Tatiana Nikolaïevna de Russie
La grande-duchesse Tatiana Nikolaïevna de Russie (en russe : Татьяна Николаевна Романова), née le ( du calendrier julien) à Peterhof et assassinée le à Iekaterinbourg, est un membre de la famille impériale de Russie. Elle est la deuxième fille de l'empereur Nicolas II et de l'impératrice Alexandra Feodorovna.
Tatiana Nikolaïevna de Russie Sainte orthodoxe | ||
Titre | Grande-duchesse de Russie | |
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Biographie | ||
Dynastie | Romanov | |
Nom de naissance | Tatiana Nikolaïevna Romanova | |
Naissance | Peterhof, Empire russe |
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Décès | Iekaterinbourg, RSFS de Russie |
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Père | Nicolas II de Russie | |
Mère | Alix de Hesse-Darmstadt | |
Élevés par leur mère dans une rigueur toute victorienne, tenus à l'écart de la cour de Saint-Pétersbourg, les enfants du couple impérial grandissent dans une relative solitude que ne feront que renforcer les troubles politiques qui embrasent le pays.
Plus connue que ses trois sœurs de son vivant, elle dirigeait des comités de bienfaisance et d'oeuvres de charité.
Proche de sa mère, l'impératrice Alexandra Fedorovna, Tatiana est surnommée « la Gouvernante » du fait de son caractère déterminé et quelque peu autoritaire.
Biographie
Enfance
La grande-duchesse Tatiana est née le au palais Peterhof. C'est la seconde fille du tsar Nicolas II et de l'impératrice Alexandra Feodorovna. Tatiana a une grande sœur, la grande-duchesse Olga Nikolaïevna, deux petites sœurs, les grandes-duchesses Maria et Anastasia Nikolaïevna et un frère, le tsarévitch Alexis.
Tatiana était grande et mince, le teint foncé, des cheveux auburn et les yeux bleu-gris. Ses contemporains la décrivaient comme une jeune fille élégante et elle était considérée comme la plus belle des filles du tsar par de nombreux courtisans[1],[2],[3]. Plusieurs de ses contemporains voyaient une ressemblance entre Tatiana et sa mère au même âge. "Tatiana est un peu plus grande qu'Olga, plus délicate et svelte, son visage est long et son apparence est plus aristocrate, ses cheveux sont plus foncés que ceux de sa sœur aînée, mais son sourire n'est pas aussi joli." Tatiana était profondément religieuse et possédait une connexion spirituelle avec sa mère. Elle était également sa fille préférée.
Tatiana avait pour titre « grande-duchesse », autrement dit en russe « grande-princesse ». Cependant, ses amis, sa famille et les domestiques l'appelaient plutôt par son prénom et patronyme, « Tatiana Nicolaïevna »[4], ou par ses surnoms « Tanya », « Tatia », « Tatianotchka » ou « Tanouchka »[5],[6].
Tout comme ses frère et sœurs, Tatiana a été élevée avec un certain sens de l'austérité. Elle et ses sœurs dormaient sur des lits de camp, prenaient des bains froids le matin[7], et, quand elles avaient le temps, faisaient du tricot et de la broderie. Puis, elles faisaient don de leur travail à des associations caritatives[8]. D'après un récit, Tatiana, habituée à se faire appeler par son prénom, s'est sentie déconcertée lorsque la baronne Sophie Buxhoeveden l'a appelée « Votre altesse impériale », alors qu'elle était à la tête d'une réunion de charité. Elle lui aurait donné un coup de pied par-dessous la table et lui aurait dit : « Êtes-vous folle de m'appeler ainsi ? »[9].
Tatiana et sa sœur aînée, Olga, étaient surnommées « la grande paire » dans la famille[9]. D'après le journal écrit par son cousin, le grand-duc Constantin Constantinovitch de Russie, écrit le , la jeune fille a reçu le nom de « Tatiana » en hommage à l'héroïne du roman d'Alexandre Pouchkine. Son père aimait l'idée de nommer ses filles Olga et Tatiana, tout comme les sœurs du célèbre roman[10]. À l'instar de leurs deux jeunes sœurs, les deux filles partageaient la même chambre à coucher et étaient très proches l'une de l'autre.
Au cours du printemps de l'année 1901, Olga attrapa la fièvre typhoïde et fut mise en quarantaine à la nursery pendant plusieurs jours, loin des autres occupants. Lorsqu'elle commença à se rétablir, Tatiana reçut la permission de rendre visite à sa sœur pendant cinq minutes, mais ne fut pas capable de la reconnaître. Sa gouvernante, Margaretta Eagar, la persuada que la petite fille qu'elle venait de voir était bien sa sœur. Tatiana pleura alors et protesta que cette petite fille mince et pâle ne pouvait être sa sœur aînée. Son précepteur suisse, Pierre Gilliard, écrit que les deux sœurs se « préoccupaient énormément l'une de l'autre »[11].
Pierre Gilliard a aussi écrit que Tatiana était une jeune fille « équilibrée », mais moins ouverte et spontanée qu'Olga. Elle avait aussi moins de capacités intellectuelles que sa sœur aînée, mais travaillait plus dur et avait beaucoup plus de projets que celle-ci[12]. Le colonel Kobylinsky, gardien de la famille impériale pendant leur détention à Tsarkoïe-Selo et à Tobolsk, estimait que Tatiana « n'avait aucun goût pour l'art » et que « peut-être il aurait été préférable pour elle d'avoir été un homme »[13]. D'autres estimèrent que Tatiana avait plus de talent pour s'habiller et pour se coiffer. Anna Vyroubova, amie intime de l'impératrice, écrivit plus tard que Tatiana avait un grand talent pour la couture, la broderie et le crochet et qu'elle coiffait sa mère mieux que n'importe quel coiffeur professionnel[3].
Relations avec Grigori Raspoutine
Tatiana, comme tous les membres de la famille impériale, a souffert de voir le jeune héritier Alexis sujet à de violentes crises d'hémophilie qui ont failli lui faire perdre la vie à de nombreuses reprises. Tatiana, tout comme ses trois sœurs, était potentiellement porteuse du gène de l'hémophilie, transmis par leur mère qui l'avait hérité de sa grand-mère, la reine Victoria d'Angleterre. Maria, sœur cadette de Tatiana, aurait eu une hémorragie, selon la sœur de Nicolas, la grande-duchesse Olga, en décembre 1914 lors d'une opération pour lui enlever les amygdales. Le médecin qui opérait était tellement nerveux que l'impératrice dut l'obliger à continuer l'opération. D'après la grande-duchesse Olga, ses quatre nièces saignaient plus que la normale et elle pensait qu'elles étaient, tout comme leur mère, porteuses du gène de l'hémophilie[14]. En effet, les porteurs du gène de l'hémophilie, même s'ils ne sont pas eux-mêmes hémophiles, peuvent présenter une partie des symptômes de cette maladie[15].
La tsarine, désespérée par la maladie de son fils, demanda conseil à Grigori Raspoutine, un paysan russe et starets ou « saint homme », qui a d'ailleurs réussi à sauver la vie du tsarévitch plusieurs fois. Tatiana et ses frère et sœurs sont alors devenus proches du starets, qu'ils surnommaient « notre ami » et se confiaient parfois à lui. À l'automne 1907, la grande duchesse Olga Alexandrovna s'est fait escorter par son frère l'empereur à la nursery pour rencontrer Raspoutine. L'amitié qu'éprouvait Raspoutine pour les enfants impériaux était aussi évidente dans les lettres qu'il leur envoyait. En , Raspoutine a envoyé un télégramme adressé aux enfants impériaux qui disait : « Aimez la nature que Dieu a créée, l'ensemble de sa création, en particulier cette terre. La mère de Dieu est toujours occupée avec des fleurs et des aiguilles »[16]. À onze ans, Tatiana a écrit une lettre demandant à Raspoutine de lui rendre visite en lui disant comme il était difficile de voir sa mère malade. « Mais vous savez, parce que vous savez tout », écrit-elle[17].
Toutefois, l'une des filles d'une gouvernante, Sophie Ivanovna Tioutcheva, a été horrifiée que Raspoutine ait été autorisé à accéder à la chambre des jeunes filles pendant qu'elles y dormaient. Les relations entre les grandes-duchesses et Raspoutine étaient innocentes à tout point de vue et l'empereur permit à Raspoutine de recommencer. La jeune Tatiana était consciente de la tension qui régnait dans la pièce au moment où la fille de sa gouvernante vit Raspoutine pénétrer dans sa chambre, et dit même à sa mère ce qu'avait fait sa nourrice : « Je suis tellement effrayée que S.I (Sophie Ivanovna) puisse dire... quelque chose de mal à propos de notre ami ». Le , Tatiana écrit à sa mère, « J'espère que notre gouvernante sera plus agréable avec notre ami maintenant »[18]. Alexandra Tioutcheva fut finalement congédiée.
Alexandra Tioutcheva raconta son histoire aux autres membres de la famille[19]. La sœur de Nicolas, la grande-duchesse Xénia, fut horrifiée par cette histoire. Le , elle écrivit dans son journal qu'elle n'arrivait pas à comprendre que la famille impériale pût considérer Raspoutine comme « presque saint », alors qu'Alexandra Tioutcheva lui avait dit que le starets avait rendu visite aux grandes-duchesses Olga et Tatiana dans leur chambre, au moment où elles se préparaient à aller au lit. Il leur avait parlé et leur avait donné une « caresse ». Les filles cachaient sa présence à leurs gouvernantes et étaient effrayées de leur parler de Raspoutine[18]. Maria Ivanovna Vichniakova, une autre gouvernante des enfants impériaux, fut au début dévouée envers Raspoutine, mais plus tard elle fut déçue par lui. Elle a même affirmé avoir été violée par lui en 1910. L'impératrice refusa de la croire et Maria Vichniakova raconta tout aux enquêteurs, affirmant que Raspoutine n'était pas un saint[20]. La grande-duchesse Olga Alexandrovna a dit que Maria Vichniakova a immédiatement demandé une enquête, mais « ils ont surpris la jeune femme au lit avec un cosaque de la Garde impériale ». Maria Vichniakova a été renvoyée en 1913[21].
On a insinué que Raspoutine aurait non seulement séduit la tsarine, mais aussi les quatre grandes-duchesses[22],[23]. Au grand dam d'Alexandra, Nicolas ordonna à Raspoutine de quitter Saint-Pétersbourg pendant un certain temps. Raspoutine se rendit alors en pèlerinage en Terre Sainte[24]. L'amitié de la famille impériale envers Raspoutine dura jusqu'à l'assassinat de celui-ci en 1916. Des rumeurs infondées ont circulé sur le fait que Tatiana aurait été présente lors du meurtre de Raspoutine le , « déguisée en lieutenant, afin de se venger de Raspoutine qui avait tenté de la violer ». On aurait aussi dit que Raspoutine avait été castré devant Tatiana, écrivit dans ses Mémoires Maurice Paléologue, l'ambassadeur de France en Russie, scandalisé par ces calomnies. Paléologue était horrifié par ces rumeurs, les attribuant à la haine que la population éprouvait envers le prétendu starets[25]. Dans ses Mémoires, A. A. Mordvinov a indiqué que les quatre grandes-duchesses semblaient « terriblement abattues et visiblement bouleversées » par le décès de Raspoutine. Mordinov a signalé que les jeunes filles étaient tristes et qu'elles se rendaient compte du contexte politique qui était sur le point de se déclencher[26]. Tatiana assista aux funérailles de Raspoutine, le . Il fut enterré avec une icône, signée au verso par Tatiana, sa mère et ses sœurs[27].
Tatiana a écrit dans un carnet les paroles de Raspoutine, inspirées de la célèbre Épître de saint Paul : « La charité est lumière et n'a pas de fin. La charité est une grande souffrance. Elle ne mange pas, elle de dort pas. Elle est mélangée à parts égales avec le péché. Et pourtant il est mieux d'aimer. En amour on peut se tromper. Si l'amour est fort, les amants sont heureux. La nature elle-même et le Seigneur leur donnent du bonheur. On peut demander au Seigneur de nous apprendre à aimer la lumière, de sorte que l'amour ne soit pas tourmenté, mais joyeux... »[28].
Tatiana, tout comme sa mère, était profondément croyante et lisait souvent les Saintes Écritures. Elle avait également étudié des ouvrages de théologie et se penchait souvent sur le sens profond de concepts tels que « le bien et le mal, la tristesse et le pardon, la destinée de l'homme sur la terre », etc. Elle avait décidé que l'« on a raison de lutter, parce que le retour du Bien est mal préparé, et que le mal règne »[29]. A. A. Mosolov, un officier de la Cour, a dit que la nature réservée de Tatiana lui avait donné un caractère « difficile », mais avec plus de profondeur spirituelle que sa sœur Olga[30]. Son précepteur anglais, Sydney Gibbes, devenu plus tard prêtre orthodoxe russe, n'était pas d'accord avec cela, et estimait que pour Tatiana, la religion était plus un devoir que quelque chose qu'elle ressentait dans son cœur[31].
Début de l'âge adulte et Première Guerre mondiale
Au début de son adolescence, Tatiana s'est vu assigner un régiment de soldats, les hussards du régiment Vosnessensky, et s'est vu donner le rang honorifique de colonel[32]. Tatiana et Olga, qui avait également son propre régiment, voulaient souvent sortir inspecter les soldats ; cela les rendait très heureuses[33]. Quand elle eut presque quatorze ans, un jour qu'elle était malade, Tatiana supplia sa mère de lui donner la permission de sortir du lit à temps pour assister à l'inspection de la seconde Division, pour voir un officier dont elle était tombée amoureuse : « Je voudrais vraiment aller voir la revue de la seconde Division, je suis la deuxième de vos filles et, Olga ayant été à celle de la première, c'est mon tour » a écrit Alexandra le , « ...Oui, maman, en plus dans la deuxième division je dois voir... vous savez qui... »[34].
Même si elle était contente de la compagnie des officiers qu'elle rencontrait, la jeune Tatiana a parfois été choquée de leur comportement. Par exemple un jour, un groupe d'officiers, à bord du yacht impérial, avait offert à Olga un portrait découpé dans un journal représentant un nu de Michel-Ange. C'était à l'occasion de sa fête, le . « Olga a ri », a écrit Tatiana le jour de ses quatorze ans à sa tante Olga Alexandrovna, « Et pas un des officiers ne tient à confesser ce qu'il a fait »[35].
À l'âge de quatorze ans, Tatiana connut sa première scène de violence le soir où elle assista à l'assassinat du premier ministre, Piotr Stolypine, à une représentation à l'opéra de Kiev. Tatiana et sa grande sœur Olga assistèrent à la fusillade, du balcon impérial avec leur père. Nicolas a écrit à sa mère, l'impératrice douairière Marie Feodorovna, le , que l'événement avait bouleversé ses deux filles. Tatiana pleura énormément et eut du mal à s'endormir cette nuit-là[36].
Quelques années plus tard, lorsque la Première Guerre mondiale éclata, Tatiana, formée par la chirurgienne Vera Gedroitz, devint infirmière à l'hôpital aménagé au Palais d'hiver de Saint-Pétersbourg, avec sa mère et sa sœur Olga. Selon Anna Vyroubova, « Tatiana était presque aussi habile et dévouée que sa mère, et ne se plaignait que très rarement »[37]. Tatiana était aussi très patriote et a dû présenter des excuses à sa mère dans une lettre, le , pour avoir critiqué les Allemands en présence de la tsarine. Elle explique qu'elle avait oublié que sa mère était née en Allemagne et qu'elle pensait toujours que sa mère était uniquement russe. L'impératrice répondit à cela, que Tatiana ne l'avait pas du tout blessée car elle se sentait parfaitement russe, mais Alexandra fut profondément blessée par le peuple qui ne la voyait qu'en Allemande[38].
Le , Tatiana écrit à sa mère une lettre exprimant son désir de l'aider dans ses œuvres de bienfaisance liées à la guerre : « Je ne peux pas vous dire combien je suis terriblement désolée pour vous, mes parents adorés. Je suis désolée de ne pas pouvoir vous être utile. Je suis désolée de ne pas être un homme »[39]. Depuis que Tatiana était devenue adulte, elle apparaissait plus en public que ses sœurs. Anna Vyroubova a écrit qu'elle est devenue plus connue que ses trois sœurs grâce à sa capacité à engager la conversation. Dans leurs mémoires, Anna Vyroubova et le comtesse Lili von Dehn ont rappelé que Tatiana était la fille du tsar la plus sociable et qu'elle aspirait à avoir des amis de son âge ; mais sa vie en société était restreinte à cause de son rang et du dégoût de sa mère vis-à-vis de la haute société de Saint-Pétersbourg. Elle avait aussi un côté plus introspectif, connu uniquement de ses amis les plus proches et de sa famille : « Tatiana, comme sa mère, était timide et réservée et cela lui donnait une impression de fierté, mais, une fois que vous aviez acquis son affection, cette réserve disparaissait et on pouvait alors voir la vraie Tatiana », a dit la comtesse von Dehn, « elle était de nature très poétique, toujours tendue vers l'idéal, et rêvait de grandes amitiés »[2].
Valentina Tchebotareva, qui a vu grandir la « belle » Tatiana comme une mère, a décrit la nervosité de la grande-duchesse, alors qu'elle devait diriger un groupe d'infirmières[40]. « Je suis tellement embarrassée et effrayée, je ne sais pas qui je dois saluer et qui je ne dois pas », dit Tatiana a Valentina Tchebotareva[41]. Le manque d'esprit de formalisme de Tatiana a également marqué le fils de Valentina Tchebotareva, Grigori. En effet un jour, Tatiana a téléphoné à Valentina Tchebotareva à son domicile, et est tombée sur le fils de celle-ci, âgé alors de seize ans. Il se présenta par son surnom Gricha et la grande-duchesse lui dit qu'elle était Tania. Il ne réalisa pas alors qui elle était et lui demanda son nom complet et elle lui répondit, « Tatiana Nicolaïevna ». Quand il lui demanda de répéter, ne sachant toujours pas qu'il parlait à une Romanov, Tatiana omit de préciser son titre impérial de grande-duchesse, mais répondit qu'elle était « la deuxième sœur des Romanov »[41].
Une autre fois, pendant la guerre, la dame de compagnie qui les raccompagnait d'habitude de l'hôpital fut obligée de partir plus tôt et leur envoya une voiture, sans accompagnateur. Tatiana et Olga décidèrent alors d'aller faire des courses en ville pour la première fois de leur vie. Elles demandèrent au chauffeur de s'arrêter près d'un magasin où elles entrèrent. Personne ne les reconnut à cause de leurs uniformes d'infirmières. Elles revinrent sans rien avoir acheté, car elles avaient réalisé qu'elles n'avaient pas d'argent sur elles et que même si elles en avaient eu, elles n'auraient pas su comment le dépenser. Le lendemain, elles demandèrent à Valentina Tchebotareva comment s'y prendre pour faire des achats[41].
Romances
Tatiana est au moins tombée amoureuse une fois. D'après un article de du magazine Royal Digest, Peter Malama a écrit dans son Journal que son cousin, Dimitri Yakovlevitch Malama, officier de cavalerie russe, avait rencontré Tatiana quand il était blessé en 1914. Puis tard, il y eut une romance entre Tatiana et le jeune homme lorsqu'il fut nommé écuyer du régiment qui montait la garde à Tsarskoïe Selo[42]. En , Dimitri Malama a donné à Tatiana un bouledogue français, qu'elle nomma Ortino. « Pardonnez-moi pour le petit chien » écrit Tatiana à sa mère, le . « Pour vous dire la vérité, quand il me demanda si je le voulais, j'ai juste répondu oui. Vous vous rappelez, j'ai toujours voulu en avoir un, et quand nous sommes rentrés à la maison, j'ai soudainement pensé que vous ne vouliez pas en avoir. Mais j'étais vraiment heureuse d'avoir tout oublié »[43]. Le chien mourut rapidement, mais Malama le remplaça par un chiot. Tatiana le garda avec elle jusqu'à Ekaterinbourg, où il mourut avec le reste de la famille impériale[44]. Malama a rendu visite à la famille impériale dix-huit mois après qu'il a donné le premier chien à Tatiana. « Mon petit Malama est venu une heure hier soir » écrit Alexandra à Nicolas, le . « ...Il a l'air plus l'air d'un adolescent qu'un homme et est resté un adorable garçon. Je dois dire qu'il serait un gendre parfait s'il voulait le devenir. Pourquoi choisir un prince étranger beaucoup moins agréable que lui ? »[45]. Selon Peter de Malama, Malama a été tué en août 1919 alors qu'il commandait une unité de Russes blancs contre les bolcheviques, pendant la guerre civile en Ukraine[46].
Tatiana eut également un faible pour un soldat nommé Vladimir Kiknadzé, un homme qu'elle soigna quand il fut blessé en 1915 et en 1916, d'après le Journal de Valentina Ivanovna Tchebotareva, une infirmière qui travailla avec Tatiana pendant la guerre. Elle décrivit comment Tatiana allait s'asseoir quelques fois à côté de Volodia quand il jouait du piano avec un doigt en lui parlant à voix basse et en prenant une expression mystérieuse. Valentina Tchebotareva a également décrit comment Tatiana et sa sœur Olga inventaient des excuses pour venir voir Volodia à l'hôpital[47]. Valentina Tchebotareva pensait que le fait que les grandes-duchesses et les officiers blessés flirtaient ensemble pouvait causer une mauvaise réputation pour les filles, et provoquer des rumeurs et des ragots[41].
Révolution et captivité
La famille impériale a été arrêtée lors de la révolution russe de 1917 et emprisonnée d'abord à Tsarkoie-Selo, puis plus tard à Tobolsk, et pour terminer à Ekaterinbourg, en Sibérie. L'incertitude quant à leur survie changea radicalement le comportement de Tatiana tout comme pour toute la famille. « C'est étrange de rester assis le matin, d'être en bonne santé et de ne pas aller faire des bandages aux soldats » écrit Tatiana dans une lettre adressée à Valentina Tchebotareva. En , les bolcheviques ont déplacé Nicolas, Alexandra et Maria à Ekaterinbourg. Les autres enfants étaient restés à Tobolsk en raison de la crise d'hémophilie dont souffrait le jeune tsarévitch. C'est d'ailleurs Tatiana qui persuada sa mère « de cesser de se tourmenter » en accompagnant le tsar et laisser Alexis à Tobolsk. Alexandra décida alors qu'elle partirait avec Nicolas et laissa le tsarévitch aux soins de Tatiana[48].
Durant le mois où elles furent séparées de leurs parents et de leur sœur, Tatiana, Olga, Anastasia et leurs suivantes cousirent des bijoux et des pierres précieuses dans la doublure de leurs robes, dans l'espoir de les dissimuler aux gardes. Tatiana et ses sœurs ont été traumatisées par leur transfert de Tobolsk à Ekaterinbourg sur le bateau à vapeur le Rouss, en . Les grandes-duchesses y furent harcelées et bousculées par les gardes qui recherchaient leurs bijoux. Le professeur d'anglais des filles, Sydney Gibbes, fut hanté pendant le reste de ses jours par le souvenir des cris des grandes-duchesses et par son incapacité à les aider[49].
Pierre Gilliard, précepteur de Tatiana et de ses frère et sœurs, décrit dans son journal la dernière fois qu'il vit les enfants impériaux : « Je voulus sortir, mais je fus brutalement repoussé dans le wagon par la sentinelle. Je revins à la fenêtre. Tatiana s'avançait la dernière, portant son petit chien et traînant péniblement une lourde valise brune. Il pleuvait et je la voyais s'enfoncer à chaque pas dans la boue. Nagorny voulut se porter à son aide : il fut violemment rejeté en arrière par un des commissaires »[50].
Décès
À Ekaterinbourg, Tatiana allait parfois avec ses sœurs discuter avec les gardes, leur posait des questions sur leur famille et leur parlait de sa nouvelle vie en Angleterre une fois qu'elle serait libérée. Un jour, un des gardes fit une plaisanterie déplacée à la grande-duchesse. Tatiana fut choquée et devint « pâle comme un cadavre ». Sa jeune sœur, Maria, gronda alors le garde pour son mauvais langage[51]. Elle « aurait pu être agréable avec les gardes, s'ils avaient eu de meilleures manières » écrit un des gardes dans ses Mémoires[51]. Tatiana, estimée comme la plus courageuse de la famille, se faisait mener auprès de ses parents pour demander aux gardes le règlement ou pour être informée de ce qui allait arriver prochainement à la famille. Elle passait la plupart du temps assise avec sa mère et son frère malade, faisait la lecture à sa mère et jouait à des jeux pour passer le temps[49].
Cette prière écrite par les grandes-duchesses Olga et Tatiana, à Ekaterinbourg, fut destinée à un ami et déposée dans un livre. Elle fut découverte par des fidèles du tsar après la mort de la famille impériale en 1918 :
« Seigneur donne-nous, en ces jours tumultueux, la patience, afin que nous supportions la famine et la souffrance qui menacent dans notre pays. Dieu de vérité, la force dont nous avons besoin, donne-la nous afin que nous pardonnions à ceux qui nous torturent ; que nous portions la lourde charge de la croix sur nous ; que nous prenions comme exemple, le plus grand, celui de ton humilité. Lorsqu'ils nous pilleront et nous offenseront, lorsqu'ils nous mutileront et nous exploiteront, nous t'appellerons Christ-Sauveur. Aide-nous, afin que nous survivions à ces dures épreuves. Seigneur de ce monde, Dieu de toute création, nous te rendons grâce ; donne-nous la paix de l'âme, oh Seigneur, dans les moments les plus durs. Et au seuil de notre tombe, souffle ta puissance éternelle sur nous, tes enfants, afin de trouver la puissance, nous qui te prions dans l'humilité, ainsi que pour nos ennemis. »
Le , des prêtres d'Ekaterinbourg ont célébré un service religieux en privé pour la famille impériale. Ils remarquèrent que Tatiana et toute sa famille, contrairement à la coutume, tombèrent à genoux au cours de la prière pour les morts[52]. La dernière chose que Tatiana nota dans son journal intime fut un passage qu'elle recopia du livre d'un Russe orthodoxe, canonisé, le Père Jean de Cronstadt (1829-1908) : « Votre douleur est indescriptible, la douleur du Sauveur dans les jardins de Gethsémani pour les péchés du monde se joint à votre chagrin, vous y trouverez de la consolation »[53]. Dans l'après-midi du , la dernière journée de sa vie, Alexandra nota dans son journal qu'elle était restée assise avec Tatiana et qu'elles ont lu les passages de la Bible consacrés à Amos et Abdias. Elles passèrent le reste de la journée à parler[54].
Tatiana avait vingt-et-un ans lorsqu'elle fut assassinée avec sa famille, le , dans les sous-sols de la maison Ipatiev à Ekaterinbourg. Les meurtres ont été perpétrés par un groupe d'hommes sous le commandement de Yakov Yourovsky. D'après les mémoires d'un des assassins, Yourovsky tua lui-même Tatiana avant de tuer la grande-duchesse Olga[55].
Nouvelles recherches sur le décès
Beaucoup de travaux plus ou moins convaincants ont fait état de la survie de certains membres de la famille Romanov, notamment l'impératrice et ses filles. Le massacre de la maison Ipatiev a été contesté au motif entre autres que les corps des victimes même incinérés n'ont pas été retrouvés et à l'inverse que l'impératrice et les filles ont été évacuées à Perm où elles ont été vues par de nombreux témoins au moins entre juillet et . Un auteur de livres sur les Romanov, a écrit que Tatiana avait été expédiée en Angleterre, où elle aurait épousé un officier britannique et vécu sous le nom de Larissa Tudor[56],[57]. Rien de sérieux ne permet de retenir l'hypothèse évoquée par Michel Wartelle puis par Franck Ferrand à partir d'un ouvrage britannique de mémoire tardif et isolé d'une exfiltration anticipée de cette fille au début de juillet 1918 vers l'Angleterre[58]. Aucune pièce de l'intégrale du dossier Sohkholov ne fait état de l'absence d'une des filles Romanov dans la première quinzaine de , qui n'aurait pas manqué d'être remarquée. De surcroît, elle se trouvait bien à Perm dès le avec ses sœurs et sa mère[59]. Sous le nom d'Alexandra Michaelis, elle aurait travaillé en Allemagne de 1945 à 1951 à la tête de camps de réfugiés[60]. Mais à ce jour, aucune photographie d'elle après 1918 ne nous est parvenue. La revue affirme qu'Olga Romanov survivait également sous le nom de Marga Boodts, dont Alexis Durazzo affirma également, qu'elle était sa Grand-tante. La revue Historia, dont un collaborateur avait identifié avant-guerre en Anna Anderson, Tatiana, la présenta en , Dans un article signé Henri Danjou au conditionnel comme une seconde grande-Duchesse de Russie domiciliée en Allemagne et développa l'historique de sa découverte : deux barons viennois qui reconnurent en la directrice d'un camp de réfugiés à Brême, comme une fille de Nicolas II et lui firent avouer sous serment qu'elle s'appelait Tatiana Romanov, s'était enfui d'Ekaterinbourg avec l'aide d'un officier avant le massacre avait rejoint l'Allemagne par la Lituanie et pris le pseudonyme d'Alexandra Michaelis. Elle fit une carrière d'infirmière près de Berlin jusqu'en 1939 puis fut affectée à l'armée allemande après l'occupation de la Tchécoslovaquie. La révélation fut prise suffisamment au sérieux pour qu'une commission américano-britannique soit mise en place en Allemagne en 1948 dans le but de l'auditionner. Mais elle fit faux bond, se rétracta confusément et annonça son prochain départ pour la Californie, décidée à renoncer à ses droits de prétendante au profit d'une activité d'horticultrice ou de jardinière. De ce fait,on n'entendit plus jamais parler d'elle.
Toutefois, des corps ont été retrouvés en 1991 dans des bois près de Ekaterinbourg, et furent identifiés comme étant ceux du tsar Nicolas II, de la tsarine Alexandra, des grandes-duchesses Olga, Tatiana, Anastasia et des quatre domestiques qui les suivirent jusqu'au bout de leur tragédie. En , furent retrouvés deux autres corps près de l'endroit où furent retrouvés ceux de la famille impériale, seize ans auparavant et furent identifiés, le , comme étant les deux corps manquants de la famille Romanov, le tsarévitch Alexis et la grande-duchesse Maria.
Inhumations
Les corps du tsar Nicolas II, de la tsarine Alexandra Feodorovna, de Tatiana et de deux de ses sœurs furent finalement inhumés dans la cathédrale Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg le , quatre-vingts ans jour pour jour après leur assassinat. Plus de cinquante membres de la famille Romanov assistèrent aux funérailles, ainsi que Boris Eltsine et son épouse, le petit-fils du docteur Botkine, Constantin Melnik, le petit-fils du cuisinier, la petite-nièce de la femme de chambre Anna Demidova et un grand nombre de membres du corps diplomatique. Les corps du tsarévitch et de la grande-duchesse Maria devraient rejoindre prochainement ceux de leur famille. Le , une cérémonie anniversaire pour le dixième anniversaire de l'inhumation de la dernière famille impériale eut lieu en présence d'un grand nombre de membres de la famille Romanov, en la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Saint-Pétersbourg.
Canonisation
En 1981 et en 2000, Tatiana et sa famille furent canonisées par l'Église Orthodoxe de l'étranger et par l'Église orthodoxe de Russie, qui les considèrent comme morts en martyrs. Dans la calendrier de l'Église orthodoxe russe et de l'Église orthodoxe de l'étranger, Sainte Tatiana est vénérée le ; ce même jour sont vénérés également les saints martyrs impériaux : Saint tsar Nicolas, Sainte Tsarine Alexandra, Sainte Olga, Sainte Anastasia, Sainte Maria, Saint tsarévitch Alexis.
Monument érigé à la mémoire des enfants martyrs d'Ekaterinbourg
Le , jour anniversaire de la naissance de la grande-duchesse Olga Nikolaïevna de Russie, un monument d'une hauteur de 2,9 mètres, d'un poids de 2 tonnes fut inauguré dans le monastère de Ganina Iama près d'Ekaterinbourg en Oural. Le métropolite Vikenti de Tachkent présida cette cérémonie précédée d'une liturgie. Ce monument à la mémoire des enfants du dernier tsar de Russie est une œuvre du sculpteur russe Igor Akimov. Ce monument représente les cinq enfants impériaux (Olga, Tatiana, Maria, Anastasia et Alexeï descendant du paradis. Un monument dédié au tsar Nicolas II de Russie et à son épouse fut inauguré dans le monastère Ganina Iama quelque temps auparavant[61].
Bibliographie
- Essais
- 2004 : Marc Ferro, Les Tabous de l'histoire, Éditions Pocket (ISBN 2-266-13344-6)
- 2005 : Pierre Lorrain, La Fin tragique des Romanov, Éditions Bartillat
- 2005 : Daniel Girardin, Précepteur des Romanov : le destin russe de Pierre Gilliard, Actes Sud
- 2008: Michel Wartelle,L'Affaire Romanov ou le mystère de la maison Ipatiev,Louise Courteau Éditrice, Québec, Canada (ISBN 978-2-89239-302-6)
- Romans
- 2007 : Maurice Paléologue, Le Crépuscule des Tsars, Éditions Mercure de France.
- 2008 : Jean des Cars, La Saga des Romanov.
Notes
- Massie, Robert K. Nicholas and Alexandra, 1967, p. 133.
- Dehn, Lili, 1922. "The Real Tsaritsa", (ISBN 5-300-02285-3)
- Vyrubova, Anna. "Memories of the Russian Court". alexanderpalace.org. Retrieved on December 10, 2006.
- Massie, Robert, Nicholas and Alexandra, 1967, p. 135
- Kurth, p. 23
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- Michael Occleshaw, The Romanov Conspiracies: The Romanovs and the House of Windsor, Orion, 1993, pp. 146-150
- Michael Occleshaw, Armour Against Fate, 1989(Armure face au destin)
- Michel Wartelle produit lui-même dans son livre (p. 81-82) sans le contester un des dix-huit témoignages sous serment. L'infirmière Nathalie Mouthnik dit j'ai aperçu l'impératrice et les quatre filles qui étaient dans un état lamentable ; mais je ne les ai que trop bien reconnues
- Alexis Durazzo, Moi Alexis, arrière-petit-fils du tsar Nicolas II, Paris, 1982, p. 271 ; Dominique Labarre de Raillicourt, Cahiers de l’Histoire n° 7, Février-Mars 1961, « Souverains, tsars, et gouvernements de la Russie des origines à nos jours » p. 121 sous le nom d’Alexandra de Michaelis, il écrit « Elle était encore en vie en 1951 et exerçait la direction d’un camp de réfugiés en Allemagne. »
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