Démence à corps de Lewy

La démence à corps de Lewy (DCL) est un type de démence partageant des caractéristiques avec la maladie de Parkinson et la maladie d'Alzheimer. Elle se manifeste par des troubles cognitifs d'évolution progressive et fluctuante, associés à des hallucinations visuelles et à un syndrome extrapyramidal. Elle est anatomiquement caractérisée par la présence de corps de Lewy, constitués d'amas d'alpha-synucléine et d'ubiquitine, dans les neurones du cerveau. Le traitement est uniquement symptomatique.

Démence à corps de Lewy
La présence de corps de Lewy est une caractéristique de cette maladie
Spécialité Neurologie
CIM-10 G31.8
CIM-9 331.82
OMIM 127750
DiseasesDB 3800
eMedicine 1135041
eMedicine neuro/91 
MeSH D020961

Mise en garde médicale

Causes

Les causes de la DCL ne sont pas bien connues, mais un lien avec le gène PARK11 (en) a été décrit[1]. Comme pour la maladie de Parkinson et d’Alzheimer, la plupart des cas de DCL apparaissent sporadiquement. Il n'y a pas de raison de penser que le caractère héréditaire soit fort. Comme pour la maladie d'Alzheimer, le risque de DCL est augmenté par transmission de l'allèle ε4 de l'apolipoprotéine E (APOE)[2]. D'autres gènes semblent impliqués comme le LRRK2[3], le GBA[4] ou le SNCA[5].

Le rôle des inclusions de Lewy comme cause ou conséquence de la maladie n'est pas établi. Il est des cas où la présence de ces corps n'est corrélée avec aucun symptôme[6].

Anatomopathologie

Macrophotographies des régions de la substance noire d'un patient montrant des corps de Lewy sous différents grossissements.

La DCL est caractérisée par le développement d'inclusions cytoplasmiques de protéines alpha-synucléine dans tout le cerveau (les corps de Lewy)[7]. Ces inclusions sont proches des classiques corps de Lewy retrouvés en sous-cortical dans la maladie de Parkinson. Il existe une perte des neurones producteurs de dopamine dans la substance noire proche de celle vue dans la maladie de Parkinson, et une perte des neurones produisant l'acétylcholine proche de celle constatée dans la maladie d'Alzheimer. Des séries autopsiques ont montré que la DCL est souvent concomitante avec des lésions retrouvées dans la maladie d'Alzheimer, surtout avec des atteintes de l'hippocampe : plaques séniles avec dépôts de protéines bêta-amyloïdes et dégénérescences granulovacuolaires (dépôts granuleux à l'intérieur des neurones de l'hippocampe avec une zone plus claire autour). Les enchevêtrements neurofibrillaires (protéines tau anormalement phosphorylées) sont moins fréquents dans la DCL, bien que décrits. Des anomalies des astrocytes ont aussi été décrites[8],[9],[10],[11].

Il n'est pas déterminé si la DCL est une variante de la maladie d'Alzheimer ou une maladie en elle-même[7],[12],[13]. Contrairement à la maladie d'Alzheimer, le cerveau peut sembler grossièrement normal sans signe visible d'atrophie[14].

Diagnostic

Clinique

Le diagnostic de la DCL s'appuie sur les recommandations de la conférence de consensus de 2005[15].
Les symptômes pouvant évoquer le diagnostic de DCL sont :

  • une atteinte des fonctions cognitives associées à une perte d'autonomie ;
  • une confusion ;
  • une fluctuation rapide du fonctionnement cognitif (attention et vigilance) dans la journée voire d'heure en heure ;
  • un ralentissement moteur ;
  • des hallucinations essentiellement visuelles (retrouvées chez 75 % des patients), ce sont souvent des visions de personnes ou d'animaux, des paramnésies reduplicatives et d'autres troubles de la perception (double vision) ou de l'interprétation. Les patients peuvent critiquer ces hallucinations[16] ;
  • un syndrome extrapyramidal (parkinsonien), les tremblements sont cependant moins fréquents que dans la maladie de Parkinson ;
  • une intolérance aux neuroleptiques et apparentés (antiémétiques) avec risque d'une forme de catatonie proche du syndrome malin des neuroleptiques[17] ;
  • une apparition de troubles moteurs et cognitifs dans la même année ;
  • des chutes répétées.

La DCL a un profil neuropsychologique différent de la maladie d'Alzheimer[18] :

  • syndrome sous-cortico-frontal avec un ralentissement intellectuel et une atteinte des fonctions exécutives ;
  • troubles visuo-spatiaux majeurs ;
  • troubles mnésiques avec un rappel libre altéré, mais une amélioration à l'indiçage (trouble parfois absent en début de maladie) ;
  • retentissement sur l'autonomie ;
  • pas de syndrome aphaso-apraxo-agnosique.

Examens complémentaires

L'α-synucléine peut être dosée dans le sang ou dans le liquide céphalo-rachidien. Le taux dans ce dernier est significativement plus bas dans une démence à corps de Lewy que dans une maladie d'Alzheimer[19].

L'électroencéphalogramme peut montrer des anomalies, en particulier la présence d'ondes lentes, sans que cela soit discriminant[20].

Un scanner cérébral ou une imagerie par résonance magnétique doit être fait dans le cadre du bilan d'une démence mais ne montre pas d'anomalie spécifique.

La tomographie par émission de positons ou la tomographie d'émission monophotonique démontre un hypométabolisme occipital discriminant par rapport à la maladie d'Alzheimer[21].

La scintigraphie à la 123I-métaiodobenzylguanidine montre une diminution du captage du traceur au niveau cardiaque qui n'est pas retrouvé lors d'un Alzheimer[22].

La tomographie d'émission monophotonique utilisant du 123I-FP-CIT comme traceur peut montrer également une hypofixation de ce dernier[23].

Diagnostic différentiel

La démence à corps de Lewy regroupe des aspects cliniques de la maladie d'Alzheimer et de la maladie de Parkinson tout en étant plus proche de cette dernière[7]. Le diagnostic est difficile et la maladie est très souvent confondue avec celle-ci[24]. Alors que la maladie d'Alzheimer apparaît souvent progressivement, la DCL a tendance à progresser plus rapidement[25].

La DCL doit être distinguée de certaines formes démentielles qui apparaissent dans la maladie de Parkinson par le délai d'apparition de la démence après les symptômes extra-pyramidaux[26]. La maladie de Parkinson avec démence apparaît la plupart du temps après plus d'un an d'évolution du syndrome extra-pyramidal alors qu'un diagnostic de DCL peut être envisagé lorsque les troubles cognitifs apparaissent en même temps que le syndrome extra-pyramidal.

Traitement

La prise en charge a fait l'objet de la publication de recommandations par un consortium international en 2005[15].

Il n'y a pas de traitement curatif de la DCL. Les traitements disponibles permettent une prise en charge symptomatique d'une faible efficacité.

Prise en charge médicamenteuse

Le traitement spécifique des troubles moteurs par de la L-Dopa a des résultats modestes sur la rigidité parkinsonienne et peut aggraver les troubles psychiques (hallucinations, agitation...)[27]. Concernant les troubles cognitifs, l'effondrement des taux d'acétylcholine corticaux peut suggérer une efficacité des anticholinestérasiques. Le donépézil, la rivastigmine et la galantamine peuvent être recommandés[25]. Des études rapportent que la DCL serait plus réceptive au Donepezil que la maladie d'Alzheimer[28]. La mémantine peut aussi être utile[29].

Une prudence extrême est nécessaire avec l'utilisation de neuroleptiques, mal tolérés dans cette pathologie. En cas de troubles psychotiques majeurs, la clozapine peut être utilisée[30].

Il est également conseillé de s'assurer de l'absence d'iatrogénie médicamenteuse pouvant aggraver les symptômes (en particulier avec les traitements ayant une action anticholinergique).

Prise en charge non médicamenteuse

Il s'agit d'adapter l'environnement, l'habitat, d'organiser un programme avec des activités et des échanges pour s'adapter aux diminutions des capacités cognitives et aux symptômes parkinsoniens[16] . Au cours de l'évolution de la maladie, il faut insister sur l'importance de la stimulation cognitive, de la kinésithérapie et des thérapies comportementales. Il faut sans cesse s'assurer de l'absence d'iatropathologie (effets indésirables dus à la prise de médicaments) et lutter contre tout facteur qui peut entraîner une confusion et perturber le comportement (fécalome, rétention d'urine, infection). L'information aux familles et aux proches est essentielle pour que tous comprennent la maladie et que l'accompagnement du patient se déroule le plus sereinement possible.

Épidémiologie

Environ 10 % des démences sont de type à corps de Lewy. La DCL est légèrement plus fréquente chez les hommes que chez les femmes[2].

La démence à corps de Lewy atteint 1,3 million de personnes aux États-Unis.

Histoire

Frederic Lewy (1885-1950) a été le premier à découvrir les dépôts anormaux de protéines (corps de Lewy) au début des années 1900.

La première description de la DCL a été faite en 1961 à propos de deux cas clinico-pathologiques de « démence progressive et quadriplégie en flexion » associée à des « inclusions circonscrites, polychromes, argyrophiles » dans le cortex cérébral (les corps de Lewy corticaux)[31].

La DCL a commencé à être diagnostiquée dans le milieu des années 1990 avec la découverte de la coloration de l'alpha-synucléine qui mettait en évidence les corps de Lewy dans le cortex des sujets autopsiés. Découverte récemment, la DCL n'est pas reconnue dans le DSM-IV de 1994 mais on la trouve dans le DSM-IV-TR publié en 2000.

La première conférence de consensus concernant la démence à corps de Lewy date de 1996[32], les critères diagnostiques y ont été précisés.

Références dans la culture populaire

  • Le personnage principal Tom Kane joué par Kelsey Grammer, le maire de Chicago, dans la série télévisée Boss souffre d'une DCL au stade précoce.
  • Dans la série japonaise Ghost Hound, le psychiatre Atsushi Hirata envoie un courriel avec des numérisations de son IRM cérébrale à son collègue neurologue Reika Ōtori qui diagnostique une DCL.
  • Le comédien Robin Williams en a été atteint, ce qui a pu contribuer à son suicide[33].

Notes et références


  1. (en) V. Bogaerts, S. Engelborghs, S. Kumar-Singh et al., « A novel locus for dementia with Lewy bodies : a clinically and genetically heterogeneous disorder », Brain, vol. 130, no 9, , p. 2277–2291 (PMID 17681982, DOI 10.1093/brain/awm167, lire en ligne)
  2. (en) Howard A. Crystal, « Dementia with Lewy Bodies », E-Medicine from WebMD, (lire en ligne)
  3. Hyun CH, Yoon CY, Lee HJ, Lee SJ, LRRK2 as a potential genetic modifier of synucleinopathies: interlacing the two major genetic factors of Parkinson's disease, Exp Neurobiol, 2013;22:249–257
  4. Nalls MA, Duran R, Lopez G et al. A multicenter study of glucocerebrosidase mutations in dementia with Lewy bodies, JAMA Neurol, 2013;70:727–735
  5. Bras J, Guerreiro R, Darwent L et al. Genetic analysis implicates APOE, SNCA and suggests lysosomal dysfunction in the etiology of dementia with Lewy bodies, Hum Mol Genet, 2014;23:6139–6146
  6. Parkkinen L, Pirttilä T, Alafuzoff I, Applicability of current staging/categorization of alpha-synuclein pathology and their clinical relevance, Acta Neuropathol, 2008;115:399–407
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Liens externes

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