Lewisite

La lewisite (2-chlorovinyldichlorarsine) est un composé organique de l'arsenic (arsine halogénée), qui se présente comme un liquide huileux, utilisé comme agent toxique de guerre lors de la Première Guerre mondiale et la guerre sino-japonaise (1937-1945).

Lewisite
Formule de la lewisite (2-chloroethenyldichloroarsine) [1]
Identification
Nom UICPA 2-chloroethenyldichloroarsine
Synonymes

« new G-34 » ou « MI » (désuets)

No CAS 541-25-3
PubChem 5372798
SMILES
InChI
Apparence liquide (incolore à foncé selon le taux d'impuretés et leur nature)
Propriétés chimiques
Formule C2H2AsCl3  [Isomères]
Masse molaire[2] 207,318 ± 0,008 g/mol
C 11,59 %, H 0,97 %, As 36,14 %, Cl 51,3 %,
Propriétés physiques
fusion −13 à −18 °C (selon les auteurs[3],[4]
ébullition 190 °C (point d'ébullition)[4]
Solubilité 0,5 g·l−1 ; plus élevée que celle de l'ypérite (0,48 g·l−120 °C))
Masse volumique 1,89 g·cm-3
Pression de vapeur saturante 527 Pa (20 °C)
Précautions
Directive 67/548/EEC

T

N
Transport
-
   1556   
Inhalation brûlures graves, œdème pouvant conduire à la mort
Peau brûlures graves
Yeux brûlures graves
Ingestion brûlures graves, et impact systémique si passage dans le sang, pouvant conduire à la mort
Écotoxicologie
DL50 35 mg·kg-1 (soit 2,5g pour un adulte de 70 kg)[5]

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

Elle fait partie  comme l'ypérite  de la catégorie des vésicants ; elle irrite puis attaque et détruit l'épiderme ou les muqueuses des voies aérorespiratoires ou digestives et qui brûle et érode la cornée et la face interne des paupières[6],[7]. La lewisite produit des symptômes proches de ceux de l'ypérite, mais plus graves, cicatrisant moins bien, et qui surtout apparaissent très vite (quelques minutes en se développant sur plusieurs dizaines d'heures ensuite) après l'exposition, handicapant plus rapidement les victimes.

C'est un produit non-inflammable qui, lorsqu'il est dispersé sous forme d'aérosol ou de gaz, pénètre facilement au travers des vêtements et qui passe même au travers du caoutchouc naturel (latex, composant des premiers masques à gaz).

On a commencé à la produire massivement comme arme chimique à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, ce qui fait qu'une grande partie des stocks accumulés à l'époque n'ont pas ou peu servi. Ils ont pour une grande partie été jetés en mer où ils conservent un potentiel de nuisance.

On en fait encore un usage médical (pour tuer des cellules cancéreuses dans certaines chimiothérapies). Leur détention sans autorisation et contrôle est interdite.
La détention de munitions chimiques anciennes est également interdite. Presque tous les États de la planète s'étaient engagés à en détruire tous leurs stocks avant 2007 (car signataires de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CWC) qui leur impose depuis 1997 de lister et détruire toutes leurs armes chimiques avant 2007, mais de nombreux retards ont été pris, dont en France).

Le nom « lewisite » vient de celui de son inventeur, chimiste et militaire Winford Lee Lewis (1878-1943).
Dans la dénomination codée des armes chimiques pour l'OTAN, la lewisite est désignée par la lettre « L ».

Types de lewisite

On distingue habituellement 3 types de lewisites :

  • Lewisite 1 : 2-Chlorovinyldichlorarsine (2-chloroethenyl)arsinous dichloride pour les anglophones) (N° CAS : 541-25-3)
  • Lewisite 2 : Bis(2-chlorovinyl)chlorarsine (bis (2-chlorovinylarsonous) chloride pour les anglophones) (N° CAS : 40334-69-8)
  • Lewisite 3 : Tris(2-chlorovinyl)arsine (tris(2-chlorovinyl)arsine pour les anglophones) (N° CAS : 40334-70-1)

Histoire

C'est dans la thèse universitaire d'un jeune chimiste Julius Arthur Nieuwland (en) du Maloney Hall, un laboratoire de chimie de l'Université catholique d'Amérique (Washington, D.C.) que Winford Lee Lewis, chimiste de l'armée américaine, a trouvé (début 1918 ?) la formule nécessaire à la synthèse de ce produit toxique (nécessitant la présence d'acide chlorhydrique et de mercure). L'armée américaine l'a développé comme arme secrète au Nilo Park (centre situé à Cleveland, Ohio[8]) en l'appelant d'abord « the new G-34 » pour confondre son développement avec celui de l'ypérite (ou gaz moutarde). Secrètement, le capitaine James Bryant Conant a reçu l'ordre d'en préparer la production industrielle à grande échelle. Cet ancien professeur de chimie de l'université Harvard avait été nommé directeur de l'Unité de recherche « Organic Research Unit No. 1 ».

Affiche servant à identifier le gaz. "Sent comme des géraniums, irritant nasale, brûlures de la peau, masque à gaz, vêtements de protection, liquide huileux vert foncé"

La lewisite ne semble pas avoir été utilisée lors de la « grande guerre » par les États-Unis, mais elle a au moins été expérimentée dans les années 1920 sous le nom de Dew of Death (« rosée de la mort »)[9]. Les américains s'y seraient spécialement intéressé car ininflammable et active en milieu froid. Il a été alors désigné par le sigle M1 lors de la Seconde Guerre mondiale avant d'être nommée « L » par l'OTAN.

Usages militaires : Les lewisites ont été utilisées à partir de 1918, seules ou en mélanges avec de l’ypérite au soufre (mélange parfois dit « HD ») pour en abaisser le point de fusion, afin de « mieux » vaporiser le produit à température ambiante. C'est un produit qui a été fabriqué dans les grands pays industriels en grande quantité, au moins jusqu'en 1943. Les États-Unis en auraient produit au moins environ 20 000 tonnes, qui ont été conservées en raison de la possibilité de l'utiliser comme antigel pour le gaz moutarde ou pour mieux faire pénétrer ce dernier au travers des vêtements de protection dans certaines situations particulières. Il a été remplacé par la variante dite « HT » du gaz moutarde ; un mélange 60/40 de gaz moutarde soufré et de O-moutarde(T)), déclaré obsolète dans les années 1950. Certains stocks de lewisite ont été neutralisés à l'eau de javel et jetés dans le Golfe du Mexique[10] et d'autres stocks immergés au large de la Crimée après la Seconde Guerre mondiale par l'URSS[11].

Selon les usines, pays et époques de fabrication ou modes de stockage, elle contient diverses impuretés et aussi des additifs chargés de le stabiliser ou d'en renforcer la toxicité ou le pouvoir vulnérant.

Effets psychologiques : les impacts des gaz ont fortement impressionné les belligérants qui les ont subis et ceux qui en ont entendu parler, au point qu'ils ont ensuite été peu utilisés alors que d'énormes stocks en avaient été accumulés. Après la grande guerre, de nombreux journaux ont publié des articles exagérant même les impacts de la lewisite. Ainsi, le Cleveland Plain Dealer le citait la lewisite comme étant soixante-deux fois plus puissante que l'ypérite, et susceptible de tuer un adulte à raison d'une seule goutte sur la main. Le , un article du Journal de San-Francisco estimait que la lewisite pourrait stériliser un terrain au point que rien ne pourrait y pousser au moins deux ans et peut-être plus longtemps[12], ce qui semble a posteriori vérifié sur certains sites de séquelles de guerre, mais où les doses ont été extrêmes (démantèlement d'obus chimiques), sur la place à gaz de Verdun par exemple.

Après des essais en milieu naturel, cette arme a ensuite été abandonnée par les États-Unis probablement en raison d'une dégradation trop rapide en condition humide (pluie, brume...), d'une odeur trop repérable, mais aussi peut-être en raison d'une rémanence trop importante du produit en condition sèche (dans un environnement bâti par exemple) et du fait que, comme de nombreuses armes chimiques, il puisse se retourner contre celui qui l'utilise, ainsi peut-être qu'une toxicité environnementale importante et des conséquences éthiquement inacceptables ont fait que les stocks importants ont peu été utilisés après 1918.

Description

À température ordinaire la lewisite pure est incolore, mais elle est rarement pure. On la trouve de couleur ambrée à brun ou vert foncé.

Elle reste à l'état liquide dans l'eau froide en raison de sa température de fusion qui est très basse (−18 °C) ce qui en fait un toxique plus « efficace » dans les pays froids en hiver que l'ypérite (inactive en dessous de 6 °C). Elle est également toxicologiquement plus « efficace » dans les pays chauds (où elle est mieux vaporisée dans l'air). Mélangée avec l'ypérite, elle prend la consistance du miel.

Pure, la lewisite est presque inodore, mais les impuretés qu'elle contient habituellement, dues à ses modes de fabrication ou d'utilisation lui confèrent une odeur d’essence de géranium (en réalité : pélargonium, souvent confondu avec le géranium), qui durant la guerre devait alerter les soldats (port du masque à gaz et d'une tenue de protection).

Dégradabilité

  • Dans l'air, le produit se dégrade en ses molécules de base en un temps variable selon les conditions initiales de diffusion (explosion, fuite de munition, etc), la température, l'ensoleillement, l'humidité. Sa vapeur et les objets qu'il a contaminés restent dangereux plusieurs jours.
  • Dans l'eau, le produit se dégrade à une vitesse qui dépend aussi de la température, de la pression et de la profondeur, de l'agitation, de la teneur en matières organiques et en organismes vivants, mais un certain pourcentage du produit peut s'évaporer dans l'air ou être transporté par les embruns.
  • Dans le sol, le produit se dégrade à une vitesse qui dépend de la température, de l'humidité et de la nature du sol. Une partie peut être lessivée et contaminer l'eau du sol. Une autre partie peut s'évaporer et contaminer l'air ambiant et être transportée par le vent...

La lewisite n'est pas en tant que telle bioaccumulable et ne se concentre donc pas dans la chaîne alimentaire[13], mais l'arsenic qu'elle contient et relargué lors de sa décomposition n'est pas dégradable et il peut facilement être reconcentré par le réseau trophique après sa dispersion dans l'environnement. Les champignons, les organismes filtreurs peuvent le concentrer.

Dans l'organisme humain :
Parmi les métabolites, le premier est l'acide chlorovynyl arsénieux dit acide 2 chlorovinyl arsénieux (CVAA ; moins toxique que la molécule mère, mais encore toxique), et après prise d'antidote, des dérivés chlorovynyl arsénio-Bal (considéré comme peu toxique car biologiquement plus inerte, mais la dégradation de ce composé peut être source d'arsenic). L'arsenic peut être dosé comme élément-témoin dans l'organisme ou dans l'environnement, plusieurs mois après que la lewisite elle-même s'est dégradée, voire plusieurs décennies après sur des sites pollués par des armes chimiques, encore accessibles à l'Homme.

Toxicologie (Toxicité pour l'Homme)

Comme pour l'ypérite, on peut distinguer trois grands types d'exposition :

  • inhalation (« danger vapeur ») qui, sans antidote ni soins, produit un œdème suivi d'une nécrose et/ou infection des poumons ;
  • contact avec le produit liquide (« danger liquide ») ; le produit attaque la peau et intoxique aussi la victime de manière percutanée ;
  • ingestion (elle se traduit par une sensation de brûlure dans la bouche et la gorge, puis fortes douleurs à l'estomac, nausées, vomissements et des selles ensanglantées).

Dans les trois cas, le produit pénètre rapidement au travers de la peau et encore plus vite les muqueuses humides (des poumons, de l'œil ou du tractus digestif). Alors que les symptômes les plus graves ne se manifestent parfois qu'après une dizaine d'heures avec l’ypérite, la lewisite a des effets bien plus rapides mais aussi bien plus toxiques que l'ypérite : 35 mg suffisent pour tuer 50 % des personnes touchées, où il en faut 100 pour l'ypérite[3].

La CTL 50 (dose inhalée tuant 50 % des personnes respirant cet air, mesurée en milligrammes par minute et par mètre cube d'air) est de 1 500 mg/min/m3, c'est autant que l'ypérite. Mais la lewisite est deux fois plus mortelle de ce point de vue que le phosgène (3 200 mg/min/m3). Elle est en outre plus de sept fois plus volatile que l'ypérite (4 500 mg/m2 à 25 °C) contre 625 pour l'ypérite. Ceci devenant encore plus vrai quand la température diminue. En dessous de 6 °C, l'ypérite n'est plus active, sauf en contact direct avec la peau qui la réchaufferait.

L'effet toxique : il est violent et de type allergique (œdème, cloques (phlyctènes), rougeurs, larmoiements, prurit) mais encore mal expliqué (selon les données publiquement disponibles, souvent classées confidentielles ou parfois contradictoires). Il combine probablement synergiquement les effets vésicants du dérivé halogéné (chloré) de l’arsine aux effets toxiques de l'arsenic qui peuvent porter sur de nombreux organes, et qui sont sans doute fortement exacerbés par la destruction des muqueuses et un choc anaphylactique. L'arsenic trivalent As3+, extrêmement toxique, semble expliquer le fait que l'action de la lewisite est plus dure et plus rapide que celle de l'ypérite. Cette forme d'arsenic inhibe de nombreuses enzymes à groupements thiols (-SH), dont l'hexokinase et la pyruvate déshydrogénase (en jeu dans le métabolisme énergétique). La pyruvate comporte un acide lipoïque qui est une des cibles chimiques de la molécule de lewisite.

En cas de passage dans le sang, la lewisite cause des dommages sur la moelle osseuse et une perte de liquide des vaisseaux sanguins, ce qui peut entraîner une chute de tension artérielle et des dommages indirects pour l'ensemble des organes, voire la mort, d'autant que ces dégâts induisent une déplétion immunitaire favorisant les pathogènes opportunistes.

Cancérogénicité : ce produit ne figure pas sur la liste des cancérigènes avérés, mais il n'a pas non plus fait l'objet d'études de cancérogénicité. Le Département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis (DHHS), le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), et l'EPA ont classé l'ypérite seule comme une substance cancérigène pour l'homme, mais on ignore si la lewisite ou le mélange gaz moutarde-lewisite sont ou ne sont pas cancérigènes pour l'homme. On ignore aussi si les enfants y sont plus sensibles que les adultes, s'il existe des susceptibilités individuelles ou génétiques, et s'il s'agit d'un produit posant problème pour le développement[14], faute d'études et de données disponibles. Il est probablement cancérigène, au moins en raison de l'arsenic qu'il contient qui lui est un cancérigène reconnu.

Reprotoxicité : il semble ne pas y avoir eu d'études visant à étudier chez l'homme un éventuel impact sur la reproduction, du gaz moutarde ou de la lewisite, ou du mélange de ces deux toxiques.

Symptomatologie

L'intoxication se manifeste généralement d'abord par une irritation nasale et une sensation de brûlure des yeux, de la peau et de l’appareil respiratoire. La victime est aussi atteinte de douleurs oculaires qui précèdent et accompagnent un blépharospasme quasi immédiat et suivi d'une forte conjonctivite et d'un œdème des paupières.

Les symptômes qui suivront sont comparables à ceux de l’ypérite, en plus rapide : les difficultés respiratoires et l'œdème des poumons apparaissent rapidement :

  • 10 à 20 secondes après le contact avec les gouttelettes ou des vapeurs denses, l'épiderme est irrité et forme (dès après 5 minutes) des taches grisâtres (qui sont caractéristiques de la lewisite) ;
  • 12 heures plus tard, des cloques se forment avec des lésions plus graves (plus profondes et plus douloureuses et plus nécrosantes) qu'avec l’ypérite[15].

L'arsenic combiné au chlore est source d'une intoxication systémique qui se manifeste par :

  • un abattement et une somnolence ;
  • une hémolyse et des troubles de la perméabilité capillaire provoquant une hémoconcentration (impact de l'arsenic et/ou aggravé par l'arsenic) ;
  • des manifestations polyviscérales
  • des symptômes gastro-intestinaux (vomissements et diarrhées cholériformes qui aggravent l'état du patient) ;
  • hépatiques ;
  • rénales ;
  • des troubles nerveux périphériques.

... le tout contribuant à un « état de choc » pouvant être létal.

Traitement symptomatique

Le traitement sera identique à celui contre l'ypérite, avec les différences suivantes liées au fait que la lewisite pénètre encore plus rapidement l'organisme que ne le fait l’ypérite :

  • Le patient doit fuir au plus vite (ou évacuation) la zone contaminée, ce qui est rendu difficile par le fait qu'il peut être aveuglé ;
  • Il doit se débarrasser d'éventuels objets ou vêtements contaminés (découper les vêtements plutôt que les glisser le long du corps ou autour de la tête et les mettre dans un double sac plastique fermé). La vapeur de lewisite étant plus lourde que l'air (1,89 g·cm-3 pure), il faut éviter les zones basses (caves, tranchées, etc. ) ;
  • Un lavage immédiat ou le plus rapide possible du corps à l'eau et au savon est recommandé par le CDC américain, avec si possible rinçage immédiat des yeux, durant plusieurs minutes, sous l'eau courante en écartant bien les paupières, puis consulter un médecin au plus vite[16] ;
  • On applique ensuite au patient une décontamination la plus immédiate possible (gant poudreur, lavage par la solution polyvalente de décontamination à 2,5 degré chlorométrique, soit 8 g·l-1 de chlore actif) ;
  • Injection (intramusculaire profonde car c'est un produit très douloureux) le plus tôt possible de 2 à 3 mg·kg-1 de l'antidote qui est le dimercaprol, un dithiol souvent appelé British Anti Lewisite ou BAL). Le dimercaprol se lie chimiquement à la lewisite en formant un complexe hydrosoluble qui est plus rapidement éliminé par l'organisme. Ensuite, une injection est faite toutes les 4 heures les 2 jours suivants, puis 4 injections le 3e jour, et 2 injections/jour les 10 jours suivants ;
  • avec prise en charge rapide de la douleur et soins dans un environnement stérile ;
  • et si possible, une dosimétrie biologique d'exposition.

Effets secondaires : le traitement combiné aux effets de l'intoxication peuvent provoquer (dès les premières heures) de nombreux effets, tous réversibles (tachycardie, hypertension artérielle aiguë, anxiété, nausée, vomissements, sensation de brûlure au niveau des mains, du visage, de la bouche, hypersialorrhée, rhinorrhée, hypersudation, hypersécrétion lacrymale, …).

  • un risque cancérigène est suspecté à long terme (comme pour l'ypérite), peut-être aggravé par l'arsenic qui est également cancérigène, mais il n'y a pas eu d'études permettant de le confirmer ou de l'infirmer.

À l'avenir, la greffe cutanée de cellules souches et la dermoabrasion contrôlée pourraient améliorer la réparation des lésions cutanées de la lewisite et d'autres vésicants[17].

Traitement par l'hypothermie : il semble pouvoir réduire les effets de l'exposition, mais aussi améliorer les traitements conventionnels chez les victimes de la lewisite (d'après des tests sur culture de peau humaine et chez le cobaye)[18],[19].

Les personnes à risque

Les militaires, les démineurs, les personnels civils travaillant dans des sites militaires ou là où de tels composés sont stockés, mais aussi des pêcheurs en mer, des agriculteurs de l'ancienne zone de front de la Première Guerre mondiale, ou éventuellement des forestiers de cette même zone (cf. forêt de guerre) ou des membres de services d'urgences (pompiers...) qui auraient été en contact avec des munitions ou un environnement souillé par des munitions sont a priori les personnes les plus à risque. Mais toute personne présentant les symptômes caractéristiques d'une intoxication de ce type immédiatement après avoir manipulé des munitions anciennes ou avoir séjourné dans un lieu à risque doit être considérée comme probablement intoxiquée et faire l'objet de soins diligents avec le conseil de spécialistes (centre antipoison, toxicologue...).
Sans informations contextuelles, le médecin ou le personnel soignant peuvent confondre les premiers symptômes avec ceux d'une allergie grave avec urticaire et œdème.

La lewisite fait partie des nombreux toxiques suivis dans le cadre du risque terroriste.

Conduite à tenir en cas d'exposition suspectée

En cas de risque d'exposition, même douteux, l'intervention rapide d'un médecin spécialisé ou prenant les conseils de spécialiste est recommandée (SAMU, centre antipoison, toxicologue…). Dans un environnement à risque, les secours doivent eux-mêmes être protégés par des équipements de protection individuelle appropriés aux risques encourus.

Une éventuelle contamination de l'environnement doit être recherchée et réduite. Des procédures recommandées sont prévues par la convention de 1993 pour tous les échantillons environnementaux. Une contamination inexpliquée par l'arsenic est l'un des signes qui peuvent alerter.

Écotoxicité

L'écotoxicité générale du produit semble avoir été peu étudiée dans le passé, mais l'est depuis peu, en mer notamment, en mer Baltique autour de dépôts de munitions chimiques immergés. D'autre part, les dégâts observés chez l'animal de laboratoire exposé durant 2, 4 ou 6 minutes à de la vapeur de lewisite sont similaires à ceux observés chez l'homme. On peut donc penser que les fuites à partir de munitions perdues dans l'environnement posent des problèmes graves pour la faune. De plus, à la différence de l'ypérite, la lewisite contient (pour 1/3 de son poids) de l'arsenic non dégradable qui est aussi un inhibiteur de la croissance des plantes à partir d'une certaine dose et qui éradique toute forme de vie du sol au-delà d'un certain seuil (localement atteint sur certains sites très pollués par des armes chimiques).

Rémanence : elle varie selon les conditions. Après une explosion d'obus chimique ou après une fuite dans l'environnement, on peut détecter la molécule mère dans l'air durant plusieurs heures, puis ses produits de dégradation et métabolites durant quelques jours (produits d'hydrolyse, de condensation sur les fonctions SH et d'oxydation) puis on la détecte encore quelques mois sur des adduits covalents sur cibles biologiques, dont sur les protéines et l'ADN durant quelques mois (7-8-9).

Les matrices potentielles sont les tissus, sièges initiaux de l'agression (peau, voies respiratoires), le système sanguin (sang total, plasma, sérum), l'urine et salive, les plus faciles à collecter, ou parfois les organes de stockage (cheveux, foie, graisses) en post-mortem.

Les impacts sur la fonge et la flore ont été peu étudiés, mais on peut supposer que ce gaz 7 fois plus lourd que l'air envahissait rapidement des terriers et était susceptible d'affecter la flore. Des témoignages de poilus ou de soldats allemands et des images d'archives font état sur la ligne de front d'arbres ayant perdu toutes leurs feuilles et d'animaux morts après le passage des nuages toxiques de gaz chlorés ou après les tirs d'obus chimiques. On a d'ailleurs inventé des masques à gaz pour chevaux et chiens dans les mois qui ont suivi le début de l'usage des armes chimiques dans les tranchées. Par chance et par hasard, l'essentiel de la ligne de front de 14-18 est située en zone calcaire et son caractère alcalin atténue les effets de la lewisite, de ses produits de dégradation et de manière générale des métaux lourds.

Cinétique de la lewisite dans l'écosystème

Dans les milieux marins : tant qu'elle est dans un contenant étanche, ou dans l'obus chimique, la lewisite ne perd que peu de son pouvoir toxique. Immergée en mer comme cela a souvent été le cas, la lewisite reste liquide (alors que l'ypérite est pâteuse). Quand les bidons ou obus fuient, la lewisite est donc a priori plus facilement diffusée dans le milieu. Selon les sources disponibles, c'est un produit qui s'hydrolyse assez rapidement dans l'eau où elle perd donc celles de ses propriétés toxiques dues au chlore. Néanmoins, la lewisite contient une grande quantité d'arsenic (1/3 environ de son poids), or cet arsenic n'est pas biodégradable, et il est présent sous une forme très toxique (à la différence par exemple de l'arsenic utilisé comme agent durcisseur dans les balles de plomb des munitions conventionnelles) ; cet arsenic restera présent sous une forme très biodisponible, et pour longtemps dans l'environnement aquatique. Les organismes filtreurs en particulier, de même que le réseau trophique marin, peuvent rapidement le reconcentrer.

Les scientifiques travaillant pour la commission HELCOM mesurent déjà une augmentation des taux d'arsenic dans l'eau, les sédiments ou les organismes marins en mer Baltique autour de dépôts de munitions immergées, par exemple près de l'île de Bornholm.

Sur terre : plusieurs des « records du monde » de pollution de sols par l'arsenic ont été enregistrés sur des sites de fabrication ou de démantèlement (incinération des arsines), dont à Ypres et en France (par exemple sur le site dit « place à gaz » en forêt de Verdun[20] où on a relevé des taux d'arsenic (17 % du poids du sol) jusqu'à dix mille fois plus élevés que la moyenne des « zones rouges » qui sont des secteurs les plus touchés par le front de la Première Guerre mondiale).

Démantèlement, destruction des munitions en contenant

Il existe globalement trois catégories d'armes contenant de la lewisite :

  • Des stocks non utilisés ;
  • De vieilles armes héritées de conflits antérieurs et immergées sous l'eau (en mer en général) ;
  • Des munitions éparses, non-explosées, restées sur les champs de bataille, éventuellement enfouies dans les sédiments de canaux ou dans des sols meubles[21].

La plupart des pays ont jeté une grande partie de leurs stocks en mer[22].
Certains ont construit des usines de démantèlement et destruction de ces obus, souvent à peine capables de traiter les obus chimiques retrouvés dans les champs et lors de terrassements ou fondations de travaux publics ou privés.
En Russie, le président Poutine a inauguré le nouveau centre de démantèlement d'armes chimiques, où environ 6 000 tonnes de lewisite doivent être détruites dans le cadre de l'engagement de la Fédération de Russie de détruire ses stocks déclarés de 40 000 tonnes d'armes chimiques.

Réactions chimiques, synthèse

Le composé est préparé à partir d'arsenic trichloré et d'acétylène :

AsCl3 + C2H2ClCHCHAsCl2

Il s'agit en fait d'une réaction catalysée nécessitant la présence de mercure :

La lewisite, comme d'autres produits arséniés chlorés, s'hydrolyse dans l'eau en formant un acide qui est un poison, mais peu volatil.

ClCHCHAsCl2 + 2 H2O → "ClCHCHAs(OH)2" + 2 HCl

Cette réaction est accélérée en milieu alcalin (ce qui était localement le cas dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, quand elles étaient creusées dans la craie et humides). Dans ce cas, le produit de dégradation est l'arsénite de sodium ; c'est encore un poison, mais non volatil et moins biodisponible.

Controverse sur les dépôts d'armes chimiques laissés par l'armée du Japon en Chine

Mi 2006, la Chine et le Japon ont finalement négocié un traitement avec l'aide du Japon des stocks importants de lewisite laissés dans le nord de la Chine après la Seconde Guerre mondiale. Des résidents chinois sont morts accidentellement depuis 30 ans à la suite d'un contact accidentel avec la lewisite abandonnée sur leur territoire[23].

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • GOLDMAN M. ; DACRE J. C. (Université du Sud-Dakota, dept. Biology) ; Lewisite: its chemistry, toxicology, and biological effect, in Reviews of environmental contamination and toxicology

1989, vol. 110, p. 75-115 [41 page(s) (article)] Ed : Springer, Heidelberg, Allemagne (1987)

Notes et références

  1. Lewisite I - Compound Summary, PubChem.
  2. Masse molaire calculée d’après « Atomic weights of the elements 2007 », sur www.chem.qmul.ac.uk.
  3. voir tableau comparatif de la page 12/16 (Présentation Ppt de formation aux gestes et soins d'urgence / Risque NRBC, par G Janvier du CHU de Bordeaux)
  4. ChemIDplus
  5. Yves Buisson & al. Service de santé des armées, France Les risques NRBC, savoir pour agir Voir (Consulté 2009 01 11)
  6. Committee on Review and Evaluation of the Army Non-Stockpile Chemical Materiel Disposal Program, National Research Council (United States). Disposal of Chemical Agent Identification Sets, (Google Books), p. 16, National Academies Press, 1999, (ISBN 0-309-06879-7)
  7. Lewisite. Emergency Response Database. National Institute for Occupational Safety and Health. Retrieved January 7, 2009.
  8. Upton native's role was the best defense; WWI masks thwarted
  9. Domingo Tabangcura, Jr. and G. Patrick Daubert, MD. British anti-Lewisite Development Molecule of the Month, University of Bristol School of Chemistry
  10. Code Red - armes de destruction massive [accessible en ligne - Blister Agents]
  11. La voix de la Russie, « L’Ukraine abandonne la Crimée pour la Syrie », (consulté le )
  12. « (...)nothing will grow upon it for at least two years and perhaps longer(...)»
  13. Résumé du ATSDR
  14. page de l'Agency for Toxic Substances and Disease des USA ((en))
  15. Afssaps, juillet 2003
  16. Conseils aux victimes, Document du CDC américain
  17. Aperçu et actualités analytiques sur les armes chimiques, article d'Ivan Ricordel, du laboratoire de Toxicologie de la Préfecture de Police, INPS), juillet 200, consulté 2009 01 11
  18. Goldman and Dacre, 1989 Lewisite: its chemistry, toxicology and biological effects, Rev. Environ. Contam. Toxicol. Elsevier, Online février 2006 (Résumé en pdf ou Pubmed)
  19. Peggy Nelson, James R. Hancock, Thomas W. Sawyer (2006), Therapeutic effects of hypothermia on Lewisite toxicity ; Toxicology, Volume 222, Issues 1–2, 1 May 2006, Pages 8-16 (résumé)
  20. Article sur la Place à Gaz de Verdun, notamment relatif aux mesures d'arsenic faites par Tobias Bausinger et ses collègues de l'Université de Mayence (Allemagne) et de l'ONF, en forêt de Verdun, titré « Exposure assessment of a burning ground for chemical ammunition on the Great War battlefields of Verdun »], Science of The Total Environment, Volume 382, Issues 2-3, 1 September 2007, Pages 259-271, doi:10.1016/j.scitotenv.2007.04.029
  21. page sur la destruction des armes chimiques, intitulée " Destroying the poisons of war "
  22. Exemple : Article " Washed ashore", de Keith Bettinger / 04-11-2007, consulté 2009 01 10) citant le cas de 399 tonnes de lewisite immergées au large des îles Hawaï par l'armée américaine
  23. Abandoned Chemical Weapons (ACW) in China
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