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Sauf mention contraire, les lois de groupe seront notées multiplicativement. Quand il sera question de plusieurs groupes, il nous arrivera de désigner leurs éléments neutres par le même symbole 1, ce qui, en pratique, ne prête pas à confusion.

Produit direct de deux groupes

Soient et deux groupes. Désignons par leur produit cartésien (ou, plus exactement, le produit cartésien de leurs ensembles sous-jacents). Il est naturel de définir sur une loi de composition composante par composante :

,

le produit apparaissant dans le second membre étant calculé dans et le produit dans . On vérifie facilement que cette loi de composition munit d'une structure de groupe. Ce groupe est appelé produit direct (ou simplement produit) des groupes et et noté . Si et désignent respectivement les éléments neutres de et de , l'élément neutre de est . Le symétrique d'un élément de est l'élément .

L'application définit un isomorphisme de sur  commutativité » du produit direct) et l’application définit un isomorphisme de sur  associativité » du produit direct).

Produit direct d'une famille de groupes

La définition qui précède se généralise comme suit à une famille quelconque de groupes.

Définition

Soit une famille (finie ou infinie) de groupes. On appelle groupe produit de cette famille, ou produit de cette famille, ou produit direct de cette famille, et on note le produit cartésien de la famille des (ensembles sous-jacents des) , muni de la loi de composition composante par composante :

,

où, pour chaque i, le produit est calculé dans .

Il est clair que cette loi de composition est bien une loi de groupe.

Remarque. Les notations ne sont pas tout à fait fixées. L'emploi ci-dessus du symbole est conforme à Bourbaki[1], à J.J. Rotman[2], à D.S. Dummit et R.M. Foote[3] etc. Kurzweil et Stellmacher[4] notent ou encore ou encore le produit direct d'une famille finie de groupes. Ils n'emploient le symbole que pour désigner des opérations internes à un groupe[5]. W.R. Scott, Group Theory, 1964, réimpr. Dover, 1987, pp. 14-15 (exemples 11 et 12), désigne par le produit direct d'une famille de groupes.

Somme restreinte d'une famille de groupes

Dans le produit direct , considérons les éléments possédant la propriété suivante : l’ensemble des éléments i de I tels que (où 1 désigne le neutre de ) est fini. Ces éléments de , appelés familles de support fini, forment un sous-groupe de .

Définition

Soit une famille de groupes. On appelle somme restreinte externe, ou simplement somme restreinte de la famille et on note le sous-groupe de formé par les familles de support fini. Si les groupes Gi sont commutatifs, on dit somme directe au lieu de somme restreinte[6].

Si l’ensemble I est fini, la somme restreinte et le produit coïncident. Dans la suite de ce chapitre, nous ne nous intéresserons plus au produit, mais seulement à la somme restreinte d'une famille de groupes.

Soient une famille de groupes et S sa somme restreinte. Pour chaque élément i de I, désignons par l’application de dans S qui à l'élément x de fait correspondre la famille dont la i-ème valeur est x et les autres valeurs 1. Nous définissons ainsi un homomorphisme injectif de dans S. Cet homomorphisme est appelé i-ème inclusion canonique de dans S. L'image de par est isomorphe à et on l'identifie souvent à , disant par exemple que est un sous-groupe de S. Pour la clarté de ce premier exposé, nous éviterons cet abus de langage.

On vérifie facilement que les sous-groupes de S sont distingués et qu’ils ont deux à deux des intersections réduites à l'élément neutre de S.

Soient i et j deux éléments distincts de I. Tout élément de commute avec tout élément de . En effet, les produits et sont tous deux égaux à la famille dont la i-ème composante est x, la j-ème composante y et dont les autres composantes sont égales à 1. (L'hypothèse est essentielle dans le cas où les ne sont pas supposés commutatifs.)

De façon générale, si G est un groupe, si est une famille finie d'éléments de G qui commutent deux à deux, on peut définir le produit de cette famille d'éléments de G sans se préoccuper d'un ordre dans l’ensemble J, car, vu la commutativité, le produit est indépendant de l’ordre choisi. Il est clair qu'on peut de même définir le produit d'une famille même infinie d'éléments de G qui commutent deux à deux si l’ensemble des i tels que est fini. Avec cette définition, tout élément de S est le produit de la famille d'éléments de S. En particulier, les engendrent S.

Propriété universelle de la somme restreinte externe.

Soient une famille de groupes, S sa somme restreinte externe, K un groupe et une famille d'homomorphismes de groupes, telle que, pour tous éléments distincts i, j de I, tout élément de commute avec tout élément de . Il existe un et un seul homomorphisme f de S dans K tel que, pour tout élément i de I, , où désigne la i-ème inclusion canonique de Gi dans S. Cet homomorphisme f applique la famille sur .

Fin du théorème
Démonstration

Considérons l’application f de S dans K qui applique la famille sur (ce produit est bien défini, vu les hypothèses de commutation). Il est clair que pour tout élément i de I, , comme requis dans l'énoncé. Pour montrer que f est un homomorphisme, on utilisera le fait suivant, démontré dans Monoïde/Composé d'une séquence : soient M un monoïde et x1, ... , xn, y1, ... , yn des éléments de M. Si, pour tous indices distincts i, j, xi commute avec yj, alors

x1 ... xn y1 ... yn = x1 y1 ... xn yn.

Donc f est un homomorphisme tel que requis dans l'énoncé. L'unicité de l'homomorphisme tel que requis dans l'énoncé se déduit facilement du fait que les images canoniques des Gi dans S engendrent S.

Si tous les groupes sont abéliens alors leur somme directe l'est aussi, et le théorème ci-dessus fournit la propriété universelle de la somme directe :

Propriété universelle de la somme directe. Soient une famille de groupes abéliens, K un groupe abélien et une famille d'homomorphismes. Il existe un et un seul homomorphisme f de dans K tel que, pour tout élément j de I, , où désigne, comme plus haut, la j-ième inclusion canonique.

Dans le langage de la théorie des catégories, la propriété universelle de la somme directe d'une famille de groupes abéliens revient à dire que si est une famille de groupes abéliens, le groupe et, dans les notations ci-dessus, la famille d'homomorphismes constituent une somme (on dit aussi un « coproduit ») de la famille dans la catégorie des groupes abéliens[7]. Nous avons ainsi prouvé que les sommes existent dans la catégorie des groupes abéliens. Nous verrons dans un chapitre ultérieur (produit libre d'une famille de groupes) que les sommes existent aussi dans la catégorie des groupes[8].

Des remarques faites plus haut sur la structure de la somme restreinte externe nous suggèrent la définition suivante :

Définition

Soient G un groupe et une famille (finie ou infinie) de sous-groupes de G. On dit que G est somme restreinte interne (ou, abusivement, somme restreinte sans plus) de cette famille si pour tous éléments distincts i et j de I, chaque élément de commute avec chaque élément de et si l'homomorphisme de dans G qui envoie sur (homomorphisme qui existe et est unique d’après la propriété universelle de la somme restreinte externe, appliquée aux inclusions ) est un isomorphisme. On appelle cet isomorphisme l'isomorphisme canonique de sur G. L'isomorphisme réciproque est appelé isomorphisme canonique de G sur .

Il revient au même de dire que pour tous éléments distincts i et j de I, chaque élément de commute avec chaque élément de et que tout élément de G peut s'écrire d'une et une seule façon , la famille étant une famille de support fini telle que pour tout i[9].

Remarque

Soient G un groupe et une famille de sous-groupes de G. Si G est somme restreinte interne de cette famille, chaque est normal dans G.

Fin du théorème
Démonstration

On peut dire par exemple que l'isomorphisme canonique de sur G applique sur et que, comme on l'a vu, est normal dans .

Donnons encore deux autres caractérisations de la somme restreinte interne. Le lecteur pourra les démontrer à l'aide de la remarque qui précède et du fait (démontré dans Exercices/Sous-groupe distingué, groupe quotient) que si deux sous-groupes normaux ont une intersection réduite à l'élément neutre, tout élément de l'un commute avec tout élément de l'autre.

Théorème

Soient G un groupe et une famille de sous-groupes de G. Pour que G soit somme restreinte interne de cette famille, il faut et il suffit que les trois conditions suivantes soient satisfaites :

1° chaque Gi est normal dans G ;

2° les Gi engendrent G ;

3° pour tout i dans I,

Fin du théorème
Théorème

Soient G un groupe et une famille de sous-groupes de G. Pour que G soit somme restreinte interne de cette famille, il faut et il suffit que les trois conditions suivantes soient satisfaites :

1° chaque Gi est normal dans G ;

2° les Gi engendrent G ;

3° si i1, ... , in sont des éléments de I deux à deux distincts, si est un élément de , ... , si est un élément de , si alors

Fin du théorème

Cette dernière caractérisation est utile comme condition suffisante pour que G soit somme restreinte interne des Gi.

On vérifie facilement que la somme restreinte externe est somme restreinte interne de la famille (où, comme plus haut, désigne la i-ième inclusion canonique de dans la somme restreinte externe).

Si l’ensemble I est fini, on remplace souvent l’expression « somme restreinte interne » par « produit direct interne », ou « produit direct », ou « produit ». Plutôt que de dire qu'un groupe est produit direct d'un couple (H, K) de ses sous-groupes, on préfère dire qu’il est produit direct de H et de K, etc.

Soit G un groupe, somme restreinte interne d'une famille de sous-groupes. Pour tout élément j de I, on appelle j-ème projection de G sur Gj (relativement à la famille ) l’application de G dans Gj qui, pour tout élément x de G, applique x sur l'élément xj de Gj apparaissant dans l'unique expression de x sous la forme avec pour chaque i. Il est clair que cette projection est un homomorphisme de G sur Gj. Elle est d'ailleurs égale au composé désigne l'isomorphisme canonique de G sur et l'homomorphisme de (somme restreinte externe) sur Gj.

« Commutativité » de la somme restreinte interne.

Soient G un groupe, une famille de sous-groupes de G et une permutation de l'index I. Si G est somme restreinte interne de la famille , il est somme restreinte interne de la famille .

Fin du théorème
Démonstration

Pour tous éléments distincts i, j de I, tout élément de Hi commute avec tout élément de Hj ; il en résulte clairement que, pour tous éléments distincts i, j de I, tout élément de Hσ(i) commute avec tout élément de Hσ(j). Le sous-groupe de G engendré par les Hi est G tout entier ; il en résulte clairement que le sous-groupe engendré par les Hσ(i) est G tout entier. Enfin, si J est une partie finie de I, si est une famille telle que pour tout élément j de J, xj appartienne à Hj, si , alors chaque xj est égal à 1 ; il en résulte clairement que si K est une partie finie de I, si est une famille telle que pour tout élément k de K, yk appartienne à Hσ(k), si , alors chaque yk est égal à 1 (poser J = σ(K) et considérer la famille , en notant que, pour chaque j dans J, appartient à Hj).

Théorème

Soient une famille de groupes et une famille telle que, pour tout i, Hi soit un sous-groupe de Gi. Alors la somme restreinte externe H des Hi est un sous-groupe de la somme restreinte externe G des Gi.

Fin du théorème

La démonstration, facile, est laissée au lecteur. Une version interne de ce théorème (si un groupe G est somme directe interne d'une famille de sous-groupes, si pour tout i, désigne un sous-groupe de , alors le sous-groupe engendré par les est somme directe interne des ) s'obtient comme cas particulier du théorème suivant :

Théorème

Soient G un groupe, une famille de sous-groupes de G dont G est somme restreinte interne, J une partie de I, une famille telle que, pour tout élément j de J, Hj soit un sous-groupe de Gj. Le sous-groupe de G engendré par les Hj est somme restreinte interne des Hj, j parcourant J.

Fin du théorème
Démonstration

Si j et k sont deux éléments distincts de J, tout élément de Hj est un élément de Gj et tout élément de Hk est un élément de Gk, donc tout élément de Hj commute avec tout élément de Hk. Si j1, ... , jr sont des éléments de J deux à deux distincts, si x1 ... xr = 1 avec alors j1, ... , jr sont des éléments de I deux à deux distincts et x1 ... xr = 1 avec donc x1 = ... = xr = 1.

« Associativité » de la somme restreinte interne.

Soient G un groupe et une famille de sous-groupes de G, soit une famille de parties de I deux à deux disjointes de I dont la réunion est I. Pour chaque élément k de K, soit Lk le sous-groupe de G engendré par les Hii parcourt Jk. Les deux conditions suivantes sont équivalentes :

1° G est somme restreinte interne de la famille ;

2° G est somme restreinte interne de la famille et, pour chaque élément k de K, Lk est somme restreinte interne de la famille .

Fin du théorème

Démonstration laissée au lecteur.

Exemple

Soient G un groupe, H et K des sous-groupes de G. On suppose que H est produit direct interne d'une famille finie de sous-groupes H1, ..., Hn et que <H, K> (sous-groupe de G engendré par H et K) est produit direct interne de H et de K. Alors <H, K> est produit direct interne de la famille H1, ..., Hn, K.

Fin de l'exemple
Définition

On dit qu'un sous-groupe H d'un groupe G est facteur direct[10] de G s'il existe un sous-groupe K de G tel que G soit le produit direct (interne) H × K de H et K.

D'après la « commutativité » et l'« associativité » de la somme restreinte, il est clair que si un groupe G est somme restreinte interne d'une famille (Hi)i de sous-groupes, chaque Hi est facteur direct de G.

Théorème

Tout sous-groupe distingué d'un facteur direct d'un groupe G est sous-groupe distingué de G.

Fin du théorème
Démonstration

Soient H un facteur direct de G et N un sous-groupe distingué de H. Il s'agit de prouver que N est distingué dans G. Puisque H est facteur direct de G, il existe un sous-groupe K de G tel que G soit le produit direct H × K de H et K. Alors tout élément de K commute avec tout élément de H. En particulier, tout élément de K commute avec tout élément de N, donc K normalise N. D'autre part, puisque N est sous-groupe normal de H, H normalise N. Ainsi, H et K normalisent tous deux N. Puisque G est engendré par H et K, N est donc distingué dans G.

Propriété universelle de la somme restreinte interne.

Soient G un groupe, somme restreinte interne d'une famille de ses sous-groupes, K un groupe et une famille d'homomorphismes de groupes, telle que, pour tous éléments distincts i, j de I, tout élément de commute avec tout élément de . Il existe un et un seul homomorphisme f de G dans K tel que, pour tout élément i de I, f coïncide avec sur . Si est une famille de support fini telle que pour chaque i, xi appartienne à Gi, f applique sur .

Fin du théorème
Démonstration

D'après la propriété universelle de la somme restreinte externe, il existe un et un seul homomorphisme g de la somme restreinte externe S des Gi dans K qui applique la famille de support fini sur . D'autre part, puisque G est somme restreinte interne des Gi, il existe un et un seul isomorphisme de G sur S (à savoir l'isomorphisme canonique considéré plus haut) qui, pour toute famille de support fini , avec pour tout i, applique sur . Il est clair que convient pour f. L'unicité de f résulte de ce que les Gi engendrent G. Elle peut aussi se déduire de l'unicité de g : si f1 et f2 sont tous deux tels que le f de l'énoncé, alors et satisfont tous deux aux conditions qui définissent g, donc sont égaux, donc f1 et f2 sont égaux.

Théorème

Soient et deux familles de groupes et une famille d'homomorphismes de groupes. Si G (resp. H) désigne la somme restreinte externe des Gi (resp. des Hi), alors l’application est un homomorphisme de G dans H. Si chaque gi est un isomorphisme de Gi sur Hi, g est un isomorphisme de G sur H.

Fin du théorème
Démonstration

Dans la propriété universelle de la somme restreinte externe, prendre pour K la somme restreinte externe H des Hi et poser , où désigne la i-ème inclusion canonique de Hi dans H = K. On démontre ainsi la première assertion de l'énoncé. On démontre facilement la seconde assertion en appliquant la première aux isomorphismes réciproques. On pourrait évidemment démontrer ce théorème sans utiliser la propriété universelle de la somme restreinte externe.

Corollaire

Soient et deux familles de groupes. Si, pour tout i, Gi est isomorphe à Hi, la somme restreinte externe des Gi est isomorphe à la somme restreinte externe des Hi.

Démonstration

Pour tout i, il existe un isomorphisme de Gi sur Hi. D'après l'axiome du choix, il existe donc une famille d'isomorphismes de groupes et la thèse résulte du théorème qui précède.

Théorème

Soient une famille de groupes et une famille telle que, pour tout i, Hi soit un sous-groupe distingué de Gi. Alors

1° la somme restreinte externe H des Hi est un sous-groupe distingué de la somme restreinte externe G des Gi ;

2° le quotient G/H est isomorphe à la somme restreinte externe des quotients Gi/Hi.

Fin du théorème
Démonstration

Le lecteur prouvera facilement le point 1°. Désignons par Q la somme restreinte externe des groupes quotients Gi/Hi. Pour tout élément de G, la famille est de support fini et appartient donc à Q. Considérons l’application f de G dans Q qui à tout élément de G fait correspondre l'élément de Q. Il est clair que f est un homomorphisme surjectif dont le noyau est H, donc f induit un isomorphisme de G/H sur Q, ce qui démontre le point 2°.

Voici une version interne de ce théorème :

Théorème

Soient G un groupe, une famille de sous-groupes de G dont G est somme restreinte interne et une famille telle que, pour tout i, Hi soit un sous-groupe distingué de Gi. Alors

1° le sous-groupe H de G engendré par les Hi est somme restreinte interne des Hi et est un sous-groupe distingué de G ;

2° le quotient G/H est isomorphe à la somme restreinte externe des quotients Gi/Hi.

Fin du théorème
Démonstration

Le point 1° est un cas particulier d'un théorème démontré plus haut. Pour démontrer le point 2°, désignons par SG la somme restreinte externe des Gi et par SH la somme restreinte externe des Hi. L'isomorphisme de SG sur G applique SH sur H et induit donc un isomorphisme de SG/SH sur G/H. D'après le théorème précédent, SG/SH est isomorphe à la somme restreinte externe des quotients Gi/Hi donc G/H l'est aussi, ce qui démontre le point 2°.

Corollaire

Soient un groupe, une famille de sous-groupes de dont est somme restreinte interne, et deux parties de formant une partition de , le sous-groupe de engendré par les sous-groupes j parcourt , et le sous-groupe de engendré par les sous-groupes k parcourt . (Donc est somme restreinte interne des j parcourt , et est somme restreinte interne des k parcourt .) Alors est sous-groupe distingué de et le groupe quotient est isomorphe à . En particulier, si un groupe G est produit direct interne de deux sous-groupes G1 et G2, le groupe quotient G/G1 est isomorphe à G2.

Démonstration

Pour tout élément i de I, posons si i appartient à J et si i appartient à K. Pour tout i dans , est distingué dans , donc, d’après le théorème précédent, le sous-groupe H de G engendré par les , i parcourant , est distingué dans G et G/H est isomorphe à la somme restreinte externe des , i parcourant . Il est clair que H est égal à , donc

(1) est isomorphe à la somme restreinte externe des , i parcourant I.

Dans la somme restreinte externe des , les facteurs correspondant aux indices appartenant à J sont réduits à l'élément neutre, donc

(2) la somme restreinte externe des , i parcourant I, est isomorphe à la somme restreinte externe des , où k parcourt K.

Pour un élément k de K, est isomorphe à , donc la somme restreinte externe des , où k parcourt K, est isomorphe à la somme restreinte externe des , où k parcourt K, et est donc isomorphe à . Il résulte donc de (2) que la somme restreinte externe des , i parcourant I, est isomorphe à . D'après (1), est donc isomorphe à . Le cas particulier s'en déduit immédiatement.

Remarque. Il y a évidemment plusieurs démonstrations possibles. On pourrait commencer par démontrer le cas particulier (en notant que si un groupe G est produit direct interne de deux sous-groupes G1 et G2, la seconde projection associée à cette décomposition est un homomorphisme surjectif de G sur G2 admettant G1 pour noyau) et passer au cas général en notant que d’après l'« associativité » de la somme restreinte interne, G est somme restreinte interne de et de .

Proposition[11]

Soient G un groupe, H1, H2, ... , Hn des sous-groupes distingués de G tels que (H1 H2 ... Hi-1) ⋂ Hi = 1 pour tout i (2 ≤ in). Le sous-groupe H1 H2 ... Hn de G est produit direct interne de H1, ..., Hn.

Démonstration

Il suffit de le démontrer dans le cas où n = 2, l' « associativité » du produit direct interne permettant alors une démonstration par récurrence sur n. Soient donc H1 et H2 des sous-groupes distingués de G tels que H1 ⋂ H2 = 1. Il s'agit de prouver que H1 H2 est produit direct interne de H1 et H2. D'après un problème de la série Exercices/Sous-groupe distingué, groupe quotient tout élément de H1 commute avec tout élément de H2. D'autre part, l'hypothèse H1 ⋂ H2 = 1 entraîne que l'écriture h1h2 d'un élément de H1H2 avec h1 dans H1 et h2 dans H1, est unique : en effet, si h'1h'2 = h1h2, avec h'1 dans H1 et h'2 dans H1, alors h1-1h'1 = h2h'2-1. Comme le premier membre appartient à H1 et le second membre à H2, h1-1h'1 et h2h'2-1 appartiennent « tous deux » à H1 ⋂ H2 = 1, donc h'1 = h1 et h'2 = h2. Nous avons donc prouvé que tout élément de H commute avec tout élément de K et que tout élément de HK peut s'écrire d'une et une seule façon comme produit d'un élément de H par un élément de K, donc HK est produit direct interne de H et de K.

Corollaire

Soient G un groupe fini, H1, H2, ... , Hn des sous-groupes distingués de G dont les ordres sont premiers entre eux deux à deux. Le sous-groupe H1 H2 ... Hn de G est produit direct interne de H1, H2, ... , Hn. Si l’ordre de G est égal au produit des ordres des Hi, G est produit direct interne des Hi.

Démonstration

Prouvons que H1 H2 ... Hn est produit direct interne de H1, H2, ... , Hn. D'après le théorème qui précède, il suffit de prouver que (H1 H2 ... Hi-1) ⋂ Hi= 1 pour tout i (2 ≤ in) et pour cela, il suffit de prouver que l’ordre de Hi est premier avec celui de H1 H2 ... Hi-1. (Deux sous-groupes finis d'ordres premiers entre eux ont une intersection réduite à l'élément neutre, car l’ordre d'un élément commun à ces sous-groupes divise l’ordre de chacun de ces sous-groupes et est donc égal à 1.) On peut par exemple raisonner par récurrence sur n. Par hypothèse de récurrence, H1 H2 ... Hi-1 est produit direct interne de H1, H2, ... et Hi-1, donc son ordre est le produit des ordres de H1, H2, ... et Hi-1, donc est premier avec l’ordre de Hi. Nous avons donc démontré la première assertion de l'énoncé. Il en résulte que l’ordre de H1 H2 ... Hn est égal au produit des ordres des Hi. Si l’ordre de G est supposé égal au produit des ordres des Hi, on a donc G = H1 H2 ... Hn et G est le produit direct interne des Hi, ce qui prouve la seconde assertion de l'énoncé.

Remarques.

  • Le corollaire qui précède nous servira dans l'étude des groupes nilpotents finis.
  • Dans la démonstration de ce corollaire, on aurait pu éviter le raisonnement par récurrence en utilisant le fait que si G est un groupe et K1, K2, ... , Kn des sous-groupes distingués finis de G, l'ordre de K1 K2 ... Kn divise le produit des ordres des Ki. (Voir « formule du produit » au chapitre Classes modulo un sous-groupe.)
Exemple

Soient G un groupe commutatif (dont tous les sous-groupes sont donc distingués), H et K deux sous-groupes de G. D'après ce qui précède, G est produit direct (interne) de H et de K si et seulement tout élément de G peut s'écrire d'une et une seule façon sous la forme hk, h appartenant à H et k à K. On vérifie facilement que la condition d'existence équivaut à G = HK et la condition d'unicité à H ⋂ K = 1.

Soient a et b deux nombres naturels > 0 et premiers entre eux. Prenons pour G un groupe cyclique d'ordre ab. On sait que G admet un unique sous-groupe H d'ordre a (formé par les b-ièmes puissances) et un unique sous-groupe K d'ordre b (formé par les a-ièmes puissances). D'après le corollaire qui précède, G est produit direct interne de H et de K. Ceci montre que si a et b sont des nombres naturels > 0 premiers entre eux, « le » groupe cyclique d'ordre ab est produit direct interne de son sous-groupe d'ordre a et de son sous-groupe d'ordre b.

Fin de l'exemple
Proposition

Soient G1, ... , Gn des groupes et, pour tout i, xi un élément d'ordre fini de Gi ; l’ordre de (x1, ... , xn) dans le produit des Gi est le ppcm des ordres des xi.

Si (K1, ... , Kn) est une famille finie de groupes cycliques dont les ordres sont premiers entre eux deux à deux, la somme directe (interne ou externe) de cette famille est un groupe cyclique. Si (G1, ... , Gn) est une famille finie de groupes finis (non forcément cycliques) dont les ordres ne sont pas premiers entre eux deux à deux, la somme directe (interne ou externe) de cette famille n’est pas un groupe cyclique.

Démonstration

On prouvera seulement que si G1, ... , Gn sont des groupes finis dont les ordres ne sont pas premiers entre eux deux à deux, la somme directe des Gi n’est pas un groupe cyclique, le reste étant laissé au lecteur.

Supposons d’abord n = 2. Il s'agit de prouver que si G1 est un groupe fini d'ordre n1 et G2 un groupe fini d'ordre n2, si n1 et n2 ne sont pas premiers entre eux, alors la somme directe de G1 et de G2 n’est pas un groupe cyclique.

Soit (a, b) un élément de cette somme directe. D'après la première partie de l'énoncé, l’ordre de (a, b) est égal au ppcm des ordres de a et de b. Comme l’ordre de a divise n1 et que l’ordre de b divise n2, le ppcm de n1 et de n2 est un multiple commun de l’ordre de a et de l’ordre de b, donc est multiple du ppcm des ordres de a et de b. Ainsi, l’ordre de (a, b) divise le ppcm de n1 et de n2. Puisque n1 et n2 ne sont pas premiers entre eux, leur ppcm est strictement plus petit que leur produit. Donc aucun élément (a, b) de la somme directe de G1 et de G2 n'a un ordre égal à l’ordre n1 n2 de cette somme directe, donc cette somme directe n’est pas cyclique.

Notre thèse est donc prouvée dans le cas n = 2. Dans le cas général, il existe deux indices distincts j et k tels que les ordres de Gj et de Gk ne soient pas premiers entre eux. D'après la première partie de la démonstration, la somme directe de Gj et de Gk n’est pas cyclique, donc la somme directe de G1, ... , Gn contient un sous-groupe non cyclique et n'est donc elle-même pas cyclique.

Notes et références

  1. Algèbre, ch. 1, § 4, déf. 12, p. 43.
  2. An Introduction to the Theory of Groups, 4e édition, tirage 1999, p. 308.
  3. Abstract Algebra, Wiley, 2004, p. 157.
  4. The Theory of Finite Groups, An Introduction, Springer, 2004, p. 27.
  5. Ouvr. cité, p. 28.
  6. N. Bourbaki, Algèbre, ch. I, § 4, no 9, Paris, 1970, p. 46.
  7. Voir S. Lang, Algèbre, Paris, Dunod, 2004, pp. 39 et 137.
  8. S. Lang, Algèbre, Modèle:3e éd., Paris, Dunod, 2004, p. 74.
  9. N. Bourbaki, Algèbre, ch. I, § 4, nos 8 et 9 ; Paris, 1970, pp. 43-46.
  10. N. Bourbaki, Éléments de mathématique, Algèbre, ch. I, § 4 ; Paris, 1970, p. 45.
  11. N. Bourbaki, Algèbre, I, Chapitres 1 à 3, Paris, 1970, ch. 1, § 4, no 9, prop. 15, p. 46.
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