Sol Hachuel

Sol Hachuel ou Solica Hachouel, née à Tanger en 1817 et morte à Fès en 1834, dite Lalla Soulika, est une héroïne juive qui a été décapitée en place publique à l'âge de 17 ans. Elle est exécutée pour une prétendue apostasie de l'islam, bien que vraisemblablement elle ne se soit jamais convertie à l'islam [1]. Elle aurait dit :

« Juive, je suis née, juive je veux mourir[1],[2]. »

Le sacrifice d'Hachuel a servi d'inspiration à des peintres et des écrivains.

Sa vie

Hachuel est née en 1817 au Maroc, de Chaim et Simcha Hachuel, et a un frère plus âgé. Son père est un commerçant et un talmudiste. Il dirige un petit groupe d'étude chez lui, qui aide Sol à se former et à maintenir sa propre croyance dans le judaïsme. Sa mère est une femme au foyer[3].

Allégations de conversion à l'islam

Selon le récit d'Eugenio Maria Romero, Tahra de Mesoodi, une fille musulmane pieuse, voisine et amie de Sol, déclare faussement qu'elle a converti Sol à l'islam, ce qui est considéré, selon la loi islamique Maliki, comme une action particulièrement pieuse permettant d'obtenir une récompense (Sawab)[4].

Israel Joseph Benjamin, un explorateur juif qui visita le Maroc au milieu du XIXe siècle, raconte que les voisins musulmans de Sol Hachuel lui ont dit concernant Sol :

« Jamais le soleil d'Afrique n'a brillé sur une plus parfaite beauté… C'est un péché qu'une telle perle soit en possession des Juifs, et que ce serait un crime de leur laisser un tel joyau[5]. »

Arrestation et exécution

Basé sur la seule déclaration de son amie, laquelle est de surcroît probablement fausse, Sol est conduite au tribunal et reçoit l'ordre de s'agenouiller devant le gouverneur. Celui-ci lui promet, si elle se convertit, d'être protégée contre ses parents, de recevoir soie et bijoux et de se marier avec un très beau jeune homme. Dans le cas contraire, le pacha promet à Sol :

« Je vous enchaînerai…je vous ferai déchiqueter par des bêtes sauvages, vous ne verrez plus la lumière du jour, vous périrez de faim, et vous ressentirez la rigueur de ma vengeance et de mon indignation pour avoir provoqué la colère du Prophète[3]. »

La réponse de Sol :

« Je porterai patiemment le poids de vos chaines ; je donnerai mes membres à déchiqueter par les bêtes sauvages, je renonce pour toujours à la lumière du jour ; je périrai de faim ; et quand tous les maux de la vie seront accumulés sur moi par vos ordres, je sourirai de votre indignation et de la colère de votre Prophète ; car ni lui, ni vous avez été capables de triompher d'une faible femme ! Il est clair que les cieux ne sont pas propices pour propager votre foi[3].  »

Conformément à sa promesse, le pacha met la jeune fille dans une cellule sans fenêtre et sans lumière, avec des chaînes autour du cou, des mains et des pieds. Les parents de Sol, désespérés, demandent l'assistance du vice-consul d'Espagne à Tanger, Don Jose Rico. Celui-ci fera tout son possible pour libérer la jeune fille mais tous ses efforts sont infructueux[6].

Le pacha décide alors d'envoyer Sol à Fès et de laisser le sultan décider de son sort. Son transfert, et les frais de son exécution doivent être payés par son père, qui est menacé de 500 coups de (en) bastinado (coup de bâton sur la plante des pieds) s'il ne paye pas. La somme est payée par Don Jose Rico, car le père de Sol n'en a pas les moyens. À Fès, le sultan désigne le cadi pour décider de sa peine. Le cadi convoque les sages de la communauté juive de Fès et leur signale que si Sol n'accepte pas de se convertir, elle sera décapitée, et que leur communauté sera punie. En dépit des vifs conseils des Hakhamim (les sages de la communauté) qui la pressent de se convertir pour se sauver et sauver la communauté, Sol refuse et est jugée coupable. Le cadi décide que le coût des funérailles sera supporté par son père[7]. Le fils du sultan, ébloui par la beauté de la fille, essaye lui aussi de la convertir à l'islam. Sol refuse[5].

Elle est condamnée à mort et décapitée en place publique à Fès[5]. Romero décrit l'émotion des citoyens de Fès le jour de l'exécution:

« Les Maures, dont le fanatisme religieux est indescriptible, se préparaient avec leur joie habituelle, à assister à la scène horrible. Les Juifs de la ville…étaient bouleversés avec une tristesse des plus profondes; mais ils ne pouvaient rien faire pour l'éviter… »

Logiquement, le sultan demande au bourreau de blesser seulement Sol dans un premier temps. Il espérait toujours que la fille serait effrayée et accepterait la conversion, mais Sol refuse. Ses derniers mots adressés à ses tortionnaires sont:

« Ne me faites pas attendre, décapitez moi d'un seul coup, car mourir ainsi, innocente de tout crime, le Dieu d'Abraham vengera ma mort. »

Inscriptions sur la tombe de Sol Hachuel à Fès au Maroc

La communauté juive de Fès est consternée par la vie et la mort de Sol Hachuel. Elle doit payer pour récupérer son corps, sa tête et la terre ensanglantée afin de pouvoir lui offrir un enterrement juif dans le cimetière juif. Elle est déclarée un martyr de la foi[6],[7].

Les Juifs vont appeler Sol Hachuel Sol ha-Tzaddikah (Sol la juste), les Arabes vont l'appeler Lalla Suleika (Sainte dame Suleika). Sa tombe devient un lieu de pèlerinage pour les Juifs, mais aussi pour les Arabes[1],[8].

Que Sol Hachel soit devenue une sainte pour les Arabes et que sa tombe soit devenue pour eux un lieu de pèlerinage peut sembler assez étrange, mais Léon Godard l'explique dans son livre Description et histoire du Maroc[9] paru en 1860 :

« Malgré leur intolérance, les Marocains, par une contradiction au moins apparente, honorent en certains cas les saints personnages des autres religions, ou demandent à ceux qu'ils nomment infidèles le secours de leurs prières. À Fez, ils rendent une sorte de culte à la mémoire de la jeune Sol Achouel, juive de Tanger, qui mourut de notre temps dans des supplices atroces plutôt que d'abjurer la loi de Moïse, ou de renouveler une abjuration qu'elle avait faite, en cédant aux séductions de l'amour[9] »

La stèle sur sa tombe porte l'inscription suivante en hébreu et en français :

« Ici repose Mlle Solica Hatchouel, née à Tanger en 1817, refusant de [r]entrer dans la religion Islamisme, les Arabes l'ont assassinée à Fez en 1834, arrachée de sa famille. Tout le monde regrette cette enfant sainte[1] »

Récits et autres arts

Un des récits les plus détaillés, basé sur des interviews de témoins oculaires a été écrit par Eugenio Maria Romero. Son livre El Martirio de la Jóven Hachuel, ó, La Heroina Hebrea[3] (Le martyre de la jeune Hachuel, ou, l'héroïne juive) est publié en 1837, puis republié en 1838.

Un opéra a été tiré de son histoire par Bernard De Lisle et Bernard Mace, Sol Hatchuel the Maid of Tangier A Moorish Opera in Three Acts, en 1832[10],[11].

En 1860, l'artiste français Alfred Dehodencq, inspiré par la vie et la mort d'Hachuel, peint Exécution d'une Juive marocaine, tableau exposé en 2012, au Musée d'art et d'histoire du judaïsme[12],[13].

L'histoire d'Hachuel est également le sujet d'une chanson de Françoise Atlan sur le CD Romances Séfardies[14], ainsi que de Sandra Bessis et John McLean dans l'album Chants judéo-espagnols[15].

Notes

  1. (en): Folktales of the Jews: Tales from the Sephardic dispersion; rédacteur: Dan Ben-Amos; Dov Noy et Ellen Frankel; illustrateur: Ira Shander; traducteur: Leonard Schramm; éditeur: Jewish Publication Society; 3 septembre 2006; pages 92 et 93; (ISBN 0827608292 et 978-0827608290); books.google.com
  2. (en): Union of American Hebrew Congregations: Young Israel; volume 1; 1907; pages 5 à 7; original: Harvard University; numérisé le 3 juillet 2008; books.google.com
  3. (es): Eugenio Maria Romero: El Martirio de la Jóven Hachuel, ó, La Heroina Hebrea ; éditeur: Roca Vicente-Franqueira; 2012; (ISBN 846152330X et 978-8461523306)
  4. Reward of calling non-Muslims to Islam; Islamweb.net; Fatwa 36739
  5. (en): auteur et éditeur: Israel Joseph Benjamin: Eight years in Asia and Africa from 1846–1855; 1859; pages:274 et 275; (ASIN B000RAZMOC); réédition: British Library, Historical Print Editions; 26 mars 2011; (ISBN 1241497745 et 978-1241497743)
  6. (en): Charles Dickens, William Harrison Ainsworth, Albert Richard Smith, George Cruikshank: Bentley's miscellany; volume 31; éditeur: Richard Bentley; Londres; 1852; pages: 89 à 140; books.google.com; réédité: Ulan Press; 31 août 2012; (ASIN B00AVHFI7M)
  7. (en): Martin Gilbert: In Ishmael's House: A History of Jews in Muslim Lands; éditeur: University Press; (ISBN 978-0300167153)
  8. (en): David M. Gitlitz & Linda Kay Davidson ‘’Pilgrimage and the Jews’’ (Westport: CT: Praeger, 2006), 134-135.
  9. Léon Godard: Description et histoire du Maroc; 1860; (es) voir tangeryotrasutopias.com; réédition: Ulan Press; 31 août 2012; (ASIN B009KUE1CO)
  10. (en): Bernard De Lisle: Sol Hatchuel the Maid of Tangier A Moorish Opera in Three Acts; éditeur: General Books; 24 juillet 2012; (ISBN 1154558142 et 978-1154558142)
  11. (en) Bernard De Lisle et Bernard Mace, Sol Hatchuel, the Maid of Tangier: A Moorish Opera in Three Acts, FRANKLIN CLASSICS TRADE Press, (ISBN 978-0-343-68230-9, lire en ligne)
  12. Exposition: Les juifs dans l'orientalisme; du 7 mars 2012 au 8 juillet 2012
  13. Catalogue de l'exposition; Théo Klein, Dominique Schnapper, Laurence Sigal-Klagsbald et Laurent Héricher: "Les juifs dans l'orientalisme"; éditeur: Musée d'art et d'histoire du Judaïsme; Paris; 2012; pages: 66 et 67; (ISBN 2081277123 et 978-2081277120)
  14. Françoise Atlan: Romances séfardies; Romances séfardies
  15. Sandra Bessis et John McLean: Chants judéo-espagnols

Références et liens externes

Liens externes

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