Kahina Bahloul

Kahina Bahloul, née le à Paris, est une islamologue franco-algérienne. D'origine juive et catholique par sa mère, elle est revenue à l'islam soufi de sa famille paternelle et est la première femme à se déclarer imam en France. Elle est la co-fondatrice du projet d'association cultuelle La Mosquée Fatima, qui promeut un islam libéral.

Biographie

Origines et formation

Kahina Bahloul naît à Paris d'un père algérien kabyle peu attaché à la normativité religieuse[1], mais issu d'une famille maraboutique[1],[2] et d'une mère française athée ; sa grand-mère maternelle était juive ashkénaze polonaise, son grand-père maternel catholique français[1],[2],[3].

Elle grandit dès l'âge d'un an en Algérie[4], près de Béjaïa[5], au bord de la mer, en Kabylie, jusqu'à la fin de sa formation de juriste[1].

Parcours religieux

Elle revient en France en 2003 et prend « ses distances avec la religion [musulmane] » pendant quelques années[5]. Elle devient cadre dans l'assurance, pendant douze ans[1],[5].

Le décès de son père, entrepreneur qui n'était pas particulièrement versé dans l'islam, conduit Kahina Bahloul à approfondir son lien avec la mystique musulmane, le soufisme, dans lequel elle affirme avoir trouvé les réponses aux questions qui la taraudaient depuis l'enfance[2],[n 1]. Kahina Bahloul s'investit alors dans diverses associations cultuelles de sensibilité soufie[1].

Les attentats de 2015 en France la décident à agir. Après un master 2 en islamologie à l’École pratique des hautes études, Kahina Bahloul poursuit un doctorat sur la pensée d’Ibn Arabi, théologien et poète soufi du XIIe siècle[6] et lance la chaîne et l'association « Parle-moi d'islam »[2]. Elle est aussi conférencière sur des sujets islamiques concernant le dialogue interreligieux, le soufisme et la femme, avec notamment la rabbine Pauline Bebe et le père Antoine Guggenheim, ancien directeur du pôle de recherche du Collège des Bernardins[1]. Kahina Bahloul anime notamment des ateliers à l’association soufie Alawiyya à Drancy[n 2],[7].

Outre Ibn Arabi, la deuxième source d'inspiration de Kahina Bahloul est la soufie Rabia al Adawiyya dont la plus grande partie de la biographie est légendaire, inventée[4]. Enfin, en tant que Française d'origine algérienne, l'islamologue s'appuie aussi sur le soufi Abdelkader ibn Muhieddine[4].

En 2016, elle participe à la fondation de l'association « La Maison de la paix » à Paris, avec l'imame norvégienne Annika Skattum[8], où l'Irakienne Fawzia Al-Rawi[9],[10] dispense des enseignements d'inspiration soufie[1] mais l'association ferme ses portes au bout d'un an, faute de financement[1].

Selon Bahloul, la pratique méditative du soufisme abolit les considérations de genre[11]. Elle s'inspire de l'imame danoise Sherin Khankan ou de l'Américaine, figure de proue du féminisme musulman, Amina Wadud[1] et se renseigne sur le ministère religieux féminin. Kahina Bahloul affirme[1] :

« Il est acquis, depuis le XIIe siècle, et les écrits d'Ibn Arabi, que rien n'interdit à une femme de diriger la prière. »

Le , elle publie dans Les Cahiers de l'islam son analyse des textes sacrés, dans laquelle elle conclut :

« Les avis qui veulent établir l’interdiction absolue du magistère féminin dans le culte musulman n’ont pas de fondements théologiques solides. Aucun argument émanant du Coran ni de la sunna ne peut être sérieusement avancé pour invalider ou rendre illicite l’imamat des femmes[12]. »

Kahina Bahloul se déclare « imame » depuis le printemps 2019. Selon elle : « pour devenir imame, il faut qu'une congrégation religieuse adhère à votre discours ». Selon le journaliste Baudouin Eschapasse, cela fait d'elle la première femme à devenir imame en France[1]. Ce projet est très critiqué par une partie des musulmans. Aucun représentant officiel de l'islam de France n'a encore pris position officiellement en faveur de Kahina Bahloul[1]. Elle n'est pas reconnue par les autorités musulmanes[13]. Aussi, pour des raisons de sécurité, cette congrégation n'a pas de lieu fixe. Dans un entretien, Bahloul dit que sa première charge rituelle, en , a été une prière mortuaire dans un cimetière de la région parisienne[14].

Kahina Bahloul appelle à une réforme de l’islam et du statut du coran (qui, selon elle, n'est pas la parole de Dieu incréée mais la parole de Dieu créée, ce qui « permettrait de recontextualiser la révélation et d’interpréter certains versets »)[15]. Avec ses revendications, Bahloul ne s'éloigne pas seulement de l'islam radical, elle rejette par-dessus bord également une partie de l'islam traditionnel[4]. Ses prises de position lui attirent des insultes sexistes, antisémites (sa grand-mère étant juive, elle est elle-même considérée comme juive selon le Talmud)[5], et ses initiatives lui valent de violentes attaques : elle s'est vue qualifiée de « sale sorcière » et a même reçu des menaces de mort[16].

La question de la légitimité de Kahina Bahloul est souvent posée. Les critiques pointent également son inexpérience[5]. « S'ils pensent que cela me fera changer d'avis, ils se trompent. C'est peut-être lié à mon prénom, qui renvoie à une reine berbère inflexible, mais je ne cède pas aux pressions », affirme-t-elle[1]. Kahina Bahloul a pour alliées Floriane Chinsky, rabbine du Mouvement juif libéral de France, ou Emmanuelle Seyboldt, présidente de l'Église protestante unie de France[17].

Projet de mosquée prônant l'islam libéral

Kahina Bahloul envisage d'ouvrir une mosquée s'inscrivant en plein dans le courant réformiste libéral[1]. Son nom, « La Mosquée Fatima »[18], fait référence à Fatima Zahra, la fille du prophète Mahomet. Elle s'associe pour ce projet avec le théologien mutazilite et philosophe de formation Faker Korchane[18]. Il est le président de l'association pour la renaissance de l'islam mutazilite (ARIM), courant rationaliste[18] qui conteste le « coran incréé » (dicté par Dieu, en arabe) auquel croient les sunnites[3]. Cette mosquée sera conforme à l'orientation de l'islam libéral :

  • Femmes et hommes pourront y prier ensemble ; ils seront néanmoins répartis de part et d'autre d'une salle commune ;
  • Les prêches se feront en français ;
  • Les femmes seront libres de porter ou non le voile ;
  • L'imamat, la conduite de la prière, sera assuré alternativement par un imam, Faker Korchane, et une imame, Kahina Bahloul ;
  • La mosquée sera ouverte également aux non-musulmans[2].

Le , a lieu le premier prêche de Kahina Bahloul dans une petite salle louée à Paris. Vingt-deux personnes (dix femmes et douze hommes) participent à la célébration[19].

En 2021, le livre de Kahina Bahloul Mon islam, ma liberté est publié. Pour le journaliste Lieven Van Mele, le fait qu'il ait été édité par Albin Michel, et non par une maison d'édition islamique, est un signe révélateur : les tendances libérales-démocratiques et innovatrices au sein de l'islam restent marginales[4].

Publication

  • Mon islam, ma liberté, Paris, Albin Michel, , 208 p. (ISBN 978-2-226-45685-4)

Notes et références

Notes

  1. Dans le quotidien belge De Standaard du 17 mai 2021, Bahloul raconte à la journaliste Jolien De Bouw : « La mort de mon père a été un coup très dur, qui m'a fait me poser des questions existentielles. J'ai dit à mon médecin généraliste, une femme catholique, que je ne trouvais aucune réponse dans l'islam. Elle m'a orientée vers le soufisme. »
  2. Confrérie soufie, branche de l'ordre Chadhiliyya, fondée en Algérie par Ahmad al-Alawi.

Références

  1. Baudouin Eschapasse, « Kahina Bahloul, l'islamologue qui veut ouvrir une mosquée « inclusive » », sur lepoint.fr, .
  2. Virginie Larousse, « Kahina Bahloul, première imame de France : Gardons-nous de faire de l’islam une identité à part entière », Le Monde, (lire en ligne)
  3. Marie-Cécile Royen, 19 juin 2021, « Kahina Bahloul : "J'ai vraiment connu ce tournant historique où les femmes qui ne portaient pas le voile étaient menacées ou assassinées" », sur Le Vif/L'Express (consulté le )
  4. Lieven Van Mele, « Mon islam, ma liberté », sur Doorbraak (nl), .
  5. Nadia Henni-Moulaï, « Kahina Bahloul, ou le combat pour un islam érudit et décliné au féminin », sur Middle East Eye, (consulté le ).
  6. « Dimension théologico-juridique de la pensée d’Ibn ’Arabî », thèse préparée par Kahina Bahloul, sous la direction de Pierre Lory sur le site du Laboratoire d’études sur les monothéismes de l'EPHE (consulté le 12 septembre 2019).
  7. « Biographie de Bahloul Kahina », sur RCJ (Radio de la Communauté juive) (consulté le )
  8. « Aya Annika Skattum • La Maison de la Paix », sur https://lamaisondelapaix.com/ (consulté le )
  9. « Fawzia Al-Rawi: About Fawzia », sur www.fawzia-al-rawi.com (consulté le )
  10. « Fawzia Al Rawi • La Maison de la Paix », sur https://lamaisondelapaix.com/ (consulté le )
  11. Kahina Bahloul, « Kahina Bahloul : « La méditation soufie nous réunit, femmes et hommes, dans la même fraternité » », sur Le Monde, (consulté le ).
  12. Kahina Bahloul, « Et si la bid‘a [1] était d’interdire l’imamat de la femme ? », sur Les Cahiers de l'islam, .
  13. Dorothée Werner, « « Mon islam, ma liberté » : Kahina Bahloul, une imame du monde », sur Elle, publié le 14 avril 2021 (consulté le 16 avril 2021)
  14. Delphine Bancaud, « Kahina Bahloul, première imame de France : « Mon parcours est un symbole du renouveau de la pensée musulmane » », sur 20 Minutes, (consulté le ).
  15. Jacques Munier, « Ramadan Mubarak ! », sur France Culture, publié le 20 avril 2021 (consulté le 17 mai 2021).
  16. Jérôme Jadot, « "Avec des salles mixtes on revient à l'Islam premier" : à Paris, une première prière mixte crée un débat au sein de la communauté musulmane », sur France info, (consulté le ).
  17. Thibaut Sardier, « Le portrait : Kahina Bahloul, soufie d’y croire », sur Libération, publié le 13 avril 2021 (consulté le 14 avril 2021)
  18. « Biographie de Faker Korchane », sur France Culture (consulté le )
  19. Cécile Chambraud, « « C’est une possibilité de prière juste » : premier prêche pour la femme imame Kahina Bahloul », sur Le Monde, publié le 21 février 2020 - mis à jour le 22 février 2020 (consulté le 24 février 2020).

Articles connexes

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