Syndrome du bébé secoué

Le syndrome du bébé secoué (SBS) est un ensemble de signes cliniques concernant un nourrisson, qui présente un hématome sous-dural, une hémorragie rétinienne ou un œdème cérébral (ce que l'on appelle parfois la « triade »), qui indiquent dans la plupart des cas que l'enfant a subi une violence physique, qui peut être un choc violent (accident de voiture, etc.), ou plus généralement que l'enfant a été secoué par un adulte. On parle aussi de traumatisme crânien infligé. Le diagnostic peut parfois être rendu difficile du fait de l'existence de maladies rares provoquant des symptômes similaires (diagnostics différentiels[SOFMER 1]) et il est à l'origine de controverses.

Syndrome du bébé secoué
Image d'un hématome sous-dural une des conséquences possible du fait de secouer un bébé
CIM-10 Y07.9 et T74.1
CIM-9 995.55
MedlinePlus 000004
MeSH D038642

Mise en garde médicale

L'acte de secouement violent peut être imputé à un parent excédé par les pleurs de l'enfant; il est en réalité souvent bien plus grave qu'une chute du bébé de la table à langer par exemple. L'enfant décède dans 10 à 40 % des cas, la majorité des autres conservant des séquelles graves à vie[1], ou encore qualifiées de « handicap invisible ».

Il est reconnu comme une maltraitance sur mineur que le soignant est tenu de signaler afin de procéder à une enquête, car le taux de récidive est de plus de 50 % des cas.[1].

Histoire

En 1860, le médecin légiste Ambroise Tardieu donne une première description du syndrome des enfants battus dans une étude portant sur 32 cas, dont 18 mortels. Ces cas mortels sont dus à des traumatismes crâniens et lésions cérébrales infligés à de très jeunes enfants à l'intérieur même des familles[2]. Cette étude resta sans lendemain car il était difficile d'admettre que des parents puissent maltraiter leurs enfants[3].

En 1946, le radiologue pédiatrique John Cafey signale l'association d'hématomes sous duraux et de fractures multiples chez six enfants. Il soupçonne une origine provoquée malgré les dénégations des parents. En 1953, son élève Frédéric Silverman décrit l'ensemble des caractéristiques radiologiques définissant le syndrome de Silverman comme des sévices (maltraitance).

En 1962, Kempe et Silverman publient The Battered Child Syndrome (Le syndrome de l'enfant battu) dans un article du JAMA. Cette publication est à l'origine de l'obligation légale de les signaler aux États-Unis[4]. En 1968, Ommaya décrit des lésions cérébrales par gifles ou flagellation (whiplash).

En 1971, le neurochirurgien Guthkelch postule que des lésions cérébrales du très jeune enfant peuvent être causées par un secouement violent, il note que des parents britanniques trouvent plus acceptable et moins dangereux un « bon secouement » que des coups directs portés à la tête.

En 1972, John Caffey utilise l'expression « secouement de bébés » (shaking infants), et en 1974, il décrit un syndrome du bébé secoué, the whiplash shaken infant syndrome[5].

À partir de 1987, une discussion a lieu pour savoir si les lésions constatées peuvent s'expliquer par un secouement seul, ou associé à un impact direct, ou encore par impact direct seul[6],[7].

En 2009, l'Académie Américaine de Pédiatrie recommande l'utilisation du terme abusive head trauma (traumatisme crânien intentionnel ou non-accidentel) qui ne préjuge pas du mécanisme en cause. Ceci n'invalide pas le mécanisme du secouement seul (syndrome du bébé secoué ou SBS), lequel est replacé dans le cadre plus général des traumatismes crâniens par maltraitance.

En 2018, il existe un consensus international selon lequel le traumatisme crânien intentionnel ou non-accidentel peut relever de trois mécanismes : le secouement seul, le secouement avec impact direct, les coups directs seuls[6].

Physiopathologie

Les gestes agressifs et traumatiques sont le fait de parents ou de gardiens, parvenus à leur degré de rupture, lorsqu'ils sont excédés par les pleurs incessants et persistants (inconsolables) d'un nourrisson[8],[9].

Plusieurs facteurs, particuliers au jeune nourrisson (principalement avant six mois), permettent de comprendre les dangers d'un secouement violent :

  • Une tête grosse et lourde relativement au reste du corps (12% du poids du corps chez le nouveau-né, près de 2% chez un adulte)[10].
  • Des muscles du cou trop faibles pour maintenir la tête ou la retenir en cas de secousse. L'âge moyen de la tenue de la tête est de 3 mois, mais ce contrôle reste encore insuffisant pour résister à des mouvements brutaux.
  • Le cerveau du nourrisson ne remplit pas toute la boîte crânienne (largeur des espaces sous-arachnoïdiens, plus chez les garçons que chez les filles). Il est plus riche en eau, et encore faiblement myélinisé, ce qui le rend plus fragile, que celui de l'adulte[10].

Des mouvements violents et répétés, non comparables avec ceux du jeu, peuvent donc faire que le cerveau bouge suffisamment dans la boîte crânienne pour entraîner la rupture de vaisseaux sanguins dans le cas de ce syndrome.

Mécanismes

Le secouement entraîne de violents mouvements d'accélération-décélération, avec une composante rotationnelle (accélération angulaire).

Les lésions provoquées sont multiples : hématomes sous-duraux, contusion cérébrales, lésions axonales diffuses, œdème cérébral, hémorragies rétiniennes, lésions médullaires[11]...

Les hématomes sous-duraux seraient dus à une rupture ou déchirure des vaisseaux-ponts qui relient le cortex cérébral à la dure-mère. Le heurt violent du cerveau contre la paroi crânienne expliquerait les lésions neuronales, l'œdème et une anoxie cérébrale[10].

Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer les hémorragies rétiniennes  : lien direct avec une hémorragie intracrânienne, pression intracrânienne, ou encore de type décollement de rétine[4].

Les lésions secondaires qui apparaissent après le traumatisme sont l'œdème cérébral, l'infarctus et l'infection cérébrales, l'engagement et l'hydrocéphalie. Tout ou partie de ces lésions peuvent conduire à une atrophie cérébrale progressive. Le mécanisme le plus commun serait la décélération brutale[4].

D'autres lésions associées sont possibles comme les lésions médullaires et celles du tronc cérébral (atteinte des centres nerveux respiratoires), avec hypoxie et lésions ischémiques pouvant apparaître secondairement[4].

Il existe d'autres mécanismes, susceptibles de se combiner ou pas avec le secouement, tels que les coups directs, la suffocation (main appliquée sur le visage du nourrisson, ou sa face maintenue appuyée contre une surface) ou encore la strangulation : d'où le cadre plus général des traumatismes crâniens dits non-accidentels, intentionnels ou par maltraitance.

Épidémiologie

Le syndrome du bébé secoué (SBS) survient le plus souvent chez un nourrisson de moins de 1 an, et dans les deux tiers des cas, chez les moins de 6 mois.

En France, on estime que plusieurs centaines d'enfants chaque année sont victimes de cette forme de maltraitance[12] ; 100 à 200 en Allemagne[13].

Aux États-Unis, l'incidence est évaluée à 20 à 30 cas sur cent mille enfants âgés de moins de un an, avec un taux de mortalité de 20 %, et des incapacités pour les deux tiers des survivants[7]. Le traumatisme crânien intentionnel Abusive Head Trauma (depuis 2009 aux États-Unis) compterait pour 80 % des 1400 enfants qui décèdent chaque année de maltraitance[4] ; 45% l'étant par secouement (SBS), le reste par coups directs, flagellations et autres mauvais traitements[6].

Facteurs de risques

Lorsque l'auteur a pu être identifié, une étude de 2004, portant sur 171 cas, montre qu'il s'agit du père dans plus de la moitié des cas, et d'environ 15 % d'un ami de la mère, puis de la mère elle-même, ou d'une personne gardienne de l'enfant[10]. Les auteurs sont le plus souvent jeunes, peu informés des besoins et du développement normal d'un bébé.

Le risque est plus élevé avec les enfants nés prématurés ou atteints de pathologies multiples. Le pic de maltraitance survient à l'âge de 2 à 4 mois, période où les pleurs incessants peuvent faire partie du développement normal d'un enfant. Les pleurs peuvent apparaitre vers l'âge de 2 à 3 semaines, avec un pic vers 6 à 8 semaines. La plupart des bébés qui pleurent longtemps sont en bonne santé et s'arrêtent vers le 4e mois[9].

La maltraitance parait un peu plus fréquente dans les familles dépourvues de soutien ou de lien dans leur environnement social immédiat. Les facteurs retrouvés sont une faible estime de soi, une dépression, parent lui-même battu ou abandonné en tant qu'enfant, grossesse non désirée ou répétées à de courts intervalles, dysfonctionnement familial avec histoire d'alcool, de drogue et de violence, ainsi que les stress et drames de la vie courante[4].

Cependant la maltraitance existe aussi dans tous les milieux sociaux[4], y compris dans des familles ne présentant pas de risques particuliers[14]. C'est même dans les cas de bébés secoués que l'on trouve des parents-auteurs issus de classes sociales élevées avec bagage éducatif de niveau supérieur. Les facteurs psycho-affectifs seraient prédominants : l'isolement moral, plus que l'isolement social, jouerait un rôle dans le déclenchement de la violence. Cette maltraitance « soigneusement dissimulée » échapperait aux contrôles sociaux et aux systèmes institutionnels[15].

Selon Anne Tursz, ce serait le non-attachement à l'enfant qui produirait la maltraitance chez des parents déjà préalablement fragilisés dans leur histoire ou leur vécu ; ce qui expliquerait ainsi le risque accru des prématurés avec hospitalisation néonatale (rupture du lien physique entre un nouveau-né et ses parents) ou encore celui de l'enfant « peu gratifiant pour le narcissisme parental »[15].

La plupart des cas de bébés secoués sont des cas répétitifs, où l'on retrouve des précédents de maltraitance (y compris de secouement) qui n'avaient pas été diagnostiqués auparavant[9].

Aspects cliniques

Signes évocateurs

Cette maltraitance est de diagnostic difficile, donc de fréquence sous-estimée[11]. Les signes d'appel sont variés et le plus souvent peu significatifs. Ils peuvent avoir duré plusieurs jours avant que l'enfant soit amené en consultation.

Il peut s'agir de malaise, troubles de la vigilance, convulsions, pauses respiratoires (apnées) évoquant une atteinte neurologique, voire de coma dans les cas les plus graves. Mais aussi de signes plus légers : comportementaux (irritabilité douloureuse, trouble du sommeil), pâleur anormale (en lien avec une anémie), mauvaise prise du biberon, vomissements sans diarrhées... qui peuvent égarer le diagnostic[11].

Dans les cas où l'enfant est retrouvé mort, et une autopsie s'impose (en France, selon la procédure concernant la mort inattendue du nourrisson).

L'examen clinique peut montrer des signes d'orientation : fontanelle bombante, augmentation du périmètre crânien. Des contusions et ecchymoses sont fréquentes, mais non obligatoires : cutanées, ou au niveau du nez, de l'oreille, ou à l'intérieur de la bouche. La présence de fractures chez un petit enfant qui ne marche pas encore est très suspecte[16].

Contexte

Des éléments du contexte apparaissent inhabituels ou suspects, par exemple :

  • Adultes amenant leur enfant de façon retardée, ou en minimisant les symptômes.
  • Histoire de morts inexpliquées dans la fratrie.
  • Histoire incompatible avec le tableau clinique constaté.
  • Explications changeantes selon le moment ou la personne interrogée.

En présence de plusieurs éléments associés (signes évocateurs et contexte douteux), le médecin doit envisager la possibilité d'un SBS. Faisant part aux parents de son inquiétude pour la santé de l'enfant, il doit faire hospitaliser l'enfant en urgence pour des soins et un bilan complet et lésionnel (fond d'œil, imagerie cérébrale...)[16].

Bilan lésionnel

Le bilan hospitalier précise les lésions non crâniennes : lésions cutanées ou muqueuses, des parties molles de la nuque, fractures des membres ou du rachis, de la cage thoracique, en particulier des côtes.

Les lésions crâniennes sont évaluées par l'examen ophtalmologique (fond d'œil) et l'imagerie cérébrale qui peuvent montrer des lésions oculaires et péri-oculaires, et des lésions cérébrales et spinales. Parmi ces lésions, l'association d'un hématome sous-dural et d'hémorragies rétiniennes est très caractéristique, d'autant plus selon leur localisation, leur étendue et leur gravité[16].

Il existe des éléments qui permettent, dans certains cas, de dater des lésions (indiquant des traumatismes répétés). Cette interprétation ne relève pas du bilan hospitalier, mais d'un expert judiciaire mandaté par la Justice (en France).

Hémorragies rétiniennes

Elles sont présentes dans 80 % des cas. Elles peuvent être uni- ou bilatérales, quand elles sont diffuses, atteignant la périphérie de la rétine, sur plusieurs couches, avec d'autres lésions rétiniennes associées (comme un décollement de rétine), elles sont, dans ce cas précis de gravité, quasi-pathognomoniques d'un SBS, car ce type de lésions ne peut se voir que dans les accidents à très grande vitesse ou chute de plusieurs étages et ne peuvent être expliquées par un traumatisme minime allégué[16].

D'autres types d'hémorragies rétiniennes peuvent se voir. Leur sévérité est corrélée à la gravité du traumatisme. Leur absence n'exclue pas le diagnostic (20 % des cas), mais leur présence est un argument en faveur du secouement.

Hématome sous-dural

Les hématomes sous-duraux sont répartis en plusieurs foyers. Uni- ou bilatéraux, ils se situent, dans la forme la plus caractéristique, dans la faux du cerveau et/ou la tente du cervelet. La prédominance de l'hématome associé à la présence de caillots au vertex est très évocatrice du diagnostic.

Ces hématomes ne sont pas toujours visibles initialement car ils peuvent être masqués au début par un œdème cérébral.

Diagnostics différentiels

Le diagnostic différentiel principal est le traumatisme crânien accidentel, puis viennent des maladies, beaucoup plus rares, susceptibles d'expliquer les lésions constatées.

Traumatisme crânien accidentel

Dans le cas du traumatisme accidentel, l'histoire clinique (explications des gardiens – parents ou adulte responsable de l'enfant –) doit être constante, et compatible avec les lésions constatées. Les explications traumatiques le plus souvent avancées par les gardiens sont la chute de faible hauteur (des bras de l'adulte, de la table à langer, du lit), chute dans l'escalier, secouements par jeux (sauts sur les genoux, faire l'avion, lâcher et rattraper dans l'air, secouement dans un siège de type transat...), traumatismes minimes (enfant se cognant de lui-même)[16],[10]. D'autres mécanismes traumatiques sont parfois allégués comme les suites d'un accouchement, des manœuvres de réanimation etc[16]...

En cas d'histoire clinique constante et concordante, le diagnostic de bébé secoué peut être écarté ; par exemple si on constate une contusion du cuir chevelu (avec éventuellement une fracture linéaire en regard), un hématome sous-dural unifocal avec traces d'impact, uni ou controlatérales, compatibles avec le mécanisme allégué (ici traumatisme accidentel violent)[16].

Les principales situations où les explications ne concordent guère avec les lésions constatées sont les suivantes :

Chute de faible hauteur

Une chute de moins de 1,5 m (enfant de moins de 1 an) ne peut provoquer un hématome sous-dural pluti-focal, ni d'hémorragie rétinienne diffuse ou bilatérale. Elle n'entraine jamais une association hématome sous-dural et hémorragie rétinienne[16].

Selon le consensus international 2018, les lésions intracrâniennes graves dues à ces chutes sont rares : la mortalité est de 0,48 par million d'enfants de moins de 5 ans et par an, alors que les chutes de faible hauteur sont très fréquentes, ne donnant généralement lieu qu'à des lésions modérées, correspondant au point d'impact, et sans séquelles importantes[6].

Dans les cas très rares de décès (chute sur un angle dur par exemple), les lésions retrouvées sont un hématome étendu, une dissection artérielle pouvant provoquer un accident vasculaire cérébral secondaire[6].

Traumatismes mineurs

En dehors des chutes, un nourrisson de trois mois ne peut être seul à l'origine d'un traumatisme assez violent pour provoquer les lésions constatées (par exemple se heurter aux barreaux du lit)[10] ; de même une fracture ne peut être liée à un accident de marche chez un enfant qui ne marche pas encore[17].

Les secouements par simple jeu ne sont pas suffisants pour provoquer des lésions caractéristiques, de même que les manœuvres de réanimation cardio-respiratoire[18].

Autres pathologies

Des diagnostics médicaux, plus rares, sont à évoquer, ce qui n'exclut pas la possibilité de maltraitance surajoutée. En principe, ils sont éliminés par l'examen clinique et le bilan hospitalier systématique (bilan de la coagulation et imagerie).

  • Troubles de l'hémostase : thrombopénie, hémophilie, maladie de Willebrand, déficit en facteurs de coagulation comme la vitamine K.
  • Malformations artério-veineuses cérébrales. Les anévrysmes cérébraux sont exceptionnels avant l'âge de un an.
  • Certaines maladies métaboliques très rares, comme l'acidurie glutarique type I, ou encore la maladie de Menkes ne sont à évoquer et à confirmer par des examens spécifiques que s'il existe des signes d'appel pour ces maladies.
  • L'ostéogenèse imparfaite est un diagnostic différentiel uniquement pour les fractures et non pour des hématomes sous-duraux.
  • L'hydrocéphalie externe, qui est reliée à un périmètre crânien élevé (macrocrânie) et à un élargissement des espaces sous-arachnoïdiens, est une affection rare du nourrisson (1 sur cent mille) dont 6% peuvent présenter des hématomes sous-duraux spontanés ou à la suite de traumatisme mineur[6]. La rareté de cette affection fait que l'on doit abord envisager le diagnostic d'une maltraitance (traumatisme crânien non accidentel)[19].

Critères de diagnostic

Principes

Le diagnostic positif s'effectue dans le cadre d'une démarche pluri-disciplinaire confrontant les données de l'histoire et du bilan clinique, des lésions constatées à l'imagerie, et après élimination des diagnostics différentiels.

« Il s’agit d’éviter de méconnaître une situation de maltraitance et de ne pas poser trop hâtivement ce diagnostic, ce qui peut avoir des conséquences importantes sur la vie familiale »[20]. Le rôle des médecins est d'éviter ces deux écueils[4] :

  • Ils doivent toujours évoquer une maltraitance devant un traumatisme crânien du nourrisson, car c'est l'aspect habituel des victimes de moins de un an. Méconnaitre une maltraitance, c'est aggraver les risques pour l'enfant, lequel est de nouveau exposé à des traumatismes intentionnels. Cette répétition entraîne une mortalité plus élevée (24,5% contre 9,9% lors d'un seul épisode).
  • Inversement, une erreur dans le processus d'évaluation peut conduire aussi à de graves conséquences comme une hospitalisation prolongée, une aggravation du stress parental avec rupture de la relation médecin-patient, des coûts de santé accrus, et une exposition inutile de l'enfant à des traitements et examens.

Recommandations et consensus

En France, selon les recommandations 2017, les critères diagnostiques ne tiennent plus compte des facteurs de risques, ils se basent exclusivement sur les lésions objectivées et l'histoire rapportée, après élimination des diagnostics différentiels[16] :

  • Le diagnostic de SBS est probable en cas d'hématomes sous-duraux plurifocaux sans aucune autre lésion ; ou d'hématome sous-dural unilatéral avec hémorragies intrarétiniennes limitées au pole postérieur ; ou d'hémorragie rétinienne étendue et profonde (touchant la périphérie et plusieurs couches), qu'elle soit uni ou bilatérale.
  • Le diagnostic de SBS est certain en cas d'associations suivantes : hématomes sous-duraux plurifocaux avec caillots au vertex signant la rupture de veines-ponts ; ou hématomes sous-duraux et hémorragies rétiniennes quelles qu'elles soient ; ou hématome sous dural unifocal avec lésions cervicales ou médullaires.
  • Dans tous les cas, la probabilité de maltraitance est augmentée en cas de lésions associées ou récentes comme des lésions cérébrales diffuses ou de lacération, lésions cervicales ou médullaires, fractures du squelette, ecchymoses, lésions traumatiques viscérales.

Ces recommandations s'appuient sur les données de la littérature indiquant que la sensibilité et la spécificité des hémorragies rétiniennes pour le diagnostic de maltraitance (traumatisme intentionnel du nourrisson) sont respectivement de 75% et de 93%, et que la spécificité des hémorragies rétiniennes étendues et profondes est de 100%. De même l'association d'une apnée avec une hémorragie rétinienne, ou encore l'association d'une crise convulsive et d'une fracture de côtes, indiquent une probabilité de 90 %[4] .

Dans les pays anglo-saxons, plusieurs équipes tentent de mettre au point des modèles de prédiction du traumatisme crânien par maltraitance. Par exemple, chez des enfants de moins de 3 ans, un modèle utilise 6 données : la présence d'une apnée, d'hémorragie rétinienne, de fracture de côte, de fracture d'os long, convulsions, contusions de la tête et du cou. La probabilité de maltraitance varie de 4 % (si aucun facteur n'est présent) à 97 % (si les 6 facteurs sont présents)[7].

Selon le consensus publié en 2018 par 15 sociétés savantes de pédiatrie nationales et internationales : « Il n'y a pas de controverses concernant la validité médicale de l'existence du traumatisme crânien intentionnel [abusive head trauma incluant le SBS] avec ses multiples composantes incluant l'hématome sous-dural, les lésions intracraniennes et médullaires, les hémorragies rétiniennes complexes, les fractures de côtes et autres qui sont non compatibles avec le mécanisme du trauma proposé » [6].

Pronostic et séquelles

Aux États-Unis sur 1200 à 1400 bébés secoués par an, 25 à 30 % d'entre eux décèdent. Chez les deux-tiers des survivants, on retrouve une incapacité permanente (cécité, convulsions, paralysie cérébrale...). Seulement un tiers récupèrent totalement, et 50% gardent un déficit cognitif permanent[4].

Le handicap invisible est encore plus fréquent que chez l'adulte, les lésions cérébrales diffuses et le jeune âge (typique du SBS) étant des facteurs aggravants. Selon Chevignard, en sus de l'incidence sur la scolarité, sur l'emploi et la vie active, il existe même une sur-représentation des traumatisés crâniens en milieu carcéral[21]. Globalement : « Des troubles cognitifs multiples sont rapportés, ainsi que des troubles de la compétence sociale, et une immaturité affective »[22].

Aspects juridiques

Signalement

En France, c'est la notion de « danger », et non celle de « maltraitance » qui fonde la protection judiciaire des mineurs prévue à l'article 375 du code civil.

Dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, il n'y a pas de notion « d'enfant maltraité », mais « d'enfant en danger ». C'est le danger couru par l'enfant qui fait l'objet de repérage et de signalement, et non pas le ou les auteurs présumés d'une maltraitance[23].

Ce signalement (danger concernant un mineur de moins de 15 ans) est un devoir pour le médecin. Ne pas le faire est susceptible d'une infraction de non-assistance à personne en danger (article 223-6 du code pénal). Légalement, le médecin est délié du secret professionnel par l'article 226-14 du code pénal ; et l'article 44 du code de déontologie médicale lui impose de signaler des sévices[12].

Dans le cas de bébé secoué, le diagnostic est le plus souvent difficile pour le médecin traitant. Dans les faits, le plus souvent, c'est le médecin hospitalier responsable qui réalise le signalement sur la base d'un bilan complet et d'une réflexion pluridisciplinaire.

En cas de doute, il doit utiliser une voie administrative en saisissant le conseil départemental par la rédaction d'une « information préoccupante ». Ce conseil doit évaluer la situation et proposer, le cas échéant, des dispositifs adaptés d'aide aux familles. En cas d'échec, la situation est transmise aux autorités judiciaires.

En cas de faits avérés graves ou situation d'urgence, le signalement se fait directement au Procureur de la République qui déclenche l'enquête pénale et la mise en sauvegarde de l'enfant.

Depuis la loi du 5 novembre 2015, lorsque le signalement est fait dans les règles, la responsabilité de l'auteur du signalement ne peut être engagée. Le dernier alinéa de l’article 226-14 du Code pénal stipule que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi»[12].

Sanctions

Toujours en France, en aucun cas, le signalement médical ne doit mentionner le nom d'auteurs présumés. Dans la mesure du possible, il est recommandé de prévenir la famille de la mise en œuvre d'une démarche de signalement[12].

En cas de poursuites, sur le plan civil, il peut y avoir retrait de l'enfant, déchéance de l'autorité parentale et placement de l'enfant en famille d'accueil.

Sur le plan pénal et judiciaire, sur mineur de moins de 15 ans, des violences habituelles sont punies jusqu'à 5 ans de prison, et jusqu'à 7 ans en cas de violences volontaires avec ITT supérieure à 15 jours.

En cas de décès, ces violences volontaires peuvent être jugées comme un homicide involontaire [24], la loi distinguant entre la volonté d'un acte et les conséquences involontaires de ces actes. Sinon la peine encourue maximale peut aller jusqu'à 30 ans de réclusion criminelle[12] (homicide volontaire avec circonstances aggravantes).

Associations de parents

Des parents déclarant être accusés à tort de secouements sur leurs enfants atteints de maladies causant les mêmes signes que ceux du syndrome du bébé secoué (diagnostics différentiels) se sont regroupés au Canada[25], en France[26], au Royaume-Uni[27],[28], aux États-Unis[29], en Suède[30], et aux Pays-Bas[31].

Controverse

Article détaillé : Controverse sur le syndrome du bébé secoué.

Certains aspects du syndrome du bébé secoué font l'objet de controverses médicales et judiciaires[32].

En 2012, Norman Guthkelch, le neurochirurgien souvent crédité pour avoir « découvert » le diagnostic du syndrome du bébé secoué[33], a publié un article « après 40 ans de considérations » critique des poursuites judiciaires qui ne sont basées que sur la seule la triade de lésions[34]. À nouveau, en 2012, Dr Guthkelch a dit dans une interview, « Je pense que nous devons retourner à la case départ et faire une analyse beaucoup plus précise de ces cas, et je suis prêt à parier (...) que nous trouverions dans chaque cas, ou au moins dans la vaste majorité des cas, que l'enfant avait une maladie grave qui n'a pas été détectée à temps. »[35] Par ailleurs, en 2015, le Dr Guthkelch a dit : « Dès le départ, j'étais contre le fait de définir cette chose comme un syndrome. Aller jusqu'à dire qu'à chaque fois que vous voyez ces lésions, c'est un crime... C'est devenu une manière bien trop facile de finir en prison. »[36]

La controverse scientifique porte principalement sur les critères permettant de poser avec certitude le diagnostic de maltraitance sur un bébé. Historiquement, la seule découverte d'un hématome sous-dural et d'hémorragies rétiniennes, même en l'absence de traces de traumatisme, permettait de diagnostiquer le syndrome du bébé secoué de manière fiable[37]. C'est d'ailleurs le critère utilisé en France actuellement[SOFMER 1].

Depuis plusieurs années cependant, le consensus scientifique est que ces signes ne suffisent plus au diagnostic. La présence de fractures, de bleus, ou de lésions cervicales sont des signes supplémentaires permettant le diagnostic. Pour des juges britanniques[38], « la seule présence de la triade ne permet pas de conclure automatiquement ou nécessairement à un diagnostic de bébé secoué et/ou à un infanticide. Tous les faits de chaque cas individuel doivent être pris en compte ». Selon des médecins canadiens[39], « l’avis généralement admis selon lequel la triade [hématome sous-dural, hémorragies rétiniennes, œdème cérébral] en soi est un diagnostic de syndrome du bébé secoué ne tient plus ». En 2017, des médecins suédois de l'Institut Karolinska et travaillant pour l'Agence suédoise pour l'évaluation des technologies de la santé et des services sociaux ont publié une revue systématique de la littérature sur le syndrome du bébé secoué[40]. Leur conclusion est « qu'il n'y a pas assez de preuves scientifiques établissant la validité diagnostique de la triade pour identifier le secouement traumatique ».

En 2011 et 2015, le New York Times et le Washington Post ont publié deux dossiers sur la controverse du bébé secoué et sur les personnes accusées à tort[41],[42]. En 2014, la professeure de droit américaine Deborah Tuerkheimer a publié un livre sur la controverse du syndrome du bébé secoué et sur les erreurs judiciaires qui en découlent[43]. Le film The Syndrome, réalisé par Meryl Goldsmith, est sorti en 2016[44]. La thèse principale de ces travaux est que les connaissances scientifiques ont évolué, mais pas les connaissances des médecins et des juges. Le décalage entre les évolutions de la science et l'inertie de la pratique clinique serait la cause d'erreurs de diagnostics du syndrome du bébé secoué.

Notes et références

Notes

    Références

    1. Bébé secoué : une forme mal connue de maltraitance aux conséquences irréparables
    2. Ambroise Tardieu, « Étude médico-légale sur les sévices et mauvais traitements exercés sur des enfants », Enfances & Psy, vol. n° 39, no 2, (ISSN 1286-5559, lire en ligne)
    3. Zied Jlalia, Talel Znaigui et Mahmoud Smida, « Le syndrome des enfants battus: aspects cliniques et radiologiques », The Pan African Medical Journal, vol. 24, (ISSN 1937-8688, PMID 27642408, PMCID PMC5012761, DOI 10.11604/pamj.2016.24.68.8543, lire en ligne)
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    Bibliographie

    • HAS, Syndrome du bébé secoué, argumentaire scientifique, (lire en ligne).

    Voir Aussi

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