Charles Ratton

Charles Ratton, né le 11 mars 1895 à Mâcon et mort le 21 juillet 1986 à Villefranche-sur-Mer, est un collectionneur, un marchand d'art et un galeriste, qui se passionna dans l'entre-deux-guerres pour les arts dits « primitifs » et contribua à les faire connaître. Par ses recherches, il a changé le regard sur ces œuvres. Il participa également après la Seconde Guerre mondiale à l'émergence de l'art brut.

Historique

Origine et formation

Charles Ratton est né à Mâcon, fils d’un chapelier. Durant la Première Guerre mondiale, il s'engage en octobre 1915 et sert dans un régiment d'artillerie lourde comme canonnier chauffeur. Il est ensuite motocycliste puis est affecté à un état-major où il est notamment en contact avec des officiers américains[1]. Dans l'entre-deux-guerres, il vient étudier l’archéologie médiévale à Paris. En 1923, il est diplômé de l’École du Louvre.

Il se spécialise tout d'abord dans les objets de la « haute époque », ce terme désignant dans sa profession les meubles et objets d'art du Moyen Âge au XVIIe siècle[2]. Le 19 mars 1927, il obtient l'autorisation de s'installer comme « brocanteur à demeure », au 39 rue Laffitte[3]. Mais le fait d'avoir effectué des études d'histoire de l'art le différencie d'une bonne partie de ces collègues brocanteurs, antiquaires et marchands.

Dès les années 1920, il s'intéresse à l'Afrique, et fréquente les surréalistes. À la même époque, un autre marchand d'art proche de Guillaume Apollinaire, Paul Guillaume, déclare que « l'art nègre est à la mode ».

L'ami des surréalistes et le spécialiste des cultures oubliées ou méprisées

Il devient un proche de nombreux artistes d'avant-garde, notamment Tristan Tzara, Roland Tual, André Breton, Paul Éluard, Joan Miró, Man Ray. Il est qualifié de « maniaque de la beauté » par Éluard, et fait figure auprès de ses amis de «marchand érudit» et de «connaisseur des civilisations mal connues»[3]. Lui-même raconte que sa passion pour l'art africain puis pour les œuvres des premières civilisations américaines et océaniques est née de l’achat pour le compte du peintre Angel Zarraga d’une sculpture représentant un serpent cornu engloutissant une tête d’homme. L'achat effectué, il gardera en fait cette statuette toute sa vie[2].

En 1930, il organise avec Tristan Tzara et Pierre Loeb une exposition d’art africain et océanien à la galerie du théâtre Pigalle[4], qui fait sensation. « L’exposition d’art nègre et océanien au théâtre Pigalle a irrité la pudeur de tous les gardiens de la morale », lit-on dans la revue Cahiers d'art relatant l'événement[5]. En 1931, il participe à l'Exposition ethnographique des colonies françaises, au musée d’Ethnographie du Trocadéro. Pour autant, il se garde de signer le document anticolonialiste diffusé par ses amis surréalistes au moment de cette exposition[2].

En juillet de même année, il organise la vente d'objets des collections d'André Breton et de Paul Éluard, en difficultés financières, avec des montants bien au-delà de leurs espérances. Et toujours en 1931, en décembre, il intervient comme expert pour la vente d'objets appartenant à Georges de Miré, un des tout premiers collectionneurs d'art africain[3]. Il réussit à changer le regard sur ces œuvres, à les associer aux recherches artistiques les plus modernes, à créer un intérêt, n'hésitant pas à faire la « réclame » pour ses galeries et ses expositions, continuant aussi à surprendre en ouvrant de nouveaux horizons. En 1932, il se voit confier par le musée d'ethnographie du Trocadéro, futur musée de l'Homme, la conception de l'une de ses premières expositions temporaires consacrée aux arts de la cour, bronzes et ivoires, du royaume du Bénin, faisant entrevoir l'âge d'or d'une civilisation oubliée au milieu artistique et intellectuel parisien. En 1933, il organise une exposition de sculptures et d'objets à la Villa Guibert.

Le 31 janvier 1935 il épouse Divonne de Saint Villemer, née Charlotte Augé. Leur liaison date de plus d'une décennie. Mme de Saint-Villemer fréquente les milieux intellectuels et a été peut être à l'origine des premiers contacts de Charles Ratton avec les Surréalistes. Elle s'emploie à partager sa passion, et à l'aider à réussir dans son activité en développant encore son réseau auprès d'artistes, d'amateurs, d'acheteurs, de prêteurs, etc. « Lorsqu'il en parlait, on comprenait qu'elle représentait à ses yeux la seule personne avec qui il aima partager quelque chose »[10].

Charles Ratton comprend également que le marché de l'art se mondialise et décide de prendre pied aux États-Unis. En 1935, il a l'opportunité d'organiser une exposition, African Negro Art, au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Toujours à New York, il organise également une autre exposition, African Sculptures from The Ratton Collection, à la galerie de Pierre Matisse, le fils du peintre Henri Matisse. De retour en France, il présente dans sa galerie parisienne une exposition consacrée aux masques et ivoires esquimaux et de la côte Nord-Ouest de l’Amérique[3].

En mai 1936, s'échappant momentanément des arts premiers, Charles Ratton organise dans sa galerie parisienne une exposition surréaliste d'objets d'Éluard, de Breton, de Picasso, d'Arp, de Dali et de Tanguy[11].

Le nouveau conflit mondial et l'occupation allemande

À 45 ans, Charles Ratton est mobilisé du 25 mars 1940 au 6 juillet de la même année[12].

Il reste ensuite à Paris pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale et notamment l'occupation allemande. Sans s’afficher avec l’Occupant, il vend des pièces à Maria Almas-Dietrich, marchand d'art fournissant les musées allemands et les dirigeants nazis, dont Hitler[2] ; le montant total de ces transactions s'élèverait à plus d'1,5 million de francs[13].

En 1942, son épouse meurt d'une longue maladie[14].

Après la Seconde Guerre mondiale

Le marché des arts primitifs continue à prendre une ampleur mondiale après la Seconde Guerre mondiale. Charles Ratton reprend contact avec les surréalistes, revenus de leur exil américain et poursuit son activité de marchand international. Sa galerie rue de Marignan fait référence.

Le 14 juin 1944, il effectue une première visite dans l'atelier de Jean Dubuffet et se passionne très vite pour l'art brut. En juin 1948, toujours avec Dubuffet, mais aussi André Breton, Henri-Pierre Roché et Michel Tapié, il crée la Compagnie de l'art brut, association loi 1901 ayant pour objet de réunir les productions spontanées et inventives ayant pour auteurs des personnes étrangères au milieu artistique professionnel[15].

En 1953, il fait bénéficier Alain Resnais, Chris Marker et Ghislain Cloquet, de son expertise et de ses collections pour le film Les statues meurent aussi.

En 1954, il se remarie avec Madeleine Courtois, née Meunier, ancienne épouse d'un administrateur colonial au Gabon et au Congo-Brazzaville[14].

En 1957, il intervient comme conseiller pour l’ouverture du Museum of Primitive Art, à New York[3].

Il sera chargé d'organiser la vente de plusieurs collections fameuses, notamment celles de Félix Fénéon en 1947 à Paris, de Jacob Epstein en 1962 à Londres, et d'Helena Rubinstein en 1966 à New York[16] ; il participe encore à six ventes d'« art primitif » en 1980, une en 1981, deux en 1982[3].

Il s'éteint en juillet 1986, à 91 ans[17].

Avant de mourir, Charles Ratton proposa au musée du Louvre de bénéficier de sa collection. D'après le journal Le Monde, ses exigences (dont la création d'une salle à son nom), et les critiques sur son attitude passée pendant l'Occupation ainsi que le manque d'intérêt du Louvre pour les arts premiers, ont conduit la direction des musées de France de l'époque à refuser cette donation ; en conséquence, sa collection fut dispersée[4].

Postérité

Hommage

Le musée du quai Branly a rendu hommage à Charles Ratton en lui consacrant une exposition, « Charles Ratton, l'invention des arts “primitifs” », du 25 juin au 22 septembre 2013[18].

Famille

Son neveu Philippe Ratton est à son tour devenu galeriste spécialisé dans les arts premiers.

En 2014, Lucas Ratton, son petit-neveu et le petit-fils de Maurice Ratton, ouvre sa galerie dédiée aux arts primitifs au 33 rue de Seine[19],[20].

Références

  1. Dagen 2013, p. 13.
  2. Jaurès 2013.
  3. Site du Musée du quai Branly.
  4. Roux 1996.
  5. Site contreeslointaines.fr.
  6. Musée des Confluences.
  7. Musée Barbier-Mueller.
  8. Musée du Louvre.
  9. Brooklyn Museum.
  10. Lehuard 2007, p. 37.
  11. Hayat 2013.
  12. Dagen 2013, p. 29.
  13. Dossier Ratton aux Archives nationales.
  14. Dagen 2013, p. 31.
  15. Vanci-Perahim et Jakobi 2006, p. 177.
  16. Dagen 2013, p. 32-36.
  17. Dagen 2013, p. 39.
  18. Noce 2013.
  19. « La galerie », sur lucasratton.com, (consulté le ).
  20. Cf. article de Carole Blumenfeld, « Lucas Ratton : il faut savoir attendre le moment juste » (The Art newspaper - édition française n° 4 / janvier 2019, p. 49).

Voir aussi

Bibliographie

  • Charles Ratton, l’invention des arts « primitifs » : Catalogue de l’exposition au Musée du quai Branly, Skira Flammarion, , 184 p. :
    • Philippe Dagen, « Vie de Charles Ratton », dans Charles Ratton, l’invention des arts « primitifs », p. 10-39
    • Yaëlle Biro, « Avant Charles Ratton, commerce et diffusion des arts africains des années 1900 aux années 1920 », dans Charles Ratton, l’invention des arts « primitifs », p. 42-57
    • Maureeen Murphy, « Le «maniaque de la beauté», Charles Ratton et les Arts d'Afrique », dans Charles Ratton, l’invention des arts « primitifs », p. 64-111
  • Vincent Noce, « Charles Ratton, l’enfance de l’art », Libération, no 10055, , p. 26 (lire en ligne)
  • Jeannine Hayat, « Charles Ratton : un marchand d'art au service de la poésie », Le Huffington Post, (lire en ligne)
  • Cécile Jaurès, « Sous le masque de Charles Ratton », La Croix, (lire en ligne)
  • Eric Bietry-Rivierre, « Charles Ratton, un maniaque de la beauté », Le Figaro, (lire en ligne)
  • Judith Benhamou-Huet, « Charles Ratton, "l'inventeur des arts primitifs" », Le Point, (lire en ligne)
  • Sophie Cazaumayou, Objets d'Océanie : Regards sur le marché de l'art primitif en France, Éditions L'Harmattan, , 278 p. (lire en ligne)
  • Raoul Lehuard, L'empreinte noire : où il apparaît que l'art primitif n'est pas une mince affaire, Éditions L'Harmattan, , 303 p. (lire en ligne)
  • Marina Vanci-Perahim (dir.) et Marianne Jakobi, Atlas et les territoires du regard : le géographique de l'histoire de l'art, XIXe-XXe siècles : actes du colloque international organisé par le CIRHAC, Université Paris I, les 25-27 mars 2004, Publications de la Sorbonne, , 332 p., « Jean Dubuffet et le désert dans l'immédiat après-guerre : le mythe du bon sauvage »
  • Claude Blanckaert, Les politiques de l’anthropologie : Discours et pratiques en France (1860-1940), Éditions L'Harmattan, , 494 p. (lire en ligne)
  • (en) Manthia Diawara, In Search of Africa, Harvard University Press, , 208 p. (lire en ligne)
  • Emmanuel de Roux, « Un marchand-collectionneur, Charles Ratton », Le Monde, (lire en ligne)
  • Jean-Charles Gateau, Éluard, Picasso et la peinture (1936-1952), Librairie Droz, (lire en ligne)
  • Philippe Peltier, « L'art océanien entre les deux guerres : expositions et vision occidentale », Journal de la Société des océanistes, vol. 35, no 65, , p. 271-282 (lire en ligne)

Sources web

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