Migrations indo-iraniennes

L'hypothèse des migrations indo-iraniennes soutient que des populations nomades de langue indo-européenne, connues selon l'usage scientifique, Indo-Iraniens et originaires de la steppe pontique, se sont déplacées vers l'Asie centrale, puis ont envahi le nord-ouest du sous-continent indien à partir du IIe millénaire av. J.-C..

Description

Une théorie ancienne

Cette théorie a été proposée pour la première fois par l'abbé Jean-Antoine Dubois, un indianiste français, et développée par l'indianiste germano-britannique Max Müller durant le XIXe siècle.

Elle a pour objectif de proposer un schéma de dispersion des langues indo-européennes sur le continent eurasiatique, et les chercheurs influencés par cette théorie tentent de dater le moment de cette dispersion et de définir le foyer originel de cette population[1].

Postulats de base

Les spécialistes décrivent l'arrivée vers l'an de peuples, au sujet desquels on a peu de connaissance, qui pénètrent dans le bassin moyen du fleuve Indus. Ces peuples sont des nomades pasteurs qui maîtrisent le cheval, le char et le fer. Ils proviennent, pensent ces mêmes spécialistes, de l'Asie centrale et parlent des langues proches de l'iranien ancien, apparentées aux langues dites « indo-européennes »[2].

Ils partent ainsi du postulat que la dénomination d'« Aryens » désigne une ethnie en particulier, pratiquant une religion codifiée vers le XIe siècle av. J.-C. dans les Vedas. En s'installant dans la plaine indo-gangétique, ce peuple se sédentarise et se mêle aux populations autochtones du nord de l'Inde.

Génétique

Cette hypothèse est confirmée par les études génétiques les plus récentes[3],[4] à l'âge du bronze : les hommes yamnayas notamment, se sont accouplés avec des femmes locales en Europe [5],[6],[7].

En 2018, une large étude génétique portant sur la formation génomique de l'Asie du Sud et centrale avance qu'« il est frappant de constater que la grande majorité des locuteurs indo-européens vivant à la fois en Europe et en Asie du Sud recèlent de nombreuses fractions d'ascendance liées aux pasteurs de la steppe de Yamna, suggérant que le « proto-indo-européen tardif », la langue ancestrale de tous les peuples modernes indo-européennes, était la langue de la culture Yamna. Des études anciennes sur l’ADN ont documenté des mouvements de populations de la steppe vers l'ouest qui propageaient vraisemblablement cette ascendance, mais il n’existait pas de preuves anciennes d'ADN de la chaîne de transmission à l'Asie du Sud, quoiqu'il y eut une migration vers l'Inde[8]. Notre documentation sur la pression génétique à grande échelle exercée par les groupes de la steppe au deuxième millénaire avant notre ère fournit un candidat de choix, une constatation cohérente avec les preuves archéologiques de liens entre la culture matérielle dans la steppe kazakhe de l'âge du bronze moyen à tardif et la culture védique précoce en Inde[9]. »

Débats historiographiques

Aujourd'hui, la quasi-totalité de la communauté scientifique préfère l'expression de « migrations indo-iraniennes » ou de « migrations indo-aryennes » à celle d’« invasion aryenne »[10].

La majorité des études actuelles s'accordent pour associer l'horizon d'Andronovo aux locuteurs des premières langues indo-iraniennes[11], décrite comme une extension de la culture indo-européenne de Yamna (environ 3000 à 2400 av. J.-C.) vers l'est[12]. La preuve linguistique la plus importante de la phase indo-iranienne est constituée par des emprunts aux langues finno-ougriennes. Kuz’mina (2001) identifie les Finno-ougriens aux cultures andronoïdes (du type Andronovo) de la zone de la pré-taïga à l'est de l'Oural. Comme certains des mots les plus anciens empruntés au finno-ougrien ne se retrouvent qu'en indo-aryen, les Indo-Aryens et les Iraniens avaient apparemment déjà commencé à diverger au moment de ces contacts, et lorsque les deux groupes se sont déplacés vers l'est, les Iraniens ont suivi le mouvement indien. Poussés par les Iraniens en expansion, les Indo-Aryens se sont ensuite dirigés vers le sud, un groupe apparaissant dans la terminologie équestre du royaume anatolien de Mitanni et le groupe principal entrant par le nord-ouest dans le sous-continent indien[12]. Dès la fin du IIIe millénaire, ils seraient ainsi présents à Tepe Hissar dans le Turkménistan (Roman Ghirshman). Une partie d'entre eux s'oriente vers l'ouest et prend la tête du royaume de Mitanni, pendant que d'autres se fixent en Iran ou poursuivent leur route vers l'Afghanistan et le nord de l'Inde où les premiers arriveront au début du IIe millénaire[13].

Néanmoins, un certain nombre d'universitaires contestent ce point de vue académique généralement accepté. Ainsi, dans deux livres, Update on the Aryan Invasion Debate (1999) et Asterisk in Bhāropīyasthān (2007), Koenraad Elst a soutenu la thèse dite Out of India, un théorie minoritaire qui soutient que cette migration a eu lieu dans l'autre sens et que les Aryens indigènes en Inde ont migré hors de l'Inde et ont apporté les langues indo-européennes vers l'Orient et l'Europe. Elst est l'un des rares partisans de cette théorie qui s'appuie sur la paléolinguistique[14]. La théorie Out of India est considérée comme une vue extrême concernant l'origine de la famille des langues indo-européennes et Elst est jugé comme étant l'un de ses principaux partisans[14],[15].

La théorie et son utilisation politique

Les expressions « aryens » et « invasion aryenne » ont été utilisées comme synonymes pour « Indo-européens » dans le sens ethnique et de « conquête indo-européenne », dans le cadre de polémiques politiques et idéologiques[16]. De nos jours, instruits des dérives permises par l'emploi du terme « aryen », les chercheurs montrent une prudence extrême, n'employant le terme Indo-européen que pour désigner un groupe de langues, et évitent soigneusement de s'en servir afin de désigner les peuples ou individus locuteurs de cette langue ; quand c'est cependant le cas, ces chercheurs évitent avec la plus grande attention à ne pas définir trop précisément les attributs physiques de ces populations[1].

Pour des partisans de la théorie de l'invasion aryenne, comme Alfred Rosenberg, il s'agissait de prouver la supériorité d'une « race aryenne » dont des expéditions cherchèrent les plus « purs représentants » dans l'Hindou Kouch et au Cachemire. Leurs considérations étaient influencées par les idées colonialistes et racistes de l'époque. Pour des adversaires de la théorie de l'invasion aryenne, indiens ou européens, il s'agissait au contraire de prouver les échanges progressifs et généralisés des cultures, langues et religions, et l'influence réciproque des populations les unes sur les autres. Leurs considérations ont servi d'arguments aux revendications des mouvements nationalistes indiens et aux mouvements luttant contre les discriminations liées au système des castes[N 1].

Toutefois, selon Koenraad Elst, considérer une opinion comme fausse en raison de l'utilisation politique qui peut en être faite, relève du sophisme génétique. Se référant à la faveur dont la théorie de l'invasion aryenne jouissait chez les nazis et dont elle jouit maintenant, en Inde, chez certains membres des castes supérieures (auxquels elle fournit une justification raciste de leur position dominante) ou chez certains marxistes (pour qui elle peut justifier la lutte des classes), il écrit : « si une théorie peut être considérée comme fausse simplement parce qu'elle est utilisée à des fins politiques, il est clair que la théorie de l'invasion aryenne doit être la théorie la plus fausse du monde : on chercherait en vain une hypothèse historique davantage compromise par diverses utilisations politiques, y compris les plus meurtrières[N 2] ».

Le rejet hindou de la théorie peut aussi provenir du fait que système de castes en Inde est alors analysé comme un système religieux, mis en place par les Aryens pour établir et maintenir leur suprématie dans la société indienne. La prédominance dans l'Inde de l'après-indépendance d'une vision marxiste de l'histoire permet de comprendre la permanence de la TIA dans le milieu des universités indiennes. La réaction politique antimarxiste de l'après-guerre froide, réaction anti-colonialiste en faveur d'un nationalisme hindou, ont peut-être eu une influence sur ces changements dans les théories archéologiques[réf. nécessaire].

Notes et références

Notes

  1. R. Zydenbos est un exemple d'indianiste s'étant ouvertement attaqué à ces adversaires
  2. This is, of course, a case of the "genetic fallacy": to assume that a position must be wrong because of the motive in which it allegedly originates. Quite apart front the fact that this motive is merely imputed, and often falsely so, no good or evil motive can make a proposition right or wrong; it is perfectly possible to speak the truth for the wrong reasons. Yet, if a theory can be considered wrong simply because it is being used for political ends, it is clear that the AIT itself must be the wrongest theory in the world: one looks in vain for a historical hypothesis which has been more tainted with various political uses including the most lethal ones., Koenraad Elst, Update on the Aryan Invasion Debate Aditya Prakashan (1999) (ISBN 81-86471-77-4) sur édition Internet du livre. Pour la faveur dont la théorie de l'invasion aryenne jouit en Inde auprès de certains membres des castes dominantes et auprès des marxistes indiens (pour des raisons différentes : voir un autre chapitre du même livre.)

Références

  1. Fussmann, 2003, p. 788
  2. « L'Inde, une civilisation ignorée : entretien avec Michel Angot  », La Nouvelle Revue d'histoire,
  3. (en) How genetics is settling the Aryan migration debate, thehindu.com, 16 juin 2017
  4. (en) Study led by Prof. Martin P. Richards, A genetic chronology for the Indian Subcontinent points to heavily sex-biased dispersals, BMC Evolutionary Biology, 23 mars 2017
  5. (en) Caleb Strom, « How A Handful of Yamnaya Culture Nomads Became the Fathers of Europe », sur www.ancient-origins.net (consulté le )
  6. (en) Kristian Kristiansen, Morten E. Allentoft, Karin M. Frei et Rune Iversen, « Re-theorising mobility and the formation of culture and language among the Corded Ware Culture in Europe », Antiquity, vol. 91, no 356, , p. 334–347 (ISSN 0003-598X et 1745-1744, DOI 10.15184/aqy.2017.17, lire en ligne, consulté le )
  7. (en) Chao Ning, Chuan-Chao Wang, Shizhu Gao et Yang Yang, « Ancient Genomes Reveal Yamnaya-Related Ancestry and a Potential Source of Indo-European Speakers in Iron Age Tianshan », Current Biology, vol. 29, no 15, , p. 2526–2532.e4 (ISSN 0960-9822, DOI 10.1016/j.cub.2019.06.044, lire en ligne, consulté le )
  8. (en) Peter de Barros Damgaard, Nina Marchi, Simon Rasmussen et Michaël Peyrot, « 137 ancient human genomes from across the Eurasian steppes », Nature, vol. 557, no 7705, , p. 369–374 (ISSN 1476-4687, DOI 10.1038/s41586-018-0094-2, lire en ligne, consulté le )
  9. (en) Narasimhan, Vagheesh M., Patterson, Nick J., Moorjani, Priya, [...], « The Genomic Formation of South and Central Asia », bioRxiv: 292581., mars 2018.
  10. Éric Paul Meyer 2007, p. 70 sq.
  11. (en) Christopher I. Beckwith, Empires of the Silk Road: A History of Central Eurasia from the Bronze Age to the Present, Princeton University Press, 2009.
  12. (en) Peter de Barros Damgaard, Nina Marchi, ... Eske Willerslev, 137 ancient human genomes from across the Eurasian steppes, Nature, volume 557, pages 369–374 (2018)
  13. (en) G.D. Kumar, The Ethnic Component of the Builders of the Indus Valley Civilization and the Advent of the Aryans, Journal of Indo-European Studies, Volume 1, 1973, p. 66.
  14. (en) Edwin Bryant, The Quest for the Origins of Vedic Culture : The Indo-Aryan Migration Debate, New York, Oxford University Press, .
  15. (en) Cynthia Ann Humes, « Hindutva, Mythistory, and Pseudoarchaeology », Numen. International Review for the History of Religions, vol. 59, , p. 178–201 (DOI 10.1163/156852712x630770, lire en ligne).
  16. Fussman et al. 2005, p. 198

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) Edwin Bryant, The Quest for the Origins of Vedic Culture, Oxford University Press, (ISBN 0-19-513777-9).
  • (en) Edwin F. Bryant (éd.) et Laurie L. Patton (éd.), Indo-Aryan Controversy: Evidence and Inference in Indian History, Routledge/Curzon, (ISBN 0-7007-1463-4).
  • Bernard Sergent, Genèse de l'Inde, Paris, Payot, .
  • Michel Danino, L'Inde et l'invasion de nulle part, Paris, Les Belles Lettres, .
  • Jean-Paul Demoule, Mais où sont passés les Indo-Européens ? : Le mythe d'origine de l'Occident, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », , 742 p. (ISBN 978-2-02-029691-5). 
  • (en) Koenraad Elst, Update on the Aryan Invasion Debate, Aditya Prakashan, (ISBN 81-86471-77-4).
  • G. Fussman, J. Kellens, H.-P. Francfort et X. Tremblay, Aryas, Aryens et Iraniens en Asie Centrale, Institut Civilisation Indienne, (ISBN 2-86803-072-6).
  • Gérard Fussman, « Entre fantasmes, science et politique. L’entrée des Āryas en Inde », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 4, no 260, , p. 781-813 (lire en ligne ). 
  • (en) Nicholas Kazanas, Indo-Aryan origins and other Vedic issues, .
  • (en) B.B. Lal, The Homeland of the Aryans. Evidence of Rigvedic Flora and Fauna & Archaeology, New Delhi, Aryan Books International, .
  • Éric Paul Meyer, Une histoire de l'Inde : les Indiens face à leur passé, Albin Michel, (ISBN 978-2-226-17309-6).
  • Colin Renfrew, L'énigme indo-européenne : Archéologie et langage., Paris, Flammarion, coll. « Champs Flammarion », 1990 (édition française (ISBN 978-2080813039). 
  • (en) Jim G. Shaffer, « Migration, Philology and South Asian Archaeology », dans Aryan and Non-Aryan in South Asia, Bronkhorst and Deshpande, (ISBN 1-888789-04-2).
  • (en) Kaikhosru Dadhaboy Sethna, The Problem of Aryan Origins, New Delhi, Aditya Prakashan, (ISBN 81-85179-67-0).
  • (en) Shrikant G. Talageri, The Rigveda: A Historical Analysis, (ISBN 81-7742-010-0).
  • (en) Thomas Trautmann, The Aryan Debate in India, (ISBN 0-19-566908-8).

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