Travestissement, identité de genre et sexualité de Jeanne d'Arc

Le travestissement, l'identité de genre et la sexualité de Jeanne d'Arc sont des questions soulevées concernant cette figure historique française exécutée par les Anglais pour hérésie en 1431, héroïne nationale de France et une sainte catholique romaine. Jeanne d'Arc a mené une armée pendant la guerre de Cent Ans, adoptant les vêtements d'un soldat masculin, ce qui a finalement fourni un prétexte à sa condamnation et à son exécution. La question de savoir si son travestissement et son style de vie ont eu des implications sur sa sexualité ou son identité de genre est débattue.

Statue d'Emmanuel Frémiet (réalisée en 1874) de Jeanne d'Arc en armure, située à l'extérieur de la Place des Pyramides à Paris .

Contexte

Kelly DeVries note qu'« aucune personne du Moyen Âge, homme ou femme, n'a fait l'objet de plus de recherches et d'études que Jeanne d'Arc. Elle est décrite comme une sainte, hérétique, fanatique religieuse, voyante, adolescente démente, proto-féministe, aristocrate, sauveuse de la France, une personnalité qui a révolutionné le cours de la guerre de Cent Ans et même libératrice marxiste »[1].

Après sa capture pendant le siège de Compiègne alors qu'elle se retire d'une attaque ratée à Margny, Jeanne d'Arc est remise aux Anglais par les Bourguignons, emprisonnée, puis jugée pour hérésie. Malgré les tentatives des juges pour l'amener à se repentir pour son port de vêtements masculins, elle défend à plusieurs reprises le port de ces vêtements comme une « petite affaire » qui est du ressort du « commandement de Dieu et de ses anges ». Comme le notent Pernoud et Clin, « d'autres questions sur sa façon de s'habiller n'ont provoqué que des répétitions de ces réponses: elle n'avait rien fait qui n'était pas issu d'un commandement de Dieu. Sans doute même Cauchon n'aurait-il pas pu alors deviner l'importance que son style vestimentaire allait prendre »[2].

Jeanne d'Arc signe une cédule, peut-être sans comprendre le texte, indiquant qu'elle ne porterait plus de vêtements pour hommes, avant de réitérer, donnant au tribunal une justification pour la faire exécuter (« Seules les personnes qui avaient rechuté - c'est-à-dire celles qui ayant une fois abjuré leurs erreurs qui leur ont été signifiées - pouvaient être condamné à mort par un tribunal de l'Inquisition et livrées au bourreau pour la mise à mort. »)[3]. Le , Jeanne d'Arc monte sur le bûcher.

« On sait ainsi qu'elle mesurait à peu près 1,60 mètre, qu'elle avait les cheveux bruns, une tache sur le cou, qu'elle n'était pas très jolie et qu'elle était très forte, capable de porter un écu [un bouclier], une lance et de se battre. On sait ensuite qu'elle n'avait pas ses règles, qu'elle s'appelait Jeannette et qu'elle a toujours dit qu'elle était pucelle. Ici, il ne s'agit pas seulement de sexualité, mais d'un statut social, celui de jeune fille non mariée. Quand les gens la voyaient, ils se demandaient si c'était un homme ou une femme et si c'était véritablement une jeune fille. »[4],[5]

Contexte historique

La vie et la société à la fin du Moyen Âge sont fortement dominées par les enseignements de l'Église catholique. Concernant le travestissement, Deutéronome 22: 5, qui stipule : « La femme ne portera pas ce qui appartient à un homme (...) »[6], fait du travesti un anathème. Les directives de saint Thomas d'Aquin décrètent « (...) c'est en soi un péché pour une femme de porter des vêtements d'homme, ou vice versa, d'autant plus que cela peut être une cause de plaisir sensuel (...) Néanmoins, cela peut être fait parfois sans péché par nécessité, soit pour se cacher d'ennemis, soit par manque d'autres vêtements, ou pour un motif similaire »[7].

Vern et Bonnie Bullough notent qu'en dépit des canons spécifiques qui s'y opposent, on pourrait chercher en vain de la part des pères de l'église des approbations publiques et inconditionnelles du travestissement[8]. Au contraire, Susan Schibanoff note qu'« une version du travestissement semble avoir été à la fois admirée et encouragée, bien qu'indirectement, dans les légendes des saintes qui se déguisaient en hommes pour vivre en moines »[9]. En conséquence, les accusateurs de Jeanne d'Arc ont été forcés de formuler soigneusement leurs accusations selon lesquelles Jeanne ne conservait « rien sur elle pour afficher et annoncer son sexe, sauf les marques distinctives de la Nature ». Autrement dit, contrairement aux saintes travesties, qui cachaient totalement leur sexe, Jeanne ne cachait pas son anatomie ou d'autres « marques » de sa féminité biologique[10].

La « sainte travestie » était un archétype médiéval commun, et l'un des arguments utilisés pour défendre la tenue de Jeanne d'Arc. Le parcours de Marine la Déguisée suit le schéma classique : craignant pour sa virginité lors de sa nuit de noces, elle se coupe les cheveux, enfile des vêtements masculins et rejoint un monastère, se faisant passer pour le « Père Marinosy ». Le diable la teste en la rendant responsable de la grossesse d'une fille d'aubergiste, et elle est condamnée à l'exil. Elle est reconnue non coupable après sa mort[11].

En ce qui concerne les saintes travesties, Gaunt soutient que « la sexualité est au cœur de la construction de la sainteté au Moyen Âge » et que les saints hommes et femmes ne sont pas éloignés de la sexualité, mais continuent à se définir par référence à une sexualité qui a été remodelée et redirigée. Gaunt est d'accord avec Anson dans la description de ces histoires comme « fantasme monastique » qui tente d'apaiser le désir sexuel en imaginant une femme dans le monastère qui n'a pas besoin d'inspirer la culpabilité ; cependant, l'apaisement du désir est genrée de façon complexe par l'apparente masculinité du sujet[12].

L'Europe du XVe siècle possède une tradition culturelle importante de ces saintes remontant presque aussi loin que l'histoire du christianisme. Saint Thecla, telle que la décrivent les sources apocryphes du Nouveau Testament, et les « Actes de Paul et Thecla », est si ravie des enseignements de Paul qu'elle quitte son fiancé et le suit, s'habillant comme un homme[13]. L'histoire de Thecla était très populaire, des représentations d'elle et des dédicaces la mentionnant se retrouvant d'Antioche à la péninsule Ibérique[14]. Selon Dekker et van de Pol, « La transformation en homme était un thème très dominant chez les saintes du cinquième au septième siècle. Sainte Marguerite, par exemple, s'est échappée lors de sa nuit de noces en tenue d'homme (...) Une sainte particulièrement populaire parmi les gens du commun en Europe à partir du XIe siècle (...) était Saint Wilgeforte. Princesse portugaise refusant d'être mariée au roi païen de Sicile, elle prie Dieu de la sauver. Son salut fut inhabituel et prit la forme de l'apparition d'une barbe. Les variations sur ce thème reviennent souvent (...) Comme toujours, mythe et réalité interagissent, et plusieurs femmes médiévales ont pris ces saintes pour modèles. L'exemple qui me vient en premier à l'esprit ici est Jeanne d'Arc. »[15]. De même, de nombreuses légendes et contes de l'Europe médiévale (et, de même, ailleurs dans le monde) discutent du travestissement et du changement de sexe (souvent miraculeux). Le folkloriste Stith Thompson ne documente que quelques « tests sexuels » traditionnels pour démasquer les hommes habillés en femmes, mais de nombreux tests pour les femmes, allant au fait de placer un rouet à proximité d'une dispersion de pois sur le sol, supposément pour faire glisser les femmes mais pas les hommes. Ce dernier exemple est bien connu des contes de fées de Grimm, mais peut également être trouvé dans As You Like It de William Shakespeare, et le tour est même attribué au roi Salomon[16].

Malgré ces exemples, les travesties en Europe étaient peu acceptées. Le seul cas connu d'inversion de genre féminine acceptée en Europe médiévale vient des Balkans et remonte au XVe siècle, comme le note une mention dans le Kanun. Ces femmes pouvaient échapper aux règles sociales très rigides en se déclarant vierges assermentées, s'habillant en hommes, vivant en hommes et partageant le même statut qu'eux. Les familles sans héritiers masculins pouvaient déclarer leurs filles en bas âge comme des hommes et les élever comme des garçons. Une telle tradition n'existait pas ailleurs en Europe à l'époque. Le Dr Carleton S. Coon a noté la même coutume parmi les alpinistes de l'Albanie, et que dans certaines circonstances une femme habillée en homme devenait chef de famille et assumait un rôle entièrement masculin.

Bennett et Froide, dans « Les femmes célibataires dans le passé européen », notent : « D'autres femmes célibataires ont trouvé le confort émotionnel et le plaisir sexuel avec les femmes. L'histoire des relations homosexuelles entre femmes dans l'Europe médiévale et au début de l'Europe moderne est extrêmement difficile à étudier, mais son existence ne fait aucun doute. Les dirigeants de l'Église s'inquiètent de la sexualité lesbienne ; les femmes exprimaient, pratiquaient et étaient parfois emprisonnées ou même exécutées pour leurs amours homosexuelles; et certaines femmes se travestissaient pour vivre avec d'autres femmes en couple marié. » Ils continuent en notant que même le mot apparemment moderne de « lesbienne » remonte à 1732, et discutent des sous-cultures lesbiennes, mais ajoutent : « Néanmoins, nous ne devrions certainement pas assimiler l'état de célibat à des pratiques lesbiennes ». Alors que les relations homosexuelles entre hommes étaient très documentées et condamnées, « les théologiens moraux n'ont pas accordé beaucoup d'attention à la question de ce que nous appellerions aujourd'hui la sexualité lesbienne, peut-être parce que tout ce qui n'impliquait pas un phallus ne tombait pas dans le champ de leur compréhension du sexuel (...) Une législation contre les relations lesbiennes peut être invoquée pour la période (...) impliquant principalement l'utilisation d'instruments », en d'autres termes, de godes[17]. Crane est d'accord, commentant une « doctrine pénitentielle qui a conçu des actes homoérotiques mais pas l'identité homosexuelle (...) Les discours sur la sexualité tels que l' amitié fine et le mariage mystique avec Dieu sont peut-être moins visibles maintenant que la doctrine pénitentielle, mais leurs effets sur la subjectivité méritent une plus grand attention »[18].

Dans le contexte de l'époque, Jeanne d'Arc était familiarisée avec une longue lignée de femmes travesties qui vivaient une vie entièrement masculine, souvent à la suite de ce qu'elles considéraient être un appel de Dieu. Cependant, même si elle était peut-être consciente du contexte, elle savait que son travestissement, bien que potentiellement acceptable dans une certaine mesure, comportait toujours des risques sociaux.

Perspective historique

Jeanne d'Arc en armure, avec une épée.

Durant sa vie et immédiatement après sa mort, les points de vue sur Jeanne d'Arc varient considérablement, souvent (mais pas toujours) selon les camps. Les rumeurs d'une femme à la tête d'une armée adverse ont été historiquement utilisées pour inciter les troupes à lutter contre l'hérésie, la sorcellerie et l'immoralité évidentes. Les commentaires des soldats anglais de l'époque concernant Jeanne d'Arc vont de « tarte sanglante » à la question « s'attendait-elle à ce que [ses soldats] se rendent à une femme » et à ses troupes de « souteneurs incrédules». L'auteur anglais de The Brut a affirmé que ses troupes l'ont suivie par « des tours de sorcellerie »[19]. Après sa défaite à Orléans, Bedford rapporta à la couronne anglaise que ses hommes avaient été ensorcelés par un agent satanique sous la forme d'une femme habillée en homme[20]. Crane note qu'elle était qualifiée de « femme monstrueuse », « femme désordonnée et diffamée, estant en habit d'homme et de gouvernement dissolut »)[21].

De l'autre côté de la Manche, la situation s'est largement inversée. Dès le début, pour quelque raison que ce soit, il y a eu étonnamment peu d'hésitation du côté des Français. La loyauté que lui accordaient ses soldats, parmi les plus habiles de France, était particulièrement remarquable. Les bourgeois de Paris affirmaient que c'était parce que « tous ceux qui lui avaient désobéi devaient être tués sans pitié », mais l'auteur du Journal du siège d'Orléans a noté que « tous la considéraient avec beaucoup d'affection, hommes et femmes, ainsi que petits enfants ». Jean de Macon, témoin oculaire du siège d'Orléans, note qu'il n'y a eu qu'un seul acte de dérision, tandis que la Cronique de Lorraine ajoute que « Toute l'armée a promis de toujours lui obéir. Chaque victoire a motivé plus de loyauté et de nouvelles victoires. Même la désobéissance à son commandement supérieur semble avoir incité à la loyauté ; elle amena l'action et la victoire, tandis que les nobles généraux plus âgés n'obtinrent que l'inaction et la défaite »[22].

Ces points de vue avaient tendance à s'étendre à ses procès : d'abord le procès de condamnation par les bourguignons pro-anglais, puis le procès de réhabilitation sous une commission nommée par le pape Calixte III et organisée par Charles VII. Comme le note Pinzino, « le parti pro-anglais [bourguignon] aux mains duquel Jeanne d'Arc tomba en 1430, plus d'un an après son rôle dans la victoire vitale des Français à Orléans, s'efforça de diffamer sa vocation divine affirmée et l'exécuta à dix-neuf ans. sur la place du marché de Rouen en 1431. Dans les années qui suivirent, cependant, le pouvoir politique en France revint définitivement au parti pro-français [Armagnac] des partisans de Jeanne. Peu de temps après que la Normandie et la ville de Rouen elle-même aient été restituées aux Français (1449) et que les archives ecclésiastiques y aient été récupérées et ouvertes, la procédure d'annulation de la condamnation de Jeanne d'Arc a été engagée par ses partisans... ces procédures étaient pratiquement sans précédent en histoire judiciaire ecclésiastique »[23],[24].

Charles VII, qui devait sa couronne à Jeanne et l'avait suivie, la croyant divinement inspirée, se trouva maintenant porté au pouvoir par une hérétique condamnée. Le , Charles envoie une lettre ordonnant la création d'une commission royale pour réexaminer le procès de condamnation, sous la direction de Guillaume d'Estouteville, le cousin de Charles. Comme le notent Pernoud et Clin, « Ce procès était désormais le symbole de fissures culturelles complexes en quête de résolution : des fractures internes d'une France déchirée, des divisions nationales exacerbées par l'invasion anglaise, et des luttes de pouvoir religieuses et civiles soutenues par l'université de Paris »[25]. Le procès de réhabilitation s'est fortement concentré sur l'accusation de travestissement, que le pape Pie II a noté comme problématique[26]. Les personnes qui ont témoigné pendant le procès ont souligné la nécessité de sa tenue vestimentaire, à la fois pour maintenir l'ordre dans ses troupes au combat et pour protéger sa chasteté. Comme l'a noté le procès, elle portait « de longs hosen conjoints, attachés au pourpoint susmentionné avec vingt cordons (aiguillettes) » et des « jambières serrées », les cordons étant utilisés pour attacher solidement les parties du vêtement ensemble afin que ses vêtements ne puissent pas être arrachés par ses gardes anglais[27]. Guillaume Manchon témoigne en ces termes : « Et elle était alors vêtue de vêtements masculins et se plaignait de ne pas pouvoir y renoncer, craignant que dans la nuit ses gardes ne lui infligent un acte d'indignation [sexuelle] », une affirmation étayée par plusieurs autres témoins. La même justification a été donnée à sa rechute par un certain nombre de témoins, tels que le frère Martin Ladvenu, Pierre Cusquel, Giullaume Manchon et le frère Isambart de la Pierre, bien que plusieurs autres, comme Jean Massieu, Pierre Daron et Guillaume Colles, ont également affirmé qu'elle avait été piégée dans le port de vêtements masculins par un garde qui lui avait enlevé ses vêtements féminins). Jean Moreau a témoigné avoir entendu Jeanne répondre au prédicateur qu'elle avait adopté des vêtements masculins pendant sa campagne parce qu'elle devait vivre parmi des soldats, parmi lesquels il était plus approprié qu'elle soit en vêtements masculins plutôt que féminins. Le tribunal a statué que « rien de déplacé n'a été trouvé en elle, seulement une bonne humilité, la chasteté, la piété, la convenance, la simplicité ».

Ces points de vue sont restés la perspective dominante sur le travestissement de Jeanne d'Arc jusqu'à l'ère moderne. Comme le commente Régine Pernoud dans la préface de Jeanne d'Arc, les livres sérieux la concernant dans n'importe quelle langue « ne sont que quelques dizaines »[28]. De même, le manque d'acceptation et de connaissance modernes de l'identité de genre et de la sexualité a encore limité le discours sur le sujet.

Point de vue moderne

L'une des premières écrivaines modernes à soulever des questions d'identité de genre et de sexualité a été la romancière Vita Sackville-West. Dans Sainte Jeanne d'Arc, publiée en 1936, elle suggère indirectement que Jeanne d'Arc était peut-être lesbienne[29].

Des réfutations ont été reçues et sont largement mentionnées. La réfutation la plus importante se réfère à la pratique médiévale courante des femmes partageant des lits entre elles; le partage du lit n'avait aucune connotation en matière de sexualité. Bonnie Wheeler de la Société internationale de Jeanne d'Arc a qualifié le livre de « tout à fait faux mais amusant »[30].

Pernoud attribue les vêtements de Joan à la nécessité et à sa conviction qu'ils ont été ordonnés par Dieu. Entre autres, Pernoud cite de nombreux témoignages, dont Guillaume Manchon du procès de Réhabilitation: « […] à l'époque, elle était habillée de vêtements masculins, et n'arrêtait pas de se plaindre de ne pas pouvoir s'en passer, craignant que les gardiens ne la violent dans la nuit, et une ou deux fois elle s'était plainte à l'évêque de Beauvais, le vice-inquisiteur, et maître Nicolas Loiseleur que l'un des gardes avait tenté de la violer »[31].

Warner soutient que dans l'Europe préindustrielle, un lien existait entre le travestissement et les fonctions sacerdotales, justifiant ainsi une interprétation historique la dépeignant à la fois comme une sorcière et une sainte. Warner soutient en outre que Jeanne n'occupe ni un sexe masculin ni un sexe féminin. « Par son travestissement, elle a abrogé le destin de la femme. Elle pourrait ainsi transcender son sexe… En même temps, en ne prétendant jamais être autre qu'une femme et une femme de chambre, elle usurpait la fonction d'un homme mais secouait complètement les entraves de son sexe pour occuper un troisième ordre différent, ni masculin ni féminin ». Warner classe Jeanne d'Arc comme une androgyne[32].

Leslie Feinberg, une écrivaine et militante trans avance dans Transgender Liberation[33], que «Jeanne d'Arc a été brûlée par l'Inquisition de l'Église catholique parce qu'elle refusait d'arrêter de s'habiller comme un homme.». Selon Feinberg, « […] elle était une travestie - une expression de son identité pour laquelle elle était prête à mourir plutôt que d'y renoncer.». Feinberg critique le fait que «nombre d'historiens et d'académiciens ont considéré son travestissement comme sans conséquences. Dans les procès verbaux de son interrogatoire, les registres de la cour montrent en effet que les juges trouvèrent son travestissement répugnant, et exigèrent qu'elle porte des vêtements féminins. Le témoignage de Jeanne d'Arc pour sa propre défense révélait à quel point son travestissement était ancré dans son identité. Elle jura « pour rien au monde je ne promettrais de ne pas porter d'armes et de ne pas mettre des habits d'hommes. »[34].

Sous la direction de l'Académie française, le Centre Jeanne d'Arc d'Orléans travaille à une réédition du Procès de Jeanne d'Arc de Jules Quicherat. Selon Bouzy, le travail de Quicherat forme la base de la plupart des recherches modernes sur elle, mais il a été découvert qu'il contenait un certain nombre d'erreurs, de retouches sélectives et l'utilisation d '«originaux» qui étaient souvent des versions hautement éditées ou manipulées de documents antérieurs. Le traité de Jacques Gelu, l'un des traités théologiques commandés par Charles VII pour sa rééducation, est pertinent pour le travestissement de Jeanne. Quicherat a critiqué le texte comme un « méli-mélo peu instructif » et, selon lui « l'a raccourci considérablement, en supprimant des parties des passages où des points de dogme religieux sont discutés ». Comme le note Bouzy, membre du Centre travaillant sur le projet, « Ce texte n'a pratiquement jamais été consulté par les historiens, bien qu'il fournisse des preuves intéressantes de la façon dont l'Église du XVe siècle percevait Jeanne. Le texte insiste sur le problème du travestissement de Jeanne d'Arc - cela montre qu'en 1429, même les prélats qui soutenaient Charles VII hésitaient à accepter une jeune fille habillée en homme. Apparemment, Charles VII ne s'est prononcé en faveur de Jeanne que parce que son confesseur, Gérard Machet, était convaincu que Jeanne d'Arc était la fille dont la venue avait été annoncée dans une prophétie de Marie Robine, ermite d'Avignon; et même alors, Charles exigeait qu'elle soit minutieusement examinée. Plusieurs autres traités qui n'ont jamais été traduits (à part le tract de Gerson) sont susceptibles de nous réserver également des surprises ».

Reprise de la question du genre

En 2010, le collectif UrbanPorn recouvre la statue de Jeanne d'Arc à Lille de slogans queers et de tissus fuchsia[35].

En , Clovis Maillet publie un livre explorant la fluidité de genre dans la période médiévale intitulé Les genres fluides, de Jeanne d'Arc aux Saintes trans[36],[5]. Il arrive à la conclusion selon laquelle il est difficile de qualifier Jeanne d'Arc de trans, mais relève que le cas de Jeanne d'Arc n'est pas l'archétype idéal pour construire une héroïne nationale féminine hétéronormative, qu'elle soit considérée comme anticléricale ou comme sainte. De fait selon les sources qu'il mobilise, elle aimait porter des vêtements masculins[33] même dans le civil où elle se vêt avec une élégance qui lui est reprochée[4],[37],[5]. Ainsi ces habits ne sont pas là uniquement pour raisons guerrières ou échapper au viol, ce qui rend son parcours intéressant du point de vue de la performativité du genre[38],[37].

Au contraire, la médiéviste Marie Dejoux considère que le port continuel de vêtements masculins par la Pucelle dans sa prison rouennaise aurait essentiellement visé à préserver sa virginité, une idée qui viendrait de Michelet[5], « gage du caractère sacré de sa mission », d'un viol par des gens d'armes et des geôliers. Elle estime donc que Jeanne d'Arc n'est sans doute pas une « égérie queer » [39].

Notes et références

  1. (en) Kelly DeVries, « A Woman as Leader of Men : Joan of Arc's Military Career », dans Bonnie Wheeler et Charles T. Wood (dir.), Fresh Verdicts on Joan of Arc, New York, Garland, coll. « The New Middle Ages / Garland Reference Library of the Humanities » (no 2 / 1976), , XVI-317 p. (ISBN 0-8153-2337-9), p. 3.
  2. (en) Régine Pernoud, Jeremy duQuesnay et Bonnie Wheeler, Joan of Arc : her story, St. Martin's Press, (ISBN 0-312-21442-1, 978-0-312-21442-5 et 0-312-22730-2, OCLC 39890535, lire en ligne), p. 114.
  3. (en) Régine Pernoud et Marie Véronique Clin, Joan of Arc, St. Martin's Press, , p. 132.
  4. Maillet 2020, p. ?.
  5. Florian Bardou, « Clovis Maillet : « Au Moyen Age, être assignée femme et devenir un homme est un très bon modèle de sainteté » », sur Libération.fr, (consulté le ).
  6. Aquinas, « Summa Theologiae II, II, Question 169, Article 2, Reply to objection 3 » thus giving some leeway to whether crossdressing is justifiable under church law in certain circumstances. Schibanoff states that, in modern terms, what church doctrine permitted and what medieval society in general would accept, is not merely cross dressing, as partial or episodic transvestment where the subject's biological sexual identity remains apparent, but passing, where the subject adopts all aspects of the target gender (Schibanoff 1996, p. 41). The condemned were not those who wished to "better" themselves by becoming male, like the female saints, but those who "wear the breeches" or, as Chaucer's Wife of Bath, put on the spurs, but otherwise remain recognizably female ((en) Vern L. Bullough et Bonnie Bullough, Crossdressing, Sex, and Gender, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, , XI-382 p., ?).
  7. (en) Vern L. Bullough et Bonnie Bullough, Crossdressing, Sex, and Gender, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, , XI-382 p., ?
  8. Schibanoff 1996, p. 39.
  9. Schibanoff 1996, p. 42-43.
  10. Schibanoff 1996, p. 39-41.
  11. (en) Simon Gaunt, « Straight Minds/“queer” Wishes in Old French Hagiography: La Vie de Sainte Euphrosine », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies, vol. 1, no 4, , p. 439–457 (ISSN 1064-2684, DOI 10.1215/10642684-1-4-439, lire en ligne, consulté le )
  12. « Acts of Paul and Thecla », p. Chapter 9, 9:25
  13. Carter, « The Acts of Thecla: A Pauline Tradition Linked to Women » [archive du ]
  14. (en) Rudolf M. Dekker et Lotte C. van de Pol, The Tradition of Female Transvestism in Early Modern Europe, New York, St. Martin's Press, , XVI-148 p. (ISBN 978-0-333-41252-7 et 978-0-333-41253-4), p. 45-46.
  15. (en) Rudolf M. Dekker et Lotte C. van de Pol, The Tradition of Female Transvestism in Early Modern Europe, New York, St. Martin's Press, , XVI-148 p. (ISBN 978-0-333-41252-7 et 978-0-333-41253-4), p. 43.
  16. (en) Judith M. Bennett et Amy M. Froide, Singlewomen in the European Past, University of Pennsylvania Press, , p. 10–11 ; 128.
  17. Crane 1996, p. 298.
  18. (en) Kelly DeVries, « A Woman as Leader of Men : Joan of Arc's Military Career », dans Bonnie Wheeler et Charles T. Wood (dir.), Fresh Verdicts on Joan of Arc, New York, Garland, coll. « The New Middle Ages / Garland Reference Library of the Humanities » (no 2 / 1976), , XVI-317 p. (ISBN 0-8153-2337-9), p. 4 ; 7.
  19. (en) Gertrude H. Merkle, « Martin Le Franc's Commentary on Jean Gerson's Treatise on Joan of Arc », dans Bonnie Wheeler et Charles T. Wood (dir.), Fresh Verdicts on Joan of Arc, New York, Garland, coll. « The New Middle Ages / Garland Reference Library of the Humanities » (no 2 / 1976), , XVI-317 p. (ISBN 0-8153-2337-9), p. 178.
  20. Crane 1996, p. 306.
  21. Kelly deVries, Fresh Verdicts on Joan of Arc / A Woman As A Leader Of Men, Garland Publishing, , 7, 8 p.
  22. (en) Jane Marie Pinzino, « Speaking of Angels : A Fifteenth-Century Bishop in Defence of Joan of Arc's Mystical Voices », dans Bonnie Wheeler et Charles T. Wood (dir.), Fresh Verdicts on Joan of Arc, New York, Garland, coll. « The New Middle Ages / Garland Reference Library of the Humanities » (no 2 / 1976), , XVI-317 p. (ISBN 0-8153-2337-9), p. 162-163.
  23. The Condemnation trial found Joan's transvestism condemning. The primary cross-dressing charge, that Joan dressed entirely as a man "save Nature's own distinctive marks", was designed to evade Aquinas's exceptions on cross dressing—as Raoul Le Sauvage phrased it, to "escape violence and keep one's virginity", was predicated on total disguise and passing. Joan never attempted to "pass", but simply wore the attire of men, thus giving the English cause to condemn her for the act (Schibanoff 1996, p. 43).
  24. (en) Régine Pernoud et Marie Véronique Clin, Joan of Arc, St. Martin's Press, , p. 151.
  25. Memoirs of a Renaissance Pope
  26. BAN Lat. 1119 f.47r; Proces... Vol I page 220,221
  27. (en) Régine Pernoud et Marie Véronique Clin, Joan of Arc, St. Martin's Press, (lire en ligne), ?.
  28. She cites Simon Beaucroix's testimony, "Joan slept always with young girls, she did not like to sleep with old women." Vita Sackville-West, Saint Joan of Arc, Doubleday, (lire en ligne)
  29. « Bibliographies: Joan of Arc »
  30. Régine Pernoud, Joan of Arc, Ignatius Press, (lire en ligne), p. 186.
  31. (en) Marina Warner, Joan of Arc : The Image of Female Heroism, Londres, Weidenfeld and Nicolson, , XXVI-349 p. (ISBN 0-297-77638-X, présentation en ligne, lire en ligne), ???.
  32. « La longue histoire des personnes transgenres », sur Politis.fr, 20200930 17:00 (consulté le )
  33. Leslie Feinberg, The Transgender Studies Reader, New York, Routledge, , 205–220 p. (ISBN 041594709X, lire en ligne), « Transgender Liberation: A Movement Whose Time Has Come »
  34. « Le collectif UrbanPorn revendique l’action sur la statue de Jeanne d’Arc à Lille », sur KOMITID, (consulté le ).
  35. « Clovis Maillet se penche sur la question trans à l'époque médiévale », sur rts.ch, (consulté le ).
  36. « Épisode 99 - Genres et Moyen Âge avec Clovis Maillet », sur La Poudre (consulté le ).
  37. Florian Bardou, « Clovis Maillet : « Au Moyen Age, être assignée femme et devenir un homme est un très bon modèle de sainteté » », sur Libération (consulté le ).
  38. Marie Dejoux, « « Jeanne d'Arc », de Valérie Toureille : Jeanne, du nouveau », sur lemonde.fr, (consulté le ).

Voir aussi

Sources primaires

Bibliographie

  • Olivier Bouzy, « Les vêtements de Jeanne », Jeanne d'Arc et la guerre de Cent Ans, Saint-Cloud, SoTeCa, no 3, novembre 2012-janvier 2013, p. 62-67 (ISSN 2260-4553).
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