Sergueï Rachmaninov
Sergueï Vassilievitch Rachmaninov (en russe : Сергей Васильевич Рахманинов[2], usuellement désigné dans les pays francophones sous le nom de Serge Rachmaninoff), né le à Semionovo (Empire russe) et mort le à Beverly Hills (États-Unis), est un compositeur, pianiste et chef d'orchestre russe, naturalisé américain[3].
Pour les articles homonymes, voir Rachmaninov.
Nom de naissance | Сергей Васильевич Рахманинов |
---|---|
Naissance |
[1] Semionovo, gouvernement de Novgorod, Empire russe |
Décès |
Beverly Hills, Californie, États-Unis |
Activité principale | Compositeur de musique classique, pianiste et chef d'orchestre |
Style | Musique moderne, Post-Romantique |
Formation |
Conservatoire Rimski-Korsakov, Saint-Pétersbourg Conservatoire Tchaïkovski, Moscou |
Maîtres | Nikolaï Zverev, Anton Arenski, Sergueï Taneïev, Alexandre Ziloti |
Conjoint | Natalia Satine |
Famille | Alexandre Ziloti (cousin germain) |
Récompenses | Médaille d'or du Conservatoire de Moscou pour son opéra Aleko |
Œuvres principales
- Concerto pour piano no 2 (1901)
- Symphonie no 2 (1908)
- L'île des morts (1909)
- Concerto pour piano no 3 (1909)
- 24 Préludes (1892, 1901-03, 1910)
- Les Cloches (1914)
- Rhapsodie sur un thème de Paganini (1934)
- Symphonie no 3 (1936)
- Danses symphoniques (1940)
Son œuvre est d'un romantisme hérité de ses modèles — Chopin, Tchaïkovski et Rimski-Korsakov — et reste indifférente à l'évolution de son époque[4]. Il est notamment connu pour ses célèbres concertos pour piano no 2 et no 3, son poème symphonique L'île des morts et sa Rhapsodie sur un thème de Paganini. Il a laissé plusieurs enregistrements de ses propres œuvres.
Translittération et orthographe du nom
Sergueï Vassilievitch Rachmaninov (en russe : Сергей Васильевич Рахманинов[2]) a toujours écrit son nom en lettres latines Serge Rachmaninoff, avec le prénom en français et deux « f » (car telle était la transcription française, langue internationale d'alors[5], et aussi probablement parce que c'était le seul moyen de faire prononcer son nom à peu près correctement par les Anglo-Saxons, le /v/ étant prononcé [f] en position finale).
Biographie
Enfance
Sergueï Rachmaninov est issu de la petite noblesse russe. Vassili Arkadievitch Rachmaninov (1841–1916), le père de Sergueï, officier dans l'armée, est un homme charmant et un père affectueux, mais prodigue, dépensier et, paraît-il, joueur. De son père, Sergueï héritera notamment le goût des chevaux et de la musique[6]. Lyubov (Lioubov) Petrovna Boutakova (1853–1929), sa mère peu aimante et aimée[7], est la fille d'un général. Des cinq propriétés de la dot maternelle, seule reste Oneg (située près de Novgorod), où est né Sergueï et qui est vendue aux enchères en 1882[8].
En 1877, Sergueï Rachmaninov a quatre ans. Pendant deux ans, Anna Ornazkaïa, diplômée du Collège russe de musique fondé par Anton Rubinstein en 1862 (le futur Conservatoire de Saint-Pétersbourg) est engagée à demeure pour donner au jeune Sergueï ses premières vraies leçons de piano. Les difficultés financières des Rachmaninov font qu'ils n’ont plus désormais les moyens de faire entrer Sergueï et son frère aîné Vladimir dans le prestigieux Corps des Pages qui prépare les officiers de la Garde impériale à laquelle ils étaient destinés. La famille emménage dans un appartement à Saint-Pétersbourg. La mésentente conjugale persistant, Vassili et Lioubov Rachmaninov se séparent. Les enfants demeurent avec leur mère et leur grand-mère venue en renfort, Sofia Boutakova (1823-1904), la « babouchka » bien-aimée, dont Sergueï est officiellement le petit-fils préféré. À cette grand-mère dévote qui l'emmène dans les églises, le jeune garçon doit une découverte capitale (le chant orthodoxe) et la beauté du son des cloches de la Cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod, composantes essentielles de l'âme russe et source d'inspiration pour le futur compositeur[7].
Années de formation
À l′automne 1882, Rachmaninov a 9 ans quand il entre au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, où il suit des cours de piano, puis à celui de Moscou. Entre douze et seize ans, il est préparé par le professeur Nikolaï Zverev (1832-1893), ami d'Anton Rubinstein et de Tchaïkovski. Zverev est un pédagogue renommé, respecté, rigoureux et sévère. Il prend chez lui quelques élèves doués de sa classe de conservatoire. Logés et nourris, ses pensionnaires doivent se soumettre à une discipline de travail draconienne et être dès six heures du matin devant le piano. Ce professeur exigeant tient à donner à ses élèves une grande ouverture culturelle par sa bibliothèque et en les faisant assister à des représentations théâtrales, à des concerts et à des opéras. Il invite les grands musiciens de passage à Moscou à venir écouter ses petits protégés. Le jeune Sergueï y rencontre notamment Tchaïkovski, qui apprécie déjà ses dons de jeune pianiste, mais il entre en conflit avec son maître, qui juge le piano incompatible avec la composition[9].
Après deux ans sous la tutelle de Zverev, il obtient son diplôme du premier degré au conservatoire. Il a quinze ans. Il peut étudier l'harmonie, la théorie musicale, puis la fugue et la composition libre avec le jeune Anton Arenski, et le contrepoint avec Sergueï Taneïev. Ces deux enseignements marqueront profondément le caractère et la musique du musicien. Pour le piano, il étudie avec son cousin germain Alexandre Siloti, ancien élève de Liszt et de Zverev lui-même. Ses pairs, au conservatoire, sont Josef Lhévinne, Alexandre Scriabine et Alexandre Goldenweiser. À l'image de son maître Zverev, Sergueï « restera sa vie durant un homme organisé, fidèle à ses habitudes, soucieux d'ordre et de ponctualité »[10].
Foyer chez les Satine et premiers succès
En 1889, il s'installe chez ses cousins Satine à Ivanovka, où il trouvera un vrai foyer. Sa cousine Natalia deviendra plus tard son épouse. Il obtient son examen de piano en 1891. Par la suite, il écrit son Prélude en ut dièse mineur, ainsi que son opéra en un acte, Aleko. Il obtient pour ce dernier un prix de composition en 1892, avec un an d'avance. Cet opéra, très influencé par La Dame de pique de Tchaïkovski, est créé le au Théâtre Bolchoï. Rachmaninov, à vingt ans, commence une carrière brillante de virtuose et de compositeur. Il écrit de nombreuses œuvres, le Concerto pour piano no 1, le Prélude en ut dièse mineur, Trio élégiaque no 2 à la mémoire de Tchaïkovski. Le succès est au rendez-vous.
Dépression et retour à la vie
En 1897, Rachmaninov présente sa première symphonie, opus 13. Dirigée par un Glazounov visiblement ivre, sa création est un échec retentissant et Rachmaninov sombre dans une dépression dont il ne sortira que quatre ans plus tard, grâce à l’énorme succès de son Deuxième concerto pour piano, opus 18, et au traitement du médecin neurologue et hypnotiseur Nicolas Dahl, qui le rend véritablement à la vie. Dahl lui rappelle sa promesse à la Société philharmonique de Londres d'écrire un concerto pour piano. C'est donc à lui que sera dédié celui-ci. L'inspiration et le bonheur reviennent : il écrit la Sonate pour violoncelle et piano, la cantate Le printemps et épouse (avec l'autorisation du tsar) sa cousine germaine Natalia (1877-1951), très bonne pianiste elle aussi. De cette union naîtront deux filles, Irina (1903-1969)[11] et Tatiana, toutes deux musiciennes.
Années de bonheur en Russie
Les quinze premières années du XXe siècle seront pour lui quinze belles années pendant lesquelles il vivra de manière heureuse et aisée, notamment dans la propriété des Satine près de Moscou où il aime se réfugier l'été pour se reposer de ses multiples concerts et pour composer. Au cours de ces années, il dirigera de 1904 à 1906 les représentations lyriques du théâtre Bolchoï, il s’établira ensuite quelque temps à Dresde où il écrira avec difficulté, trop loin sans doute de sa chère Russie, sa Symphonie no 2 et un opéra, Monna Vanna. En 1909, à trente-six ans, il entame sa première tournée aux États-Unis, où il obtient un immense succès grâce, notamment, à son Troisième concerto, opus 30, écrit pendant l'été à Ivanovka pour sa tournée américaine. Il le créa à New York le , où il le rejoua le sous la direction de Gustav Mahler. On lui proposera le poste de chef permanent de l’Orchestre symphonique de Boston, qu’il refusera. La création à Moscou, sous sa direction, de sa symphonie Les Carillons connaît en un succès extraordinaire. La première guerre mondiale met fin à cette période heureuse de sa vie ; il perd son ami Scriabine, qu'il a connu chez Zverev. La conduite de la guerre est un désastre pour son pays et bientôt survient la Révolution d'Octobre.
Exil et nouvelle carrière
En 1917, la révolution le force à quitter définitivement son pays natal. C'est à cette époque qu'il écrit un petit prélude opus posthume 1917, pour piano seul, empreint de nostalgie et de sombres sentiments, prélude à son départ douloureux. Parti avec ses mains pour seul capital comme lui dira un de ses amis avant son exil, il entame à 44 ans une nouvelle vie et, avec son ami Nikolaï Medtner, une carrière de pianiste virtuose à temps plein. La nécessité de travailler intensément l'instrument et de se bâtir un répertoire l'éloigne de la composition. Au moment où il quitte pour toujours la Russie en 1917, il avait composé toutes ses œuvres publiées à l'exception de six d'entre elles. Il ne composera à nouveau qu'en 1926. L’inspiration ne l'a toutefois pas entièrement abandonné. Il écrit la célèbre Rhapsodie sur un thème de Paganini, opus 43, une série de variations pour piano et orchestre sur le 24e caprice de Paganini, publiée en 1934 et la très belle Symphonie no 3 en 1936. Ses tournées aux États-Unis et en Europe, qu'il lui arrive d'assimiler à des travaux forcés, lui assureront une vie matérielle très confortable.
Amitié avec Horowitz
Sergueï Rachmaninov fait connaissance de Vladimir Horowitz le . Cette rencontre est arrangée par le représentant de Steinway & Sons, Alexander Greiner, dans la cave du Steinway Hall (57th Street), quatre jours avant un concert d'Horowitz jouant le Concerto pour piano nº 1 de Tchaïkovski au Carnegie Hall.
Rachmaninov, trouvant exceptionnelle l'interprétation qu′Horowitz avait donnée plus tard de son Troisième concerto pour piano, aurait dit à Greiner : « Mr. Horowitz plays my Concerto very well. I would like to accompany him. » (« Monsieur Horowitz joue très bien mon concerto ; j'aimerais l'accompagner[12]. ») Pour Horowitz, son rêve de rencontrer Rachmaninov devient réalité. Il le décrit comme le dieu musical de son enfance. Penser que cet homme pouvait l'accompagner dans son propre troisième concerto est l'événement le plus important de sa vie. Pour Rachmaninov, cette rencontre est tout aussi marquante : il considère Horowitz comme le pianiste qui a le mieux saisi ses œuvres (même si certains musicologues pencheraient plutôt pour Sviatoslav Richter - mais ce dernier n'a encore que 13 ans en 1928).
C'est le début d'une amitié qui ne sera interrompue que par la mort de Rachmaninov : les deux hommes s'admirent et suivent sans cesse le travail de l'autre. Horowitz stipule à son agent qu'il doit être autorisé à annuler ses représentations si Rachmaninov joue à New York. De même, Rachmaninov est toujours présent aux concerts d'Horowitz à New York, et il est toujours le dernier à quitter la salle[13].
Le , Rachmaninov offre son avis à Horowitz, en le complimentant, et en l'invitant à dîner pour discuter de son interprétation de Tchaïkovski, que Rachmaninov trouve légèrement trop rapide. Horowitz n'a jamais été d'accord avec cette critique de son tempo et il maintient son interprétation lors des représentations suivantes de l'œuvre.
Les avis et conseils de Rachmaninov sur sa propre musique sont inestimables pour Horowitz.
L'Union soviétique et le compositeur
En 1931, Rachmaninov accepte de cosigner une lettre avec le fils de Léon Tolstoï et Ivan Ostroilenski. Dans cette lettre, les trois hommes s'en prennent à Rabindranath Tagore en raison d'un article en faveur de l'URSS. Dans cet article Tagore prône le socialisme qui fonctionne en URSS et l'égalité apparente parmi les citoyens. Cependant, il occulte la persécution politique qui a eu lieu dans cette époque[14]. Le régime soviétique réagit à ce geste et bannit la musique de Rachmaninov. Un lien de plus avec son pays natal qui se brise. Heureusement, l'interdiction est levée en 1934 grâce aux relations diplomatiques entre l'URSS et les États-Unis ; de plus, les Trois Chansons russes op.41 de l'artiste "proche du peuple" sont données en exemple aux jeunes compositeurs[8].
Villa Sénar
À l'automne de l'année 1930, à 57 ans, Sergueï Rachmaninov, qui n'aime rien tant que la vie de famille et qui voyage par obligation professionnelle, est fatigué, saturé de concerts et affecté par l'échec de son Concerto no 4. Il décide de revenir en Europe où il se fait construire en Suisse une maison dans la région du lac des Quatre-Cantons qu'il baptisera Sénar de son prénom et de celui de sa femme Natalia et qui lui rappelle la maison de ses cousins Satine. Il y est heureux, il compose, travaille au jardin et s'occupe avec tendresse de ses deux petits-enfants, Sophie Wolkonsky et Alexandre Connus.
Seconde Guerre mondiale et mort
La Seconde Guerre mondiale qui le surprend aux États-Unis l'empêchera de retourner en Europe et de revoir sa fille Tatiana qui vit en France. Il compose en 1941 sa dernière œuvre, les Danses symphoniques, une allégorie de la vie (le matin, le midi et le soir). Il achète une maison à Beverly Hills, obtient la nationalité américaine[3] et, au cours de sa dernière saison (1942-1943), il ressent les douleurs d'un cancer du poumon qui l'emporte le , à l'âge de 69 ans. Demandant dans ses dernières volontés à être enterré aux États-Unis, il sera inhumé au cimetière de Kensico à Mount Pleasant (en) dans l'État de New York[15]. Son épouse est décédée en 1951.
Personnalité
Influences
Du point de vue du style, Rachmaninov n’est pas réellement un innovateur : ses compositions restent fermement ancrées dans la tradition romantique, même s’il a tenté progressivement d’utiliser une palette harmonique un peu plus étendue. L'un de ses chefs-d'œuvre, L'Île des morts, est une exposition d'images sentimentales à l'état pur mettant en valeur des harmonies souvent riches, une ligne mélodique qui plonge l'auditeur dans le mystère existentiel du cœur et de la pensée, et une orchestration qui nous remet en mémoire le rôle joué par Berlioz dans l'histoire de la musique russe de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Le style de Rachmaninov est très influencé, au début de sa carrière de compositeur, par Piotr Ilitch Tchaïkovski (dont la mort, en 1893, l'amène à composer son second trio élégiaque à la mémoire de son idole).
Il commence à trouver un style qui lui est propre lorsqu'il compose sa première symphonie : ses gestes puissants et sa force physique utilisée pour exprimer les nuances musicales sont sans précédent chez les compositeurs russes de l'époque. Il exprime dans cette symphonie une sobriété dans ses thèmes musicaux qu'il développe et affine avec le temps. Cette symphonie est accueillie de manière mitigée par le public, mais le style de Rachmaninov se développe tout de même dans ce que l'on pourrait qualifier d'un mélange équilibré entre concision et raffinement.
On retiendra de Rachmaninov, également, son usage d'accords très espacés : son Deuxième concerto pour piano, son Étude-tableau en mi bémol majeur et surtout son Prélude en si mineur.
Son style est également très marqué par les chants russes de la religion orthodoxe. Une grande partie de son matériau thématique (pour la composition de ses mélodies) est inspiré de ces chants. L'influence religieuse se retrouve également dans son emploi de la structure du Dies iræ (notamment, sa Rhapsodie sur un thème de Paganini).
Une autre caractéristique du style musical de Rachmaninov est son usage du contrepoint chromatique (venant de son apprentissage auprès de Taneïev). Cette technique, datant du Moyen Âge, est magnifiée par Rachmaninov, qui l'utilise tant à petite échelle (tierces, ou quartes dissonantes) ou à grande échelle (douzième voire treizième pour certains de ses accords, que beaucoup de pianistes ne peuvent jouer faute d'avoir les mains assez grandes).
La dernière réplique de la pièce Oncle Vanya d'Anton Tchekhov a inspiré Rachmaninov pour écrire Nous nous reposerons (op. 26 no 3 : « My otdokhniom » en russe, « We shall rest » en anglais).
Évolution du style
Lorsque la Révolution d'Octobre le force à quitter la Russie, le style de Rachmaninov est déjà en pleine mutation. La structure harmonique de ses œuvres s'affine encore lorsqu'il arrive aux États-Unis, notamment avec l'arrivée d'ornementations chromatiques[16].
Au début des années 1930, Vladimir Wilshaw remarque que son style devient plus extraverti (il casse occasionnellement des cordes de son piano lors de représentations). Ses compositions, notamment les Variations sur un thème de Corelli (1931, opus 42), sont plus incisives dans la rythmique, et utilisent plus de chromatisme.
Ces caractéristiques sont évidentes dans son travail après 1930. Le plus introverti de ses ouvrages est le Concerto pour piano no 4, de 1926 (opus 40). Il est plus émotionnel que ses œuvres ultérieures.
Pianiste
Rachmaninov est réputé pour avoir une virtuosité technique incomparable au piano : clarté des notes, un taux d'erreur exceptionnellement bas, une précision du geste, du rythme, et un staccato extrêmement précis. Il aime, en particulier, interpréter Chopin avec ce genre de traits. Une autre preuve de sa virtuosité : l'Étude op. 42 no 5 de Scriabine lui causa « quelques problèmes » ; « Difficult etude! I spent an hour on it » (Étude difficile ! Je l'ai travaillée une heure)[17].
Le répertoire de Rachmaninov contient principalement des œuvres pour virtuoses du XIXe siècle, et bien sûr Beethoven, Debussy, Borodine, Grieg, Liszt, Mendelssohn, Mozart, Schubert et Tchaïkovski.
Rythmiquement, Rachmaninov est surtout un interprète romantique. Il est connu pour ne jamais perdre le rythme, même s'il effectue des variations.
Rachmaninov possède des mains d'une taille gigantesque : il peut ainsi jouer les accords les plus complexes tel des treizièmes. Il est possible que Rachmaninov ait souffert du syndrome de Marfan : cela aurait expliqué ses mains disproportionnées et si utiles à un pianiste de son niveau, ainsi que les douleurs nerveuses récurrentes dont il souffrait.
Le style de Rachmaninov est également marqué par la précision, là où les autres pianistes masquent leurs imperfections par des utilisations intempestives de la pédale… À cette époque, seul Josef Hofmann a la même réputation de clarté (ils ont Anton Rubinstein, comme modèle commun qui partageait déjà, avec Liszt, cette rivalité de clarté, une génération plus tôt). Pour l'anecdote, la sonate Appassionata de Beethoven, et la marche funèbre de Chopin sont la pierre angulaire des récitals de Rubinstein, et plus tard… de Rachmaninov.
Rachmaninov est également doué d'une mémoire exceptionnelle : il peut retrouver d'oreille une œuvre entendue seulement une fois, et rejouer, même des années plus tard, une œuvre qu'il a déjà interprétée. Il lui a fallu seulement 2 jours pour mémoriser les Variations et fugue sur un thème de Haendel de Brahms.
Il s'échauffe tous les jours en jouant, notamment, l’Étude en la bémol majeur op. 1 no 2 de Paul de Schlözer[18]. L'opus 740 de Czerny, faisait également partie de son « pain quotidien ».
Personnalité
Rachmaninov possède une personnalité complexe angoissée par la perspective de la vieillesse et de la mort. Cette hantise est à l'origine de deux chefs-d'œuvre : le poème symphonique L'île des morts (1907) et la symphonie Les Carillons (1913). Il doute souvent de son inspiration, et se trouve rarement satisfait de son travail. Il reprend souvent ses œuvres : son premier concerto pour piano de 1891 sera remanié vingt-six ans plus tard, en 1917 au point que l'on peut considérer ces deux versions comme deux œuvres distinctes. Le Trio élégiaque nº 2 bien reçu à sa création sera révisé à deux reprises, en 1907 et puis à nouveau dix ans plus tard. Il écrit à son ami Nikolaï Medtner quand il compose son Quatrième concerto pour piano : « J'ai reçu la copie de la réduction pour piano… et j'ai été terrifié ! ».
Sa personnalité austère en public cherche à préserver son intimité familiale. C'est un père généreux et aimant, un grand-père attentif et un ami fidèle (Vladimir Horowitz, son proche voisin de Los Angeles, Nikolaï Medtner, dédicataire de son Quatrième concerto, Fédor Chaliapine, rencontré pendant sa dépression et exilé russe comme lui, etc.). Devenu citoyen américain, son pays natal ne cessera de lui manquer et il sera toujours imprégné du sentiment de déracinement.
Sa renommée est immense. Les Anglo-saxons appellent son Troisième concerto pour piano le « Rach 3 » ; aucune œuvre d'un autre compositeur n'a jamais été désignée d'une semblable abréviation. Vladimir Horowitz contribue beaucoup à la célébrité de ce concerto d'une difficulté technique proverbiale, un des concertos romantiques les plus difficiles. Rachmaninov dit qu'il lui est impossible d'exécuter un bis après l'avoir joué. Il avoue modestement que Horowitz lui a fait découvrir ce concerto par son interprétation. Il aurait alors déclaré : « Le Concerto no 3 appartient à Horowitz. »[réf. nécessaire]
Œuvre de Rachmaninov
Introduction
Rachmaninov a écrit cinq œuvres pour piano et orchestre : les quatre concertos et la Rhapsodie sur un thème de Paganini. Ses concertos les plus populaires sont le deuxième et le troisième. Il a également écrit trois symphonies, sans compter Le Rocher, le Caprice bohémien, l''Île des morts et les Danses symphoniques.
Les pièces pour piano dominent l'œuvre de Rachmaninov. Elle comprend 24 préludes parcourant les 24 tonalités : le fameux prélude op. 3 no 2, les Dix préludes op. 23 et les Treize préludes op. 32. Rachmaninov créa un nouveau genre de pièces peu après l'écriture des préludes op. 32, le genre de l'Étude-Tableau : regroupées en deux cahiers op. 33 et 39, les dix-sept Études-Tableaux constituent le sommet de la littérature pour piano de Rachmaninov. Stylistiquement, l'op. 33 ressemble davantage aux préludes, alors que l'op. 39 montre les influences de Scriabine et Prokofiev et marque l'apogée de la musique de Rachmaninov. Se rajoutent à ces œuvres les Morceaux de fantaisie, les Morceaux de salon et les Moments musicaux de Rachmaninov. Rachmaninov a également écrit des variations, les Variations sur un thème de Chopin et les Variations sur un thème de Corelli. Il existe également deux sonates virtuoses et rarement jouées, op. 28 et op. 36. À ces œuvres pour piano seul s'ajoutent des pièces pour quatre mains : deux suites (dont la Fantaisie-Tableaux) et un arrangement des Danses symphoniques.
Rachmaninov a écrit deux contributions importantes à la musique orthodoxe russe : la Liturgie de saint Jean Chrysostome et Les Vêpres, aussi connues sous le nom Les Vigiles. Ceci sans oublier Les Cloches. Rachmaninov a toujours eu une passion pour le chant et les cloches ; le 5e numéro des Vêpres (Nine otpouchtchayechi) fut chanté à son enterrement (le texte, tiré de l'Évangile de Luc, est connu en français sous le nom de Cantique de Syméon). Comme le reste de ces Vêpres, ce 5e numéro est conçu pour un chœur a cappella.
Rachmaninov a composé plusieurs opéras, mais n'en a achevé que trois : Aleko, Le Chevalier avare et Francesca da Rimini.
Liste des œuvres
Rachmaninov laisse 96 œuvres.
Réputation de l'œuvre
La plupart de l'œuvre de Rachmaninov a été écrite au XXe siècle. Aux influences de Rimsky-Korsakov et Tchaïkovski, elle ne suit pas les mutations esthétiques de son époque. Ses œuvres « américaines », créées entre 1927 et 1943, ont la plupart reçu l'hostilité des critiques de l'époque. Le compositeur et critique Kaikhosru Sorabji fut l'un de ses plus ardents défenseurs : « Un cliché à bon marché, particulièrement en Angleterre et en Amérique, veut qu'un individu ne puisse être à la fois un grand interprète et un grand créateur. Quand il excelle des deux côtés, comme Liszt ou Busoni, alors il faut à tout prix renforcer ce mensonge, et l'on assiste à des campagnes de dénigrement systématique, où l'œuvre se trouve qualifiée de "musique virtuose", "musique de pianiste" et ainsi de suite, sans le moindre souci d'honnêteté ni d'équité[19]. »
Les articles sur Rachmaninov du Grove Dictionary of Music and Musicians de 1954 et 1980 montrent bien le rejet de sa musique puis l'évolution des mentalités :
- « En tant que pianiste, Rachmaninov était l'un des meilleurs artistes de son temps ; en tant que compositeur, on ne peut prétendre qu'il ait appartenu à son temps […]. Techniquement il était très doué, mais aussi sévèrement limité. Sa musique est bien construite, efficace, mais monotone dans sa texture, laquelle consiste essentiellement en mélodies artificielles et débordantes, accompagnées par toutes sortes de formules dérivées d'arpèges[20]. »
- « Il était l'un des meilleurs pianistes de son temps et, en tant que compositeur, le dernier grand représentant du romantisme russe tardif. Aux influences de Rimsky-Korsakov, Tchaïkovsky et autres compositeurs russes sur ses premières œuvres, fit bientôt place un langage lyrique et hautement individuel qui, s'il n'eut pas de forte incidence sur le développement de la musique russe, n'en est pas moins marqué par une expression sincère et une technique habile[21]. »
Discographie de Rachmaninov
Rachmaninov a enregistré environ 10 heures de musique : des pièces pour piano (Rachmaninov, Chopin…), de la musique de chambre avec Fritz Kreisler (sonates de Beethoven, Grieg et Schubert), ses 4 concertos, la fameuse Rhapsodie sur un thème de Paganini et quelques transcriptions. Rachmaninov s'est beaucoup intéressé au disque et a beaucoup pensé à la postérité : il avait prévu d'enregistrer le Concerto de Schumann, le 5e Concerto de Beethoven et même d'enregistrer des duos avec son ami Vladimir Horowitz ! Même s'il n'a pu réaliser tous ces projets, il subsiste une discographie assez importante pour l'époque…
Sur phonographe
Renommées sont ses interprétations du Carnaval de Schumann et de la Sonate Marche Funèbre de Chopin, ainsi que de nombreuses autres pièces plus courtes. Il a enregistré ses quatre concertos pour piano avec l'Orchestre de Philadelphie, y compris deux versions du deuxième concerto dirigé par Leopold Stokowski (un enregistrement acoustique en 1924 et un enregistrement complet électrique en 1929), ainsi qu'un enregistrement en première mondiale de la Rhapsodie sur un thème de Paganini, peu de temps après la création en 1934 avec l'Orchestre de Philadelphie dirigé par Stokowski. Les premier, troisième et quatrième concertos ont été enregistrés avec l'Orchestre de Philadelphie sous la baguette d'Eugene Ormandy de 1939 à 1941. Rachmaninov a également enregistré sa Troisième Symphonie, l''Île des morts et son orchestration de la Vocalise op. 34, no 14. Tous ces enregistrements ont été réédités dans un coffret de 10 CD (Sergei Rachmaninoff, The Complete recordings par RCA Victor (Gold Seal, 09026-61265-2).
Rachmaninov n'a jamais enregistré pour la radio ; peu après un concert à Paris le , il en profita pour s'en expliquer dans une interview « La Radio et la grande Musique » :
« La Radio n'est pas assez parfaite pour rendre justice à la bonne musique. C'est pour cela que j'ai toujours refusé de jouer pour la Radio... Mais aussi, je déplore que l'on puisse écouter la musique aussi confortablement... Car pour apprécier la bonne Musique, l'esprit doit être en alerte et réceptif sur le plan émotionnel. Et cela, votre esprit ne peut l'être, si vous êtes assis chez vous, les pieds posés sur une chaise. Non, écouter de la musique est plus fatigant que cela. La musique est comme la poésie. Elle est une passion et elle est un problème. Vous ne pouvez l'apprécier et la comprendre en étant simplement assis et en la laissant s'infiltrer dans vos oreilles[22]. »
Sur rouleaux pour piano
L'entreprise American Piano Company était un fabricant américain de pianos situé à East Rochester, New York , qui était connu depuis le début pour la production de pianos à jouer de haute qualité. Un grand nombre de pianistes classiques et populaires distingués, tels que Sergei Rachmaninoff (1873-1943), Leo Ornstein (1892-2002), Ferde Grofé (1892-1972), Winifred MacBride et Marguerite Volavy (1886–1951), ont enregistré pour Ampico, et leurs rouleaux sont un héritage de la pratique esthétique et musicale du 19e et du début du XXe siècle.
Rachmaninoff Society
La Rachmaninoff Society, organisme créé en 1990, a pour but de promouvoir à travers le monde la musique de Sergueï Rachmaninov.
Notes et références
- 20 mars du calendrier julien.
- Translittération : Sergueï Vassilievitch Rakhmaninov
- Rachmaninov russe ou américain ? Moscou veut rapatrier ses restes - Libération, 20 août 2015.
- Gérard Pernon, Dictionnaire de la musique, Ouest France, 1984
- La transcription anglaise ne sera en usage qu'à partir des années 1990, dans la traduction officielle figurant sur les passeports russes. La transcription en -off ou -eff apparaît à la fin du XVIIIe siècle, jusqu'aux années 1960 ; elle est aussi en ow ou ew pour la transcription allemande. La transcription ch de х est en usage dans les langues slaves (polonais, tchèque) ou l'allemand ; en français cette lettre se transcrit kh.
- Jacques-Emmanuel Fousnaquer, Rachmaninov, Seuil, , p. 12.
- Jacques-Emmanuel Fousnaquer, Rachmaninov, Seuil, , p. 16.
- Jacques-Emmanuel Fousnaquer, Rachmaninov, Seuil, , p. 14.
- Jacques-Emmanuel Fousnaquer, Rachmaninov, Seuil, , p. 17.
- Jacques-Emmanuel Fousnaquer, Rachmaninov, Seuil, , p. 18.
- Elle épouse à Dresde le 24 septembre 1924 le prince Pierre Wolkonsky (1897-1925), dont une fille, Sophie, née après la mort de son père.
- Glenn Plaskin, Horowitz, a Biography, p. 107
- About Wizart Horovitz, Who Will Return Soon - The Milwaukee Journal, 18 avril 1943.
- (en-US) Mastura Kalandarova et specially for RIR, « Russian culture and Soviet education left a deep imprint on Tagore », sur www.rbth.com, (consulté le )
- Moscou cherche à rapatrier les restes de Rachmaninov, inhumé à New York - Le Figaro, 20 août 2015.
- Harrison, 190-191.
- (en) Harold C. Schonberg, The Great Pianists, 1987, Simon & Schuster Paperbacks, 528 pages. (ISBN 978-0-671-63837-5)
- Mi Contra Fa : Rachmaninoff and Rabies
- Eric Blom, « Rachmaninov », dans Grove Dictionary of Music and Musicians, 1954.
- Geoffrey Norris, article "Rachmaninov", New Grove Dictionary of Music and Musicians, 1980
- Catherine Poivre d'Arvor, Rachmaninov : La passion au bout des doigts, Monaco/Paris, le Rocher, , 239 p. (ISBN 2-268-00499-6), p. 148
Bibliographie
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- (it) Claudio A. D'Antoni Dinamica rappresentativa del ’suono-parola’- La ’drammaturgia compressa’ delle Romanze di Rachmaninov; p. 480 (seulement par www.ilmiolibro.it) 2009 Roma
Voir aussi
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