Magistrat monétaire
Un magistrat monétaire ou triumvir monétaire (en latin : triumvir aere argento auro flando feriundo) est un membre du collège de trois magistrats supervisant la frappe de la monnaie sous la Rome antique.
Histoire
Les mentions de magistrats spécialement nommés pour superviser la frappe de la monnaie sont rares pour les débuts de la République, seul le juriste romain Sextus Pomponius évoque vaguement la création de cette magistrature[a 1]. Selon l'historien allemand Niebuhr[1], ils apparaissent à l'époque où les Romains introduisent les premières pièces en argent, à partir de En croisant les récits de Pomponius et de Tite-Live[a 2] concernant la création des triumviri capitales, on peut remonter jusqu'en 289 av. J.-C.[2], soit au début du IIIe siècle av. J.-C., ce qui correspond à l'introduction d'une véritable monnaie romaine[3]. Toutefois, certains historiens modernes considèrent que le texte de Pomponius ne permet pas une datation aussi précise et aussi haute[4].
Le premier collège dont l'existence est certaine apparaît autour de [5] Le collège est étendu temporairement[6] à un quatrième membre par Jules César en [a 3] pour assurer une production de monnaies particulièrement importante en préparation de la campagne que César projette de lancer contre les Parthes.
Fonction
Différents titres
Durant la République romaine, les magistrats chargés de la frappe de la monnaie sont appelés tres viri aere argento auro flando feriundo[7], littéralement « trois hommes pour la préparation et la frappe des pièces de bronze, d'argent et d'or ». Leur titre est souvent abrégé sur les pièces pour permettre leur authentification en III VIR AAAFF[8], on trouve également la forme III VIR A P F pour tresviri ad pecuniam feriundum. L'ordre dans lequel sont donnés les métaux n'est pas certain. L'ordre selon la noblesse des métaux, en valeur ascendante aere argento auro (soit bronze, argent puis or), expliqué par le grammairien Valerius Probus[a 4], semble être le plus courant mais n'est pas systématique[6]. Une autre hypothèse défendue par Cicéron présente l'ordre comme chronologique, c'est-à-dire que les métaux sont cités dans l'ordre de leur apparition dans le monnayage romain[9].
À l'époque de Cicéron apparaît l'adjectif monetales, terme qui n'est utilisé comme nom pour désigner la monnaie que par les auteurs modernes[7]. Les magistrats monétaires sont alors qualifiés de triumviri monetales, par analogie avec les triumviri capitales. À l'époque d'Auguste, cette forme est devenue commune mais n'est utilisée officiellement qu'à partir du IIe ou IIIe siècle apr. J.-C., par exemple dans la titulature de Lucius Minicius Natalis Quadronius, consul en 130[10]. Sous les Antonins, la forme au singulier triumvir monetalis est courante, c'est celle utilisée notamment par le juriste Sextus Pomponius[a 1],[10]. Par contre, la combinaison des termes tres viri monetales ne semble attestée dans aucun document officiel[7]. D'autres variantes apparaissent dans les inscriptions latines comme iii vir aur arg flando, iii vir ad monetam, xxvir monetalis[n 1], iii vir kapit(alis) aaafff[n 2] ou encore triumvir monetarum aaaff[11].
Place dans le cursus honorum
Sous la République, les triumviri monetales font partie d'un collège plus étendu de vingt-six citoyens devenus magistrats mineurs (magistratus minores)[12], le vigintisexvirat. La position de ces magistratures dans le cursus honorum républicain n'est pas claire, il semble qu'elle ne constitue pas un passage obligatoire pour entrer au Sénat. La fonction de triumvir monétaire n'apparaît pas dans la liste des postes qui mènent à une carrière sénatoriale à l'époque des Gracques[13]. La première mention de la fonction de triumvir monétaire date de , sur l'elogium de Caius Claudius Pulcher[a 5]. Selon cette inscription, Pulcher occupe ce poste après sa questure[14], ce qui apparaît contraire à l'usage et pourrait signifier qu'à cette époque encore, cette magistrature n'est pas intégrée dans le cursus honorum[15] qui pourrait ne concerner que le consulat, la préture et peut-être la questure[14]. Le triumvirat monétaire est davantage occupé par des individus issus de familles mineures inconnues jusque vers où il semble gagner en importance, les triumvirs étant de plus en plus issus de familles influentes[16]. Toutefois, la magistrature monétaire semble être utilisée par les familles de l'aristocratie pour placer leurs membres les moins influents, réservant les postes plus haut placés aux membres les plus prometteurs[17]. À l'époque de Cicéron, qui qualifie la questure de primus gradus honoris[a 6], ce poste n'est toujours pas un prérequis pour une carrière sénatoriale[18].
Auguste réduit le nombre de magistratus minores à vingt, le collège devenant le vigintivirat[19]. Selon Dion Cassius, un décret concernant les vigintiviri conseille de les prendre parmi les chevaliers. De fait, ils ne sont pas nommés au Sénat, à moins d'avoir exercé une autre charge qui puisse les faire entrer[a 7]. La magistrature monétaire est annuelle et peut être occupée par des hommes âges de trente ans environ[20], vingt-sept ans au plus tôt, juste après avoir accompli leur service militaire[21]. À partir du règne de Tibère, cette fonction donne accès à la questure[21] et constitue ainsi une première étape à une carrière politique, le cursus honorum, jusqu'au règne de Sévère Alexandre et sa réforme du service civil impérial menée par le préfet du prétoire et juriste Ulpien[7]. Dès lors, les triumviri monetales appartiennent à un milieu social supérieur à celui des triumvirs monétaires de la République et du début du Principat. Il est possible que ces magistrats aient été nommés plutôt qu'élus[22].
Supervision de la frappe de la monnaie
Les monnaies républicaines peuvent être classées en trois catégories selon l'institution qui a utilisé son droit de frappe de la monnaie. La première catégorie, qui concerne la grande majorité des pièces de monnaie, regroupe les frappes ordinaires régulières confiées par le Sénat aux magistrats monétaires[3],[8]. Seul ce monnayage, qui utilise les installations et le personnel de l'atelier de Rome, est continu et régulier[23]. Les trois magistrats monétaires, subordonnés aux questeurs[24], supervisent les artisans travaillant le métal (monetarii), contrôlant tout le processus jusqu'à la distribution, en particulier l'élaboration des inscriptions gravées sur les deux faces des pièces. Elles portent le nom du triumvir responsable de la frappe, preuve de la bonne qualité de l'émission monétaire[3]. Étant donné la grande liberté accordée aux magistrats pour le choix des légendes et des figures des monnaies[25], les productions monétaires servent rapidement à diffuser des messages politiques[26] qui permettent aux magistrats monétaires de lancer leur carrière politique ou de soutenir celle de leurs patrons[27]. C'est probablement pour cette raison que la magistrature monétaire gagne en importance à partir de la Guerre sociale durant laquelle les alliés italiens utilisent la monnaie comme vecteur de messages politiques, puis avec la guerre civile opposant Marius à Sylla durant laquelle les factions politiques rivales se livrent une guerre d'image auprès du peuple via les figures représentées sur les pièces de monnaie, et enfin sous la dictature de Sylla[17].
Une deuxième catégorie regroupe les pièces issues de frappes spéciales décidées par le Sénat, portant la légende S C ou EX S C (ex senatus consulto). Ces pièces ne portent donc pas de noms de magistrats monétaires, à la place apparaît l'inscription CVR X FL pour curator denariorum flandorum ou la signature de préteurs (P), d'édiles (CVR AED) ou de questeurs(Q) selon le magistrat qui a été spécialement commissionné par le Sénat[21],[3]. Une troisième catégorie regroupe les monnaies frappées par des généraux en campagne, probablement pour payer leurs troupes[3].
Notes et références
Notes
- xxvir désigne ici un membre du vigintivirat, collège de vingt magistrats dont font partie les triumvirs monétaires.
- L'individu concerné par cette inscription a sans doute occupé deux fonctions du vigintivirat, à savoir triumvir capitales et triumvir monetalis. La forme fff pourrait être transcrite en flando feriundo formando selon Theodor Mommsen.
Références
- Sources modernes :
- Niebuhr 1849, p. 646.
- Hamilton 1969, p. 184.
- Hamilton 1969, p. 185.
- Burnett 1987, p. 20.
- Melville-Jones 1990, p. 188.
- Jones 1970, p. 77 n. 4.
- Jones 1970, p. 70.
- Pérez 1986, p. 98.
- Pérez 1986, p. 99.
- Jones 1970, p. 77 n. 5.
- Jones 1970, p. 77 n. 6.
- Hamilton 1969, p. 185 n. 13.
- Hamilton 1969, p. 186-187.
- Hamilton 1969, p. 187.
- Mommsen 1860, p. 367.
- Hamilton 1969, p. 191.
- Hamilton 1969, p. 196.
- Hamilton 1969, p. 187-188.
- Hamilton 1969, p. 186 n. 13.
- Harlan 1996, p. 14.
- Hamilton 1969, p. 182.
- Burnett 1987, p. 37-63.
- Pérez 1986, p. 98 n. 192.
- Pink 1952, p. 63.
- Pink 1952, p. 65.
- Hamilton 1969, p. 182-183.
- Luce 1968.
- Sources antiques :
- Sextus Pomponius, De origine juris in Digeste, I, 2, 2, 30
- Tite-Live, Epitome, XI
- Suétone, Vie des douze Césars, César, 41
- Valerius Probus, De Litteris Singularibus
- CIL VI, 01283
- Cicéron, Verrines, I, 4, 11
- Dion Cassius, Histoire romaine, Livre LIV, 26, 5
Bibliographie
Ouvrages généraux sur la monnaie romaine
- (en) Barthold Georg Niebuhr, Lectures on the History of Rome : from the Earliest Times to the Fall of the Western Empire, vol. III, Londres, Taylor, Walton and Maberly, (lire en ligne)
- (de) Theodor Mommsen, Geschichte des römischen Münzwesens, Berlin,
- (en) M. H. Crawford, Roman Republican Coin Hoards, Londres,
- (en) Andrew Burnett, Coinage in the Roman World, Londres, Seaby, (ISBN 0-900652-85-3)
- (en) John R. Melville-Jones, A Dictionary of Ancient Roman Coins, Londres, Seaby, , 329 p. (ISBN 1-85264-026-X)
- (en) T. J. Luce, « Political Propaganda on Roman Republican Coins : circa 92-82 B. C. », American Journal of Archaeology, vol. 1, no 72, , p. 25–39
- Christine Pérez, Monnaie du pouvoir, pouvoir de la monnaie : une pratique discursive originale, le discours figuratif monétaire (Ier siècle av. J.-C.-14 apr. J.-C.), Presses universitaires Franche-Comté, , 528 p.
Ouvrages sur les magistrats monétaires
- (en) Michael Harlan, Roman Republican Moneyers and their Coins 63 BC-49 BC, Londres, Trafalgar Square Publishing, , 206 p. (ISBN 0-7134-7672-9)
- (en) J. R. Jones, « Mint magistrates in the early Roman Empire », Bulletin of the Institute of Classical Studies, no 17, , p. 70-78
- (en) Charles D. Hamilton, « The Tresviri Monetales and the Republican Cursus Honorum », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, The Johns Hopkins University Press, vol. 100, , p. 181-199
- (en) K. Pink, « The triumviri monetales and the structure of the coinage of the Roman Republic », Numismatic Studies, New York, American Numismatic Society, vol. 7,
Articles connexes
- Magistrats de la République romaine
- Monnaie romaine
- Atelier monétaire romain
- Symboles des monnaies romaines
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