Judaïsation de Jérusalem

La judaïsation de Jérusalem (en arabe : تهويد القدس, prononciation : Tahwid el Kodes ; en hébreu : יהוד ירושלים, prononciation : yehud yerushalim) est un néologisme créé pour décrire les mesures politiques israéliennes qui viseraient à modifier l'équilibre démographique de Jérusalem-Est en faveur de la population juive.

Le sujet est l'objet de nombreuses polémiques, Jérusalem-Est abritant des lieux saints juifs, musulmans et chrétiens.

Étymologie

Le terme de judaïsation est utilisé par la propagande antisémite dès le XIXe siècle[1]. Par exemple, Richard Wagner parle de judaïsation des arts modernes. Steven Aschheim décrit la « judaïsation » comme un mythe de l'imaginaire antisémite et défini le terme comme la croyance en l'influence disproportionnée des Juifs et en celle d'un « esprit juif » sur la nation allemande[2]. Roger Gougenot des Mousseaux invente la formule-slogan de « judaïsation des peuples chrétiens » transposée de la hantise de la « judaïsation des peuples Aryens ». Le terme est utilisé par la suite en correspondance avec celui d'« enjuivement » par les antisémites[3].

Dans des ouvrages contemporains, le peuplement d'une région par des Juifs est décrit comme une « judaïsation »[4]. Historiquement, le terme de judaïsation décrit également la mise en conformité avec la loi juive[4].

Historique

Démographie

À partir de 1844, la communauté juive orthodoxe constitue le plus important groupe religieux de Jérusalem[5]. En 1863, la ville comptait 21 000 habitants, dont 10 000 juifs, 8 000 musulmans et 3 000 chrétiens[6]. À partir de 1893, la majorité de la population de la ville était constituée de Juifs, à la suite de la première Aliyah (1881-1890)[7].

En 1947, il y avait 205 000 habitants dont 100 000 Juifs (49 %) et 105 000 Arabes et autres (51 %) dans le territoire incluant Jérusalem et les villes et villages proches dont Ein Kerem, Abu Dis, Bethléem et Shuafat[8]. En 1967, après la guerre des Six Jours, il y avait 263 307 habitants dont 195 700 Juifs (74 %) et 54 963 Arabes (21 %). En 2003, la vieille ville comptait 31 405 Arabes et 3 965 « Juifs et autres »[9]. En 2004, on comptait 706 000 habitants dont 458 000 Juifs (65 %) (dont 200 000 à Jérusalem-Est) et 225 000 Arabes (32 %). En 2019, 60,3 % des habitants de Jérusalem étaient juifs, 36,8 % musulmans et 1,4 % chrétiens[10].

Il faut ajouter à cela les colonies juives encerclant la ville (dénommées « hitnahalut » (התנחלות) en hébreu traduit par « implantations ») : au nord (Giv'at Ze'ev, Pisgat Ze'ev, Neve Yaakov, Ramat Shlomo), au sud (Goush Etzion) et à 7 km à l'est (Ma'aleh Adumim). La barrière de séparation israélienne intègre toutes ces colonies au Grand Jérusalem.

l'Assemblée de l'Organisation des Nations unies (ONU) a critiqué Israël dans plusieurs résolutions qui considèrent que des mesures administratives ou législatives altérant la composition démographique de la ville n'a aucune validité[11].

Chronologie

Des colons installés au numéro 10 de la rue Othman Ben Affan, depuis l’expulsion en 2009 de son occupante, Mariam Ghawi, à Cheikh Jarrah[12].

En 1949, à l'issue de la première guerre israélo-arabe, Jérusalem reste coupée entre sa partie occidentale israélienne et sa partie orientale (dont la totalité de la vieille ville de Jérusalem) transjordanienne. Le quartier juif est intégralement vidé de sa population juive du fait de son expulsion par l'armée jordanienne[13]. Les Juifs ne peuvent plus accéder au Mur des Lamentations. Dans les deux décennies qui suivent, l'autorité arabe détruit la synagogue Hourba comme les quatre synagogues séfarades.

En 1967, la partie occidendale de Jérusalem, incluant la vieille ville, est conquise par Israël pendant la Guerre des Six Jours. Les gouvernements israéliens successifs administrent dès lors Jérusalem dans son ensemble comme une municipalité unique et développent largement les infrastructures pour unifier la ville tout en laissant toutefois une autorité musulmane, le Waqf de Jérusalem dépendant des autorités jordaniennes, gérer les lieux saints de l'islam à Jérusalem. Israël commence à bâtir une ceinture de nouveaux quartiers juifs autour des quartiers palestiniens de la partie orientale de la ville[14].

Fondée en 1978, l'organisation juive israélienne Ateret Cohanim (hébreu: עמותת עטרת כהנים lit. "Couronne des prêtres") œuvre pour le repeuplement juif dans la vieille ville et les quartiers à majorité arabe de Jérusalem-Est par l'acquisition de maisons puis leur location à des sociétés gouvernementales ou à des familles juives[15]. Une partie significative des fonds utilisés pour acheter des maisons dans la vieille ville a pour origine de riches donateurs, pour la plupart installés aux États-Unis[16].

En 1980, l'annexion de Jérusalem-Est est complète lorsque la loi de Jérusalem est promulguée par le parlement israélien proclamant Jérusalem « une et indivisible » comme la capitale éternelle de l'État d'Israël. L'ONU a rejeté cette annexion. C'est sur ce rejet que s'appuie l'argumentaire de certaines associations dénonçant la politique israélienne en considérant que le droit international n'a pas validé que Jérusalem-Est soit réintégrée à la partie occidentale à l'issue de la guerre. Le statut de jure de ce territoire n'est toutefois pas établi en l'absence de règlement du conflit israélo-palestinien.

Le quartier de Silwan à Jérusalem-Est, à majorité palestinienne, est coupé de la Cisjordanie par le mur de séparation israélien (en arrière-plan).

Dans les années 2000, la construction d'un mur de séparation à Jérusalem-Est coupe la ville palestinienne annexée du reste de la Cisjordanie. Le mur exclut ainsi 80 000 Palestiniens de Jérusalem et boucle complètement le côté oriental de la ville[17].

En 2012, les chefs de mission de l'UE à Jérusalem et à Ramallah ont accusé Israël de « miner systématiquement la présence palestinienne dans la ville par le biais de l'expansion continue des colonies ». Raquel Rolnik, rapporteuse spéciale de l'ONU, accuse les autorités israéliennes d'adopter « un modèle de développement qui exclut les minorités, les discrimine et les déplace » à Jérusalem-Est annexée et en Cisjordanie occupée, le comparant à une « stratégie de judaïsation »[18].

En 2019, David Friedman, l'ambassadeur des États-Unis en Israël, détruit à coups de marteau un mur marquant l'entrée d'un tunnel dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est. Selon les historiens, le tunnel cacherait une ancienne voie romaine qui amenait les pèlerins juifs jusqu'au temple d'Hérode. Pour l'Autorité palestinienne, cette opération est l'expression du soutien de l'administration Trump à la judaïsation de Jérusalem. D'après les Palestiniens de Silwan, ces travaux ont pour but de les forcer à partir et ils affirment que le tunnel passe par endroits à quelques mètres sous les maisons où des fissures importantes seraient apparues, obligeant certaines familles à quitter leur domicile. Les travaux ont été réalisés par l'organisation Elad (hébreu : אלע"ד)[19].

En 2021, l'ONG israélienne Ir Amim (hébreu : עיר עמים), qui affirme être opposée à la judaïsation de Jérusalem-Est et à la défense des droits humains, estime qu'environ 200 familles de la partie orientale de la ville sont menacées d'expulsion à court terme, dont 70 de ces familles résident à Cheikh Jarrah[20].

Notes et références

  1. Jen-Paul Honoré, « Le vocabulaire de l'antisémitisme en France pendant l'affaire Dreyfus », Mots, no 2, (lire en ligne)
  2. Modernist Form and the Myth of Jewification, Neil Levi, Fordham Univ Press, 2013
  3. Judéophobie des Modernes (La): Des Lumières au Jihad mondial, Pierre-André Taguieff, Odile Jacob, 22 May 2008
  4. https://www.cnrtl.fr/definition/juda%C3%AFser
  5. (en) John Ashley Soames Grenville, A history of the world from the 20th to the 21st century, Routledge, , 2e éd., 995 p. (ISBN 0-415-28955-6, lire en ligne), p. 456.
  6. Octave van Ertborn, Souvenirs et impressions de voyage en Orient, Bruxelles : V. Devaux et Cie / Anvers : J. H. Van der Wielen, 1866-1867, 2e partie, p. 30 (lire en ligne)).
  7. (en) Justus Reid Weiner, « Is Jerusalem Being "Judaized"? », Jewish Political Studies Review, no 15:1-2, (lire en ligne).
  8. (en) UNISPAL, Official Records of the Second Session of ther General Assembly Supplement no 11, New York, (lire en ligne).
  9. Choshen 2003, p. 12
  10. Religions à Jérusalem en 2019
  11. http://www.un.org/depts/dpi/palestine/.
  12. Louis Imbert, « A Jérusalem-Est, des Palestiniens menacés d’expulsion », Le Monde, (lire en ligne)
  13. Michael J. Totten, « Between the Green Line and the Blue Line », City-journal.org.
  14. « La « judaïsation » de Jérusalem », La Croix, (lire en ligne)
  15. Claire Bastier, « Les affaires opaques de l’Eglise orthodoxe en Israël », Le Monde, (lire en ligne)
  16. Patrick Saint-Paul, « Grâce à une colonisation ciblée, Israël étend son emprise sur Jérusalem-Est », Le Figaro, (lire en ligne)
  17. Patrick Angevin, « Israël-Palestine. Le mur qui a bétonné une paix impossible », Ouest-France, (lire en ligne)
  18. « Israël : l'ONU dénonce la politique de "judaïsation" des territoires occupés », L'Express, (lire en ligne)
  19. Danièle Kriegel, « Jérusalem : la diplomatie à coups de marteau », Le Point, (lire en ligne)
  20. « Violences à Jérusalem : réactions internationales », The Times of Israel, (lire en ligne)
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