Allégations d'implication de la CIA dans le trafic de drogue

L'implication de la CIA dans le trafic de drogue a été évoquée à différentes occasions. La Central Intelligence Agency (CIA) est l'une des agences de renseignement les plus connues des États-Unis.

Affaires souvent évoquées

Contrebande d'opium entre la CIA et le Kuomintang

Avant 1949, pour procurer des fonds au Kuomintang (KMT) et aux forces loyales au général Tchang Kaï-chek qui combattaient les communistes de Mao Zedong, la CIA aurait aidé le KMT à passer en contrebande de l'opium de la Chine à la Birmanie, jusqu'à Bangkok, en fournissant des avions de la compagnie Air America[1],[2].

Financement des Contras dans les années 1980

À partir d', le journaliste américain Gary Webb publie une série d'articles dans le San Jose Mercury News. Dans ces derniers, il expose une enquête sur le financement des Contras au Nicaragua dans les années 1980 par des narcotrafiquants, lesquels auraient été couverts par la CIA : l'agence aurait sciemment favorisé la distribution du crack dans les banlieues noires de Los Angeles. Le sérieux de cette enquête a été contesté par de nombreux médias dont The New York Times, The Washington Post et le Los Angeles Times[3],[4]. En , le rédacteur en chef du San Jose Mercury News, Jerry Ceppos, publie une tribune dans le journal critiquant la méthodologie de Webb.

Le [5], le Mercury News reconnut que Gary Webb avait raison, mais exigea qu'il signe un accord pour ne pas rendre publique les termes du règlement, ce qui a insulté la fierté de Gary et le poussa à quitter le journal ce jour-là. L'absence de reconnaissance du travail de ce journaliste, pourtant déjà lauréat du Prix Pulitzer, le mena à la dépression puis au suicide de deux balles dans la tête.

La CIA a répondu à ces allégations dans un document PDF qu'on peut lire sur son site internet [6]. Le titre de ce document, une fois traduit, est « Gérer un cauchemar: les affaires publiques de la CIA et l'histoire du complot en matière de drogue ».

Cet article a été écrit par Nicholas Dujmovic, membre de la direction du renseignement de la CIA au moment de la publication[7].

Les articles de Gary Webb ne traitaient pas de paysans sans nom abattus dans une république éloignée, mais démontraient un lien clair entre la CIA et les fournisseurs des gangs qui livraient du crack au ghetto de Watts, dans le centre sud de Los Angeles[8]. Sa série d'articles - qui a poussé le célèbre journaliste et ancien correspondant de Newsweek Washington Robert Parry à qualifier Webb de «héros américain» - a mené la communauté afro-américaine à la fureur[9], et nombre d'entre eux ont pris ces articles comme preuve que la Maison Blanche voyait le crack comme un moyen d'inciter les ghettos afro-américains au génocide. Les rapports de Webb ont provoqué trois enquêtes officielles, dont une de la CIA elle-même qui - chose étonnante pour une organisation rarement félicitée pour sa transparence - a confirmé la substance de ses découvertes (publiées longuement dans le livre de Webb de 1998, aussi intitulé Dark Alliance). « En raison du travail de Gary Webb », a déclaré le sénateur John Kerry, « la CIA a lancé une enquête qui a trouvé des dizaines de contacts avec des trafiquants de drogue, ce qui ne serait pas arrivé si Gary Webb n'était monté au créneau et n'en avait pas pris la responsabilité »[8].

Les officiers des affaires publiques de la CIA ont vu avec soulagement les journaux les plus importants du pays sauver l'agence d'un désastre, et dans le processus, détruire la réputation d'un reporter dynamique et primé.

En 1985, plus d'une décennie avant la publication de la série d'article de Garry Webb, les journalistes de l'Associated Press Robert Parry et Brian Barger avaient déjà découvert que les groupes Contra s'étaient «livrés au trafic de cocaïne, en partie pour financer leur guerre contre le Nicaragua».

Dans un geste qui préfigurait l'expérience de Webb, le président Ronald Reagan a lancé « une campagne concertée en coulisses pour entacher le professionnalisme de Parry et Barger et discréditer tous les reportages sur les contras et les drogues », selon un article de Peter Kornbluh[10] pour le Columbia Journalism Review. ».

Malgré tout, un sous-comité spécial du Sénat, présidé par le sénateur John Kerry de l'époque, a enquêté sur les conclusions de l'AP et, en 1989, a publié un rapport de 1 166 pages sur les opérations dans des États-Unis en Amérique latine et dans les Caraïbes[11]. Il a trouvé « des preuves considérables » que les Contras étaient liés à la circulation de drogues et d'armes à feu - et que le gouvernement américain était au courant.

Au moins un journaliste, qui a aidé à mener la campagne de discrédit de Gary Webb, éprouve des remords pour ce qu'il a fait[12]. Comme l'a rapporté Nick Schou pour LA Weekly, dans une interview à la radio en 2013, le journaliste du LA Times, Jesse Katz, témoigne: « En tant que journaliste du LA Times, nous avons vu cette série d'articles dans le San Jose Mercury News et les avons mis sous microscope. Et la plupart d'entre nous ont participé à leur critique. Avec le recul, nous dirions que c'était exagéré. Nous avions cette énorme équipe de gens au L.A. Times et nous nous sommes emparés d'un seul " fouille-merde " de Californie du Nord ».

« Une fois qu'on détruit la crédibilité d'un journaliste, il n'a plus rien », dit Schou. « Il n'a jamais pu s'en remettre ».

Un film réalisé par Michael Cuesta, s'inspirant de l'histoire de Gary Webb, est sorti en 2014 : Secret d'État (Kill the Messenger).

Contrebande de cocaïne entre le Venezuela et la Floride

En 1993, l'ancien chef de la Drug Enforcement Administration (DEA), Robert C. Bonner (en), fait une apparition à l'émission de CBS News 60 Minutes où il critique la CIA d'avoir permis l'envoi d'environ une tonne de cocaïne pure aux États-Unis en 1990 via le Venezuela[13] sans avoir reçu l'approbation de la DEA[14].

En 1996, un grand jury de Floride inculpe le chef vénézuélien d'un programme anti-drogue de la CIA mis en place à la fin des années 1980, le général Ramon Guillen Davila, qui avait cherché avec la garde nationale vénézuelienne à infiltrer des gangs colombiens qui envoyaient de la cocaïne aux États-Unis[3]. La CIA, malgré des objections de la Drug Enforcement Administration, avait autorisé l'expédition d'une tonne de cocaïne via l'aéroport international de Miami. La CIA dit l'avoir fait pour collecter des informations sur les cartels de la drogue colombiens, mais la drogue finit par être vendue dans les rues[3]. Guillen affirma pour sa défense que toutes ses opérations avaient été approuvées par la CIA[15],[3].

Notes et références

  1. (en) Alexander Cockburn et Jeffrey St. Clair, Whiteout, the CIA, drugs and the press, New York, Verso, , 408 p. (ISBN 1-85984-258-5), chap. 9
  2. (en) William Blum, « The CIA and Drugs: Just say "Why not?" », Third World Traveller (consulté le )
  3. (en) Venezuelan General Indicted in C.I.A. Scheme - Tim Weiner, The New York Times, 23 novembre 1996
  4. (en) Gary Webb was no journalism hero, despite what ‘Kill the Messenger’ says - Jeff Leen, The Washington Post, 17 octobre 2014
  5. « Judas Retires: Jerry Ceppos and the Burning Memory of Gary Webb | the narcosphere », sur narcosphere.narconews.com (consulté le )
  6. (en) « CIA Public Affairs and the Drug Conspiracy Story », sur https://www.cia.gov, (consulté le )
  7. (en-US) Ryan Devereaux, « Managing a Nightmare: How the CIA Watched Over the Destruction of Gary Webb », sur The Intercept, (consulté le )
  8. (en-GB) « Susan Bell: a shameful secret history », The Independent, (lire en ligne, consulté le )
  9. The Madnees Report, « #The True Story Of Gary Webb Drug Kings 5 », (consulté le )
  10. « The Storm over "Dark Alliance" », sur nsarchive2.gwu.edu (consulté le )
  11. (en) « DRUGS, LAW ENFORCEMENT AND FOREIGN POLICY », sur http://nsarchive2.gwu.edu, (consulté le )
  12. Nick Schou, « Ex-L.A. Times Writer Apologizes for "Tawdry" Attacks », L.A. Weekly, (lire en ligne, consulté le )
  13. (en) Anti-Drug Unit of C.I.A. Sent Ton of Cocaine to U.S. in 1990 - Tim Weiner, The New York Times, 20 novembre 1993
  14. (en) Confidence Games - Howard Chua-Eoan, Time, 29 novembre 1993 (accès payant)
  15. (en) Russell Kick (éditeur), You are Being Lied to : The Disinformation Guide to Media Distortion, Historical Whitewashes and Cultural Myths, The Disinformation Company, , 132 p. (ISBN 978-0-9664100-7-5)

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

En anglais
  • (en) Dale-Scott, Peter et Marshall, Jonathan, Cocaine Politics : Drugs, Armies, and the CIA in Central America, University of California Press, (ISBN 0-520-21449-8)
  • (en) Peter Dale Scott, Drugs, oil, and war : the United States in Afghanistan, Colombia, and Indochina, Rowman & Littlefield, , 227 p. (ISBN 978-0-7425-2522-1, lire en ligne), « 11, "Opium, the China Lobby, and the CIA" »
  • (en) Alfred W. McCoy, The Politics of Heroin : CIA Complicity in the Global Drug Trade, Afghanistan, Southeast Asia, Central America, Columbia, Lawrence Hill & Co., , 710 p. (ISBN 1-55652-483-8)
  • (en) Gary Webb, Dark Alliance : CIA, the Contras and the Crack Cocaine Explosion, Seven Stories Press,U.S., , 574 p. (ISBN 1-888363-93-2)
  • (en) Michael Ruppert, Crossing the Rubicon : The Decline of the American Empire at the End of the Age of Oil, New Society Publishers, , 512 p. (ISBN 0-86571-540-8, lire en ligne)
  • (en) Henrik Krüger, The Great Heroin Coup : Drugs, Intelligence, and International Fascism., South End Press, (ISBN 0-89608-031-5)
  • (en) Levine, Michael, The Big White Lie : The Deep Cover Operation That Exposed the CIA Sabotage of the Drug War., Thunder's Mouth Pr, , 472 p. (ISBN 978-1-56025-084-5)
  • (en) Gritz, James, A nation betrayed, Center for action, (ISBN 0-9622238-0-8)
  • (en) Kwitny, Jonathan, The Crimes of Patriots : A True Tale of Dope, Dirty Money, and the CIA, Touchstone Books, (ISBN 978-0-671-66637-8)
En français
  • Henrik Kruger, L'arme de la drogue, Temps actuels, 1984.
  • Martin A. Lee & Bruce Shlain , LSD et CIA, quand l'Amérique était sous acide, Éditions du lézard, 1994.
  • Michael Levine, Laura Kavanau-Levine, Blancs comme neige, la drôle de guerre à la cocaïne, Éditions Dagorno, 1996.
  • Alfred Mc Coy, La politique de l’héroïne (l’implication de la CIA dans le trafic de drogues), Éditions du Lezard, 1999.
  • Alfred Mc Coy, Marseille sur Héroïne, les beaux jours de la French Connection (1945-1975), L'Esprit Frappeur, 1999.
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