Inflation législative

L'inflation législative est la croissance du nombre et de la longueur des lois et, plus généralement, du droit. On parle aussi, plus largement, d'inflation normative (ce qui permet d'englober clairement les textes réglementaires comme les décrets, bien plus nombreux que les lois).

Manifestation

France

L'inflation législative se caractérise en premier lieu par un accroissement du nombre de lois votées. Celui-ci, après être resté relativement stable entre 1997 et 2007 (45 lois votées au cours de l'année parlementaire 2005-2006 contre 46 en 1997-1998, hors lois autorisant l'approbation ou la ratification des conventions et traités[1]), a fortement augmenté ensuite : 89 lois ont été débattues lors de la session 2008-2009 (75 entre octobre et juin, puis 14 lors de la session extraordinaire en juillet)[2]. Cela entraîne un agenda parlementaire chargé et un recours aux sessions parlementaires estivales, appelées extraordinaires car elles ont lieu en dehors de la période appelée «ordinaire» par l’article 29 de la Constitution (octobre à juin).

L'inflation législative est également représentée par un allongement des textes de loi, qui dépassent désormais souvent les 100 pages[3],[4]. Cela implique une plus longue durée de débats et de votes pour l'assemblée.

Cette inflation se manifeste dans la longueur moyenne du Journal officiel : celle-ci est ainsi passée de 15 000 pages par an dans les années 1980 à 23 000 pages annuelles ces dernières années, tandis que le Recueil des lois de l’Assemblée nationale passait de 433 pages en 1973 à 2 400 pages en 2003 et 3 721 pages en 2004[5].

En 1991, dans son Rapport public, le Conseil d'État déplore la « logorrhée législative et réglementaire » et l'instabilité « incessante et parfois sans cause » des normes. Récemment, la critique de l'inflation législative a trouvé un écho médiatique particulier, suite notamment aux critiques du vice-président du Conseil d'État Renaud Denoix de Saint-Marc[6], du président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud[7] ou du président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré. La prolifération des lois a de nouveau fait l'objet, en 2006, des critiques du Conseil d'État, qui y voit un facteur d'« insécurité juridique »[5]. En , le journal Les Échos écrivait à propos du droit social français qu'il était caractérisé par « [des] termes abscons, [un] contenu flou [et une] mise en œuvre difficile ». Philippe Masson, responsable droits et libertés de la CGT ajoutait : « Même s'il est inévitable que les règles se complexifient, il est clair qu'on est arrivé à un niveau d'obscurité trop élevé »[8]. En , le Conseil d’État publie une étude sur la mesure de l'inflation normative en France[9].

États-Unis

Dans La Liberté du choix publié en 1980, Milton Friedman rapporte une manifestation américaine de l'inflation législative : le Registre fédéral créé pour regrouper toutes les lois et règlementations faisait 2 599 pages en 1936, 10 528 en 1956, 16 850 en 1966 et 36 487 en 1978[10].

Causes

L'inflation législative est commentée depuis plusieurs siècles. Benjamin Constant, dans ses Principes de politique (1815), souligne que « la multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchans naturels, le besoin d'agir et le plaisir de se croire nécessaire »[11].

Dans son Rapport 2006, le Conseil d'État explique l'inflation législative - et, plus généralement, normative - tant par des causes « objectives et, dans une certaine mesure au moins, légitimes », que par des facteurs « pathogènes »[5]. Son rapport 2007 évoque deux autres facteurs moins importants.

La multiplication des sources du droit

La multiplication des sources du droit, tant externes - Union européenne (510 directives adoptées entre 2000 et 2004 inclus), Conseil de l'Europe, accords internationaux - qu'internes - autorités administratives indépendantes, collectivités territoriales - est l'un des facteurs expliquant la prolifération normative[5].

Une partie de l'activité législative provient ainsi de la nécessité de transposer en droit interne les directives de l'Union européenne. Sur la période 2000-2004, elle a été à l'origine de plus du tiers des lois adoptées, hors lois autorisant la ratification d’un traité, soit en moyenne 17 lois de transposition par an[5].

Les lois autorisant, en vertu de l'article 53 de la Constitution, la ratification ou l'approbation de traités ou d'accords, représentent aussi une forte proportion de la législation : au cours de la session ordinaire 2005-2006, de telles lois ont représenté 36 des 81 projets ou propositions définitivement adoptés par l’Assemblée nationale, soit 44,4 %, et cette proportion s'est élevée à 66 % pour la session ordinaire 2004-2005[12].

De nouveaux domaines

Le droit doit aussi s'adapter constamment à l'émergence de nouveaux domaines et à l'apparition de contraintes nouvelles.

En matière économique, de nombreux aspects du droit des affaires font ainsi l'objet d'adaptations à un environnement mondialisé. La libéralisation de nouveaux secteurs (transports, télécommunications, énergie, etc.) requiert l'instauration de règles nouvelles.

Dans le domaine scientifique, le développement des biotechnologies rend nécessaire la révision régulière des lois sur la bioéthique. L'essor des technologies de l'information et de la communication a notamment suscité la mise en place d'un cadre juridique adapté au développement de l'économie numérique et une nouvelle approche de la propriété intellectuelle. La nécessité de la sauvegarde de l'environnement et du développement durable entraîne aussi l'intervention fréquente du législateur.

Les facteurs « pathogènes »

« Pour frapper l’opinion ou répondre aux sollicitations des différents groupes sociaux, l’action politique a pris la forme d’une gesticulation législative » déplorait Renaud Denoix de Saint-Marc en 2001[6].

Le fait que l'action politique soit prioritairement orientée en fonction de la communication médiatique a été maintes fois dénoncé. Selon la formule du constitutionnaliste Guy Carcassonne, « tout sujet d’un “vingt heures” est virtuellement une loi ». Il ajoute qu'« il faut mais il suffit, qu’il soit suffisamment excitant, qu’il s’agisse d’exciter la compassion, la passion, ou l’indignation, pour qu’instantanément se mette à l’œuvre un processus, tantôt dans les rangs gouvernementaux, tantôt dans les rangs parlementaires, qui va immanquablement aboutir au dépôt d’un projet ou d’une proposition. »[13] C'est ainsi par exemple qu'à la rentrée 2007, à la suite de plusieurs accidents, parfois mortels, impliquant des chiens, cinq propositions de loi sur les chiens dangereux ont été déposées à l'Assemblée nationale et une au Sénat, avant que le Gouvernement ne dépose à son tour un projet de loi[14].

Les facteurs endogènes

Il s'agit là de facteurs internes à la machine administrative et ministérielle, des facteurs relevant du mécanisme de facto de conception des textes officiels.

Le rapport 2007 du Conseil d’État [15] évoque deux autres origines de l’inflation normative :

  • des « dispositions dont l’utilité et la pertinence sont douteuses »
  • « la tendance de l’administration à prendre des textes d’un niveau supérieur à celui qui résulte de la hiérarchie des normes ».

Pour aller plus loin : le billet du professeur Rolin, répondant au Conseil d'État : Le rapport 2006 du Conseil d'État "sécurité juridique et complexité du droit" : quelques observations impertinentes.

Conséquences

Un calendrier parlementaire trop chargé a de nombreuses conséquences : des lois mal finalisées, qui se chevauchent voire se contredisent avec d'autres textes existants ; des décrets d'application qui ne sont pas publiés ou uniquement en partie[16], soit par oubli, soit parce que l'appareil juridique ne suit pas le rythme. Sans ces décrets, la loi votée ne peut être appliquée et n'est donc d'aucune utilité.

Mesures prises

Partant du constat que le code du travail « était devenu un outil difficile d'accès et peu lisible », le ministère du travail français a lancé en 2005 une révision du code, à droit constant. Il a été légèrement réduit (1,52 million de caractères contre 1,69 million auparavant) et découpé en plus petits articles[8].

Les services du Premier ministre ont publié, sur Legifrance, des statistiques du volume des textes officiels depuis 1978. Cela fait partie d'une tentative plus globale du Secrétariat Général du Gouvernement de pousser les ministères à améliorer la qualité des textes.

Le , constatant qu'« en multipliant les lois, on leur enlève évidemment leur solennité et donc leur efficacité », le sénateur de l'Aveyron Alain Marc propose de créer une commission d'enquête relative à l'inflation législative en France[17], « sur ses causes et sur les réponses qui peuvent y être apportées ».

Pour aller plus loin sur les tentatives de remédier à l'inflation normative, voir le point de vue d'un juriste veilleur : L’"insécurité législative" : causes, effets et parades.

Notes et références

  1. Sénat, Le contrôle de l'application des lois : Synthèse des travaux des commissions permanentes au 30 septembre 2006 : 58e rapport : année parlementaire 2005-2006.
  2. Une session extraordinaire de plus pour les députés, 20 minutes, 02 juillet 2009
  3. Sauvé, Jean-Marc, allocution d'ouverture des Sixièmes rencontres internationales de la gestion publique : « Mieux légiférer, améliorer la qualité réglementaire », 5 juillet 2007.
  4. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales représente ainsi 231 pages dans le Journal officiel.
  5. Conseil d'État, Rapport public 2006 : Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, Paris : La Documentation française, 2006.
  6. Denoix de Saint-Marc, Renaud, Trop de lois tue la loi, entretien au Journal du Dimanche, 21 janvier 2001.
  7. Voir notamment : Mazeaud, Pierre, Vœux du Président du Conseil constitutionnel, M. Pierre Mazeaud, au Président de la République, 3 janvier 2005.
  8. Complexité du droit social : les DRH n'en peuvent plus, Les Échos, 29 janvier 2008, p.10
  9. « Mesurer l’inflation normative », sur Conseil d'État (consulté le ).
  10. Milton Friedman, La Liberté du choix, pages 176-7
  11. Etienne Hofmann, Les Principes de politique de Benjamin Constant, Librairie Droz, (ISBN 978-2-600-04726-5, lire en ligne)
  12. Assemblée nationale, Statistiques de l'activité parlementaire à l'Assemblée nationale : XIIe législature (2002-2007).
  13. Carcassonne, Guy, intervention à la conférence « Qui inspire les réformes pénales ? », 23 février 2006.
  14. Propositions de loi n°204, 208, 211, 213 et 235 à l'Assemblée nationale, proposition de loi n°444 au Sénat, et projet de loi n°29.
  15. Conseil d'État, Rapport public 2007 : L'administration française et l'Union européenne : Quelles influences ? Quelles stratégies ?, collection Etudes et documents n° 58
  16. Beaucoup de lois pour peu d'effets, l'Express, 19 janvier 2010
  17. http://www.senat.fr/leg/ppr14-268.html Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête relative à l'inflation législative, présentée par M. Alain Marc, sénateur.

Bibliographie

  • Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté, 1973-1979, (ISBN 2-13-056496-8)
  • Philippe Sassier et Dominique Lansoy, Ubu Loi, Fayard, 2008
  • Thomas Piazzon, "La sécurité juridique", Defrénois, 2009, (ISBN 978-2-85623-158-6). Prix Choucri Cardahi de l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Prix de thèse de l’Université Panthéon-Assas (Paris II). Bibliographie p. 593–612
  • Cédric Parren, Le silence de la loi, Les Belles Lettres, 2014
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