Khiamien

Le Khiamien est une culture mésolithique du Proche-Orient. Il marque la transition entre le Natoufien et le Néolithique au sens strict, tout en étant parfois rattaché à ce qu'on appelle le Néolithique précéramique A ou NPCA. Le Khiamien s'étend selon les auteurs entre environ 10 000 et 9 500 ans av. J.-C.[1]. Son nom vient du site archéologique d'El Khiam, au sud de la Cisjordanie.

Khiamien
Pointe d'El Khiam à encoches proximales et base tronquée
Site de Nahal Hemar, Israël
Définition
Lieu éponyme El Khiam (Israël)
Caractéristiques
Répartition géographique Proche-Orient
Période Épipaléolithique/Néolithique
Chronologie 10 000 - 9 500 ans av. J.-C.
Tendance climatique post-glaciaire tempéré

Objets typiques

Pointe de flèche d'El Khiam

Tant d'un point de vue architectural que du mode de production, la plupart des caractéristiques de la période natoufienne se prolongent au Khiamien[2], qui est cependant marqué par un nouvel armement lithique, par une légère évolution des habitations, et par la « Révolution des symboles ».

Historique

Dans le Levant sud, la période dénommée NPCA par Kathleen Kenyon en 1957 succède au Natoufien[3]. Du Natoufien, le NPCA hérite notamment des maisons rondes ou ovales aux murs de pierre, de pisé ou de briques. Néanmoins, de nouvelles recherches (notamment des datations par C14) mettent en lumière divers éléments jusque-là ignorés et démontrent que, dans la partie centrale du Levant Sud, se développent plusieurs cultures dont le Sultanien et le Khiamien[4].

Le terme « Khiamien », d'abord appelé « Natoufien IV » par Jean Perrot pour définir un « épinatoufien »[5], est utilisé pour caractériser le niveau IV du site d'El Khiam[6] et définit une phase intermédiaire entre le Natoufien final et le Tahounien. Quant au terme « épinatoufien », il est utilisé par Marie-Claire Cauvin pour désigner les industries de flèches à encoches – appelées « Pointes d'El-Khiam » par Joaquín González Echegaray[7] – qui apparaissent juste après le Natoufien[8].

En 1981, jugeant le critère culturel insuffisant pour une délimitation temporelle précise, le préhistorien israélien Ofer Bar-Yosef, suggère une définition du Khiamien se basant sur l'industrie lithique propre à cette époque, où des lames de dimensions plus grandes apparaissent et où le nombre de perçoirs augmente au détriment des lamelles à dos et des segments propre à l'industrie microlithique du Natoufien. La pointe d'El-Khiam apparaît également. Pour Ofer Bar-Yosef, le Khiamien, géographiquement centré en actuelle Cisjordanie dans la moyenne et basse vallée du Jourdain, précède le Sultanien[9].

Longtemps considéré comme une phase de transition entre le Natoufien et le PPNA, le Khiamien est depuis peu intégré au PPNA[10]. Les sites à pointes d'El-Khiam en Palestine sont attribués au Khiamien et, géographiquement, s'étendent du delta du Nil au Moyen-Euphrate[11]. Les principaux sites archéologiques relatifs au Khiamien sont Mureybet IB et II, Salibiyah IX et Hatoulah[1].

Mode de subsistance

Même si les premières expériences agricoles ou de domestication animale semblent avoir lieu dans les alentours du Jourdain durant le Khiamien[12] ou même au Natoufien[13],[14], la chasse et, dans une moindre mesure, la pêche demeurent les sources principales de denrées animales. Il s'agit d'une « petite chasse » composée d'oiseaux et sans doute de gros rongeurs et de hérissons[15].

Armement lithique

L’armement en pierre se transforme et l'on voit apparaître de nouvelles pointes de flèches, qui reflètent probablement de nouveaux modes de chasse : les pointes d'El Khiam[2]. C'est à El-Khiam que sont découvertes les plus anciennes pointes de flèches en silex à encoches latérales, dites « pointes d’El Khiam ». Ces pointes constituent le fossile directeur de cette culture. Elles ont été découvertes dans des sites d'Israël, de Jordanie (Azraq), du Sinaï (Abu Madi), du Moyen-Euphrate (Mureybet)[1]. Ces pointes sont classées en deux types distincts : les pointes à base concave ou les pointes à base rectiligne retouchée. Elles sont caractérisées par trois critères : elles comportent toutes une paire d'encoches proximales[Note 1], elles ont une base tronquée et les bases ont des retouches abruptes ou semi-abruptes[Note 2],[18].

Habitations

Durant le Natoufien sont apparus les villages pré-agricoles sédentaires. On n'y décèle encore aucun indice de production de subsistance mais quelques animaux comme le chien y sont domestiqués. Les habitations du Khiamien (et plus spécialement à Mureybet II et Abu Madi), sont proches de celles du Natoufien, rondes ou ovales mais, cette fois, construites au niveau du sol, elles ne sont plus systématiquement enterrées comme précédemment. Ce qui implique la création d'une « terre à bâtir » afin de cimenter les pierres de construction, le pisé ou les briques des murs[19].

La révolution des symboles

C'est sur le site syrien de Mureybet que l'aspect artistique du Khiamien est le mieux étudié. Les archéologues y ont trouvé les premières figurines en argile cuite, un matériau qui ne sera utilisé couramment que 2 000 ans plus tard dans le cadre de la confection de poteries[Note 3],[21].

L'historien et archéologue Jacques Cauvin constate l'apparition au cours du Khiamien de figurines féminines (El Khiam, Salibiyah IX, Gilgal, Nahal Oren, Mureybet II, puis Mureybet IIIA entre et ) et de crânes d'aurochs enfouis dans les maisons de Mureybet. Plus nombreuses et réalistes qu'auparavant, ces figurines mises en relation avec, notamment, les trouvailles relatives à des périodes ultérieures comme le VIIe millénaire av. J.‑C. à Çatal Höyük, le poussent à en déduire l'émergence d'un culte de la Femme et du Taureau. Sorte d'idéologie observable sous diverses expressions à travers tout le Néolithique du Proche-Orient où le taureau, rarement considéré comme un gibier à l'époque représente un pendant masculin aux femmes représentées par les figurines[22]. L'archéologue et préhistorien Jean-Paul Demoule souligne même que ce couple femme-taureau se retrouve bien plus tard dans les mythes et religions orientales de la période historique, connus cette fois grâce à l'écriture[Note 4],[23]. L'agriculture n'étant pas encore pratiquée au Khiamien, les femmes — éventuellement déesses — représentée par ces figurines ne peuvent pas être des divinités agraires, cependant, elles témoignent de la progressive séparation de l'homme et de la nature. C'est ainsi que se produirait, au Khiamien, ce que Jacques Cauvin appelle la « Révolution des symboles ». Pour lui, l'arrivée de ces figurines féminines et des taureaux sont les indices d'une nouvelle perspective des rapports qui existent entre l'homme et la nature. Perspectives qui amènent lentement les habitants du Khiamien vers le Néolithique[22].

Pour Jean-Paul Demoule, l’apparition de l'agriculture par la révolution des symboles, même si elle est possible, n'est pourtant pas suffisante : si une « révolution » est présente, elle doit se comprendre dans un contexte plus large que la religion et l’apparition de nouvelles formes de figurines. Les changements climatiques et d'organisation sociale de hameaux de plus en plus larges qu'imposent une progressive occupation des espaces sont également à prendre en compte[24].

L'historien Alain Testart, de son côté, conteste l’apparition d'un courant religieux centré sur la déesse et le taureau par le fait que des figurines représentant des femmes sont observables pour toutes les périodes de l'histoire humaine. Les femmes sont représentées depuis les premiers âges de l'homme jusqu'à nos jours sans qu'elles soient pour autant considérées comme des divinités[25]. Alain Testart remarque, par ailleurs, que le taureau se trouve toujours en position dominée et n’évoque en rien l’idée d’un « dieu-taureau ». Prenant pour exemple des études ethnographiques des communautés actuelles, l'historien démontre que le taureau est souvent considéré comme animal sacrificiel. Et donc, même s'il voit dans ces objets un témoignage de la domination que l'humain commence à exercer sur la nature, rien n'y justifie l'origine d'un culte ou d'un mythe d'une déesse et d'un taureau[26].

Notes et références

Notes

  1. Le terme « proximal » désigne la position verticale d'un débitage sur un objet orientable (telle une pointe de flèche, une tête de lance, un grattoir oblong ... ) en fonction d'une orientation conventionnelle (par exemple, la pointe vers le haut). Il existe trois positions : « proximal » pour designer la base de l'objet, « mésial » pour designer le milieu de l'objet et « distal » pour désigner le haut de l'objet. Cette position est d'habitude complétée par « gauche » ou « droit » (par exemple, « distal gauche », « mésial droit », ...). Mais en l'absence de cette dernière spécification, le débitage est situé des deux côtés. Si l'objet n'est pas orientable, ces trois localisations ne peuvent être utilisées[16].
  2. Les termes « abrupte » et « semi-abrupte » qualifient le degré d'inclinaison du tranchant retouché d'un outil de pierre. Il en existe quatre stades : abrupt (presque à 90°), abrupt croisé, semi-abrupt (environ 45°) et rasant (à l'angle très aigu, proche de 10°)[17].
  3. Cependant, le fait que les figurines en terre de Mureybet aient été cuites est discuté car elles ont été abandonnées dans un contexte d’incendie. Les figurines de Jéricho sont, quant à elles, crues[20].
  4. Mythes qui mettent en scène des déesses parfois représentées nues au côté d'un taureau (Ishtar, Astarté, ... ) ou des taureau seuls représentant un dieu de l'abondance (Adad ou le Veau d'or de Canaan ... )

Références

  1. Jacques Cauvin 1998, p. 43.
  2. Gaëlle Le Dosseur, « Les objets en matière osseuse au Levant sud du treizième au quatrième millénaire », sur Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, (consulté le ), p. 23-46.
  3. (en) Kathleen M. Kenyon, Digging up Jericho : the results of the Jericho excavations, 1952-1956, Praeger, , 272 p., p. 51.
  4. Samzun Anaïck, Ronen A., Philibert Denise, Lechevallier Monique 1989, p. 1.
  5. Jean Perrot, « La terrasse ďel-Khiam. », dans René Neuville, Le Paléolithique et le Mésolithique du désert de Judée,, vol. 24, Paris, Masson, , 270 p., p. 134-178.
  6. Joaquín González Echegaray 1966, p. 49.
  7. Joaquín González Echegaray 1966, p. 63.
  8. Marie-Claire Cauvin 1977, p. 317.
  9. (en) Ofer Bar-Yosef, « The « Pre Pottery Neolithic » Period in the southern Levant », dans Salanville P. et Jacques Cauvin, Préhistoire du Levant, Paris, CNRS, , 14 p., p. 562.
  10. (en) Ofer Bar-Yosef, « The Origins of Sedentism and Agriculture in Western Asia », dans Colin Renfrew (dir.), The Cambridge World Prehistory, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 1417.
  11. Jacques Cauvin et Marie-Claire Cauvin, « Origines de l'agriculture au Levant. Facteurs biologiques et socio-culturels. », dans The Hilly Flanks and beyond : essays on the prehistory of southwestern Asia, Chicago, BRAIDWOOD (R.J.), , p. 43-55.
  12. Jacques Cauvin 1998, p. 88.
  13. Olivier Aurenche et Éric Coqueugniot, « La révolution des symboles et l'évolution des idées », dans Éric Coqueugniot, Olivier Aurenche, Paléorient, t. 37.1, Paris, CNRS, , p. 11.
  14. Jean-Paul Demoule, Naissance de la figure : L'art du Paléolithique à l'âge du Fer, Paris, Folio, , 308 p. (ISBN 978-2-07-269675-6), p. 95.
  15. Helmer Daniel, Roitel Valérie, Sana Segui Maria et Willcox George, « Interprétations environnementales des données archéozoologiques et archéobotaniques en Syrie du Nord de 16000 BP à 7000 BP, et les débuts de la domestication des plantes et des animaux. », dans Jean Pouilloux, Espace naturel, espace habité en Syrie du Nord (10e 2e millénaires av. J.-C.) / Natural Space, inhabited Space in Northern Syria (10th 2nd millennium B.C.). : Actes du colloque tenu à l'Université Laval (Québec) du 5 au 7 mai 1997., Lyon, Maison de l'Orient et de la Méditerranée, (lire en ligne), p. 24.
  16. M.-L. Inizan, M. Reduron, H. Roche, J. Tixier 1998, p. 150.
  17. M.-L. Inizan, M. Reduron, H. Roche, J. Tixier 1998, p. 148.
  18. Marie-Claire Cauvin 1977, p. 136.
  19. Jacques Cauvin 1998, p. 44.
  20. Rania Ayobi, « Les objets en terre du Levant néolithique avant l’invention de la céramique : cuisson intentionnelle ou accidentelle ? », Syria. Archéologie, art et histoire, no 91, , p. 7–34 (ISSN 0039-7946, DOI 10.4000/syria.2608, lire en ligne).
  21. Jean-Paul Demoule 2017, p. 95.
  22. Jacques Cauvin 1998, p. 50.
  23. Jean-Paul Demoule 2017, p. 102.
  24. Jean-Paul Demoule 2017, p. 103.
  25. « La déesse et le grain », sur alaintestart.com (consulté le ).
  26. Testart Alain, « Interprétation symbolique et interprétation religieuse en archéologie. L’exemple du taureau à Çatal Höyük. », dans Paléorient, vol. 32, CNRS, (lire en ligne), p. 39.

Bibliographie

  • Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l'agriculture : La révolution des symboles au néolithique, Flammarion, coll. « Champs », , 310 p. (ISBN 978-2-08-081406-7).
  • Samzun Anaïck, Ronen A., Philibert Denise et Lechevallier Monique, « Une Occupation khiamienne et sultanienne à Hatoula (Israël) ? », dans Paléorient, vol. 15, t. 1, (lire en ligne).
  • (es) Joaquín González Echegaray, Excavaciones en la terraza de "El Khiam" (Jordania) : Los niveles meso-neoliticos, estudio de la fauna, flora y analisis de las tierras del yacimiento, vol. V, t. II, Madrid, coll. « Bibliotheca Præhistorica Hispana », (lire en ligne).
  • Marie-Claire Cauvin, « Flèches à encoches de Syrie : essai de classification et d'interprétation culturelle. », dans Paléorient, vol. 2, t. 2, , 14 p. (lire en ligne).
  • M.-L. Inizan, M. Reduron, H. Roche et J. Tixier, Technologie de la pierre taillée, t. 4, Meudon, Cercle de Recherches et d’Études Préhistoriques, , 199 p. (lire en ligne).
  • (en) Ofer Bar-Yosef, « The Origins of Sedentism and Agriculture in Western Asia », dans Colin Renfrew (dir.), The Cambridge World Prehistory, Cambridge, Cambridge University Press, , p. 1408-1438.

Voir aussi

Articles connexes

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