La Vierge au chanoine Van der Paele

La Vierge au chanoine Van der Paele ou La Madone au chanoine Van der Paele est un tableau du peintre primitif flamand Jan van Eyck, dont la réalisation débute à l'automne 1434 et qui est achevé en 1436. Il représente la Vierge à l'enfant trônant dans un espace semi-circulaire, probablement un intérieur d'église. À sa droite se tient Saint Donatien et à sa gauche le donateur de la peinture, le chanoine Joris van der Paele, présenté à la Vierge par Saint Georges. Le tableau — huile sur panneau en chêne — était destiné à la fois à célébrer le dévouement du donateur, toujours en vie au moment de la réalisation de l'œuvre, envers son église, mais il était aussi le support de sa prière et donc une œuvre de dévotion. Il était également destiné à lui servir d'épitaphe dans l'église où il devait être inhumé, la cathédrale Saint-Donatien de Bruges. L'œuvre est particulièrement populaire pour son réalisme. La représentation du chanoine Van der Paele par l'artiste a permis à des chercheurs d'émettre des hypothèses sur ses possibles problèmes de santé

Le tableau a conservé son cadre d'origine. Le cadre porte la signature de Van Eyck ainsi que les armes du donateur et des inscriptions en latin concernant les saints représentés. La Vierge au chanoine Van der Paele est considéré comme l'une des œuvres les plus importantes et les plus ambitieuses de Van Eyck.

Historique

Commande et donateur

Le tableau a été commandité par Joris van der Paele (c. 1370-1443). Le donateur a été identifié grâce à ses armoiries paternelles et maternelles représentées dans chaque coin du cadre. Joris van der Peele est né à Bruges vers 1370 et exerça à Rome comme scribe papal. Il retourna dans sa ville natale en 1425, alors qu'il avait déjà accumulé une certaine fortune. Il devint ensuite chanoine de la cathédrale Saint-Donatien de Bruges (démolie en 1797), ce qui lui permit de bénéficier des revenus de plusieurs paroisses. Il dut quitter ses fonctions en 1431 à cause d'ennuis de santé. En 1434 il commanda cette peinture à Jan van Eyck, mais celui-ci ne l'acheva qu'en 1436.

Provenance

Van der Paele conserva peut-être le panneau dans ses appartements ou dans un oratoire. Il en fit don à l'église soit dès 1436 soit à sa mort en 1443. L'œuvre se trouvait à l'origine dans la nef et ornait un autel dédié à Saint Pierre et Saint Paul et utilisé pour célébrer des messes en mémoire de Van der Paele et de sa famille. Elle fut installée sur l'autel principal après la Furie iconoclaste de 1566. Le tableau resta dans l'église jusqu'à la Révolution française.

La peinture fut acquise par le Musée du Louvre en 1794, en même temps que d'autres peintures flamandes, pendant l'occupation des Pays-Bas du Sud par l'armée française. La plupart de ces œuvres, dont le panneau Van der Paele, furent ramenées à Bruges en 1816 après la défaite de l'Empire français. Le panneau fut alors confié à l'Académie flamande de Bruges, et entra en 1855 dans les collections municipales. Il fut conservé d'abord au musée Bogaerdeschool, puis au musée Groeninge à partir de 1930.

Description

Sujet

Ce panneau est l'un des plus anciens exemples de conversation sacrée dans l'art flamand. Une conversation sacrée, ou sacra conversazione, correspond à une représentation de la Vierge à l'enfant, trônant en majesté et entourée de plusieurs saints dans un espace unifié, parfois accompagnés des donateurs.

Personnages

La Vierge à l'enfant

La Vierge est vêtue d'une robe bleue et d'un somptueux manteau rouge. Sa robe est brodée d'une inscription en latin, issue du livre de la Sagesse : "Est enim haec speciosior sole et super omnem stellarum dispositionem. Luci conparata invenitur prior " (« Elle est plus brillante que le soleil et surpasse toute l’armée des étoiles. Comparée à la lumière elle lui est supérieure." Livre de la Sagesse, VII, 29 et 26) ). Il s'agit de l'hymne mariale favori de Van Eyck, que l'on retrouve dans d'autres de ses œuvres.

La Vierge est assise sur un trône situé sur une estrade, devant un baldaquin de brocard orné de roses, symbole d'amour, de lys, symbole de pureté, et de narcisses, symbole de renouveau. La scène se situant à l'intérieur d'une église, la Vierge se trouve à l'emplacement de l'autel. Le sol et l'estrade du trône sont recouverts d'un tapis oriental. Les accoudoirs du trône sont ornés de sculptures représentant à gauche Adam et Caïn tuant Abel et à droite Ève et Samson tuant le lion. Le visage idéalisé de Marie est très similaire à celui de la Vierge de l'Annonciation de van Eyck conservée à Washington.

L'Enfant a des cheveux blonds bouclés. Il est assis, nu, sur un linge blanc, posé sur l'un des genoux de la Vierge. Comme Marie son corps est représenté de face mais son visage est tourné de trois-quarts, en direction du chanoine. L'Enfant tient d'une main une perruche à collier et de l'autre un bouquet de fleurs. Le geste de l'Enfant a fait l'objet d'un repeint car il posait à l'origine sa main sur la tête du perroquet. La nudité de l'Enfant a également été couverte à une époque plus tardive mais ce repeint a été retiré à la fin du XXe siècle.

Saint Donatien

Saint Donatien se trouve à gauche de la Vierge, la place d'honneur en héraldique, en accord avec son statut de patron de la ville de Bruges et de la cathédrale pour laquelle le tableau a été réalisé. Il porte une mitre couverte de pierreries et une chape en brocard bleu et or. Les orfrois de la chape sont ornés de broderies représentant Saint Pierre et Saint Jean ainsi que d'autres personnages non identifiables. Il tient une croix de procession de la main gauche et porte avec la main droite une roue surmontée de cinq chandelles. La roue est l'attribut habituel de Saint Donatien. En effet le saint, enfant, aurait été jeté dans le Tibre par un mauvais serviteur de son père et sauvé de la noyade grâce au pape Denis. Ce dernier posa sur l'eau une roue de charrette surmontée de cinq chandelles et la roue flotta vers l'enfant qui put s'en servir comme bouée.

Saint Georges

Saint George se tient à droite de la Vierge, revêtu d'une armure richement décorée. Il lève son casque de la main gauche en signe de respect tout en présentant le donateur de la main droite. Le mot ADONAI est inscrit sur son plastron. Saint Georges est le Saint patron du chanoine Joris van der Paele et la cathédrale Saint Donatien abritait une relique de son bras. Van Eyck a rendu avec minutie les reflets de l'armure : ainsi la Vierge à l'enfant se reflète dans le casque tandis que l'artiste lui-même s'est représenté comme un reflet sur le bouclier, en train de peindre le tableau. Van Eyck avait utilisé une astuce similaire pour inclure son autoportrait dans le portrait des époux Arnolfini.

Joris Van der Paele

Les saints et le donateur sont placés dans le même espace pictural. Van der Paele est agenouillé à la droite de la Vierge et paraît quelque peu distrait et absent. Il porte l'aube des chanoines et une aumusse de fourrure, tient dans ses mains un livre à la couverture de parchemin et une paire de lunette, symbole de sénilité, mais aussi d'éducation et de sagesse. Le chanoine est représenté avec un réalisme sans concession, qui ne cache rien des marques de la vieillesse et de la maladie. La maladresse avec laquelle le chanoine tient son bréviaire suggère une faiblesse du bras gauche et peut-être est-ce en raison de douleurs dans le bras et l'épaule que Van der Paele dut renoncer à ses fonctions vers 1430. Des médecins contemporains ont supposé qu'il souffrait de polymyalgia rheumatica, tandis que ses larges artères temporales laissent penser qu'il souffrait également de la maladie de Horton.

Décor

La scène se déroule dans le chœur d'une église de style roman entourée de colonnes de marbre. La scène semble être éclairée par des fenêtres invisibles, la lumière provenant du coin supérieur gauche et des fenêtres derrière la Vierge. Le trône de la Vierge est situé là où devrait se trouver l'autel. Les églises peintes par Van Eyck ne correspondent pas à des bâtiments précis, mais sont plutôt un amalgame de différents bâtiments et d'éléments fictifs. L'église du tableau pourrait ressembler à la collégiale Saint-Donatien, qui a depuis été démolie. Elle semble aussi s'inspirer du Saint-Sépulcre de Jérusalem, également construit dans le style roman.

Les chapiteaux des colonnes et des pilastres sont sculptés. Les chapiteaux des pilastres situés de part et d'autre de la vierge représentent des scènes de l'Ancien Testament : la rencontre entre Abraham et Melchisédech et le Sacrifice d'Isaac sur le chapiteau de gauche et la victoire de Jephté sur les ammonites et David et Goliath sur le chapiteau de droite.

Panneau, cadre et inscriptions

Le panneau est composé de six planches de bois horizontales. L'envers n'est pas peint, ce qui laisse supposer que le tableau devait être accroché contre un mur. Le cadre original a été conservé. Il s'agit d'un cadre richement ornementé : les armoiries paternelles et maternelles du donateur sont peintes dans chaque coin, la signature de Van Eyck figure dans la partie inférieure et des commentaires sur les saints ornent les côtés. Les inscriptions sont peintes d'une manière illusionnistes, celles de la partie inférieure semblant en relief et celles des autres côtés paraissant gravées dans le bois.

Du côté de Saint Donatien le cadre porte l'inscription :"SOLO P[AR]TV NON[VS] FR[ATRV]M. MERS[VS] REDIT[VR]. RENAT[VS] ARCH[IEPISC]O[PVS] PR[I]M[VS]. REMIS CONSTITVITVR. QVI NV[N]C DEO FRVITVR" ( (Il était le plus jeune de neuf frères; jeté à l'eau, il fut rendu à la vie ; régénéré, il devint le premier des évêques de Reims ; il jouit maintenant de la gloire de Dieu). Du côté de Saint Georges figure l'inscription : "NATUS CAPADOCIA. X[PIST]O MILITAVIT. MVNDI FVG[I]E[N]S OTIA. CESU TRIVMPHAVIT. HIC DRACONEM STRAVIT" (Né en Cappadoce, il fut soldat du Christ: fuyant les plaisirs du monde, il triompha de la mort et vainquit le dragon).

Analyse

Il s'agit de la plus grande peinture de Van Eyck conservée après le retable de l'Agneau Mystique. Cette œuvre se distingue par sa composition spatiale complexe et par son utilisation innovante de l'illusionnisme dans les inscriptions du cadre. Les personnages, les vêtements, l'architecture sont peints avec une extrême minutie et un haut niveau de réalisme. La précision des détails est particulièrement impressionnante dans le rendu des brocards de la chape et de la mitre de Saint Donatien, dans les broderies du tapis et dans le visage de van der Paele.

Galerie

Notes et références

    Sources et bibliographie

    en français
    • Till-Holger Borchert, La Vierge au chanoine Van der Paele, in: De Van Eyck à Dürer. Les Primitifs flamands & l'Europe centrale, 1430-1530, Tielt : Lannoo, 2010 (ISBN 978-90-209-8994-6)
    • Mornet, Élisabeth. "Le chanoine, la Vierge et la réforme. Hypothèses de lecture du tableau de Jan Van Eyck, La Vierge au chanoine van der Paele" In :  Religion et mentalités au Moyen Âge : Mélanges en l'honneur d'Hervé Martin [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2003 (généré le 14 mars 2021). Disponible sur Internet : https://books.openedition.org/pur/19844?lang=fr#bodyftn3. (ISBN 9782753526013). DOI:10.4000/books.pur.19844.
    en anglais
    • Till-Holger Borchert, Van Eyck, Taschen, Londres, 2008.
    • Till-Holger Borchert, Van Eyck to Durer: The Influence of Early Netherlandish painting on European Art, 1430-1530, Thames & Hudson, Londres, 2011 (ISBN 978-0-500-23883-7)
    • Craig Harbison, Jan van Eyck: the play of realism, Reaktion Books, Londres, 1997 (ISBN 0-948462-79-5)
    • Robert Huerta, Giants of Delft: Johannes Vermeer and the Natural Philosophers: The Parallel Search for Knowledge during the Age of Discovery. Lewisburg, PA: Bucknell University Press, 2003
    • Bernhard Ridderbos, Anne van Buren, Henk van Veen, Early Netherlandish Paintings : Rediscovery, Reception and Research, Amsterdam University Press, Amsterdam, 2005 (ISBN 0-89236-816-0)
    • Bret Rothstein, Sight and Spirituality in Early Netherlandish Painting, Cambridge University Press, 2005 (ISBN 0-521-83278-0)
    • Jeffrey Chips Smith, The Northern Renaissance (Art and Ideas), Phaidon Press, 2004 (ISBN 0-7148-3867-5)

    Liens externes

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