Adélaïde Hautval

Adélaïde Hautval, surnommée Haïdi, née Marthe Adélaïde Haas le au Hohwald (Bas-Rhin) et morte le à Groslay (Val d'Oise), est une psychiatre française, rescapée des camps de concentration nazis et reconnue Juste parmi les nations.

« Hautval » redirige ici. Pour l’article homophone, voir Ovale.

Cet article possède un paronyme, voir Hôpital Adélaïde-Hautval.

Biographie

Surnommée Haïdi, Adélaïde est la fille du pasteur de l’Église réformée d'Alsace-Lorraine Philippe Haas-Hautval[1],[2]. Pro-français, le pasteur Haas avait décidé en 1920 d'accoler le nom français Hautval à son patronyme[2]. Elle est la septième et plus jeune enfant de la famille[3]. Elle fait du scoutisme chez les éclaireuses unionistes de Guebwiller[4] au sein de la Fédération française des Eclaireuses. Elle est autorisée à porter le nom de Hautval par jugement du 27 décembre 1951.

Adélaïde Hautval fait ses études de médecine à Strasbourg, puis travaille dans des hôpitaux et des instituts neuro-psychiatriques[3].

Son arrestation a lieu en , alors qu'elle traversait la ligne de démarcation à Vierzon pour des raisons personnelles[3]. À la prison de Bourges où elle est internée, elle prend la défense en allemand d'une famille juive maltraitée par un soldat allemand[5]. Les Allemands lui disent alors « puisque vous défendez les juifs, vous partagerez leur sort[3] ». Elle est emprisonnée à Bourges[3] puis internée à Pithiviers, les Allemands lui font porter sur la poitrine une étoile jaune avec une banderole « amie des juifs[3]. » Elle est ensuite transférée à Beaune-la-Rolande, puis à la prison d'Orléans en , enfin à la prison de Romainville le de la même année[3]. Elle est déportée à Auschwitz par le convoi du , où elle a le matricule 31 802[3].

Sa qualité de médecin est reconnue au bout de quelques jours et elle devient médecin dans un des revier [n 1] de Birkenau[3]. Les conditions médicales sont plus que déplorables. Elle est d'abord affectée au block 22, où elle s'occupe de détenues allemandes, puis est envoyée en au block 10 du camp principal[3]. Le médecin-chef y pratique des « expériences », notamment des stérilisations de femmes en brûlant leurs organes avec des produits caustiques[3]. Adélaïde Hautval refuse d'y participer et est chargée des soins post-opératoires[3]. Lorsqu'un nouveau médecin-chef est affecté à ce service, il ordonne à Adélaïde Hautval de l'assister, ce qu'elle refuse et elle est renvoyée, en parmi les autres détenues du camp[3]. Elle y est relativement isolée : en quelques mois la population du camp s'est renouvelée et les détenues qu'elle avait rencontrées en prison ou lors de son transfert sont mortes ou ont été transférées dans un autre block[3]. Le , elle apprend par Orli Reichert-Wald chargée de l'administration du revier qu'elle serait exécutée le lendemain si elle n'acceptait pas de participer aux opérations, ce qui ne la fait pas changer d'avis. Orli lui administre alors un somnifère, fait peut-être passer un autre cadavre pour le sien en prétendant qu'elle est déjà morte et lui sauve ainsi la vie[3].

Adélaïde Hautval est par la suite de nouveau affectée comme médecin au camp[3]. En tant que psychiatre, elle est amenée à examiner des femmes devenues folles avec comme ordre de les déclarer « inaptes au travail », ce qui les conduira directement à la chambre à gaz. Elle ne comprend pas pourquoi on lui demande ici des justifications médicales pour pouvoir assassiner. Volontaire pour « voir » et « dire après », elle assiste à plusieurs séries d'expériences des médecins nazis, notamment celles du Docteur Carl Clauberg spécialisé dans la stérilisation et la castration, tout en soulageant ses camarades et en les faisant échapper à la mort[6]. Elle souffre du typhus de jusqu'en février-mars de l'année suivante[3].

Elle est transférée à Ravensbrück le où on l'envoie comme médecin au camp de concentration de Watenstedt (de) (une usine de munitions), puis l'administration s'apercevant qu'elle était classée Nuit et brouillard, elle ne peut plus travailler à l'extérieur de Ravensbrück où elle est ramenée. Elle est alors de nouveau médecin au Revier[3]. Elle voit la libération du camp en avril 1945 mais y reste avec Marie-Claude Vaillant-Couturier afin de s'occuper des malades qui ne peuvent être immédiatement transportés[3]. Elle quitte le camp pour la France avec les derniers malades français le [3].

N'appartenant à aucun réseau ou organisation de résistance, Adélaïde Hautval n'obtient qu'avec difficulté une carte de déportée résistante[3]. Elle est décorée de l'Ordre national de la Légion d'honneur en pour son dévouement envers les autres déportés dans les camps[3].

En 1946, Adélaïde Hautval écrit Médecine et crimes contre l'humanité, qui sera édité en 1991[7].

En , elle témoigne au procès Leon Uris contre Vladislav Dering.

Le , Adélaïde Hautval reçoit la médaille des Justes parmi les nations[8]. Elle renvoie sa médaille, après le massacre des Palestiniens des camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, en 1982[9].

Se découvrant des signes de la maladie de Parkinson[10], elle met fin à ses jours le .

Distinctions

Hommages posthumes

  • La commune du Hohwald a érigé en 1991 une fontaine sur laquelle est inscrite en onze langues sa devise : « Pense et agis selon les eaux claires de ton être »[12].
  • Une rue de Strasbourg porte son nom depuis 1993.
  • La ville de Bourges nomme une rue Docteur Adélaïde-Hautval.
  • Une rue Adélaïde Hautval existe à Blaye.
  • À Groslay, où elle vécut après la guerre, une plaque est apposée sur le mur de sa maison en
  • À Guebwiller, le « Cercle Adélaïde Hautval » a été créé en 2006 et une école porte son nom depuis la rentrée 2019 [13].
  • Une plaque commémorative a été apposée en gare de Rothau le .
  • Le , le directeur général des Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, annonce à l'AFP que l'hôpital de Villiers-le-Bel porte désormais le nom d'Adélaïde Hautval[14] en remplacement de son ancien nom de Charles Richet, médecin aux thèses racistes.
  • Une exposition lui est consacrée par le Cercil (Centre d'étude et de recherche sur les camps d'internement du Loiret et de la déportation juive) à Orléans en
  • En 2020, le Collège de Ferrette (Haut-Rhin) est renommé Collège Adélaïde Hautval

Œuvres

  • Adélaïde Hautval, Médecine et crimes contre l'humanité : le refus d'un médecin, déporté à Auschwitz, de participer aux expériences médicales, Éditions du Félin, 2006 (ISBN 2866456335), (ISBN 978-2866456337)[15]

Notes et références

Notes

  1. Le mot revier, prononcé par les déportés français revir, est l'abréviation de Krankenrevier, le quartier des malades dans un bâtiment militaire. Selon Charlotte Delbo, déportée à Auschwitz par le même convoi qu'Adélaïde Hautval, la signification qu'a ce mot au camp n'est pas traduisible en français car « ce n'est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C'est un lieu infect où les malades pourrissent sur trois étages. » Delbo, p. 24

Références

  1. Contribution à la localisation des troubles psychiques post-commotionnels (les aphasies, les bradypsychies), Université de Strasbourg, 1934, 146 p. (thèse de Médecine)
  2. Maryvonne Braunschweig et Georges Hauptmann, Docteur Adélaïde Hautval, dite « Haïdi », 1906 – 1988. Des camps du Loiret à Auschwitz et Ravensbrück. Juste parmi les Nations., Conférence-débat du Cercle d’étude du 26 novembre 2014 : conférence de G. Hauptmann, témoignages de G. Obœuf, d’A. Postel-Vinay, nombreux documents originaux., Paris, édition du Cercle d’étude, , 240 p., cité par « Adélaïde Hautval, (1906-1988) une biographie », sur le site du Cercle d’Études de la Déportation et de la Shoah.
  3. Delbo, p. 141-143
  4. Alice Faverot, Christian Krieger pour l'EPRAL, avec l'aide de Georges Hautpmann, « Livret expo Adélaïde Hautval »,
  5. Lucien Lazare, « Adélaïde Hautval », sur le site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine
  6. Caroline Moorehead, Un train en Hiver, Cherche Midi, , 592 p. (ISBN 978-2-266-25872-2), p. 349
  7. Médecine et crimes contre l'humanité : témoignage manuscrit « Déportation » écrit en 1946, revu par l'auteur en 1987, Actes Sud, Paris, 1991, 101 p. (ISBN 2-86869-657-0)
  8. Dossier n° 100, consulté sur le site de Yad Vashem.
  9. Éric Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens et Christophe Clavel, La résistance des Alsaciens, copyright 2016 (ISBN 978-2-915742-32-9 et 2-915742-32-4, OCLC 1152172696, lire en ligne)
  10. Florence Hervé, « Adelaïde Hautval », in Histoires et visages d'alsaciennes, Cabédita, Divonne-les-Bains, 2005, p. 82 (ISBN 2-88295-448-4)
  11. « Dossier n°100, Adélaïde Hautval », sur yadvashem-france.org (consulté le )
  12. Mengus, Nicolas., Ces Alsaciens qui ont fait l'histoire (ISBN 978-2-917875-87-2 et 2-917875-87-9, OCLC 1010595094, lire en ligne), p. 71
  13. « GUEBWILLER. Ecole Adélaïde-Hautval : « Une rentrée historique » », sur www.lalsace.fr (consulté le )
  14. « L'hôpital de Villiers-le-Bel, Charles Richet, renommé Adélaïde Hautval après une longue polémique », sur Le Huffington Post, (consulté le )
  15. Adélaïde Hautval, Médecine et crimes contre l'humanité : le refus d'un médecin, déporté à Auschwitz, de participer aux expériences médicales. 2006.

Annexes

Bibliographie

  • Florence Hervé, « Adelaïde Hautval », Histoires et visages d'Alsaciennes, Cabédita, Divonne-les-Bains, 2005, p. 80-82 (ISBN 2-88295-448-4)
  • (en) Mordecai Paldiel, « Adelaïde Hautval. The French Woman Physician: 'One of the Most Remarkable Persons Humankind Has Ever Known' », Saving the Jews: Men and Women who Defied the Final Solution, Taylor Trade Publications, 2011 (ISBN 9781589797345)
  • Léon Strauss, « Adélaïde Hautval », Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, vol. 45, p. 4647
  • Charlotte Delbo, Le Convoi du 24 janvier, Éditions de Minuit, 1965 (réédité en 2002), 304 p. (ISBN 2-7073-1638-5)
  • (en) Laura Lynn Windsor, Women in Medicine: An Encyclopedia, ABC-CLIO, Santa Barbara, Calif., 2002, p. 92 (ISBN 9781576073926)
  • Maryvonne Braunschweig, Georges Hauptmann, Docteur Adélaïde Hautval, dite Haïdi, 1906 – 1988. Des camps du Loiret à Auschwitz et Ravensbrück[...], témoignages de Génia Obœuf, d’Anise Postel-Vinay, nombreux documents originaux, édition du Cercle d'étude, Paris, 2017, 240 p.
  • Hervé de Chalendar, « Juste parmi les Nations. Adélaïde Hautval. Elle n'a jamais rien cédé », in Les Saisons d'Alsace, no 72 (L'Alsace, ce beau jardin), printemps 2017, p. 6-7
  • Bruno Halioua, Richard Prasquier, « Adélaïde Hautval, une figure exemplaire de la médecine française » [PDF], sur yadvashem-france.org, Les médecins « Justes parmi les nations » (consulté le ), p. 5. – Extrait de La Revue du praticien, 2004, no 54.
  • « Adélaïde Hautval : Une médecin psychiatre résistante jusque dans les camps. », dans Marie-José Masconi (préf. Frédérique Neau-Dufour), Et les femmes se sont levées, Strasbourg, La Nuée bleue, , 282 p. (ISBN 978-2-7165-0897-1), p. 191-207.
  • Marie-Claire Allorent, Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (AERIA) (ill. Christophe Clavel), « Adélaïde Hautval », dans Eric Le Normand, La résistance des Alsaciens, Fondation de France, département AERI, (ISBN 978-2-915742-32-9).

Liens externes

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