Daniel Spoerri

Daniel Spoerri, pseudonyme de Daniel Isaak Feinstein, né le à Galați (Roumanie), est un artiste plasticien suisse, d'origine roumaine.

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Biographie

Daniel Spoerri est l'aîné d'une fratrie de six enfants. Leur père, Isaac Feinstein, était un libraire juif roumain converti au protestantisme ; leur mère, Lydia Spoerri, était une évangéliste baptiste suisse. Isaac Feinstein fut assassiné lors du pogrom de Iași en 1941. Lydia Feinstein réussit à faire émigrer toute sa famille en Suisse, où tous prirent le nom de Spoerri. Faute d'autre solution, les enfants furent placés auprès de différents membres de la famille en Suisse et Daniel fut recueilli en 1942 par son oncle maternel, le professeur Theophil Spoerri, à Zurich[1].

Daniel Spoerri rencontre Jean Tinguely à Bâle en 1949. Il apprend la danse à l'école de danse de l'Opéra de Zurich et dans différents stages notamment avec la danseuse Olga Preobrajenska et le mime Étienne Decroux. Il commence ensuite une carrière de danseur à l'Opéra de Berne (1954-1957), dont il devient premier danseur, avant de se consacrer au théâtre comme metteur en scène, dont La Cantatrice chauve, acteur, mime et décorateur. Il devient assistant au Landestheater de Darmstadt. Parallèlement, il compose de la poésie concrète.

En 1957, il fonde la revue « Material », un journal de poésie concrète en collaboration avec Josef Albers, Louis Aragon, Helmut Heissenbüttel, Eugen Gomringer, Dieter Roth.

En 1959, après la rupture avec le Landestheater en raison de ses positions sur le théâtre classique, il s'installe à Paris où il crée les éditions MAT (Multiplication d’Art Transformable). La première exposition a eu lieu du 27 novembre au 19 décembre 1959 à la galerie Edouard Loeb, rue de Rennes à Paris. C’est sa première tentative de multiplication d’œuvres d’art en dehors des procédés habituels (lithographie, gravure, bronze, tapisserie etc.). L'objectif des Éditions MAT était de produire des objets d'origine dans une série aussi peu coûteuse que possible. L’édition originale d’objets multipliés est limitée a 100 exemplaires numérotés et signés par l’artiste et tous ont été évalués à 20 000 francs français (environ 400 $ aujourd'hui). Chaque multiple d'un «original» introduit inévitablement quelque chose de son créateur et, en tant que tel, gagne un certain «caractère unique». L'idée est plus importante que la signature personnelle de l’artiste. Les artistes contributeurs étaient Yaacov Agam, Pol Bury, Marcel Duchamp, Bruno Munari, Dieter Roth, Jésus Rafael Soto, Jean Tinguely, Victor Vasarely, Hans Arp, Christo, Enrico Baj… L'idée n'était pas de faire des reproductions dans le sens habituel, mais de faire de multiples originaux, principalement des objets cinétiques, encourageant souvent l'intervention du spectateur. Spoerri réalisera un catalogue de la première exposition de l'édition MAT, recensant les différentes œuvres originales des artistes.

Il invente en 1960 ses premiers « tableaux-pièges » en collant sur des planches des objets quotidiens ramassés dans sa chambre d'hôtel, qui acquièrent une présence insolite en passant d'un plan horizontal à un plan vertical. Ce travail le conduit à rejoindre le groupe des Nouveaux réalistes lors de sa fondation en 1960 : « Je ne mets, dit-il, qu'un peu de colle sous les objets, je ne me permets aucune créativité[2]. » Il fixe ainsi des étalages du marché aux puces ou des rebuts entassés dans un tiroir. Il présente ses premiers tableaux-pièges au Festival d'art d'avant-garde à Paris. Spoerri fixe un moment défini, en collant les objets (par exemple, les restes d'un repas), tels qu'ils se trouvaient lorsqu'il entreprend le travail.

En 1962, Spoerri rédige sa Topographie anecdotée du hasard, description minutieuse d'objets présents sur la table de sa chambre et évocation de ce qu'elles suggèrent. Il poursuit dans cette démarche de transfiguration du réel avec ses Détrompe-l'œil (1963), dans lesquels des objets du quotidien détournent et mettent en cause l'image à laquelle ils sont ajoutés : par exemple dans La Douche, il fixe une robinetterie de salle de bains sur un tableau représentant un torrent de montagne. Avec Robert Filliou, il propose en 1964 les Pièges à mots, montages visuels qui matérialisent des expressions toutes faites.

En 1963, Spoerri commence à collectionner des repas à la Galerie J., alors qu'il est en contact avec George Maciunas et Fluxus. Il ouvre ensuite un restaurant Spoerri à Düsseldorf en 1968, servant de la nourriture préparée par lui-même, puis une Eat-Art Gallery, où il invite clients et artistes à confectionner des œuvres comestibles comme les personnages en pain d'épices de Richard Lindner ou les sucres d'orge de César. Il devient célèbre en collant les restes et les plats du repas à la table, tels que le client les avait laissés, pour réaliser des tableaux-pièges. Il collectionne également les recettes de cuisine et imagine des rites gastronomiques extravagants (J'aime les keftédès, 1970).

À partir de 1967, dans l'île grecque de Symi, Spoerri joue de la charge magique des objets avec ses Conserves de magie à la noix, qu'il prolonge au début des années 1970 avec des Natures mortes constituées de cadavres d'animaux, affirmant l'ambiguïté du piégeage par rapport à la mort et à la conservation. Au cours de la décennie suivante, il devient assembleur, transformant en idoles parodiques formes à chapeaux, hachoirs à viande ou instruments orthopédiques ; certains de ces assemblages sont ensuite fondus en bronze. Son goût pour les masques et les objets cultuels s'exprime dans des « objets ethnosyncrétiques » qui rassemblent masques primitifs, rebuts des Puces et signes religieux, pour tourner en dérision toute croyance et toute convention artistique.

Il va encore plus loin dans le concept d'évacuation de toute créativité, faisant supprimer certaines de ses œuvres en brevet par des tiers (notamment par un enfant de onze ans), les tableaux portant au dos un texte de l'artiste, une signature et une date. À la question posée devant les tribunaux de savoir s'il fallait considérer ces tableaux comme d'authentiques œuvres de Spoerri, la jurisprudence a répondu négativement[3].

En 1972, le Centre national d'art contemporain de Paris lui consacre une rétrospective. Dans les années 1990, il donne un one man show au Centre Georges-Pompidou à Paris.

Le , dans le parc du Montcel à Jouy-en-Josas, Spoerri réalise une performance artistique, intitulée L'Enterrement du tableau-piège[4] et également qualifiée de « déjeuner sous l'herbe »[5] : un groupe d'une centaine d'amis (parmi lesquels des artistes et écrivains comme César[5], Arman[5], Pierre Soulages[5], Erró[4], Jean-Pierre Raynaud[4], Catherine Millet[5] et Alain Robbe-Grillet[4]) est convié à un banquet dont les tables, les couverts et les restes sont ensuite enfouis dans une tranchée de 40 mètres[4] (rappelant à Spoerri celle où fut jeté le cadavre de son père, avec 13 000 autres membres de la communauté juive de Iași). Un archéologue, Eric Godet, a l'idée de déterrer l'œuvre dès 1987 mais, malgré l'accord de l'artiste, le projet est abandonné quand Godet décide de devenir moine[4]. L'idée resurgit en 2010 sous l'impulsion de l'anthropologue Bernard Müller : des archéologues de l'INRAP dirigés par le professeur Jean-Paul Demoule mettent alors à jour un tronçon de 6 mètres équivalant à deux tables[4] et utilisent cette fouille pour étudier notamment la taphonomie contemporaine[5] mais aussi vérifier les témoignages d'époque et analyser les choix gastronomiques des artistes de l'époque[4]. Le documentaire Le Déjeuner sous l'herbe réalisé par Laurent Védrine raconte le déroulement de ces premières fouilles archéologiques de l'art contemporain[6].

Il est élu membre de l'Académie des arts de Berlin en 1984[7].

Topographie anecdotée du hasard

Le livre intitulé Topographie anecdotée du hasard, apparut lors de sa première exposition à la galerie Lawrence à Paris, en 1962. À cette époque il vit à l’hôtel Carcassonne, cinquième étage, chambre numéro 13, à Paris. À l'entrée de la chambre se trouve une table peinte en bleu par sa femme Vera. Daniel Spoerri va alors lever sur du calque la topographie des 80 objets se trouvant dessus, le 17 octobre 1961 à exactement 15h47. Chaque objet se voit attribué, de manière arbitraire, un numéro puis une brève description ainsi que des fragments de mémoires qu'ils évoquent. De plus, la relation des références et des descriptions faites génèrent et mettent en évidence des rapports avec ces objets hétéroclites. La Topographie anecdotée du hasard est imprimée sous la forme d'une petite brochure de 53 pages munie d'une carte dépliable et d'un index qui furent distribués lors du vernissage. Cette édition n'est pas seulement un catalogue d'objets aléatoires, il offre une vue d'ensemble cohérente et relationnelle entre les divers voyages et amis de Daniel Spoerri à cette époque.

La Topographie anecdotée du hasard a été nommée « quasi-autobiographical Tour de Force ». En 1966, le Something Else Press publia une traduction anglaise à New York de l'édition réalisé par Emmett Williams et renommé : An Anecdoted Topography of Chance (Re-Anecdoted Version). Roland Topor ajouta des croquis de chaque objet, quant à Emmett Williams ou Daniel Spoerri ceux-ci ajoutèrent au hasard des annotations. Un grand nombre d'éléments fut ajouté par la suite à l'index faisant de ce livre une référence et un classique. Il fut traduit en allemand en 1968 puis une réédition de l'originale vit le jour à Paris en 1995 grâce au Centre Pompidou. En 1995, une version anglaise a été publié par l'Atlas Press (en) à Londres, avec des annotations supplémentaires, ainsi que tous les textes de Dieter Roth.

Expositions

2003
  • KunstHaus Vienne
  • County Hall Gallery, Londres
  • Musée sentimental du Giardino, Kunsthaus Grenchen (Suisse)
2004
2005
  • Daniel Spoerri – Meister des Zufalls, Musée d’art et d’histoire, Fribourg.
  • Kleines Raritätenkabinett der Künstler des Giardino, Espace Niki de St. Phalle + J. Tinguely, Fribourg.
  • Prillwitzer Idole, Fondation Grard, Gijverinkhoven (Ostende)
  • Fondazione Mudima, Mailand

Exposition collective à son initiative

Il Giardino di Daniel Spoerri rassemble ses propres œuvres et celle d'autres œuvres d'artistes amis suisses et italiens, exposées dans son domaine depuis les années 1990.

Annexes

Bibliographie

Vidéographie

  • Daniel Spoerri, film réalisé par Camille Guichard avec la participation d'Anne Tronche, 52 min, 1997, une production Terra Luna Films, France 5, Centre Georges Pompidou (Édition DVD RMN in coffret Le Nouveau Réalisme).
  • Le Déjeuner sous l'herbe, film réalisé par Laurent Védrine, 52 min, 2011, une production Tingo Films, INRAP, Société du Déterrement du Tableau Piège.

Articles connexes

Notes et références

  1. (de)Theophil Spoerri, Lydias Dankhefte: Ein Sohn auf den Spuren seiner Mutter, Theodor Boder Verlag, Mumpf (Suisse), 2014, 304 pages, (ISBN 9783905802542), p. 16-25
  2. cité par le Dictionnaire de l'Art moderne et contemporain, p. 638
  3. En dernier lieu : Cass. 1re civ., 15 novembre 2005 : Juris-Data no 2005-030716, [Légifrance]. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que Daniel Spoerri n'était pas l'auteur « effectif » d'une œuvre intitulée Mon petit déjeuner (1972), tableau-piège exécuté, à l'occasion d'une exposition à Paris, par un enfant de onze ans, et accompagné d'un « brevet de garantie » délivré par Spoerri. L'œuvre ayant été adjugée pour 38 325 francs (5 842 euros) dans une vente aux enchères, l'acheteur, estimant avoir été trompé, a poursuivi le commissaire-priseur. La cour d'appel de Paris l'a débouté de sa demande en octobre 2003, mais la Cour de cassation a cassé l'arrêt et annulé la vente. Remise en vente, l'œuvre a été vendue 27 814 euros (Edouard Launet, « Spoerri, un «Petit Déjeuner» mal digéré », Libération, 30 décembre 2006). On peut s'interroger sur le caractère obsolète de cette prise de position tant l'entreprise de dynamitage de la notion d'œuvre d'art commencée notamment par Marcel Duchamp (on pense à ses ready-made et tout particulièrement au sort réservé à Fountain lors d'une exposition) semble avoir atteint un tournant irréversible.
  4. Michel Guerrin, « Vingt-sept ans après Le Déjeuner sous l'herbe, l'œuvre d'art de Spoerri sort de terre », Le Monde, , p. 21
  5. Bruno D. Cot, « "Le déjeuner sous l'herbe" de Daniel Spoerri revoit le jour », sur lexpress.fr, (consulté le )
  6. Le Déjeuner sous l'herbe.
  7. (de) Daniel Spoerri - Von 1984 bis 1993 Mitglied der Akademie der Künste, Berlin (West), Sektion Bildende Kunst. Seit 2008 Mitglied der Akademie der Künste, Berlin, Sektion Bildende Kunst sur le site de l'Akademie der Künste

Liens externes

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