Soko Phay
Soko Phay est historienne et théoricienne de l’art[1], née au Cambodge en 1969.
Elle enseigne au département d’arts plastiques de l’université Paris 8.
Commissaire d’exposition, elle a aussi développé une activité de critique d’art dans des revues spécialisées[2].
Biographie
Sa formation en arts plastiques à l’université Paris 8 a été marquée par l’enseignement de l’historien d’art Pascal Bonafoux et de la philosophe Christine Buci-Glucksmann. Cette dernière l’a dirigée en thèse de doctorat sur Le Miroir comme emblème de la peinture, ses figurations et transfigurations, de Vermeer à Richter, soutenue en 1999[3].
En 2013, elle obtient son habilitation à diriger les recherches avec comme sujet : Miroir, mémoire et traduction culturelle : Pour une pensée de la discontinuité[4], avec Paul-Louis Rinuy[5] comme garant.
Maître de conférences à l’université Paris 8 dès 2001, Soko Phay est aussi conférencière à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 2015[6].
Depuis 2014, elle dirige l’équipe « Esthétique pratique et Histoire des arts » (EPHA) au sein du labo EA 4010 « Arts des images et art contemporain» et anime plusieurs programmes de recherche internationaux au sein du Labex Arts-H2H[7].
En 2015, elle a fondé avec l’écrivain et psychanalyste Pierre Bayard le Centre international de recherche et d’enseignement sur les meurtres de masse (CIREMM)[8].
Travaux
Ses travaux couvrent deux axes de recherche principaux : l’esthétique du miroir de la Renaissance à l’art contemporain[9],[10] d’une part, et l’art à l’épreuve de la violence extrême[11],[12] d’autre part.
Ce double champ de recherche, qu’elle mène en parallèle depuis de nombreuses années, témoigne de sa double appartenance culturelle, cambodgienne par ses origines et française par son pays d’accueil (elle fait partie de la diaspora cambodgienne qui a échappé aux Khmers rouges en arrivant toute jeune comme réfugiée politique en 1976[13]).
Les miroirs non-mimétiques
Dans ses articles et ouvrages concernant le miroir, Soko Phay montre combien en Occident le miroir est la pierre angulaire d’une réflexion portant sur l’esthétique de l’image. Il cristallise les enjeux théoriques et imaginaires de la mimèsis. Mais cette réflexion n’est plus de mise dans l’art du XXe siècle, en particulier depuis les années 1960[14].
Selon elle, les miroirs de Robert Smithson, de Michelangelo Pistoletto, de Bill Viola, de Yayoi Kusama, d’Anish Kapoor ou encore de Carsten Höller et de David Altmejd participent de la déconstruction de la vision moderniste[15], à la fois transparente et rationnelle. Cet anti-reflet mimétique s’est traduit par une volonté de troubler notre perception, par une mise en abîme ou par des déplacements de miroirs. Ces nouveaux reflets, à la fois «mercuriens » ou « spectraux » pour reprendre ses concepts, participent au décentrement du regard et du sujet, en déconstruisant nos habitudes sensorielles.
L’art post-génocide
Soko Phay travaille également sur le génocide cambodgien, l'un des moins connus des génocides du XXe siècle[16],[17]. Elle a organisé avec Pierre Bayard un colloque international – le tout premier de cette ampleur qui se soit tenu en France –, dont les actes publiés (Cambodge, le génocide effacé chez Cécile Défaut) constituent une référence[18].
Elle a publié des travaux sur les œuvres d’Alfredo Jaar, de Sarkis, de Vann Nath, de Rithy Panh[19], de Séra ou de plus jeunes comme Davy Chou[20], Vandy Rattana, Svay Sareth. Elle s’interroge sur les possibles de la représentation face à la violence extrême, en évitant les écueils d'une esthétisation de l'horreur[21]. Dans ce contexte, l'« esthétisation » est comprise comme une confusion entre la fiction et la réalité ; ce qui entraînerait une perte de sens du réel.
Son originalité tient au fait qu’elle mène ses recherches sur les crimes de masse par le biais de l’art[22],[23], mais aussi par l’invention de dispositifs qu’elle a appelés « les ateliers de la mémoire ». Elle les a organisés dès 2008 avec Pierre Bayard au Centre Bophana[24], dirigé par Rithy Panh et au Centre Iriba[25], dirigé par Assumpta Mugiraneza[26],[27].
Le principe de ces ateliers est de faire travailler de jeunes artistes nés peu avant ou après le génocide – certains n’en ont parfois même jamais entendu parler – à partir des archives et des traces qui sont elles-mêmes susceptibles d’une reprise créatrice. Le travail se fait en plusieurs étapes, avec l’aide d’artistes confirmés comme les peintres Vann Nath et Séra pour le Cambodge, les écrivains Dorcy Rugamba[28] et Olivia Rosenthal pour le Rwanda[29].
Ce travail collectif d’artistes et de chercheurs conduit à des œuvres qui évoquent à la fois l’horreur du génocide et la manière dont il se transmet sur plusieurs générations, illustrant par là-même la notion de « postmémoire» [30] que Soko Phay emprunte à l’universitaire américaine Marianne Hirsch.
Œuvres
- Les Vertiges du miroir dans l’art contemporain, Les Presses du réel, 2016 (avec une préface de Pascal Bonafoux)
- Figurations of Postmemory, in Journal of Literature and Trauma Studies, no 4.1 et no 4.2, 2016 (co-dir. avec Emmanuel Alloa et Pierre Bayard)
- Création et postmémoire, hors-série bilingue (français / anglais) d’Art Absolument, 2013. (co-dir. avec Pierre Bayard)
- Cambodge, le génocide effacé, Éditions Cécile Defaut, 2013 (dir. avec Pierre Bayard).
- Cambodge, mémoire de l’extrême, hors-série d’Art Absolument, 2010 (dir. avec Pierre Bayard)
- Cambodge, l’atelier de la mémoire, Éditions Sonleuk Tchmey, 2010. Livre et DVD trilingue français/ khmer/ anglais (dir.).
- Miroir, Appareils et autres dispositifs, L’Harmattan, 2008 (dir.).
- Moi ! Autoportraits du XXe siècle, hors série d’Art Absolument consacré à l’exposition de Pascal Bonafoux au Musée du Luxembourg, 2004 (dir.).
- Le miroir dans l'art, de Manet à Richter, L’Harmattan, 2001.
- Claude Monet, Paris, Éditions du Chêne, 1998.
Articles et chapitres d’ouvrages (sélection)
- « L’Image manquante de Rithy Panh. Le cinéma comme expérience de l’Histoire », in Sophie Cœuré et Claude Millet (dir. Archives), Revue Écrire l’Histoire / CNRS, no 13-14, 2014, p. 157-167.
- « Un génocide sans images ? La Peinture de Vann Nath face à l'aveuglement », in Emmanuel Elloa et Stefan Kristensen (dir.), Témoignage et Survivance, Genève, MetisPresse, 2014, p. 259-272.
- « From Alien Language to Trans-Culturality », in Shen Yuan: Hurried Words, Ullens Center for contemporary art, Pékin, 2010, p. 90-96.
- « Huang Yong Ping ou le Sacré à l’épreuve de la globalisation », in Art absolument no 32, novembre-, p. 60-67.
- « Le Génocide cambodgien : Déni et Justice », in Études, no 4083, , p. 297-307.
- « Traces of silence in Sarkis », in M.-A. Baronian, S. Besser et Y. Jansen (dir.), Diaspora and Memory, Amsterdam, Rodopi, 2007, p. 185-191.
- « La Spiritualisation de la matière chez Anish Kapoor », in Art absolument no 22, automne 2007, p. 64-69.
- « Rwanda : Les Images suspendues d’Alfredo Jaar », in Couanet, C., Soulages, F. & Tamisier, M. (dir.), Politiques de la photographie du corps, Paris, Klincksieck, 2007, p. 31-40.
- « Le Témoignage filmique comme “œuvre de sépulture” chez Rithy Panh », in Europe, no 926-927, juin-, p. 168-177. « La Question de l’identité dans la vidéo », in Pierre-Damien Huyghe (dir.), Le Temps des appareils, Paris, l’Harmattan, 2006, p. 191-208.
- « L’Envers des vanités de Roland Flexner », in Art absolument no 18, automne 2006.
- « Supports / Surfaces : Conversions de Vincent Bioulès », in Jacques Morizot (dir.), Art : Changer de conviction, Paris, l’Harmattan, 2004, p. 167-178. « Les Ombres et les Survivances chez Mimmo Paladino à travers Homère », in Françoise Létoublon (dir.), Homerica, Gaia, no 7, 2003. p. 561-570.
- « L’Objet de réflexion ou l’Identité hybride », in Bernard Goy (dir.), Objets de réflexion, Frac Ile-de-France, Plateau, Paris, 2002, p. 5-13.
- « The Mirror in the Art of the Twentieth Century : From the Division to the Infinite », in Circa, no 95, printemps 2001, p. 28-31. « À travers le miroir, de l'écart à la transfiguration », in Caroline Cros, Claude Petit (dir.), À travers le miroir de Bonnard à Buren, Paris, Réunion des musées nationaux, 2000, p. 54-69.
Film
- 2013 : Vann Nath, le peintre-mémoire, 26 min (bilingue français/khmer), Bophana Productions (réalisation avec Pierre Bayard)
Notes et références
- Soko Phay-Vakalis,, « BnF Catalogue général », sur catalogue.bnf.fr (consulté le )
- « La revue Art Absolument - Actualité artistique », sur www.artabsolument.com (consulté le )
- Soko Phay-Vakalis, « Le miroir comme emblème de la peinture : ses figurations et transfigurations de Vermeer à Richter », sur http://www.theses.fr/, (consulté le )
- Céline Barral, « 7 décembre : Soko Phay-Vakalis - Miroir, mémoire et traduction culturelle », sur www.lhe.univ-paris8.fr (consulté le )
- « Epha » Membres de l’équipe : Paul-Louis Rinuy », sur www.ai-ac.fr (consulté le )
- « Enseignement 2015-2016 — Postmémoire et archéologie du fantôme », sur enseignements-2015.ehess.fr (consulté le )
- « Labex Arts-H2H », sur www.labex-arts-h2h.fr (consulté le )
- « Présentation | ciremm », sur www.ciremm.org (consulté le )
- « Miroir, appareils et autres dispositifs, sous la direction de Soko Phay-Vakalis - livre, ebook, epub », sur www.editions-harmattan.fr (consulté le )
- « Soko Phay : Les vertiges du miroir dans l’art contemporain », sur www.lespressesdureel.com (consulté le )
- « Julieta Hanono ou l’épreuve de la dictature et de l’exil | », sur carnets.ciremm.org (consulté le )
- Soko Phay-Vakalis, « Rithy Panh, l’éveilleur de conscience. », Revue électronique des sciences humaines et sociales., (lire en ligne, consulté le )
- « En crise, la France se crispe et sa tradition d'asile faiblit », sur LExpress.fr (consulté le )
- Soko Phay-Vakalis (dir), « Miroir, appareils et autres dispositifs », sur Appareil (consulté le )
- « les vertiges du miroir dans l'art contemporain - Soko Phay », sur www.librairiejeudepaume.org (consulté le )
- « Les Conférences du Campus Condorcet // Soko Phay-Vakalis et Pierre Bayard // L’image éradiquée sous les Khmers rouges | Albertivi », sur albertivi.aubervilliers.fr (consulté le )
- Soko Phay-VakaliS, « Le génocide cambodgien », Études, vol. Tome 408, , p. 297–307 (ISSN 0014-1941, lire en ligne, consulté le )
- « Cambodge, le génocide effacé | ciremm », sur www.ciremm.org (consulté le )
- Soko Phay-Vakalis, « Soko Phay-Vakalis : Rithy Panh, l’éveilleur de conscience. », sur www.espacestemps.net, (consulté le )
- « « L’image témoin : l’après-coup du réel » - le magazine », sur le magazine (consulté le )
- (en) Susan Sontag, Regarding the Pain of Others, Macmillan, , 144 p. (ISBN 978-1-4668-5357-7, lire en ligne)
- « La revue Art Absolument - Actualités : Vann Nath et Séra, la mémoire cambodgienne entre deuil et espérance », sur www.artabsolument.com (consulté le )
- « La revue Art Absolument - Cambodge, mémoire de l extrême », sur www.artabsolument.com (consulté le )
- « Cambodge, l’atelier de la mémoire | Bophana », sur bophana.org (consulté le )
- « Iriba center for multimedia heritage », sur Iriba center for multimedia heritage (consulté le )
- « Africultures - Biographie de Assumpta Mugiraneza », sur www.africultures.com (consulté le )
- « Iriba center for multimedia heritage », sur Iriba center for multimedia heritage (consulté le )
- Jon Henley, « Jon Henley meets the director who brought the horrors of genocide in Rwanda to theatres », sur the Guardian, (consulté le )
- « rwanda-atelier-memoire », sur rwanda-atelier-memoire (consulté le )
- « Postmemory.net », sur www.postmemory.net (consulté le )
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