Érasistrate

Érasistrate (en grec ancien : Ἐρασίστρατος) de Céos (vers 310-vers ), surnommé « l'infaillible », était un médecin clinicien et expérimental et un grand anatomiste grec, né à Ioulis[1], dans l'île de Céos.

Biographie

Il est né d’un père médecin et d’une mère, sœur de médecin. Il fait son apprentissage et devient disciple de Chrysippe de Cnide, médecin célèbre, dont Érasistrate lui-même indiqua qu’il apprit auprès de lui beaucoup de choses[2]; il étudie ensuite auprès de Théophraste, successeur d’Aristote, avant de devenir disciple à Athènes du médecin Métrodoros de Cnide - époux de Pythias, fille d'Aristote[3], qui l’initia aussi au péripatétisme. Érasistrate avait un frère dénommé Cléophante, médecin lui aussi, disciple de Chrysippe de Cnide.

Érasistrate a exercé à Antioche et Alexandrie. Son acmé se situe en 257-256[4]. Il fut avec Hérophile le fondateur de l'École d'Alexandrie de médecine sous le règne des Ptolémées. Il était le médecin de Séleucos Ier de Syrie dont il parvint à guérir le fils Antiochos. Réputé pour ses connaissances en ophtalmologie, ses travaux et ses découvertes font de lui un précurseur de la neurophysiologie et de la neurologie à l'époque hellénistique. Il peut être également considéré comme le fondateur de la physiologie expérimentale car il fit de nombreuses découvertes en procédant à de véritables expériences sur les animaux.

Érasistrate était à l'origine d'une nouvelle école médicale ; à un âge avancé, il quitta Alexandrie pour aller mourir à Samos. On prétend qu'il se suicida par l'ingestion de ciguë à cause d’un mal incurable, un ulcère du pied[5].

Il eut alors de nombreux disciples (aucun n'égalera sa renommée) dont Apollophane ainsi qu'un dénommé Chrysippe[6], qui avec Artémidore de Sidè, a créé l'école Érasistratide, qui ne s'éteignit qu'au Ier siècle de notre ère. De fait, sa doctrine était encore appréciée par des médecins tels que Hicésios, ou encore Ménodoros, qui avaient ouvert une école érasistratique à Smyrne, peu avant l'époque de Strabon. Le dernier médecin connu se réclamant directement d'Érasistrate, Hermogène de Smyrne semble avoir vécu sous le règne de l'empereur Néron[7]. Son école fut par ailleurs régulièrement en controverse avec les autres courants de la pensée médicale, dont celle fondée par Hérophile[8][source insuffisante].

Découvertes sur le système nerveux

Dans le domaine de la neuroanatomie, il fut l'un des premiers avec Hérophile à pratiquer les dissections de cadavres humains. Il parvint ainsi à distinguer les principales structures de l'encéphale que sont les deux hémisphères du cerveau et le cervelet dont il décrivit le rôle dans la coordination motrice. Il montra aussi que les nerfs convergent vers le système nerveux central. Il mit en évidence le rôle sensitif et moteur des racines postérieures et antérieures des nerfs rachidiens. Pionnier de la méthode comparative, il fut le premier à établir un lien entre le degré de gyrification des circonvolutions du cerveau (c'est-à-dire son degré de « plissement ») des différentes espèces animales et leur degré d'intelligence.

En ce qui concerne le rapport entre le cerveau et les nerfs, Érasistrate reprend donc les idées de son contemporain Hérophile ; les nerfs sont partagés en deux groupes :

  • les nerfs sensitifs ;
  • les nerfs moteurs.

Les premiers partent des méninges et les seconds du cerveau et du cervelet. Tous les nerfs sont creux pour accueillir le pneuma psychique pompé probablement par la systole des ventricules cérébraux. Quant aux perceptions, elles sont transmises au cerveau par le pneuma contenu dans les nerfs sensitifs. Dès lors, à la suite d'Alcméon de Crotone et d'Anaxagore, il faisait du cerveau le siège de la pensée et des facultés mentales, contrairement à Aristote qui plaçait ces fonctions dans le cœur.

Découvertes sur le système circulatoire

Il démontra le rôle primordial du sang dans le corps humain et il fut près de faire la découverte de la circulation sanguine en reconnaissant que le cœur était au centre du réseau des artères et des veines. Érasistrate découvrit que les veines n'ont pas de pulsation, à la différence des artères.

Érasistrate fut l'auteur d'une théorie concurrente à la théorie des humeurs. Il défendit ainsi l'idée que le système des veines transportait du sang et non le pneuma imaginé par Hippocrate. Ce sang contenant l'esprit vital était acheminé depuis le cœur jusqu'au cerveau où il était transformé en esprit animal, qui était distribué dans le corps via les nerfs (dont il montra qu'ils étaient non pas creux mais formés d'une structure solide tubulaire, aujourd'hui identifiée comme les fibres nerveuses). Toutefois, le rôle des artères dans sa théorie restait de véhiculer l'air, ce qui expliquait selon lui le pouls. Il interprétait donc certains désordres physiologiques comme un excès de sang dans les artères. Cette théorie de la pléthore sanguine se posait en opposition à la pratique des saignées défendue par les autres médecins de l'époque, dont Hérophile.

Découvertes sur l'anatomie et la mécanique organique

Érasistrate a pratiqué assidument la dissection couplée avec l’observation anatomique macroscopique des structures organiques. Il a également pratiqué la vivisection, comme le mentionne Celse dans son ouvrage Sur la Médecine où il est mentionné que lui et Hérophile ont « ouvert le corps de criminels mis à disposition par les rois » et « analysé les parties normalement cachées pendant que les condamnés respiraient encore. »

En premier lieu, il décrivit la dilatation respiratoire du thorax et du poumon comme un processus de création d'un vide qui est immédiatement rempli par l’air extérieur, et qui alimente le pneuma nécessaire aux processus physiologiques. Le souffle (πνεῦμα) circule ainsi dans le corps comme dans une machine pneumatique presque complètement étanche hormis la transpiration résiduelle.

Puis, il montra le premier l'indépendance de la trachée et de l’œsophage et fit voir le véritable rôle de l'épiglotte, soupape capable d'isoler les deux conduits et d'empêcher l'entrée des aliments dans les voies respiratoires. Dans sa recherche d'explication mécaniste, Erasistrate découvrit l'importance de la propulsion des aliments grâce au mouvement péristaltique de l'œsophage, et les contractions de l'estomac. Il a mis ainsi en évidence le rôle de la propulsion le long du tractus alimentaire par l'implication musculaire, invalidant alors par avance la théorie de Galien d'une prétendue attirance exercée sur les aliments par l'estomac.

Il décrivit les orifices intracardiaques, les cordages tendineux et les valvules du cœur sans reconnaître cependant précisément leur rôle. Néanmoins, il améliora les connaissances contemporaines sur le mécanisme cardio-pulmonaire et affirma la distribution, à partir du cœur, du sang oxygéné. Il comprit que le cœur fonctionnait comme une pompe et était directement responsable de la dilatation des artères ; il compara le cœur à « un soufflet » et les artères à « des poches » ou à « des sacs » dans lesquels s'insuffle l’air ; il soutint que le cœur se remplissait parce qu'il était dilaté et que les artères se dilataient parce qu’elles étaient remplies. Enfin, il distingua la trachée-artère et la décrivit. Toujours sur le plan anatomique, il donna les premières descriptions de la veine cave, des valvules veineuses et des artères pulmonaires et rénales. Il découvrit par ailleurs que la pulsation est une propriété de la paroi artérielle.

Ses idées philosophiques pour l'étude de la Nature & des corps

Erasistrate fut adepte de la philosophie d'Aristote, en tant qu'auditeur de Théophraste[9]. Certaines doctrines médicales qu'il professait semblent s'accorder notamment avec Straton de Lampsaque. Tel le rôle du πνεῦμα[10] (le souffle) déclencheur, et animateur du vivant par sa propagation à travers de multiples canaux vers l'Âme. Par contre, la Nature est selon lui une force consciente et intelligente, conception proche des aristotéliciens avant les Théories de Straton de Lampsaque[11]. Cependant, ses propres découvertes infirmaient à ses yeux la théorie d'Aristote sur un présupposé principe d’ébullition ou coction des aliments dans l'estomac. En effet, ses études avaient mis en évidence la trop faible chaleur du corps humain - et spécialement dans l'estomac - pour permettre la moindre coction.

Excellent clinicien, il étudia le premier les relations entre maladies et lésions, créant ainsi l'anatomie pathologique. Il s'inquiétait peu des causes générales, mais il attachait une importance extrême au mécanisme de chaque symptôme des dysfonctionnements.

Pour commencer, il décrivit un processus assez moderne :

  • La nourriture après trituration stomacale était projetée sous forme de « chyle » à travers les parois intestinales jusqu'aux vaisseaux sanguins s'acheminant vers le Foie, ensuite la nourriture était absorbée par les tissus organiques. Ce processus avait une grande importance pour comprendre selon lui l'origine des maladies et dysfonctionnements. Car Érasistrate élabora sa théorie explicative en indiquant qu'une grande partie des maladies trouvait son origine autour des troubles nutritifs; c'étaient les sucs digestifs « imparfaits » qui, passant dans le système vasculaire, produisaient, par la pléthore, une distension des veines et des synastomoses.

Par ailleurs, le pneuma jouait un rôle important dans sa vision du fonctionnement du corps humain. Du reste, ce souffle était une des bases du traitement médical d'Érasistrate de Céos.

Le texte dit « de L'Anonyme de Londres »[12] précise : « Érasistrate ne pense pas qu’une distribution se produise à partir des artères, car il n’y a pas, par nature, de sang en elles, – c’est-à-dire de nourriture –, mais bien du souffle. »

Et ailleurs[13] : « Érasistrate alla bien loin de la règle en effet, il supposa que les corps premiers étaient perçus par la raison, de sorte que la veine perçue par les sens est composée de corps perceptibles par la raison : veine, artère, nerf. » cette théorie semble postuler l'intime mélange, et l'interdépendance du corps et de l'esprit dans l'organisation et l'activité du corps humain.

Plus largement, Érasistrate a mis au point une méthode de compréhension de la matière médicale : l'anatomophysiologie, démarche pré-scientifique de compréhension « du moteur » du fonctionnement des corps humains.

  • 1) le « théoriquement observable », λόγῳ θεωρέτον, c’est-à-dire ce qui n’est pas visible mais dont il faut nécessairement postuler l’existence pour expliquer un système que l’on voit fonctionner ;
  • 2) la comparaison récurrente d’un système anatomique avec des observations et/ou des expérimentations mécaniques. À cette fin à Alexandrie, il fit de nombreuses expériences mécaniques sur le monde animal; telles l'estimation, et la comparaison des poids des corps avant et après ingestion nutritive [14]

À cette caractéristique est attaché le concept célèbre de la triplokia : veines, artères et nerfs sont enchevêtrés de manière invisible ;

  • 3) un autre concept célèbre qui, s’il n’est pas encore clair chez Érasistrate, deviendra par la suite le principe de l’horror vacui la nature a horreur du vide ») pour expliquer le moteur de la dynamique du corps.

Ainsi, l’introduction par ce médecin praticien en anatomie du concept de structures théoriquement observables, et en physiologie de l’adoption du principe de l’horreur du vide lui a permis de construire un système anatomophysiologique et une pathologie cohérents pour son époque.

Ses recommandations en pratique médicale

Il déplora souvent le peu d'attention portée par ses confrères aux règles élémentaires d'hygiène permettant de prévenir bien des maladies ou d'en atténuer les effets. Diététicien et hygiéniste, il traita par le jeûne modéré les troubles causés par la pléthore, qu'il rendait responsable d'ennuis digestifs et de certains cas d'hémoptysie, d'hémorragie, d'angine et d'hémorroïdes. Bien qu'il conseillât une légère diète et une gymnastique élémentaire, il fut un adversaire acharné de la saignée, et Galien l'en railla en intitulant l'un de ses ouvrages : De la saignée contre Érasistrate (De venoe sectione adversus Erasistratum). S'intéressant aux médicaments et poisons[15], il préconisait un régime lacté contre les venins, et avait composé diverses recettes de collyres et d'élixirs pour soigner les maux. Il préconisait aussi des pommades à base de végétaux.

Anecdote biographique

La vie d'Érasistrate est peu connue. La plupart de ses écrits nous sont connus par les commentaires qu'en ont faits ses successeurs (notamment Galien qui fut son plus célèbre critique). On raconte qu'il fut appelé au chevet d'Antiochos, gravement malade, par le père de ce dernier, le roi séleucide Séleucos Ier Nicator. Après avoir observé que le pouls du malade s'accélérait et que son visage rougissait lorsque sa belle-mère Stratonice, l'épouse du roi, entrait dans la pièce, il aurait déduit que le malade souffrait en fait d'un amour impossible. Cela en fait donc pour certains un pionnier de la psychothérapie. Quoi qu'il en soit, Séleucos s'en sépare et laisse Antiochos l'épouser[16].

Ses écrits

Ses 11 ouvrages ont quasiment disparu, et n'en subsistent que des fragments (surtout préservés par le médecin Galien) :

  • Du souffle (πνεῦμα)
  • Des médicaments et des poisons
  • Traité d'anatomie (en plusieurs livres ? )[17]
  • Des paralysies [18]
  • Des fièvres[19]
  • Du régime
  • Les fièvres.

Liens externes

Notes

  1. Patrie de Prodicos de Céos ou encore Bacchylide
  2. voir Diogène Laërce la Vie de Chrysippe de Soles
  3. issue de son premier mariage
  4. date fournie par Eusèbe de Césarée chron. ol. 130 ,4
  5. Ce n'est peut-être qu'une anecdote légendaire pour moquer ses prétentions en matière de remède contre les poisons.
  6. différent de Chrysippe de Cnide nommé ci-dessus
  7. cf. Galien De simp. med. temp. I, 29
  8. voir les défenses des disciples d'Érasistrate in P. Lit. Londres trad. Antonio Ricciardetto maîtrise université de Liège juin 2010
  9. Galien De alim III, 14
  10. c'est le nom d'un ouvrage pseudo aristotélicien conservé
  11. Georges RODIER La Physique de Straton, thèse de 1890
  12. papyrus P Lit. Londres 165 colonne XXVI, 31 traduction d'Antonio Ricciardetto Op. cité
  13. papyrus P Lit. Londres 165 colonne XXI, 24
  14. expérience décrite par le papyrus P Lit. Londres 165
  15. il publia un ouvrage sur cette question
  16. Plutarque, Vie de Démétrios, 38 ; Pline l'Ancien, XXIX, 3 ; Appien, Livre Syriaque, 59-61 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables, V, 7 ; Souda, « Érasistrate ».
  17. ouvrage centré sur l’anatomophysiologie,
  18. cet ouvrage décrivait particulièrement l’anatomie et la pathologie du système nerveux
  19. traité consacré surtout à l’anatomie et à la pathologie du cœur et des vaisseaux
  • Cette scène a été représentée par le peintre David sur une toile de 1774 qui lui valut le prix de Rome.

Bibliographie

  • Erasistrati fragmenta, collegit I. Garofalo, Pise, Giardini, 1988.
  • Geoffrey Lloyd : Une histoire de la science grecque, éd. Point la Découverte, 1990.
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