Front national des musiciens

Connu sous plusieurs appellations, dont Comité de Front national des musiciens, le Front national des musiciens est une organisation de la résistance créée à l’instigation du Parti communiste français, en mai 1941, et animée par Elsa Barraine et Roger Désormière.

Origine

Elsa Barraine, Roger Désormière et Louis Durey (ces derniers militants communistes) se rencontrèrent à l’automne 1940. Le groupe, animé par Elsa Barraine, publia un manifeste en septembre 1941 dans la revue clandestine créée par Jacques Decour, L'Université libre Nous refusons de trahir », déclaraient les musiciens). Le groupe publia à partir d’avril 1942 sa propre revue clandestine, Musiciens d'aujourd'hui (incorporée à partir de mars 1944 dans Les Lettres françaises) puis, à partir de septembre 1943, une seconde revue, Le Musicien Patriote. Barraine, Auric, Désormière et d'autres tentaient par ce moyen de contrer la propagande allemande ou Vichyste (notamment dans Comœdia ou sur Radio-Paris), dénonçaient les collaborateurs, encourageaient les musiciens à la résistance, exaltaient les succès remportés ici ou là, tels que les concerts (plus ou moins confidentiels) programmant des œuvres de compositeurs interdits. Ils faisaient également connaître les dernières actions des FTP.

Membres et proches

Le groupe compta au maximum une trentaine de membres, dont : Francis Poulenc, Georges Auric, Arthur Honegger (son attitude paraissant ambiguë, il fut radié en 1943), Irène Joachim, (Alexis) Roland-Manuel, Claude Delvincourt (entouré de l’organiste Marie-Louise Boëllmann, Henri Dutilleux et de Jacques Chailley il créa l’Orchestre des Cadets du Conservatoire pour sauver les jeunes musiciens du STO), Manuel Rosenthal, Charles Munch et Paul Paray.

Liées à plusieurs des membres du FNM, Lily Pastré ou Marguerite Fournier offrirent l'hospitalité à de nombreux musiciens en détresse.

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La résistance des musiciens prit de nombreuses formes : Désormière aida les musiciens dans l'adversité, par exemple en publiant sous son propre nom les partitions de Jean Wiéner pour des films de Louis Daquin, Paul Grimault, Robert Vernay. Il veilla à maintenir les compositeurs français dans les programmes de ses concerts et enregistrements.

Une autre forme de résistance consista à donner des concerts comportant des œuvres interdites, dans le cadre des Concerts de la Pléiade lancés par Gaston Gallimard à partir de 1943, par exemple. Il put s'agir aussi de louer le patrimoine musical français, en prenant la défense de Debussy comme représentant de l'école française, alors que d'autres auraient voulu en faire un wagnérien.

Tandis que certains compositeurs cessaient de composer (Durey, et dans une moindre mesure Auric), d'autres pratiquèrent la contrebande musicale : il s’agissait de jouer devant les Allemands des fragments d’airs patriotiques insérés dans d’autres œuvres. Poulenc inséra un passage de Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine dans la partition des Animaux modèles ; Auric cita quelques notes de la Marseillaise à la fin de La Rose et le Réséda. Dans le même ordre d'idées, un instrumentiste de l’Opéra Garnier fit entendre quelques notes de la Marseillaise lors d’une représentation de Carmen.

Dans l'esprit des membres du FNM, mettre des poèmes en musique permettait à la fois de souligner la richesse de la littérature française, de faire connaître des textes d'auteurs interdits et pour certains publiés clandestinement (Aragon, Eluard, Vercors, Jean Cassou, Charles Vildrac, Supervielle) et d'aborder des thèmes provocateurs ou subversifs : Poulenc chanta la paix en 1938, à la suite de la crise de Munich, dans Priez pour paix (poème de Charles d'Orléans) ; Jean Françaix glissa un éloge de la paix dans la deuxième partie de sa Cantate pour le tricentenaire de Maximilien de Béthune Duc de Sully (1941) ; Paul Arma chanta la liberté en mettant en musique Fuero de Vercors (1944, dans l'un des Chants du Silence), et Dutilleux fit de même avec La Geôle de Cassou, ainsi que Poulenc avec Liberté d'Eluard (Figure humaine, 1943).

Certaines œuvres furent de véritables appels à la résistance : Barraine composa en mai 1944 sur Avis qu'Eluard avait dédié à la mémoire d'un résistant fusillé par les Allemands et dans lequel il évoque les millions de camarades prêts à se lever pour le venger. L'œuvre ne put être exécutée qu'à la fin de la guerre.

À la jeunesse, d'Arma (Les Chants du silence, créé après la guerre), reprend un texte de Romain Rolland encourageant les jeunes à se battre et à réussir là où leurs aînés ont échoué. Dans La Rose et le réséda mis en musique par Auric en 1943, Aragon appelle les Français à transcender les clivages pour résister à l'ennemi commun.

Le même Auric (Quatre chants de la France malheureuse) reprit Le petit bois de Jules Supervielle (Poèmes de la France Malheureuse, 1939-41) dans laquelle ledit bois refuse de disparaître : « Mon Dieu comme il est difficile / D’être un petit bois disparu / Lorsqu’on avait tant de racines / Comment faire pour n’être plus. »

Le même genre d'allusion stimulante figure dans Prière du Prophète Jérémie (Deux prières pour les temps malheureux, musique de Manuel Rosenthal, 1942) :"Notre héritage a passé à des étrangers, nos maisons à des gens du dehors." Le texte est bien tiré du Livre des Lamentations de Jérémie, prophète biblique.

Deux poèmes de Maurice Fombeure mis en musique par Poulenc (Chansons villageoises, 1942) contiennent aussi des allusions : une menace adressée aux ennemis à la fin du poème Le Mendiant (« Tremblez, ah maudite race / Qui n'avez point de pitié ») et une référence à la croix de Lorraine dans Chanson du clair tamis.

Le compositeur Honegger offre un cas particulier puisqu'il fut soupçonné de collaboration. Il reste qu'il composa la musique des films Secrets (1942) et ''Un seul amour'' (1943) réalisés par un résistant, Pierre Blanchar, (membre du Comité de Salut Public du Cinéma Français formé en 1943, devenu ensuite le Comité de libération du cinéma, qu'il préside à partir du 19 septembre 1944). On pourra également penser à sa deuxième symphonie (terminée en 1941), marquée par le drame de l'occupation, dont le finale annonce toutefois une lueur d'espoir.

Autres œuvres

Parmi les œuvres qui n'ont pas été citées plus haut figurent :

- d'Auric, Six poèmes de Paul Éluard (1940-41), et Quatre Chants de la France malheureuse (1943, textes de Supervielle, Eluard et Aragon).

- de Poulenc, la cantate Figure humaine (1943, publiée clandestinement), comprenant huit poèmes d'Éluard ; Un soir de neige (1944, texte d'Eluard) et deux œuvres sur des poèmes d'Aragon, C et Fêtes galantes (1943).

- d'Henri Dutilleux, La Geôle. Dutilleux rejoignit le Front national des Musiciens en 1942 : c'est ainsi qu'il put découvrir les Trente-trois sonnets composés au secret, de Jean Cassou: La Geôle fut créée le 9 novembre 1944 par Gérard Souzay avec Manuel Rosenthal à la tête de l'Orchestre national de France. On rappellera aussi que Dutilleux refusa de jouer pour Radio-Paris.

- d'Arma, Chants du Silence, onze mélodies composées de 1942 à 1945 par lesquelles : Depuis toujours (Cassou), Confiance (Eluard), Chant du désespéré (Vildrac).

- d'Henri Sauguet, Force et faiblesse (1943, poèmes de Paul Eluard); Bêtes et méchants (1944, poème de Paul Eluard); Chant funébre pour nouveaux héros (1944, poème de Pierre Séghers)

Les « Concerts de la Pléiade »

Ces concerts furent lancés à partir de 1943 par Gaston Gallimard, sur une idée de Denise Tual qui les organisa avec le concours d'André Schaeffner.

Furent mobilisés pour cette entreprise l'Orchestre Hewitt dirigé par Maurice Hewitt[1], puis l'Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire sous la direction de Fernand Lamy (cofondateur des Jeunesses Musicales de France), André Cluytens, Charles Münch, Roger Désormière… Les chorales Émile Passani, puis Yvonne Gouverné firent de fréquentes apparitions.

Les cinq premiers concerts, donnés à la Galerie Charpentier, furent privés. Le premier eut lieu le 8 février 1943. Le premier spectacle public eut lieu à la salle Gaveau (répétition générale le 20 juin 1943, réservée aux Jeunesses musicales de France, puis concert le 21 juin). Plus tard, les concerts eurent lieu à la Salle du Conservatoire.

Les programmes comportèrent exclusivement des œuvres françaises, certaines anciennes, d'autres récentes voire inédites (entre autres, Olivier Messiaen, Visions de l’Amen, 10 mai 1943 ; Francis Poulenc, Chansons villageoises, le 28 juin 1943 ; le 4 avril 1944 : Jean-Jacques Grünenwald, Concert d’été et André Jolivet, Poèmes intimes - textes de Louis Émié chantés par Pierre Bernac). Parmi les autres compositeurs vivants figurèrent Henri Sauguet, Jean Françaix, Henri Dutilleux, Igor Stravinsky, Maurice Ravel (mort en 1937), Georges Auric, Maurice Delage. Parmi les plus jeunes compositeurs, on peut citer Léo Preger (Ajaccio, 27-01-1907 - Ajaccio, 25-12-1965, lauréat du Prix Biarritz 1951), Michel Ciry, Raymond Gallois-Montbrun ou Émile Damais.

Les interprètes ne peuvent pas être tous cités. On mentionnera Irène Joachim et Jacques Jansen (par ailleurs interprètes de l'enregistrement de Pelléas et Mélisande sous la baguette de Roger Désormière en 1941).

Les concerts se poursuivirent jusqu'en 1947.

D'autres musiciens résistants

À l’opéra Garnier, d'autres groupes de résistants se constituèrent : celui des musiciens, et celui des machinistes autour de Jean Rieussec et Eugène Germain, issus de la CGT (interdite). Ce dernier groupe fut très actif, multipliant la diffusion de tracts, l’aide aux juifs, aux réfractaires au STO, aux familles de prisonniers (à l’épouse de Jean Hugues, membre de ce groupe arrêté le 28 avril 1942, déporté vers Auschwitz le 6 juillet 1942, et mort à Birkenau le 16 janvier 1943), enregistrement de chansons appelant à la lutte, participation aux combats pour la Libération de Paris.

D'autres personnes proches du milieu de la musique résistèrent dans d'autres structures. Ce fut le cas, par exemple, de Raymond Deiss, imprimeur et éditeur de musique, membre de l'Armée des Volontaires, qui lança un journal clandestin, Pantagruel, dès octobre 1940 et jusqu'à son arrestation, un an plus tard.

Notes et références

  1. L'orchestre participa à plusieurs des concerts de la Pléiade. Membre d'un groupe de résistants affilié au réseau de Maurice Buckmaster, arrêté fin 1943, Hewitt (Asnières 1884-1971) arriva à Buchenwald en janvier 1944. A son retour, il reprit sa carrière musicale. Voir BUCHENWALD PAR SES TEMOINS, Histoire et dictionnaire du camp de concentration de Buchenwald-Dora et de ses kommandos (1937-1945), éditions Belin, 2014.

Article connexe

Bibliographie

  • Myriam Chimènes (dir.), La vie musicale sous Vichy, Éditions Complexe, coll. « Histoire du temps présent », .
  • Myriam Chimènes et Yannick Simon (dir.), La Musique à Paris sous l’Occupation, Fayard, .
  • Daniel Virieux, Le Front National de lutte pour la liberté et l'indépendance de la France, Un mouvement de résistance. Période clandestine (mai 1941-août 1944) (thèse de doctorat), Université Paris VIII, .
  • Yannick Simon, Composer sous Vichy, Symétrie, .
  • Guy Hervy, Guy Krivopissko, Aurélien Poidevin et Axel Porin, Quand l’Opéra entre en Résistance, Œil d’Or, .
  • Un air de résistance à l’Opéra, documentaire d’Emmanuel Roblin, 2013
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