Symphonie no 4 de Tichtchenko

La Symphonie no 4 avec narrateur, Opus 61, a été composée par Boris Tichtchenko en 1974.

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Analyse

I. Sinfonia di forza : 20 min

À première vue, les six accords initiaux peuvent être écrits par la plume du Schoenberg dodécaphonique, mais leur principal développement en forme sonate libre est d'une facture semblable aux meilleurs ouvrages symphoniques de Chostakovitch (Symphonie no 4 par exemple). Ces accords dissonants se répètent inlassablement, hachant ainsi d'innombrables interludes d'obédience intimiste. Puis ces interludes s’interpellent, s'interposent et s'entrechoquent. Enfin la machine infernale se met en marche (percussions et cuivres) et le reste de l'orchestre vient, par la suite, accentuer la parade des tortionnaires jusqu'à ce que cette démonstration de force s'interrompt de manière abrupte et laisse s'échapper quelques brins de fumée par-ci, par-là. Des agrégats éparses et modérés nous amènent droit à une apothéose monstrueuse qui forme l'aboutissement du mouvement en reprenant savamment l'idée des six accords introductifs ; c'est la récapitulation. La musique semble s'estomper peu à peu. Finalement, une coda accommodante avec timbales et grosse-caisse obligé achève la bête.

II. Sinfonia di rabbia : 19 min

Un tour de force surhumain. Une batterie fort généreuse de percussions, non sans rappeler L'Homme et son désir de Milhaud, joue le rôle de basse ostinato. Nous entendons et considérons avec circonspection une masse instable : des cordes aigües crasseuses, écorchées par les archets, des borborygmes indistincts aux bois et certaines flatulences des cuivres distraits se promenant aux marchés des enfers. Peu à peu, cette masse informelle s'organise et prend sa vitesse de croisière ; sous les ordres d'agrégats caustiques aux cuivres, les bois aigus n'en perdent pas moins la tête et voltigent langoureusement au-dessus du galetas feutré des cuivres et la rythmique endiablée des percussions. Ceci n'est vainement point une tentative expansionniste du néo-expressionnisme qui prend sa source chaude dans l'allegro misterioso de la Suite lyrique de Berg. Les percussions et les cris stridents de l'orchestre hallucinogènes dessinent vaillamment les vociférations d'Elektra. Mais le sentier à parcourir reste encore long et périlleux. Vers le deuxième tiers du mouvement, l'on peut ressentir davantage l'atmosphère totalitariste de la stagnation brejnevienne des années 1970 (les clusters asphyxiants aux bois sur-aigus accompagnés par l'orgue mystique ponctuent et encadrent deux-trois épisodes chambristes) et des similitudes stylistiques parachèvent les derniers travaux du mentor Chostakovitch. Suivant le point culminant de cette danse euphorisante, la pâte sonore s’essouffle quelque peu et choisit le chemin de la sagesse, tout en reconquérant par la suite une pulsation frénétique. Les percussions martèlent les derniers pas du condamné ; c'est la marche aux supplices, la potence est socialiste.

III. Sinfonia di tristezza : 21 min

Plus neutre mais non dénué d'expressivité, ce mouvement de tristesse transcende la religiosité des symphonies de Bruckner. La clarinette ouvre l'introspection et entame une conversation chromatique avec les autres anches de l'orchestre, puis les cuivres et les cordes font leurs entrées diatoniques. Le discours musical n'est plus du tout véhément ; l'amertume remplace l’exubérance. Cette première partie insuffle une pause paisible aux conflits thématiques antérieurs, l'articulation générale est monacale. Au fil de l'alternance monotone des pupitres, l'orchestre atteint son paroxysme post-romantique et le climax lacrymogène y est palpable. Le mouvement en forme d'arc s'achève par le commencement ; il ne reste plus que les contrebasses suintants et hochant leur tête à la résignation suprême. Soudainement, alors qu'il ne reste plus que la pulsion d'une valse morte à la nuance ppp, les trombones, frustrés de ne pas se faire entendre davantage, rouspètent et ricanent au nez du public médusé et dubitatif, à l'instar de la marionnette Pétrouchka ; le spectacle est glaçant, voir surréaliste - un autre ingrédient typique du néo-expressionnisme. À l'intérieur de la coda, un chant de sauterelles à l'orgue perturbe la sortie de la salle de l'avatar du pantin désarticulé.

IV. Sinfonia di crudelta : 22 min

L'introduction forme un étrange patchwork récapitulatif des principales idées thématiques antérieures ; cuivres nauséeux de la Sinfonia di rabbia et reprise du chant de sauterelles. La structure formelle du mouvement est indéfinissable ; une fantaisie postmoderniste ? Une cantate pour narrateur-baryton ? Un quatuor pour flûte, violon, glockenspiel et orgue ? Ceux-ci étant questionnés, ce mouvement n'en reste pas moins le summum de l’œuvre : champs de batailles apocalyptiques et visions de l'amen s’alternent et se répondent ; un narrateur fait son apparition tel un apôtre près-mycénien disparu depuis l'épopée des Titans, petits ruisseaux champêtres et rossignol de Tourgueniev, orgue naturaliste alla Webern, flûte stravinskienne et violon solo glissant et trébuchant dangereusement dans les escaliers. Puis, la réincarnation du mystère de Scriabine transcende une apothéose-zen tibétaine. Certaines influences lointaines ressurgissent préalablement, à savoir, les passages extatiques de la troisième symphonie de Mahler, un autre monstre de la symphonie mégalomaniaque. Ainsi, le déclin de la cruauté, présenté par un orgue effrayant en mode mineur, les clusters fugitifs entonnés par les percussions et les derniers accords d'Arès, apporte aux oreilles exercées une satisfaction dantesque tant bien espérée depuis plus de 75 minutes.

V. Sinfonia di risorgimento e tenerezza : 9 min

Un épilogue serein, une flûte bucolique sur le fond d'un solo du premier violoncelle, ce mouvement crépusculaire suit le même schéma que la Sinfonia di tristezza ; c'est-à-dire, un discours musical plus détendu et paisible (parallèles avec le finale de la huitième symphonie de Chostakovitch ?). La suite du mouvement s'ouvre tel un éventail orientaliste mauresque vers une apothéose convenue (fanfare optimiste des bois). Enfin c'est l'accord d'ut haletant, - ne serait-ce pas un souvenir de la cinquième porte du Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók (partition alors quasi inexistante en URSS) ? - qui flirte avec les tons voisins et éloignés sous forme de blocs d'accords fondamentaux, tenus principalement par les cordes de l'orchestre. Saupoudrée d'arabesques séculaires à la flûte, au glockenspiel et au célesta, l'harmonie du soir nous annonce tendrement, sans aucuns artifices : Paix à notre âme. (Cf Symphonie no 15 de Chostakovitch)

Enregistrement disponible

  • Gennady Rozhdestvensky, Orchestre philharmonique de Leningrad, date de l'enregistrement : (première à Leningrad).
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