux noirs soulignés de kohl, sa peau blanche, son maquillage un peu inquiétant et sa garde-robe exotique, Musidora n’allait pas tarder à devenir une des plus populaires et des plus emblématiques actrices du cinéma européen. Elle va tourner toute une série de films avec les réalisateurs-maison, arrachés les uns après les autres à leur travail par la mobilisation. Drames historiques, comédies burlesques, bandes patriotiques, scènes sentimentales se succèdent de 1914 à 1917.

Les Vampires et Judex

Musidora en Irma Vep dans Les Vampires (1915).

Fin 1915, Louis Feuillade, rendu à la vie civile, lui offre le rôle de sa vie, celui d'Irma Vep dans Les Vampires, un film en dix épisodes, un rôle de vamp et de femme fatale qui lui apporte la gloire et l’installe définitivement dans la mythologie du cinéma[5].

Irma Vep (anagramme de « vampire ») est une chanteuse de cabaret affiliée à la société secrète « les Vampires », en fait une bande de brigands combattue par le journaliste Philippe Guérande, incarné par Edouard Mathé. Au troisième épisode Musidora apparaît en souris d’hôtel cagoulée et vêtue d’une combinaison noire moulante et, ange du mal, provoque, chez les spectateurs, une trouble fascination. Plus tard, elle passe sous le contrôle hypnotique de Moreno, un criminel rival, qui fait d’elle sa maîtresse et la pousse à assassiner le Grand Vampire[5]. Elle finit elle-même par prendre la tête de la bande de brigands, et commet encore de nombreux méfaits avant d’être vaincue par Guérande. Ce personnage étrange, d’un érotisme certain, connaît un grand succès populaire, et enthousiasme les surréalistes qui en feront plus tard un de leurs emblèmes poétiques.

Musidora en Diana Monti dans Judex (1916).

En 1916, elle incarne à nouveau pour Feuillade une inquiétante beauté, l’aventurière de grand style Diana Monti, dans son nouveau feuilleton Judex, face au justicier Judex incarné par René Cresté[5]. Diana, sous l'apparence de l'institutrice Marie Verdier, séduit le banquier Favraux. Avec l'aide de son amant et complice Morales, elle essaie en vain pendant toute la série de s'emparer de sa fortune.

Musidora a vingt-huit ans, de longs cheveux noirs, le teint exagérément blanc, le regard charbonneux et la bouche sombre. Pour toute une génération, cette beauté moderne sera l'incarnation de la vamp.

Musidora et les surréalistes

André Breton, Louis Aragon et les autres créateurs du mouvement surréaliste étaient des spectateurs assidus des feuilletons de Feuillade, et notamment des Vampires. C'est donc tout naturellement qu'ils ont fait de Musidora leur égérie, l'invitant à plusieurs de leurs manifestations. Aragon et Breton écriront en 1929 une pièce lui rendant hommage, le Trésor des Jésuites, dont tous les personnages ont pour nom des anagrammes de Musidora (Mad Souri, Doramusi...)[5],[7],[8]. La pièce était destiné initialement à être jouée dans un « Gala Judex » à la gloire de Musidora, le [9]. La pièce fut publiée dans le numéro spécial de Variétés ("Le Surréalisme en 1929", , p. 47 à 61) et Le Trésor des Jésuites ne fut joué qu'une seule fois, en 1935, à Prague, dans une mise en scène de Jindřich Honzl avec des décors de Jindrich Styrsky au Nové Divadlo (Théâtre nouveau) fondé par Oldřich Nový[10].

Autres activités

Portrait de Musidora par Julio Romero de Torres (1922). Peinte en Espagne, la toile est conservée actuellement au musée national des Beaux-Arts (Argentine).

Musidora passe parallèlement à la réalisation en adaptant deux romans de Colette, l'Ingénue libertine, qui devient Minne (1916), et la Vagabonde (1917) ; puis elle tourne un scénario original de cet écrivain, la Flamme cachée (1918), avant d'être l'auteur complet de Vicenta (1919). Entre-temps, elle joue dans des films d'André Hugon, les Chacals (1917), Johannes, fils de Johannes (1918), Mam'zelle Chiffon (1918) de Gaston Ravel, la Geôle (1918) de Germaine Dulac, la Jeune Fille la plus méritante de France (1918) et de Fred Leroy-Granville, les Ombres du passé.

Par amour pour le rejoneador Antonio Cañero, elle quitte la France et s’installe en Espagne. Elle y écrit, réalise, produit et interprète sans grand succès, quatre films : Pour Don Carlos (la Capitana Alegría, 1920), d'après Pierre Benoit, qui retrace l’épopée carliste, Musidora en Espagne (1922), Soleil et Ombre (Sol y Sombra, 1922) dont l'anecdote dépouillée trouve son parfait décor dans la ville de Tolède et dans l'Andalousie et enfin la Tierra de los toros (1924), dont l'exploitation n'eut lieu qu'en Espagne et qui était conçu pour s'incorporer dans un spectacle où Musidora intervenait en personne pour chanter et danser. De retour à Paris en 1926, elle fait sa dernière apparition au cinéma dans une fresque religieuse Le Berceau de Dieu, aux côtés de Léon Mathot, France Dhélia et Lucien Dalsace.

Tombe de Musidora au cimetière de Bois-le-Roi.

Après son mariage le avec un ami d'enfance, Clément Marot, médecin à Chatillon-sur-Marne, et dont elle aura un fils également prénommé Clément, Musidora s’éloigne du Septième Art et se consacre essentiellement au théâtre jusqu’au début des années 1950. En 1930, elle fait partie de la représentation à Dinard d'"Échec à la Reine", dans la tournée Gustave Damien[11].

Elle est également professeur de diction au conservatoire de Reims, en 1938. Elle continue d'apparaître, jusqu'en 1948, dans des pièces de théâtre dont elle est l’auteur (une trentaine entre 1916 et 1952) et réalise un dernier film en 1950, la Magique Image. Elle a également publié deux romans, Arabella et Arlequin (1928) et Paroxysmes (1934), et de nombreuses chansons ainsi qu’un recueil de poésies, Auréoles (1940). Selon son biographe, Francis Lacassin, Musidora a laissé à sa mort de nombreux inédits. À partir de 1944, année de son divorce, elle travaille avec Henri Langlois à la Cinémathèque française. La muse des surréalistes et première vamp du cinéma français meurt le , à l’Hôpital Broussais de Paris. Elle est enterrée aux côtés de ses parents au cimetière de Bois-le-Roi, commune de Seine-et-Marne où son fils exerça comme dentiste[12].

Critique

Musidora dans Les Vampires.

Les surréalistes avaient su découvrir Musidora. Ils l'admirèrent et l'exaltèrent. André Breton lui envoyait des roses et l'actrice participa à une soirée « Dada ». Il écrivit à son attention : « À quelques-uns, nous avons bien souvent parlé de vous et du médiocre avenir que se préparent le cinéma et le théâtre français, qui n'ont jamais su qui vous étiez. »

« Car c'est malgré soi, à travers Les Vampires, que s'offre, pour les dernières touches, le portrait de Musidora, parée dans son collant pour les noces de l'amour et de la mort, l'œil tour à tour rêveur, sadique ou passionné. Par cette imagerie d'Épinal s'est fixé le mythe. Mais sous le maillot de souris d'hôtel à la soie arachnéenne et sublimante, il y avait aussi une femme que ses admirateurs ignorèrent. Souffrante, sensible, inquiète, cherchant à exprimer dans l'amour, la poésie, la lutte, un sentiment de l'inaccessible qu'a étouffé ou masqué cette élégante armure noire... » [13].

Postérité

Musidora, archétype de la femme fatale (graffiti de 2005).

Créée en 2014, l'association Les Amis de Musidora, publie régulièrement dans ses cahiers le fruit de ses recherches sur cette actrice aux multiples talents, féministe affirmée qui incarna le premier rôle de femme fatale au cinéma français.

Le festival du film restauré de Bologne a choisi en 2019 d'honorer Musidora en projetant, entre autres, un documentaire biographique ainsi que Soleil et Ombre, film de 1922, et en utilisant pour logotype de sa 33e édition le portrait stylisé de celle qui, actrice emblématique de son époque, fut aussi une réalisatrice innovante [14].

En 2019, par le biais d'un vote, les usagers du centre d'animation de la rue François-Truffaut à Paris (12e arrondissement) ont choisi Musidora pour nommer l'établissement. Lors de la sa séance de , à la suite de cette démarche participative, le Conseil de Paris a officialisé la dénomination Centre Paris Anim' Musidora[15].

En 2020, Carole Aurouet, Marie-Claude Cherqui et Laurent Véray organisent le premier colloque consacré à l'artiste : "Musidora, qui êtes-vous ?".

Filmographie

Musidora photographiée par Henri Manuel, vers 1914.
Photo de Musidora déguisée en souris d'hôtel avec son maillot de soie noire. L'actrice se produit au cabaret et au music-hall parallèlement au cinéma, ce qui l'amène à réendosser plusieurs fois le costume iconique d'Irma Vep[16].

Notes et références

  1. Acte de naissance n° 490 (vue 23/31) avec mentions marginales du mariage, du divorce et du décès. Archives en ligne de la Ville de Paris, état-civil du 5e arrondissement, registre des naissances de 1889.
  2. Le théâtre. Coulisses. Paris-Midi, 9 mars 1931, p. 5, lire en ligne sur Gallica.
  3. Notice Roques (Jacques). Dictionnaire national des contemporains, 1906, tome 5, p. 224, lire en ligne sur Gallica.
  4. La presse potinière. Le monde. Nécrologie. La Presse, 5 janvier 1929, p. 2, lire en ligne sur Gallica.
  5. D'Hugues, p. 106.
  6. Les amis de Musidora, De Jeanne Roques à Musidora, éd. Amis de Musidora (ISBN 978-2-7533-0187-0), p.37 à 39.
  7. Télérama Musidora bien plus qu'une vamp, Anne Dessuant 18/11/2013 (Consulté le 19/11/2014)
  8. Le cinéma des surréalistes, L'AGE D'HOMME, 2004
  9. Claude Maillard-Chary, L'imaginaire guerrier dans la poétique surréaliste, 1993, vol. 107, no 107-108, p. 74 note=3 sur le portail Persée
  10. Manuscrit mis en vente chez Christies
  11. « L'Ouest Eclair », sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k658315s/f8.image.r=%22tournee%20damien%22?rk=21459;2,
  12. Francis Lacassin in "Musidora", Anthologie du Cinéma, tome VI.
  13. « Musidora, la dixième muse… », sur INA master sup, (consulté le )
  14. « Délibération du Conseil de Paris »
  15. Tierchant 2014, p. 110-111.
  16. Contrairement à certaines sources, elle n'apparait pas dans l'épisode 10.

Annexes

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Les amis de Musidora, Cahiers Musidora, vol. 1 : De Jeanne Roques à Musidora, Bois-le-Roi, Éditions Les Amis de Musidora (ISBN 978-2-9559-6560-3).
  • Les amis de Musidora, Cahiers Musidora, vol. 2 : Musidora, Colette, Feuillade, le cinéma et la Grande Guerre, Bois-le-Roi, Éditions Les Amis de Musidora (ISBN 978-2-9559-6561-0).
  • Les amis de Musidora, Cahiers Musidora, vol. 3 : Musidora, pionnière et reine du cinéma (1916-1926), Colette, Pierre Benoît, Jaime de Lasuen, Antonio Canero, Pour Don Carlos, Sol y Sombra, La Tierra de los toros, Bois-le-Roi, Éditions Les Amis de Musidora (ISBN 978-2-9559-6562-7).
  • (en) Vicki Callahan, « Screening Musidora : Inscribing Indeterminacy in Film History », Camera Obscura, Duke University Press, vol. 16, no 3, , p. 58-81 (DOI 10.1215/02705346-16-3_48-59).
  • (en) Vicki Callahan, Zones Of Anxiety : Movement, Musidora, And The Crime Serials Of Louis Feuillade, Détroit (Michigan), Wayne State University Press, coll. « Contemporary Approaches to Film and Television Series », , XI-190 p. (ISBN 978-0-81432-855-2, présentation en ligne).
  • Patrick Cazals (filmographie établie par Francis Lacassin), Musidora, la dixième muse, Paris, Henri Veyrier, , 231 p. (ISBN 2-85199-185-X).
  • (en) Annette Förster, Women in the Silent Cinema : Histories of Fame and Fate, Amsterdam, Amsterdam University Press, coll. « Framing Film », , 572 p. (ISBN 978-9-0896-4719-1, DOI 10.2307/j.ctt1zqrmpg).
  • Françoise Giraudet, Musidora : un certain regard, Rennes, Françoise Giraudet, , 129 p. (ISBN 978-2-9535156-3-3).
  • Philippe d'Hugues, Michel Marmin, Jean Mitry et Jacques Richard, Le Cinéma français - le muet, Éditions Atlas, , 175 p. (ISBN 2-7312-0462-1).
  • Francis Lacassin, Musidora, Anthologie du cinéma, supplément à L'Avant-Scène du Cinéma n° 108, .
  • Fontaine de la Mare et Daniel Chocron, Moi Musidora, reine du cinéma, Paris, La Lucarne des écrivains, , 253 p. (ISBN 978-2-37673-023-1).
  • Hélène Tierchant, Musidora, la première vamp, Paris, Éditions Télémaque, coll. « Les influentes », , 253 p. (ISBN 978-2-7533-0187-0).

Radio

Biographies filmées

  • Musidora, film de Jean-Christophe Averty diffusé à la télévision française le .
  • Musidora, la dixième muse, Patrick Cazals, 2013.

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