Louis de Bonald

Louis-Gabriel-Ambroise, vicomte de Bonald, né le à Millau où il est mort le , est un homme politique, philosophe et essayiste français, grand adversaire de la Révolution française.

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Monarchiste et catholique, ce gentilhomme du Rouergue issu d'une longue lignée de juristes fut la grande voix des légitimistes. Dans ses nombreux ouvrages, il s’attaque à la Déclaration des droits de l'homme, au Contrat social de Jean-Jacques Rousseau et aux innovations sociales et politiques de la Révolution pour prôner le retour à la royauté et aux principes de l'Église catholique romaine.

Il est considéré comme l'un des précurseurs de la sociologie.

Biographie

Né dans une vieille famille noble du Rouergue, Louis-Gabriel-Ambroise, vicomte de Bonald, perd son père à l’âge de quatre ans, puis entre en 1769 au collège de Juilly, chez les Oratoriens. Il sert comme mousquetaire jusqu’à la suppression de ce corps en 1776, avant de revenir sur ses terres et d’épouser Élisabeth Guibal de Combescure, issue d'une vieille famille du Vigan dans le Gard. En 1785, il devient maire de Millau. Il effectue de régulières visites dans le domaine familial de Las Canals en Aveyron.

Lorsque la Révolution survient, il en est d’abord partisan. Il reçoit une couronne civique de ses concitoyens et est réélu en à la mairie par une majorité de 293 voix sur 368[1]. Quelques mois plus tard, il est élu membre de l’Assemblée du département, ce qui l’oblige à démissionner de sa charge de maire. Ses pairs le nomment président de cette assemblée. Rapidement, la mise au pas de l’Église catholique romaine (vente des biens du clergé, constitution civile) choque ses profonds sentiments religieux. Le , il démissionne donc de ses postes de président et député de l’Assemblée départementale et pour éviter les représailles, émigre avec ses deux fils aînés à Heidelberg où se trouve l’armée du prince de Condé.

C’est à Heidelberg que Bonald se découvre une vocation d’écrivain. Il s’inspire des quelques volumes qu’il a pu emporter avec lui : quelques tomes de Tacite, l’Histoire universelle de Bossuet, De l'esprit des lois de Montesquieu et Du contrat social de Rousseau. Son premier ouvrage est la Théorie du pouvoir politique et religieux, imprimé en 1796 à Constance. Il y annonce dès le début son intention : « Je crois possible de démontrer que l’homme ne peut pas plus donner une constitution à la société religieuse ou politique, qu’il ne peut donner la pesanteur aux corps ou l’étendue à la matière. »

En 1797, il rentre clandestinement à Paris. Il ne réapparaît officiellement qu’après le coup d'État du 18 Brumaire. Fontanes, directeur du Mercure de France, l’appelle à collaborer à sa publication. Bonald fréquente également Louis-Mathieu Molé et Chateaubriand. En 1800, il publie son Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social puis en 1801, Du divorce, dans lequel il plaide pour l’indissolubilité du mariage. En 1802 paraît la Législation primitive où il défend la thèse que, grâce à l'institution de la noblesse, nos aïeux avaient les regards fixés sur un idéal qui les protégeait contre les catastrophes (selon la revue "Le Gotha français" en 1904)[2]. Selon lui, « La Constitution dit à toutes les familles privées : Quand vous aurez rempli votre destination dans la société domestique, qui est d'acquérir l'indépendance de la propriété par le travail, l'ordre et l'économie : quand vous aurez acquis assez pour n'avoir plus besoin des autres et pour pouvoir servir l'État à vos frais, le plus grand honneur auquel vous puissiez prétendre sera de passer dans le service de l'État ». Cet ouvrage est publié en même temps que le Génie du Christianisme de Chateaubriand. Commentant le peu de succès de son ouvrage, au contraire de celui de son collègue, Bonald note simplement qu’il a « donné sa drogue en nature et Chateaubriand l’a donnée avec du sucre. »

À cette époque, il se retire sur ses terres, tout en continuant à publier au Mercure de France et au Journal des débats. En 1806, à la suite d'un article intitulé « Réflexions philosophiques sur la tolérance des opinions », il reçoit une réprimande de Fouché. L’intervention de Fontanes auprès de Napoléon en personne suffit à la faire lever. Cependant, Bonald, fervent royaliste, refuse l’offre de Napoléon de faire réimprimer sa Théorie du pouvoir s’il retirait le nom du roi. En 1807, il décline également le poste de directeur du Journal de l’empire, puis celui de conseiller de l’Université en septembre de l’année suivante. Il accepte ce poste en 1810 sous les demandes pressantes de Fontanes.

À la Restauration son combat pour la monarchie vaut à Bonald une reconnaissance officielle et une grande influence à ses idées. Créé chevalier de Saint-Louis, il joue un rôle politique actif. Il entretient une correspondance suivie avec Joseph de Maistre. Il est nommé au Conseil royal de l’Instruction publique par Louis XVIII pendant les Cent-Jours. Dès 1815, élu à la Chambre des députés par le département de l’Aveyron, il propose une loi interdisant le divorce traité de « poison révolutionnaire ». La loi Bonald qui est votée le rétablit la séparation de corps et reste en vigueur jusqu'en 1884.

En 1816, il est nommé à l'Académie française, par le comte de Vaublanc où il occupe le fauteuil 30, succédant ainsi à Jean-Jacques Régis de Cambacérès et cédant sa place à Jacques-François Ancelot. Il est député de 1815 à 1822, puis pair de France en 1823, tout en poursuivant une carrière dans la presse, notamment dans Le Conservateur (entre 1818 et 1820) et, à la suite de celui-ci, Le Défenseur qui ne connaît cependant pas le même succès que le Conservateur. Il abandonne la politique en 1830 et meurt en 1840 d’une crise d’asthme. Son fils Louis-Jacques-Maurice de Bonald a été archevêque de Lyon et cardinal.

Sa pensée

C'est le chef de file du traditionalisme, il prône une société où Dieu est souverain, une société « de droit divin ».

« [les gouvernements] sont surtout de droit divin lorsqu’ils sont conformes aux lois naturelles de l’ordre social dont le suprême législateur est l’auteur et le conservateur, et le pouvoir public ainsi considéré n’est pas plus ni autrement de droit divin que le pouvoir domestique.
Et les imposteurs qui disent, et les sots qui répètent que nous croyons telle ou telle famille, tel ou tel homme visiblement désigné par la providence pour régner sur un peuple nous prêtent gratuitement une absurdité pour avoir le facile mérite de la combattre, et sous ce rapport, la famille des bourbons n’était pas plus de droit divin que celle des ottomans[3]. »

Il développe ses théories dans ses ouvrages, notamment dans l'ouvrage Théorie du pouvoir politique et religieux.

L'œuvre de Bonald dément les théories et les idées que Rousseau développe dans son Contrat social, il oppose donc la philosophie de l'homme individuel à celle de l'homme social. Il estime que les individus n'ont pas de pouvoir sur les règles de la société, ils ne peuvent donc pas en être les acteurs. Pour lui, la société est antérieure à l'individu, l'autorité sociale ne peut donc pas venir de lui. La nature de la société est de se conserver, se perfectionner, celle de l'Homme est d'exister, de tendre vers le bonheur, l'Homme apparaît donc comme le produit de la société : « l'Homme n'existe que pour la société et la société ne le forme que pour elle ».

Selon sa conception, croire que les Hommes peuvent vivre libres et souverains est contraire à ce que l'Histoire a montré, en effet, il y a toujours un pouvoir (Dieu, le Roi, le père), des ministres (le sacerdoce, la noblesse, la mère) et des sujets (les fidèles, les vassaux, les enfants). Cette idée sera reprise au début du XXe siècle concernant les rapports sociaux de sexe, notamment par la théoricienne antiféministe Marthe Borély.

Louis de Bonald critique fortement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le droit est, dans sa pensée, une idée génératrice d'anarchie. Il serait même prudent que ce mot ne fasse pas partie du vocabulaire de la vie politique. L'idée de liberté individuelle apparaît comme destructrice de l'ordre social et politique ainsi que des hiérarchies. Tout comme il ne peut agir sur la société, l'homme n'a également aucune influence sur l'Histoire et chaque fois qu'il a tenté de modifier l'ordre établi il a déréglé la société, Bonald nous donne l'exemple de la réforme protestante.

Comme le relève le philosophe Jean-Yves Pranchère, « la plupart des études consacrées à l’œuvre de Bonald soulignent qu’il n’y a rien d’anachronique à décrire celle-ci comme l’élaboration d’une véritable sociologie avant la lettre ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’Auguste Comte, qui a imposé le mot de « sociologie », a déclaré son admiration pour Bonald. [...] Sa thèse est que « la société est un être » (1796, I, p. 40) et qu’elle a donc ses lois qui justifient qu’elle fasse l’objet d’une science spécifique, la « science de la société » (1800, p. 33, 130, 157) »[4]. Selon Colette Capitan Peter, il est « précurseur d'une sociologie qu'on appellera, après Auguste Comte, une sociologie de l'ordre, l'homme n'a pas d'emprise sur son histoire »[5]. Selon Pierre Macherey, il est « l'un des premiers au XIXe siècle à affirmer le primat du social, et la nécessité de le penser en tant que tel, comme un principe constituant (ou « constitutif »), qui échappe lui-même à l'entreprise d'une constitution. On peut parler à cet égard d'un « sociologisme » avant la lettre, qui va assez loin dans l'anticipation des discours de la « sociologie scientifique » tels que ceux-ci s'élaboreront à la fin du XIXe siècle »[6].

Sa doctrine du conservatisme social repose sur une théorie du langage : « l'Homme pense sa parole avant de parler sa pensée », l'Homme ne peut pas exprimer ses idées s'il n'a aucune idée de la façon dont il peut les exprimer. L'Homme ne peut donc penser sans la parole, la pensée vient donc après le langage, elle y est liée, l'Homme ne peut donc pas l'inventer. C'est Dieu qui a fait don de la parole à l'humanité en même temps que la pensée touchant les vérités sur la religion, la morale et les fondements de l'ordre social. Une société ne peut être envisagée sans le langage, c'est donc la clé de voûte de toute organisation sociale.

Louis de Bonald est également vu comme un précurseur du structuralisme linguistique.[réf. souhaitée]

Œuvres

  • 1796 : Théorie du pouvoir politique et religieux
  • 1796 : Théorie de l'éducation sociale
  • 1800 : Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social
  • 1801 : Du divorce considéré au XIXe siècle
  • 1802 : Législation primitive (3 volumes)
  • 1817 : Pensées sur divers sujets
  • 1818 : Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales
  • 1815 : Réflexions sur l’intérêt général de l’Europe
  • 1818 : Observations sur un ouvrage de Madame de Staël
  • 1819 : Mélanges littéraires, politiques et philosophiques
  • 1820 : Démonstration philosophique du principe constitutif de la société
  • 1821 : Opinion sur la loi relative à la censure des journaux
  • 1825 : De la chrétienté et du christianisme
  • 1826 : De la famille agricole et de la famille industrielle
  • 1834 : Discours sur la vie de Jésus-Christ

Œuvres complètes

  • Œuvres de M. de Bonald, 1817-1843 (A. Le Clere, 14 vol. in-8°).
  • Œuvres de M. de Bonald, 1847-1859 (A. Le Clere, 7 vol. in-8° gr.).
  • Œuvres complètes de M. de Bonald, 1858 (J.-P. Migne, 3 vol. in-4°).
  • Louis de Bonald, Œuvres complètes, Archives Karéline, 2010 (fac-similé de l'édition Migne)

Œuvres choisies

Notes et références

  1. Œuvres complètes de M. de Bonald, Paris, Migne, 1859, p. 6
  2. Revue «Le Gotha français », de l'Institut héraldique de France, publié à Saint-Malo [France], par l'Imprimerie de l'Agriculture (Numéro de 1904, en version pdf téléchargeable ; 162 pages - Voir page 51 ou 55 sur 162 de la version PDF
  3. Louis de Bonald. Réflexions sur la Révolution de juillet 1830 et autres inédits. Par Jean Bastier. Éd. DUC/Albatros, 1988
  4. Jean-Yves Pranchère, « Totalité sociale et hiérarchie. La sociologie théologique de Louis de Bonald », Revue européenne des sciences sociales, nos 49-2, , p. 145-167 (lire en ligne, consulté le ).
  5. Colette Capitan Peter, « BONALD LOUIS-AMBROISE DE (1754-1840) », sur universalis.fr (consulté le ).
  6. Pierre Macherey, « Aux sources des rapports sociaux : Bonald, Saint-Simon, Guizot », Genèses, no 9, , p. 25-43 (lire en ligne, consulté le ).

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Jacques Alibert, Les triangles d'or d'une société catholique : Louis de Bonald, théoricien de la Contre-Révolution, Paris, Pierre Téqui, 2002.
  • Giorgio Barberis, Louis de Bonald. Ordre et pouvoir entre subversion et Providence, Paris, Desclée de Brouwer, 2016.
  • (en) Michele Battini, « Louis de Bonald. The Birth of an Anti-Jewish Anti-Capitalism », dans Michele Battini et Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), Antisemitismi a confronto : Francia e Italia. Ideologie, retoriche, politiche, Pise, Edizioni Plus/Pisa University Press, , p. 13-37.
  • Flavien Bertran de Balanda, Bonald, la Réaction en action, Éguilles, éd. Prolégomènes, 2009.
  • Flavien Bertran de Balanda, Louis de Bonald publiciste ultra, Aix-en-Provence, Champ d'Azur, 2010.
  • Alexandre Koyré, Louis de Bonald, dans Les Doctrines politiques modernes, New York, Brentano's, 1947, p. 221-244, repris dans Alexandre Koyré, « Louis de Bonald », Études d'histoire de la pensée philosophique, Paris, Gallimard, 1971, p. 126-145.
  • Robert Spaemann (trad. Stéphane Robilliard), Un philosophe face à la révolution. La pensée politique de Louis de Bonald, Paris, Hora Decima, 2008.
  • Michel Toda, Louis de Bonald, théoricien de la Contre-Révolution, Étampes, Clovis, 1997.

Liens externes

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