Laure Diebold

Laure Diebold, née Laurentine Mutschler, née le à Erstein (Bas-Rhin) et morte le , est une résistante française. Secrétaire de Jean Moulin, elle fut faite compagnon de la Libération alors qu'elle était portée disparue en Allemagne.

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Biographie

Laure Mutschler naît à Erstein, dans le Bas-Rhin, au sein d'une famille alsacienne. Elle naît allemande, l'Alsace étant alors occupée par le Reich mais sa famille est restée très patriote à l'égard de la France. Tous s'installent en 1920 à Sainte-Marie-aux-Mines[2]. Laure obtient un diplôme de sténo-dactylo et se fiance dans les années 1930 avec Eugène Diebold, secrétaire de la mairie de la commune. Elle est catholique, il est protestant[2]. À la fin de ses études, elle entre comme secrétaire aux Établissements Baumgartner. Lors de la « drôle de guerre », elle est secrétaire d'un industriel de Saint-Dié.

En Alsace annexée

Après l'invasion allemande, fin , elle reste en Alsace annexée. Elle rejoint une filière de passeurs[2]. Très souvent, elle héberge des prisonniers de guerre évadés au domicile paternel, 46 rue Jean-Jaurès à Sainte-Marie-aux-Mines, ainsi que chez son fiancé. Dès 1940, elle s'associe au cercle de résistants du docteur Bareiss, rattaché à l'Armée des Volontaires. Repérée, elle doit quitter l'Alsace. La veille de Noël 1941, elle fuit à Lyon, dans la zone libre, cachée dans une locomotive[3].

Lyon avant l'occupation

Laure Diebold est secrétaire au bureau des réfugiés d'Alsace-Lorraine, un service officiel. Le , elle épouse son fiancé Eugène Diebold, réfugié, comme elle, à Lyon et prisonnier de guerre évadé. En mai 1942, elle entre avec lui au réseau Mithridate où, en qualité d'agent de liaison, elle recueille des informations qu'elle code et fait passer sous forme de courrier à Londres pour l'Intelligence Service. Le , elle est arrêtée, avec son mari, par la police française, mais tous deux sont relâchés six jours plus tard, faute de preuves. Réfugiée à Aix-les-Bains, Laure Diebold devient « Mona » dans la clandestinité[3],[2].

En septembre 1942, agent n°8382, surnommée « Mado », elle entre à la délégation de Jean Moulin en zone libre, au service du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA). Affectée au secrétariat de Daniel Cordier, elle travaille jour et nuit[2], d'abord à Villeurbanne puis près de la place lyonnaise des Terreaux. Ce dernier raconte a posteriori leur rencontre :

« Dès l'arrivée de la jeune Alsacienne, je suis conquis. Elle est menue et petite, en dépit de talons rehaussés. Mais avec son visage expressif, son regard ardent, sa poignée de main énergique, elle respire la franchise et la volonté. […] Je lui explique son travail – dactylographier télégrammes, lettres et rapports, tenir la comptabilité et m’aider à chiffrer et déchiffrer les textes échangés avec Londres[2]. »

Le , elle rencontre Jean Moulin, alias Rex, pour la seule et unique fois, tapant pour lui à la machine un rapport urgent. Le secrétariat compte bientôt une quinzaine de personnes, dont Laure Diebold est « la pierre angulaire » note Daniel Cordier[2].

Paris occupé

Fin , avec Daniel Cordier, Hugues Limonti, Georges Archimbaud, Louis Rapp, Jean-Louis Théobald et Suzanne Olivier, elle se rend à Paris afin de préparer l'implantation de la délégation en zone occupée. Travaillant dans des bureaux situés rue Vavin puis rue de la Pompe, elle réside alors chez son frère à Fontenay-aux-Roses. Elle tape notamment l'annonce de la première réunion du Conseil national de la Résistance. À la suite de l'arrestation de Jean Moulin, elle poursuit son travail de secrétariat à la délégation[4], travaillant aux côtés de Claude Bouchinet-Serreules puis de Georges Bidault[2]. Après la guerre, ses services seront validés par les Forces françaises libres, en qualité d'agent « P 2 », assimilé au grade de lieutenant.

Déportation

À la suite de la perquisition des Allemands au siège de la Délégation générale à Paris, représentée par Claude Bouchinet-Serreulles et Jacques Bingen, et au démantèlement de nombreux réseaux parisiens consécutifs à « l'affaire de la rue de la Pompe », avec l'arrestation de Pierre puis celle de Jacqueline Pery d'Alincourt, Laure Diebold est arrêtée le , en compagnie de son mari, et détenue à la prison de Fresnes[5],[2].

Elle réussit à convaincre la Gestapo qu'elle n'a fait que servir de boîte aux lettres et échappe ainsi à la torture[6], au contraire de son mari, qui pourtant ne sait rien. Le , elle est déportée à la prison de Sarrebruck. Du au , elle est en prison à Strasbourg, puis au camp de sûreté de Vorbruck-Schirmeck. Elle est ensuite transférée à la prison de Gaggenau, revient au camp de Schirmeck, est envoyée à la prison de Mulhouse, puis dans une prison berlinoise. Déportée à Ravensbrück, elle est ensuite transférée près d'Altenbourg, au Kommando de Meuselwitz, satellite de Buchenwald, puis, le , au Kommando de Leipzig-Taucha, autre satellite de Buchenwald. Eugène, Hugues Limonti et Suzanne Olivier sont eux aussi déportés. Le , elle est faite compagnon de la Libération sur proposition du colonel Passy ; elle est l'une des six femmes à obtenir cette distinction. Gravement malade (typhus, angine diphtérique), mourante, elle échappe à la mort grâce à l'intervention d'un médecin tchèque du laboratoire du camp. Il escamote sa fiche à deux reprises et lui évite l'envoi au crématoire[2].

Libération

Libérée en par les Américains, Laure Diebold rentre à Paris, où elle arrive, très affaiblie, le , et y retrouve son mari, également de retour de déportation et lui aussi mal en point. Elle vit alors dans le dénuement, habitant une dépendance de la maison de son frère René, que le couple surnomme avec ironie « villa Ravensbrück »[2].

Le , le général Paul Legentilhomme la décore de la croix de la Libération dans la cour des Invalides[2].

Après-guerre

Laure Diebold est d'abord employée à la Direction générale des études et recherches (DGER), successeur du BCRA. Elle aurait aussi travaillé pour le secrétariat de la présidence du Conseil, bien qu'aucune archive ne le confirme. En 1947, elle accompagne à Moscou son ancien chef devenu ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, pour assister à une conférence sur la paix. En 1950, elle part à Étueffont-Bas (Territoire de Belfort), où elle travaille avec son mari dans une usine de tissage. En 1957, elle entre comme secrétaire dans une entreprise lyonnaise, Rhodiacéta, où elle devient secrétaire et bibliothécaire[2].

En 1964, à l'occasion de la translation au Panthéon des cendres de Jean Moulin, elle retrouve durant une nuit précédant l'évènement, sur la place déserte et glaciale entourant l'édifice, une partie de son ancienne équipe (Daniel Cordier, Hugues Limonti et Suzanne Olivier), dont les membres s'étaient éloignés après la guerre[2].

Morte le (à Lyon ou chez des amis en Saône-et-Loire, les sources divergent), elle est enterrée selon son désir dans le modeste cimetière de Sainte-Marie-aux-Mines le , où elle avait passé son enfance et connu son mari. Elle avait exigé une cérémonie simple. Sur sa tombe est indiqué « mort pour la France », du fait des souffrances physiques endurées par la déportation, ainsi qu'une mention de son statut de compagnon de la Libération. Un hommage militaire lui est rendu en la cathédrale Saint-Jean de Lyon. Mort en 1977, son mari est enterré avec elle, dans le carré protestant[2].

Postérité et hommages

Discrète, ce qui lui fut utile durant la guerre, elle laisse cependant peu de traces, Le Monde notant ainsi que c'est « un casse-tête quand il s'agit de s'atteler à sa biographie et de ramasser les rares indices laissés en chemin ». Oubliée durant des décennies en dehors de l'Alsace, n'apparaissant qu'en marge de certains ouvrages consacrés à Jean Moulin, elle « renaît » sous la plume d'Anne-Marie Wimmer qui, après des recherches dans les archives, publie en 2011 le livre Code : Mado : Mais qui donc est Laure Diebold-Mutschler ?. Chef du service archives et patrimoine du val d'Argent, David Bouvier estime que cette amnésie est due d'une part au fait qu'il s'agissait d'une femme, le rôle des femmes dans la Résistance ayant été minimisé, d'autre part au fait qu'elle était Alsacienne, le souvenir des « malgré-nous » ayant terni l'image de la région. Pour sa part, Anne-Marie Wimmer considère que Daniel Cordier n'a pas suffisamment mentionné son rôle dans ses mémoires, qui font autorité sur l'histoire de la Résistance ; les archives révèlent toutefois que ce dernier s'est longtemps préoccupé du sort de Laure Diebold après la guerre, la faisant par exemple embaucher à la DGER. Ne faisant parti d'aucun mouvement politique, elle s'est enfin trouvée exclue des commémorations partisanes, chaque camp promouvant ses propres martyrs ; sa modestie a également nui à ce qu'elle reçoive plus d'hommages[2].

Plaque de la rue Laure-Diebold à Lyon.

Plusieurs rues et places portent son nom :

En , une plaque commémorative est dévoilée à l'emplacement de sa maison natale à Erstein, à l’époque restaurant Zum Goldenen Faß (Au Tonneau d’Or), aujourd’hui remplacé par un parking, à l'angle de la rue du Général-de-Gaulle et de la rue du Renard[9],[10].

Un timbre postal à son effigie d'une valeur faciale de 0,68  paraît le [11].

Distinctions

Laure Diebold est titulaire de plusieurs décorations mais, très modeste, « jamais elle ne réclamera quoique ce soit » note Le Monde. Ce sont ses proches qui en ont fait la demande[2].

Références

  1. « Laure Diebold », sur Biographies des Compagnons de la Libération (consulté le ).
  2. Benoît Hopquin, « Laure Diebold, alias « Mado », secrétaire de Jean Moulin et résistante de la première heure », Le Monde, .
  3. Broissia, Pierre Aymar de, 1965-, Jagora, Nicolas. et Neuville, Aurore de., Résistance, 1940-1944 : témoignages, dossiers, chronologie : édition Alsace, Little big man, (ISBN 2-915347-20-4 et 978-2-915347-20-3, OCLC 57250485, lire en ligne)
  4. Claude Bouchinet-Serreulles, Nous étions faits pour être libres : la Résistance avec de Gaulle et Jean Moulin, Paris, Grasset, , 400 p. (ISBN 2-246-51711-7).
  5. (en) Mark Seaman, The Bravest of the Brave, Michael O'Mara Books, 1999, p. 102.
  6. « Laure Diebold », sur Musée de l'Ordre de la Libération (consulté le )
  7. Annonce dans le bulletin municipal du 8e arrondissement, janvier 2014.
  8. Valérie Walch, « Tram E : hommage à trois résistantes alsaciennes », DNA, , p. 31
  9. Anne-Marie Wimmer, « Communiqué de presse - Commémoration nationale de Laure Diebold-Mutschler », (consulté le ).
  10. « Borne historique Laure Diebold-Mutschler à Erstein (67) » (consulté le ).
  11. Claire Schaffner, Xavier Schmitt et Vincent Roy, « Un timbre à l'effigie d'une résistante alsacienne » [archive du ], sur France 3 Grand Est, (consulté le ) : [image] [archive du ].

Voir aussi

Bibliographie

  • Benoît Hopquin, « Laure Diebold, alias « Mado », secrétaire de Jean Moulin et résistante de la première heure », Le Monde, 29 aout 2021 [lire en ligne]
  • Daniel Cordier, Alias Caracalla, Gallimard, 2009.
  • Jean-Louis Théobald, Avoir vingt ans avec Jean-Moulin, de Fresnes à Cassino, éd. Cêtre, 2005.
  • Pierre Péan, Vies et Morts de Jean Moulin, Fayard, 1998.
  • Raymond Valentin et Léon Strauss, « Laure Diebold (née Mutschler) », in Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, vol. 44, p. 4559.
  • Anne-Marie Wimmer, Code : Mado : Mais qui donc est Laure Diebold-Mutschler ?, Ponte Vecchio éditions, , 264 p. (ISBN 2917909048).
  • « Laure Diebold », dans Vladimir Trouplin, Dictionnaire des compagnons de la Libération, Bordeaux, Elytis, (ISBN 9782356390332).
  • Eric Le Normand, Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (AERIA) (ill. Christophe Clavel), « Laure Mutschler (épouse Diebold) », dans La résistance des Alsaciens, Fondation de France, département AERI, (ISBN 978-2-915742-32-9), DVD pédagogique.
  • « Laure Diebold-Mutschler : Secrétaire de Jean Moulin et Compagnon de la Libération », dans Marie-José Masconi (préf. Frédérique Neau-Dufour), Et les femmes se sont levées, Strasbourg, La Nuée bleue, , 282 p. (ISBN 978-2-7165-0897-1), p. 177-190.

Filmographie

Article connexe

Liens externes

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