Salaire d'efficience

Le salaire d'efficience, en économie du travail, est une théorie expliquant la fixation d'un niveau de salaire supérieur à ce qu'expliquerait la seule loi de l'offre et la demande sur un marché du travail en concurrence pure et parfaite, expliquant ainsi une partie du chômage. L'idée de salaire d'efficience avance que la productivité d'un travailleur dépend du salaire qui lui est versé. Cette notion apparait en 1957 dans les travaux d'économie du développement de Harvey Leibenstein, et elle se diffuse dans les années 1980, notamment à partir de l'article de Janet Yellen : Efficiency Wage Models of Unemployment[1]. Elle se développe dans le cadre du nouveau keynésianisme (notamment avec les économistes Carl Shapiro et Joseph Stiglitz dans un article de 1984, Equilibrium unemployment as a worker discipline device[2]). On peut retrouver un premier emploi du terme chez Alfred Marshall en 1890[3]. Dans le cas des pays en développement, Leibenstein montre qu'augmenter les salaires permet aux travailleurs de mieux se nourrir et donc d'être plus efficaces, d'où une hausse de la productivité. Dans le cas des pays développés l'analyse est plus complexe[4].

Selon la notion de salaire d'efficience, la productivité dépend du salaire.

Remise en cause de la microéconomie classique

La microéconomie classique avance que pour maximiser les profits, le travailleur doit être rémunéré à sa productivité marginale, c'est-à-dire le supplément de production qui résulte de son travail. C'est donc la productivité qui permet de fixer le salaire auquel le travailleur peut prétendre.

Avec la notion de salaire d'efficience, la relation est inversée. La variation du salaire fait varier la productivité.

Explications

Coûts de rotation de la main-d’œuvre et salaire d'efficience

Selon la théorie de la concurrence pure et parfaite, la mobilité des travailleurs se fait sans coûts (pour ces derniers et pour les entreprises). Or on peut avancer qu'il existe en réalité des coûts d'embauche, selon les modèles de Salop (1979) et Stiglitz (1985), de licenciement, de formation des nouveaux entrants, etc. En somme toute une série de coûts liée à la rotation de la main-d’œuvre (turn-over). Pour ces raisons, un employeur pourrait vouloir payer ses employés à un salaire supérieur à celui du marché du travail pour les inciter à rester dans l'entreprise et ainsi limiter ces coûts de turn-over. C'est aussi une manière de retenir les travailleurs les plus productifs.

Cette explication accrédite le modèle insiders-outsiders (Dennis Snower et Assar Lindbeck, 1989). On observe une dualisation du marché du travail avec d'un côté les insiders qui disposent d'un pouvoir sur le marché du travail, aux dépens des outsiders (précaires et chômeurs).

Liées aux asymétries d'informations

Les asymétries d'informations sur le marché du travail peuvent avoir deux conséquences : l'anti-sélection (selon une théorie de A.Weiss, 1980) et l'aléa moral (selon une théorie de Shapiro et Stiglitz, 1984). L'asymétrie d'information est un cas d'information imparfaite, quand les agents ne disposent pas de la même quantité ou qualité d'information.

Quand l'employeur décide d'embaucher un travailleur, il ne peut pas déterminer précisément à l'avance la productivité de ce dernier, on est dans un cas d'anti-sélection. L'employeur peut vouloir se prémunir du risque d'embaucher un travailleur faiblement productif en fixant un salaire plafond pour limiter ses pertes en cas de mauvais choix. Mais dans ce cas là les travailleurs très productifs, qui eux savent qu'ils valent réellement plus que ça, se retirent du marché. Et l'employeur ne se retrouve plus qu'avec des postulants peu productifs.

On appelle aléa moral toute modification du comportement d'un cocontractant contraire à l'intérêt général ou aux intérêts des autres parties prenantes du contrat, par rapport à la situation qui prévalait avant la conclusion du contrat. Ici, si le travailleur sait que l'employeur n'a que peu de moyen pour évaluer et contrôler sa productivité, ce travailleur supporte un aléa moral, car il sait qu'il pourrait travailler à une productivité inférieure à ce que lui demande son contrat, sans en ressentir aucune conséquence négative.

C'est dans les solutions dont dispose l'employeur pour parer ces asymétries d'informations que se trouve le concept de salaire d'efficience. Pour contrer l'anti-sélection l'employeur peut avoir intérêt à accepter de payer un salaire supérieur à ce qui prévaut sur le marché du travail en supposant que le salaire de réservation est un indicateur de la productivité des postulants. De la même manière, contre l'aléa moral du travailleur tire-au-flanc, un salaire supérieur au salaire de la concurrence peut inciter ce dernier à augmenter sa productivité afin de conserver cet avantage.

Conséquences

En permettant de comprendre l'existence de salaires supérieurs aux salaires de la concurrence, la notion de salaire d'efficience peut alors expliquer un chômage dû aux comportements stratégiques des employeurs. En effet si tous les employeurs adoptent cette stratégie le prix d'équilibre sur le marché du travail augmente ce qui réduit la demande de travail et donc augmente le chômage. Cette approche s'oppose à la microéconomie classique, selon laquelle le chômage est dû soit aux rigidités du marché du travail, soit à l'existence d'une protection sociale qui augmente le salaire de réservation.

Notes et références

  1. (en) Janet Yellen, « Efficiency Wage Models of Unemployment », American Economic Review,
  2. (en) Carl Shapiro et Joseph Stiglitz, « Equilibrium unemployment as a worker discipline device », American Economic Review,
  3. Bernard Gazier, Économie du travail et de l’emploi, Précis Dalloz, , pages 237-242
  4. Philippe Deubel, Dictionnaire d'analyse économique et historique des sociétés contemporaines, Paris, PEARSON Education, , 424 p. (ISBN 978-2-7440-7346-5), pages 358-359

Voir aussi

Articles connexes


  • Portail de l’économie
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.