Tumeur desmoïde

La tumeur desmoïde (ou « fibromatose agressive », « fibromatose desmoïde ») (de desmos : « tendon ») correspond à une prolifération myofibroblastique monoclonale produisant en abondance du tissu collagène hyalinisé de type desmoïde, c'est-à-dire analogue au tendon. Elle est souvent mal limitée et envahit les tissus avoisinants, ce qui rend son exérèse large difficile. Le risque de récidive après chirurgie d'exérèse est très variable selon les études, ce qui rend difficile le choix de leur traitement optimal. La tumeur desmoïde n'a pas de potentiel métastatique.

La tumeur desmoïde se développe préférentiellement dans les grands droits de l'abdomen après une opération ou une grossesse, mais peut se développer aussi sur les membres, ou niveau du cou ou au niveau du mésentère.

Histologie

Ce sont des tumeurs bénignes (à agressivité locale) du tissu conjonctif se caractérisant par une prolifération de fibroblastes, associées à une production de matrice extracellulaire notamment collagène[1]. Il existe des formes à localisations multiples (formes « multifocales »).

Malgré leur caractère bénin, il s’agit de tumeurs à caractère localement agressif car elles peuvent envahir les muscles. Leur croissance demeure souvent relativement lente, étalée sur plusieurs mois voire plusieurs années.

En microscopie optique, le tissu est composé de cellules fusiformes, séparées par un tissu collagène abondant. Le plus souvent, il est facile de différencier la tumeur desmoïde d’un sarcome (cancer des tissus mous) car les cellules de la tumeur desmoïde ne présentent pas d'atypie cellulaire et ont un index mitotique faible.

La tumeur infiltre volontiers les tissus avoisinants, en particulier musculaires, et ses limites par rapport aux tissus sains, sont souvent mal identifiées.

Étiologie

Polypose adénomateuse familiale

Dans la majorité des cas, les tumeurs desmoïdes surviennent spontanément, en dehors de tout contexte héréditaire ; on parle alors de tumeurs desmoïdes « sporadiques ».

Dans certains cas, la tumeur desmoïde coïncide avec une maladie génétique : la polypose adénomateuse familiale. C’est une maladie rare, familialement transmissible et généralement liée à une mutation du gène APC (Adenomatous Polyposis Coli). Elle est caractérisée par l’existence de polypes disséminés le long de la paroi colorectale ou ailleurs dans le système digestif. Les polypes apparaissent le plus généralement entre l’âge de 20 et 30 ans et font courir le risque de dégénérescence sous forme d’un adénocarcinome colique avant l’âge de 40 ans. Ce risque de dégénérescence amène le plus souvent à enlever préventivement le côlon (colectomie subtotale), voire le rectum[2].

Dans ce contexte de polyposes, les tumeurs desmoïdes sont fréquentes (10 à 15 % des patients atteints de polypose) et le plus souvent mésentériques. Elles surviennent soit dans un contexte de polypose connu, notamment après une chirurgie, soit elles sont le premier signe de cette maladie familiale. C’est pourquoi chez un patient atteint de tumeurs desmoïdes, il peut être recommandé de rechercher une polypose colique par coloscopie.

Dans tous les cas, la consultation d’un oncogénéticien est conseillée.

Autres facteurs de risque

Facteurs hormonaux

Cette hypothèse repose sur les observations suivantes[réf. souhaitée] :

  • survenue plus fréquente de tumeurs desmoïdes chez la femme avant la ménopause ;
  • survenue de tumeurs desmoïdes dans un contexte de grossesse précédant l’apparition de la tumeur ou dans l’année qui suit la grossesse, en particulier après une césarienne ;
  • régression spontanée possible de la tumeur desmoïde à la ménopause ;
  • efficacité de certaines thérapeutiques anti-hormonales ;
  • présence de certains récepteurs des hormones dans les cellules tumorales.

Ces observations font penser que des facteurs hormonaux (œstrogènes sécrétés par les ovaires) favorisent le développement de tumeurs desmoïdes.

Facteurs traumatiques

Les traumatismes, qu’ils soient chirurgicaux ou physiques (chocs accidentels), sont souvent évoqués comme une possible cause de l’apparition de tumeurs desmoïdes. La littérature scientifique rapporte en effet des cas de tumeurs desmoïdes apparaissant sur des cicatrices de plaies ou faisant suite à une opération chirurgicale, sur des sites d’implantation de trocarts de cœlioscopie ou après mise en place de prothèses mammaires en silicone.

Plusieurs patients ont rapporté l’existence de tumeurs desmoïdes survenues à la suite d'un choc physique. Le lien de causalité entre une lésion post-traumatique et la survenue des tumeurs desmoïdes est un phénomène difficile à démontrer mais parait très probable.

Le mécanisme évoqué serait un dérèglement du fonctionnement cellulaire lors de la cicatrisation.

Clinique

Terrain

Elles peuvent survenir à tout âge de la vie, dès la petite enfance. Elles sont alors surtout situées dans les membres, la tête et le cou. Chez le jeune adulte, il existe une nette prédominance féminine, à dominante abdominale.

Localisations préférentielles

On distingue schématiquement les tumeurs extra-abdominales (membres, cou, thorax), les tumeurs de la paroi abdominale et les tumeurs intra-abdominales (ou mésentériques).

En fait, les tumeurs desmoïdes peuvent survenir sur tous les muscles, mais on les observe plus particulièrement au niveau des membres, où elles touchent fréquemment l’épaule et le tronc (thorax, abdomen, bassin).

Symptomatologie

Les tumeurs desmoïdes se manifestent généralement par différents symptômes :

  • tuméfactions palpables (« boules »), de taille variable, parfois très volumineuses ;
  • douleurs d’origines multiples (musculaires, abdominales, nerveuses…), dans certains cas très aiguës qui peuvent nécessiter un traitement antalgique voire une consultation dans un centre anti-douleur[3] ;
  • gênes fonctionnelles par compression des nerfs ou des organes ;
  • présence de polypes, de kystes sébacés qui font fortement évoquer une polypose adénomateuse familiale.

Histoire naturelle

La tumeur desmoïde a une évolution mal connue et variable. Sans que l’on sache encore pourquoi, la tumeur desmoïde peut en effet, après une première poussée, tout autant se stabiliser progressivement, continuer à croître régulièrement ou s’arrêter d’évoluer brutalement[4].

Son évolution est globalement lente et progressive, mais des poussées soudaines peuvent parfois se manifester. En fonction de la localisation de la tumeur, cette évolution peut alors entraîner des complications plus ou moins douloureuses : inflammations, compressions de vaisseaux, de nerfs ou d’organes de voisinage (en particulier pour les tumeurs intra-abdominales), impotences fonctionnelles (réduction de la mobilité des membres par exemple).

De nouvelles tumeurs peuvent apparaître en dehors du foyer initial, restant toutefois localisée dans la même région. Les cas rapportés de tumeurs multiples ou de tumeurs récidivant sont rarissimes.

Ces tumeurs ne se transforment pas en cancer et ne donnent pas de métastases.

La grossesse peut entraîner une poussée évolutive; toutefois la grossesse reste possible sous certaines conditions[5].

Bilans complémentaires

Imagerie

L'échographie est un examen simple permettant de confirmer la présence d'une masse « tissulaire » ; l'échographie permet aussi de mesurer la taille des lésions superficielles.

Le scanner, pour les tumeurs desmoïdes intra-abdominales, ou l’IRM, pour les autres tumeurs desmoïdes, sont les deux examens de choix pour visualiser la tumeur desmoïde. Ces examens permettent de suspecter une tumeur desmoïde, mais peinent à définir les limites précises de la tumeur, notamment en cas de tumeur intra-abdominale. Ils permettent en général d’établir un premier diagnostic, qui sera confirmé par l’étude histologique d’un fragment de la tumeur.

Biopsie

L'examen au microscope d'au moins une partie de la tumeur (biopsie) est indispensable au diagnostic (examen anatomopathologique). En effet, c’est grâce à cet examen que l’identification et la nature des lésions peuvent être déterminées avec précision ; le diagnostic est alors posé.

Lors d’une intervention chirurgicale, le chirurgien peut enlever la tumeur (on parle dans ce cas d’exérèse) ou réaliser une simple biopsie. Les tissus sont toujours analysés par des médecins spécialisés en anatomopathologie, les anatomopathologistes (ou pathologistes).

Diagnostics différentiels

Il existe d’autres fibromatoses plus superficielles et moins agressives, comme la maladie de Dupuytren qui atteint la paume des mains, la fibromatose digitale infantile ou certaines fibroses réactionnelles à un traumatisme par exemple.

Traitement

Chirurgie

La chirurgie n'est plus recommandée comme le traitement systématique des tumeurs desmoïdes. Il est toujours difficile de considérer que l'exérèse est large et complète et de ce fait il existe un risque de 40 à 60 % de récidive locale. L'approche de 1re intention est la surveillance active avec des IRM régulières, seules les tumeurs desmoïdes s'aggravant justifient un traitement, qui n'est pas obligatoirement chirurgical[6],[7].

Radiothérapie

La place de la radiothérapie est discutée dans la prise en charge des tumeurs desmoïdes. Elle pourrait être indiquée en cas de résection incomplète de la tumeur, et diminuerait le risque de rechute locale, ou pour contrôler la croissance d'une tumeur non opérable, de par sa localisation ou un terrain fragile du patient.

Autres

En cas de tumeur jugée inopérable, de progression ou de rechute, de nombreux traitements médicaux peuvent être proposés mais l’évaluation de leur réel bénéfice reste difficile. À l’image de la progression lente de la tumeur, tous les médicaments proposés n’induisent pas, dans la plupart des cas, une régression immédiate de la tumeur mais plutôt un ralentissement ou un arrêt de son évolutivité dans un premier temps, la régression pouvant ne survenir que beaucoup plus tard, des mois après la prise du traitement.

Traitement antihormonaux

Comme il a été précisé précédemment, il existe des arguments pour penser que ces tumeurs peuvent se développer sous l’influence d’hormones comme les œstrogènes et la progestérone.

Il apparaîtrait donc logique de proposer des médicaments de type « anti-estrogènes » comme le tamoxifène ou «progestatifs fortement dosés» comme la médroxyprogestérone. Ces produits sont utilisés seuls ou en association, parfois avec des anti-inflammatoires en général non stéroïdiens. Ces traitements sont souvent efficaces sur la douleur ou d’autres symptômes, mais la régression objective est moins fréquente même si des cas rares de rémission complète sont rapportés.

Anti-inflammatoires

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont fréquemment utilisés car ces tumeurs fabriquent des substances qui semblent avoir un rôle dans les mécanismes inflammatoires. Le sulindac (en) est le médicament le plus fréquemment utilisé. Plus récemment un autre type d’anti-inflammatoires a été utilisé, comme le célécoxib (ou Celebrex), principalement en raison de sa meilleure tolérance par rapport aux anti-inflammatoires traditionnels comme le sulindac. Cependant la survenue de problèmes cardio-vasculaires en a réduit l’utilisation de façon prolongée.

Chimiothérapies

Les médicaments de « chimiothérapie cytotoxique », utilisés pour la prise en charge médicale des tumeurs malignes ont cependant été utilisés dans les formes récidivantes ou progressives de tumeurs desmoïdes.

Des associations de médicaments donnés de façon hebdomadaire à faibles doses (vinblastine et méthotrexate) permettent des traitements de longue durée. Une chimiothérapie généralement utilisée pour traiter les sarcomes, plus intensive et plus courte, est parfois proposée dans les formes très évolutives ou après échec des premiers médicaments.

Dans certains cas de tumeurs desmoïdes inopérables localisées dans les membres, il est proposé de faire des perfusions localisées d’agents anticancéreux au niveau du membre atteint.

Il n’existe pas actuellement de consensus sur le meilleur des traitements.

Inhibiteurs de la tyrosine kinase

Article détaillé : Récepteurs à activité tyrosine kinase.

Les cellules de certaines tumeurs desmoïdes expriment en grande quantité sur leur surface des récepteurs de facteurs de croissance et des molécules permettant l’adhésion entre cellules, qui contribuent parfois à la croissance tumorale.

L’imatinib (Glivec) a montré des résultats encourageants dans deux études parallèles, l’une conduite en France[8] et l’autre aux États-Unis[9].

Notes et références

  1. (en) Fletcher Christopher, WHO Classification of Tumours of Soft Tissue and Bone, Lyon, IARC,
  2. (en) Schiessling S, Kihm M, Ganschow P, Kadmon G, Büchler MW, Kadmon M, « Desmoid tumour biology in patients with familial adenomatous polyposis coli », Br J Surg, vol. 5, , p. 694-703. (PMID 23334997, DOI 10.1002/bjs.9053)
  3. (en) Bonvalot S, Ternès N, Fiore M, Bitsakou G, Gronchi A et al., « Spontaneous regression of primary abdominal wall desmoid tumors: more common than previously thought », Ann Surg Oncol, vol. 20, no 13, , p. 4096-102. (PMID 24052312, DOI 10.1245/s10434-013-3197-x)
  4. (en) Briand S, Barbier O, Biau D, Bertrand-Vasseur A, Larousserie F, Anract P, Gouin F, « Wait-and-see policy as a first-line management for extra-abdominal desmoid tumors », J Bone Joint Surg Am, vol. 96, no 8, , p. 631-8. (PMID 24740659, DOI 10.2106/JBJS.M.00988, lire en ligne [html])
  5. (en) Fiore M, Coppola S, Cannell AJ, Colombo C, Raut CP et al., « Desmoid-type fibromatosis and pregnancy: a multi-institutional analysis of recurrence and obstetric risk », Ann Surg, vol. 259, no 5, , p. 973-8. (PMID 24477160, DOI 10.1097/SLA.0000000000000224)
  6. (en) Colombo C, Miceli R, Le Péchoux C, Palassini E, Bonvalot S et al., « Sporadic extra abdominal wall desmoid-type fibromatosis: surgical resection can be safely limited to a minority of patients », Eur J Cancer, vol. 51, no 2, , p. 186-92. (PMID 25500145, DOI 10.1016/j.ejca.2014.11.019)
  7. (en) Gronchi A, Colombo C, Le Péchoux C, Dei Tos AP, Bonvalot S et al.; ISG and FSG, « Sporadic desmoid-type fibromatosis: a stepwise approach to a non-metastasising neoplasm--a position paper from the Italian and the French Sarcoma Group », Ann Oncol, vol. 25, no 3, , p. 578-83. (PMID 24325833, DOI 10.1093/annonc/mdt485, lire en ligne [html])
  8. (en) Penel N, Le Cesne A, Bui BN, Perol D, Brain EG, Ray-Coquard I, Guillemet C, Chevreau C, Cupissol D, Chabaud S, Jimenez M, Duffaud F, Piperno-Neumann S, Mignot L, Blay JY, « Imatinib for progressive and recurrent aggressive fibromatosis (desmoid tumors): an FNCLCC/French Sarcoma Group phase II trial with a long-term follow-up », Ann Oncol, vol. 22, no 2, , p. 452-7. (PMID 20622000, DOI 10.1093/annonc/mdq341, lire en ligne [html])
  9. (en) Chugh R, Wathen JK, Patel SR, Maki RG, Baker LH et al.; Sarcoma Alliance for Research through Collaboration (SARC), « Efficacy of imatinib in aggressive fibromatosis: Results of a phase II multicenter Sarcoma Alliance for Research through Collaboration (SARC) trial », Clin Cancer Res, vol. 16, no 19, , p. 4884-91. (PMID 20724445, DOI 10.1158/1078-0432.CCR-10-1177, lire en ligne [html])

Voir aussi

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