Subsistit in

Subsistit in est une expression de la constitution dogmatique Lumen gentium. Elle est l'une de celles qui auront provoqué le plus de difficulté de compréhension du concile Vatican II au cours des années. Pour certains, partisans de l'« herméneutique de la discontinuité et de la rupture »[1], elle marque l'ouverture œcuménique du concile Vatican II et modifie l'interprétation traditionnelle de la doctrine Extra Ecclesiam Nulla Salus. Pour d'autres, dont le pape Benoît XVI, défenseur de l'« herméneutique de la réforme dans la continuité »[1], la formule nuance et précise pour les besoins actuels la doctrine traditionnelle.

La formule dans son contexte

Dans la période antérieure au concile, la doctrine s'énonçait ainsi : « l'unique Église du Christ est l'Église catholique ». Cette formulation était sans équivoque et ne donnait jamais lieu à des débats doctrinaux.

Or, dans la constitution dogmatique Lumen gentium de 1965, la doctrine est exprimée ainsi :

« C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, cette Église que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur (Jn 21, 17), qu’il lui confia, à lui et aux autres Apôtres, pour la répandre et la diriger (cf. Mt 28, 18, etc.) et dont il a fait pour toujours la « colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique. »

Cette formulation avait été introduite dans le texte conciliaire par le théologien néerlandais Sebastian Tromp[2], et soutenue par, entre autres, le jeune théologien Joseph Ratzinger alors conseiller du cardinal Joseph Frings, archevêque de Cologne[3].

Cet enseignement a été réaffirmé dans la déclaration Dominus Iesus. Dans la philosophie thomiste, le verbe « subsister » a un sens plus fort que le verbe « être ». Il est à proprement parler un développement du dogme pour approfondir le sens de la doctrine de l'unicité de l'Église du Christ.

Cette précision doctrinale fait implicitement référence à l'Église indivise : l'Église des Apôtres fondée par Jésus-Christ subsiste en l'Église catholique. La doctrine est formulée dans le but de reconnaître que dans les églises et communautés non catholiques, existent des moyens de salut. Ainsi, par exemple, pour les Églises des sept conciles, la validité des sacrements et la succession apostolique sont reconnus par l'Église catholique. Toutefois, cela n'est pas enseigné réciproquement dans l'Église orthodoxe.

Cette formulation doctrinale sera par la suite critiquée par ceux qui refusent de considérer le concile Vatican II comme un élément de la tradition vivante de l'Église, à l'instar de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X[4].

Une interprétation au cœur du débat sur l’œcuménisme et le rapport aux autres religions

En effet, pour certains[5], généralement issus des rangs catholiques réformateurs, cela signifie que l'Église catholique n'a pas le « monopole du salut », que dans d'autres communautés ou églises que l'Église on peut trouver les moyens du salut, que la grâce de Dieu excède les frontières de la seule Église catholique. « En clair cela signifie qu'il ne manque rien à l'Église catholique mais qu'elle n'est pas nécessairement l'unique à être fidèle au Christ ! Bref, l'Église catholique appartient pleinement à l'Église du Christ, mais je n'ai pas dit que l'Église du Christ était l'Église catholique. » [6]

Pour d'autres, comme le cardinal Walter Kasper, président émérite du conseil pontifical pour l'unité des chrétiens depuis 2010, il s'agit d'une formule d'ouverture, qui aide à dépasser l'identification absolue que suppose l'usage du verbe « être ». « Le subsistit in peut être considérée comme une clause d'ouverture. Avec ce verbe, la prétention de l’Église catholique n'est ni relativisée, ni effacée, mais elle ne peut plus être présentée dans le sens du tout ou rien »[7]

Le décret sur l’œcuménisme du même concile Vatican II comporte, dans ce sens, les précisions suivantes :

« Néanmoins, justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l’Église catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur [...]. En conséquence, ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique ».

Les précisions romaines et la poursuite du débat

En 1985, la congrégation pour la doctrine de la foi a mis en garde contre ce type d'interprétation : « Contraire à la signification authentique du texte conciliaire est donc l'interprétation qui tire de la formule subsistit in la thèse que l'unique Église du Christ pourrait aussi subsister dans des Églises et Communautés ecclésiales non catholiques. " Le Concile avait, à l'inverse, choisit le mot subsistit précisément pour mettre en lumière qu'il existe une seule “subsistance” de la véritable Église, alors qu'en dehors de son ensemble visible, existent seulement des elementa Ecclesiae qui — étant des éléments de la même Église — tendent et conduisent vers l'Église catholique" » [8]

Pour le concile Vatican II, tel que le comprend l'Église catholique par la voix de la congrégation pour la doctrine de la foi, « par l'expression subsistit in, le Concile Vatican II a voulu proclamer deux affirmations doctrinales : d'une part, que malgré les divisions entre chrétiens, l'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique ; d'autre part, "que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures", c'est-à-dire dans les Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique. Mais il faut affirmer de ces dernières que leur "force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Église catholique" » [9]

Pour d'autres ecclésiologues[10], comme Hervé Legrand, ou Karim Schelkens[11], cette interprétation de la congrégation pour la doctrine de la foi est contradictoire avec le vote des Pères conciliaires. Dans ses prolongements, cette interprétation permettrait de "refuser le statut d’Église sœur à l’Église orthodoxe". Or, « le recours aux Acta Synodalia permet d'établir, avec une certitude presque absolue, qu'on a recours à ce verbe subsister pour éviter l'identification exclusive entre l’Église du Christ et l’Église catholique ». Quand le débat entre est et subsistit in est repris en commission conciliaire, il est décidé d'en rester à subsistit in. « Ce n'est ni un compromis, ni un refus de statuer : l'identification proposée dans le document préparatoire est récusée. On ne peut donc affirmer que subsistit in signifie est, car après l'explication de vote que l'on vient de mentionner, ce texte a été adopté par 1903 voix contre 17 »[12]. Les débats interprétatifs autour du subsistit in aujourd'hui sont la manifestation de l'existence, dans l’Église catholique, des enjeux concernant la réception de Vatican II[13], entre différents courants, notamment de certains secteurs de la curie romaine, et d'autres comme ceux de l'école de Bologne, dans la mouvance de l'historien Giuseppe Alberigo et de son Histoire du Concile Vatican II.

Pourtant, le , le Vatican a publié un nouveau document destiné à préciser les enseignements donnés dans Dominus Iesus'. Ces « réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine de l'Église » [14], daté du , précisent cinq questions :

Première question sur la continuité de la doctrine

« Le Concile n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changé la doctrine en question, mais a bien plutôt entendu la développer, la formuler de manière plus adéquate et en approfondir l’intelligence. »

Deuxième et troisième questions sur le sens de l'expression subsistit in et son usage à la place de est.

« Selon la doctrine catholique, s’il est correct d’affirmer que l’Église du Christ est présente et agissante dans les Églises et les Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l’Église catholique, grâce aux éléments de sanctification et de vérité qu’on y trouve, le verbe ‘subsister’ ne peut être exclusivement attribué qu’à la seule Église catholique, étant donné qu’il se réfère à la note d’unité professée dans les symboles de la foi (‘Je crois en l’Église, une’) ; et cette Église une ‘subsiste’ dans l’Église catholique. » [...]

Quatrième question sur l'ecclésiologie des Églises particulières d'Orient.

« Cependant, étant donné que la communion avec l’Église catholique, dont le Chef visible est l’Évêque de Rome et Successeur de Pierre, n’est pas un complément extérieur à l’Église particulière, mais un de ses principes constitutifs internes, la condition d’Église particulière dont jouissent ces vénérables Communautés chrétiennes souffre d’une déficience »

Cinquième question sur l'ecclésiologie des communautés protestantes

« Ces Communautés ecclésiales, qui n’ont pas conservé l’authentique et intégrale réalité du Mystère eucharistique, surtout par la suite de l’absence de sacerdoce ministériel, ne peuvent être appelées " Églises " au sens propre selon la doctrine catholique. »

Notes et références

  1. L'expression exacte est " l'"herméneutique de la réforme", du renouveau dans la continuité de l'unique sujet-Église" - Expression employée par Benoît XVI lors du « discours à la curie » du 22 décembre 2005
  2. « Ein neuer Blick auf das subsistit in » (Lumen gentium 8), recension du livre de Alexandra von Teuffenbach: Die Bedeutung des subsistit in (LG 8) – Zum Selbstverständnis der katholischen Kirche. Herbert-Utz-Verlag München. 2002. (ISBN 3-8316-0187-9), par Florian Kolfhaus sur le site theologishes.net Le théologien néerlandais Sebastian Tromp, latiniste de haut niveau, avait utilisé le terme subsitit in dans le sens traditionnel : « Dans l'Église catholique seule subsiste la seule Église du Christ »
  3. « J’étais présent lorsqu’au cours du Concile Vatican II fut choisie l’expression « subsistit », et je peux dire que je la connais bien » Cardinal Ratzinger in Propos recueillis par Christian Geyer pour L’Osservatore Romano, édition hebdomadaire en langue française, numéros 2644, 2645 et 2646 (17, 24 et 31 octobre 2000)
  4. « Prenons, à titre d'exemple, le cas du célèbre subsistit in de la constitution Lumen Gentium : si le but du Concile était d'exposer la foi dans un langage plus adapté à notre époque, et donc plus compréhensible par tous, pourquoi utiliser une telle terminologie ? Pourquoi recourir à une expression d'un usage peu courant, sinon pour pouvoir ouvrir la voie à différentes interprétations (non orthodoxes) de ce texte dans la phase de l'après-Concile ? Qu'est-ce qui empêchait de dire plus clairement : « l'Église du Christ est l'Église catholique », étant donné l'appel répété à lire le Concile à la lumière de la Tradition? Ainsi, ce texte peut être interprété tantôt dans un sens traditionnel, tantôt dans un sens progressiste, offrant une prise aux uns et aux autres, et devenant une occasion de confusion et de dérives » in Le concile Vatican II en question Symposium Théologique de Paris - Octobre 2005
  5. comme le P. Leonardo Boff
  6. Père Charles Mallard in Chrétiens : il n'est pas interdit de lire la Bible p 155 Éditions Saint Paul, Versailles - 2002
  7. (en) Walter Kasper, The Catholic Church : Nature, Reality and Mission, Bloomsbury Publishing, , 488 p. (ISBN 978-1-4411-1754-0, lire en ligne)
  8. À propos du livre Église : charisme et pouvoir du P. Leonardo Boff. Notification de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi: AAS 77 [1985] 756-762
  9. Dominus Jesus au § 16 sur le site du Vatican
  10. Hervé Legrand, « Quelques réflexions ecclésiologiques sur l'Histoire du concile Vatican II de G. Alberigo », Revue des sciences philosophiques et théologiques, vol. TOME 90, , p. 495-520 (ISSN 0035-2209, lire en ligne, consulté le )
  11. Stijn Van Baekel, « Faculteit Theologie en Religiewetenschappen - Researchers », sur theo.kuleuven.be (consulté le )
  12. Ibid., p.511
  13. (en) Karim Schelkens, « Lumen Gentium's “Subsistit in” Revisited: The Catholic Church and Christian Unity after Vatican II », Theological Studies, vol. 69, , p. 875-893 (ISSN 0040-5639 et 2169-1304, DOI 10.1177/004056390806900406, lire en ligne, consulté le )
  14. responsa quaestiones sur le site du Vatican

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