Lamentabili Sane Exitu

Lamentabili Sane Exitu (Avec de lamentables résultats) est une constitution apostolique donnée par le pape Pie X le . Ce document constitue un syllabus, à rapprocher du syllabus de Pie IX et de la bulle Exsurge Domine contre le luthéranisme. Par là, ce texte est d'abord un manifeste politique. Secondairement, il affirme l'historicité complète des évangiles canoniques et leur inerrance parfaite. Pie X y condamne ce qu'il considère comme les soixante-cinq principales erreurs du modernisme.

Lamentabili Sane Exitu
Constitution apostolique du pape Pie X
Date 3 juillet 1907
Sujet Sur le luthéranisme et l'historicité des évangiles.

Contexte

Lamentabili Sane Exitu a pour but d'organiser une réponse dogmatique à l'exégèse biblique du Nouveau Testament. Cette constitution s'inscrit dans le cadre de la crise moderniste et tente d'enrayer les avancées de la science historique et philologique nées dans le protestantisme allemand.

Ce texte est publié à la même époque que l'encyclique Pascendi Dominici gregis et le motu proprio Præstantia Scripturæ Sacræ, qui condamne l'école libérale.

Exposé

Le texte réprouve et proscrit une série de propositions « afin que de pareilles erreurs (…) ne s'implantent pas dans leur esprit [des fidèles] et n'altèrent pas la pureté de leur foi », exposant de la sorte comment il comprend l'avancée des sciences religieuses[1] :

  • dans sa partie 1 (liste des erreurs I à VIII) comme une attaque contre le Magistère de l'Église catholique romaine ;
  • dans sa partie 2 (liste des erreurs IX à XIX) comme falsifiant la doctrine de l'inspiration ;
  • dans sa partie 3 (liste des erreurs XX à XXVI) comme une falsification de la révélation en insistant sur le fait qu'il n'est de bonne exégèse que catholique ;
  • dans sa partie 4 (liste des erreurs XXVII à XXXVIII) comme la négation des dogmes principaux du christianisme[2] ;
  • dans sa partie 5 (liste des erreurs XXXIX à LI) comme un déni de la doctrine l'Église[3] moyen unique de salut, de l'efficacité de ses sacrements ;
  • dans sa partie 6 (liste des erreurs LII à LXIII) comme des attaques contre la fondation divine de l'Église catholique ;
  • dans sa partie 7 (liste des erreurs LXIV et LXV) comme un appel à la réforme de l'Église.

Analyse

Les parties 1 et 2 soutiennent l'idée que les évangiles canoniques sont des récits historiques, alors même que l'histoire se constitue en science tout au long du XIXe siècle, et que toute contestation porterait atteinte à la Révélation et constituerait donc un blasphème.

Dans la partie 3, l'énoncé XXII[4] forme le point central en ce sens que l'Église catholique interdira longtemps qu'on enseigne dans ses séminaires l'histoire des dogmes.[précision nécessaire]

La partie 4 se situe non au niveau de l'exégèse scientifique mais à celui de l'interprétation ; elle reprend les vieux sujets de débat entre théologiens protestants et catholiques autour de la question « les dogmes sont-ils nécessaires au christianisme ? » Pour l'Église catholique, ils sont indispensables et déterminent ce qui est chrétien et ce qui ne l'est pas ; en revanche, pour les protestants, conscients que les chrétiens ne les partagent pas tous, il convient de distinguer entre le savoir (dont la quête du Jésus historique) et le croire. François Laplanche[5] expose la position du magistère catholique :

« La « science indépendante » et la « science protestante » de la Bible cherchent toutes les deux la réconciliation de l’histoire et de la vérité, mais par une voie fort différente. Pour les historiens universitaires, l’étude des religions est un chemin d’accès vers l’élaboration d’une anthropologie philosophique, et rien de plus. Pour la Biblische Theologie de Reuss, le développement historique de la révélation exprime la priorité historique de la vie de foi sur l’énoncé dogmatique, mais cette hiérarchisation a clairement pour objet d’élaborer une meilleure théologie. Pourtant, ébranlée dans ses certitudes traditionnelles, l’exégèse catholique amalgame souvent la science universitaire des religions et la Biblische Theologie, en les qualifiant toutes deux de « rationalistes ». Curieuse confusion, pour qui a mesuré ce qui les sépare. Mais c’est un trait de la culture catholique, depuis le XVIIe siècle, de voir dans le protestantisme un ferment de dissolution intellectuelle et sociale. »

Le théologien catholique Yves Congar affirme pour sa part que cette constitution s'inscrit dans la démarche antiprotestante de l'Église catholique, inaugurée à Trente et réaffirmée dans le syllabus[6].

La revendication d'être l'unique moyen de salut  que l'on trouve dans la partie 5  parce que fondée par Jésus de Nazareth peut se classer au titre de la fonction eulogique de la religion[7] tandis que partie 6 tend à démontrer par antiphrase que Jésus est le fondateur de l'église. L'histoire, la sociologie ainsi qu'une meilleure connaissance du judaïsme hellénistique[8] montrent que Jésus n'a rien envisagé de tel[9].[non neutre]

La partie 7 est, quant à elle, à l'origine de la condamnation et de l'excommunication d'Alfred Loisy et du départ de beaucoup d'autres[10].

Conséquences

La publication de Lamentabili aggrava de fait la crise moderniste et ce syllabus est par ailleurs à l'origine du fondamentalisme catholique, avec les thèses de Joseph de Maistre et Louis de Bonald[11]. Il fut décidé à sa suite de lancer une inquisition dans les séminaires catholiques pour s'assurer que les thèses « modernistes » ne pénètrent pas dans l'enseignement religieux.

L'Église catholique a parfois encore beaucoup de mal à sortir de l'apologétique pour aborder les sciences religieuses ; ce qui est assez normal car elle n'a rattrapé le retard accumulé depuis Lamentabili qu'à partir de 1967 comme le souligne François Laplanche[12].

Néanmoins, depuis Vatican II, les chercheurs catholiques[Qui ?] savent et diffusent exactement la même chose[Quoi ?] que les autres chercheurs (quelle que soit la religion qu'ils professent et même s'ils sont indépendants) mais il leur demeure interdit de vulgariser ces connaissances[incompréhensible], comme le montrent les rappels à l'ordre hiérarchiques dont furent l'objet Marie-Émile Boismard o.p.[13], Juan José Tamayo Acosta[14] qui contrevenait tant aux parties 1 et 2 qu'à la partie 7. Il en résulte qu'au niveau de la recherche, tout le monde convient[évasif] que les évangiles n'ont rien à voir avec la science historique mais qu'au niveau du grand public, « même parmi les gens cultivés (…) la simple existence de l’exégèse biblique est largement inconnue »[15].

Notes et références

  1. Texte de Lamentabili en ligne sur le site cfjd.org.
  2. Comprendre du catholicisme romain, car tous les christianismes ne partagent pas les mêmes dogmes, cf. Christianismes orientaux.
  3. Comprendre catholique romaine car l'ecclésiologie des autres christianismes est différente.
  4. Proposition condamnée : « Les dogmes que l'Église déclare révélés ne sont pas des vérités descendues du ciel, mais une certaine interprétation de faits religieux que l'esprit humain s'est formée par un laborieux effort ».
  5. La Bible en France entre mythe et critique (XVIe siècle-XIXe siècle), Albin Michel, 1994, page 165.
  6. Yves Congar, Mon journal du Concile, tome 1.
  7. Peter Sloterdijk, La compétition des bonnes nouvelles, éd. Mille et une nuits, 2002.
  8. R. Kuntzmann et J. Schlosser (dir.), Études sur le Judaïsme hellénistique, Congrès de l'AFCEB 1983, éd. Cerf, 1984.
  9. Cf. Daniel Marguerat dans L'origine du christianisme, épisode 1, Jésus après Jésus : « Jésus n'a pas fondé l'Église [ni] mis en place un dispositif qui institutionnellement serait la base de ce qu'est devenu l'Église ».
  10. Émile Poulat Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste.
  11. Geneviève Comeau, Catholicisme et judaïsme dans la modernité.
  12. La Crise de l'origine, la science catholique des Évangiles et l'histoire au XXe siècle.
  13. Pour son livre À l'aube du christianisme avant la naissance des dogmes, éd. CERF, 1998.
  14. Pour Dios y Jesus, 2003. Sur l'auteur voir « Les grandes lignes de la Réforme nécessaire de l'Église ».
  15. Gerd Ludemann, entretien par April DeConick.

Bibliographie

  • Geneviève Comeau, Catholicisme et judaïsme dans la modernité, Paris, Cerf, coll. « Cogitatio fidei », .
  • Yves Congar et Éric Mahieu, Mon journal du Concile, Paris, Cerf, coll. « Théologie », (ISBN 2-204-06912-4).
  • Émile Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l'évolution de l'humanité », , 739 p. (ISBN 2-226-08464-9).
  • François Laplanche, La crise de l'origine : La science catholique des Évangiles et l'histoire au XXe siècle, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l'évolution de l'humanité », , 707 p. (ISBN 2-226-15894-4, présentation en ligne).
  • Claus Arnold/Giacomo Losito, « Lamentabili sane exitu » (1907). Les documents préparatoires du Saint Office, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, coll. « Fontes Archivi Sancti Officii Romani », 2011 (ISBN 9788820985875).

Liens externes

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