Sénescence

En biologie, la sénescence (du latin : senex, « vieil homme » ou « grand âge ») est un processus physiologique qui entraîne une lente dégradation des fonctions de la cellule (notion spécifique de sénescence cellulaire) à l'origine du vieillissement des organismes. Par extension, les biologistes parlent de processus de sénescence des organes et des organismes[1]. La relation entre la sénescence cellulaire et le vieillissement de l'organisme est encore mal comprise[2]. Depuis les années 2000, on sait que la sénescence cellulaire intervient de façon positive dans l'embryogenèse et la réparation tissulaire. Ses effets sur l'oncogenèse sont antagonistes (c'est-à-dire qu'elle constitue un mécanisme naturel de limitation du cancer).

Cet article concerne le vieillissement pour son aspect biologique. Pour les aspects sociaux, culturels, et sociaux économiques, voir Vieillissement.

Le vieillissement existe pour la plupart des espèces animales et végétales, mais pas pour toutes. De très rares espèces ne manifestent qu'une sénescence négligeable, voire aucun vieillissement observable. Certaines sont même capables d'inverser leur processus de vieillissement et de retourner à l'état larvaire  réalisant ainsi une forme d'immortalité biologique. On peut citer notamment le krill et certains cnidaires tels que l'espèce de méduse Turritopsis nutricula et certaines hydres[3]. Chez les plantes ligneuses pérennes, les botanistes observent le maintien d'une ontogenèse permanente (c'est-à-dire que la croissance de la plante ne cesse jamais). Ainsi, si des arbres et arbrisseaux (tel que Lomatia tasmanica) sont caractérisés par un vieillissement physiologique qui peut conduire à la sénescence, ils gardent « leur originalité dans deux domaines : la totipotence de la cellule somatique et le secret, au travers du renouvellement des méristèmes, d'une éventuelle éternité »[4].

Le vieillissement d'un organisme débute après la phase de maturité, et progresse alors de façon irréversible jusqu'à la mort. Il se caractérise le plus souvent par une dégradation des capacités générales de l'organisme : psychomotrices, immunitaires ou reproductives.

La sénescence chez les plantes (en) peut ne toucher qu'une seule partie d'un organisme. C'est le cas de la sénescence des feuilles par exemple qui se caractérise par leur jaunissement puis leur chute en automne, ou encore des fruits lorsqu'ils tombent de la plante.

Causes

La question du vieillissement a longtemps intrigué les philosophes et les naturalistes, tant il est difficile de lui trouver une explication sur le plan biologique.

Il existe un point de vue assez répandu tendant à considérer le vieillissement comme un long processus d'usure physique des tissus qui serait de même nature que l'usure de la matière inerte par le simple effet du passage du temps, c'est-à-dire par application du second principe de la thermodynamique.

D'autres approches concernent la physiologie cellulaire, notamment par l'étude des phénomènes d'oxydation (théorie mitochondriale ou théorie des radicaux libres de Denham Harman) ou d'usure des télomères (théorie télomérique du vieillissement d'Alekseï Olovnikov).

Aucune de ces explications ne résiste à une analyse détaillée, ne rendant notamment pas compte des différences de longévité qui peuvent exister entre différentes espèces.

Théories évolutionnistes

Selon les théories évolutionnistes, une poule n'est pas immortelle car elle n'est conçue que pour pondre des œufs. Il ne lui est pas utile de vivre plus longtemps que nécessaire.

Selon certaines théories évolutionnistes, le vieillissement serait une cause indirecte du fait que la longévité en elle-même n'est en général pas un critère de sélection naturelle. Un caractère procurant un avantage du point de vue de la survie ne peut pas être transmis à la descendance s'il se manifeste lorsque le cycle reproductif de l'organisme est terminé. Lorsqu'il existe en outre des facteurs pathogènes extérieurs (par exemple la prédation), un caractère favorable agissant tardivement n'a alors statistiquement que peu d'influence sur l'espérance reproductive de l'organisme. Par conséquent, les gènes agissant tard dans le développement de l'organisme ne subissent que peu de pression sélective, de telle sorte que les gènes dont l'expression est défectueuse ou délétère, sont plus nombreux lorsque cette expression intervient à un âge avancé que lorsque cette expression intervient à un jeune âge.

Cette idée est illustrée par l'observation du fait que lorsque les facteurs pathogènes extrinsèques sont absents ou inversement corrélés avec l'âge, l'espèce a d'autant plus de chances de ne pas manifester de vieillissement, comme c'est le cas pour plusieurs espèces de grandes tortues, d'esturgeons ou de grands arbres, pour lesquelles la résistance aux prédateurs augmente avec la taille et donc l'âge ; ces espèces présentent une sénescence négligeable. Une autre illustration, pour le cas inverse, est visible chez certaines espèces dont la mort survient de façon spectaculaire après l'accouplement chez les animaux (cf. saumon), ou après la floraison chez les végétaux (cf. bambou). Ce type de reproduction est appelé « sémelparité ». La sémelparité est rarement observée parmi les mammifères, mais elle existe bel et bien, notamment chez certains marsupiaux. L'explication évolutionniste du vieillissement consiste donc dans l'idée d'une continuité entre sémelparité et itéroparité, impliquant que l'itéroparité n'est généralement pas absolue.

Une autre manière d'expliquer cette idée est de l'énoncer selon le point de vue du gène égoïste, concept imaginé par Richard Dawkins et selon lequel « une poule, ça n'est jamais que le moyen qu'a trouvé un œuf pour faire un autre œuf. » Selon ce point de vue une poule n'est pas conçue pour survivre plus longtemps qu'il ne lui est nécessaire pour pondre un œuf. Dans cette optique, l'organisme n'est qu'un outil à usage unique, un soma jetable, pour reprendre l'expression de Thomas Kirkwood, dont la seule fonction est de permettre la reproduction et la diffusion des cellules germinales.

La théorie évolutionniste s'applique aussi au niveau cellulaire. Au cours de leur vie, les cellules subissent de nombreux stress et lésions qui peuvent endommager l'ADN. Pour survivre et maintenir leur patrimoine génétique intact, elles ont développé au cours de l'évolution des systèmes de réparation de l'ADN ou de mécanisme d'apoptose (mort cellulaire programmée) qui élimine des cellules dont le génome est lésé ou qui sont potentiellement cancéreuses. Avec l'âge, ces mécanismes de sauvegarde du génome deviennent moins efficaces, d'où le processus de sénescence réplicative qui bloque irréversiblement la prolifération cellulaire[5]. Cette idée de la « sénescence forcée » qui s'applique par exemple aux grains de beauté représente ainsi une voie qui a évolué pour restreindre le développement des cancers dans les organismes supérieurs[6]. « La sénescence cellulaire est un phénomène normal pour les cellules humaines et est caractérisée par un arrêt irréversible de la division cellulaire en phase G 1, qui est associée à des changements morphologiques et fonctionnels de la cellule. C'est un mécanisme anti-tumoral très puissant[7] sélectionné par l'évolution »[8].

Compétition intercellulaire

Selon deux biologistes évolutionnistes de l'Université d'Arizona, le vieillissement est inéluctable pour les organismes multicellulaires, et ce compte tenu de l'antagonisme entre la nécessité d'empêcher la prolifération des cellules cancéreuses, et celle de permettre la croissance et le maintien en vie des autres cellules[9].

Régulation génétique

Chez les végétaux, loin d'être une simple dégradation des conditions de vie de la cellule, voire une simple dégénérescence de celle-ci, la sénescence est un processus contrôlé génétiquement. En effet, certains gènes s'expriment uniquement au moment de la sénescence tandis que d'autres deviennent silencieux.

Sénescence cellulaire

La sénescence cellulaire a été décrite pour la première fois in vitro par Leonard Hayflick en 1961 en étudiant des fibroblastes primaires (WI-38). Il a observé qu'en culture, ces fibroblastes prolifèrent pendant un nombre limité de doublements de population avant de rester bloqués irréversiblement dans un plateau d’arrêt de croissance[10]. Ce plateau nommé limite de Hayflick ou plateau de sénescence réplicative est observé pour la plupart des cellules normales(ex. : fibroblastes, cellules endothéliales…) mais pas pour les cellules cancéreuses.

Phénotype des cellules sénescentes

Cellules sénescentes en culture in vitro et réaction au SA-beta Gal.

En culture, les cellules ayant atteint le plateau de sénescence présentent de nombreuses caractéristiques phénotypiques spécifiques permettant de les reconnaître aisément. Ces changements phénotypiques sont :

  • augmentation de la taille des cellules et étalement sur leur support ;
  • augmentation de la taille des noyaux, parfois accompagnée d’une polynucléation ;
  • changements dans la structure de la chromatine (foyers d’hétérochromatine, Senescence Associated Hetero-chromatine Foci (SAHF) ;
  • augmentation de l’activité lysosomiale pouvant être associé à une augmentation des activités autophagiques ;
  • accumulation d’agrégats lipido-protéiques (lipofuscine) ;
  • désensibilisations des cellules aux stimuli de facteurs de croissance et d’apoptose ;
  • métabolisme actif permettant l’expression de transcriptomes, protéomes et sécrétomes spécifiques.

Le marquage de l’activité de la Senescence-Associated β-galactosidase (SA-βgal) est le plus couramment utilisé pour identifier des cellules sénescentes[11]. La β-galactosidase normalement active à pH 4,5 dans les lysosomes est capable de dégrader le composé X-gal dans des conditions non optimales (pH 6) dans les seules cellules sénescentes du fait de leur forte activité lysosomiale [12]. Bien que certaines études montrent que l’on puisse obtenir un marquage positif avec des cellules en forte confluence (Severino et al. 2000)[source insuffisante], le SA-βgal reste le marqueur le plus souvent utilisé pour identifier des cellules sénescentes in vitro comme in vivo.

Mécanisme moléculaire de la sénescence cellulaire

La principale conséquence moléculaire de la sénescence est un blocage du cycle cellulaire à la transition entre les phase G1 et phase S (phase de réplication de l’ADN).

Il existe 2 principales catégories de sénescence cellulaire : la sénescence réplicative et la sénescence prématurée induite par des stress. Ces stress peuvent être de natures génétiques (activation d’oncogène), métaboliques (stress oxydant) ou être environnementaux (drogues cytotoxiques). Bien qu’il y ait des similarités phénotypiques et moléculaires, les sénescences réplicative et prématurée présentent des différences importantes.

Sénescence réplicative

Il s'agit de la sénescence cellulaire dépendant de la taille des Télomères. Ce sont les extrémités des chromosomes, composés de centaines d'éléments nucléotidiques répétitifs (TTAGGG)n, placés en tandem. Leur rôle est principalement protecteur. Leur taille est de 5 à 15 kb (kilobases) chez l'Homme. Cette séquence télomérique se raccourcit à chaque division cellulaire (environ 50 à 200 paires de bases par mitose). Leur longueur reflète le nombre de division d'une cellule, et plus une cellule a eu de divisions, plus la taille des télomères est courte. Ces extrémités sont non répliquées par l'ADN polymérase. La réduction télomérique est une caractéristique du vieillissement cellulaire et de la sénescence.

On observe une longueur limite chez l'être humain de 4,5 kilobases. Une fois cette limite atteinte, il n'y a plus de division cellulaire (activation de la p53 qui produit p21 et arrête le cycle).

La Télomérase est une transcriptase inverse qui allonge l'ADN télomérique. Quand une cellule est dite télomérase positive, elle échappe au phénomène de sénescence. C'est le cas des cellules qui se divisent beaucoup (couche basale de la peau, progéniteurs des lignées sanguines…). Une cellule n'exprimant plus la télomérase va réduire ses télomères et atteindre, au fil des mitoses, la limite de Hayflick[13].

Sénescence induite par des stress ou sénescence post-mitotique

Les cellules non réplicatives et les cellules ayant atteint la limite réplicative de Hayflick font l'objet d'une sénescence post-mitotique, qui peut être accélérée sous l'effet de différents facteurs (stress oxydatif, facteurs métaboliques, agents génotoxiques). Dans ce dernier cas, on parle de « sénescence prématurée induite par le stress » (SIPS)[14].

Sénescence et cancer

La sénescence cellulaire a des effets antagonistes dans l'oncogenèse : d'une part elle limite l'apparition de certains cancers en bloquant la division cellulaire de cellules précancéreuses ou en supprimant des tumeurs, d'autre part la prolifération de cellules sénescentes, lorsqu'elle ne sont pas détruites par des cellules immunitaires, ouvre la voie à l'apparition de cancers[15].

Rôle de la sénescence dans l'embryogenèse et la réparation tissulaire

Les cellules sénescentes jouent un rôle actif dans l'embryogenèse, aussi bien chez la souris, le poulet, que chez l'être humain[15]. De la même façon, générées par la protéine CCN1, elles interviennent dans les phénomènes de cicatrisation, de régénérescence tissulaire, et de réduction des fibroses, par exemple hépatiques (cirrhose) ou cardiaques[15].

Notes et références

  1. Joël Aghion, « L’immortalité cellulaire existe-t-elle ? », Études sur la mort, no 124, , p. 60.
  2. Jacques Epelbaum, Le vieillissement : rythmes biologiques et hormonaux, Lavoisier, (lire en ligne), p. 13.
  3. (en) Absurd Creature of the Week: This Amazing Little Critter Just Might Be Immortal, Wired.
  4. Développement végétal, Encyclopaedia Universalis, , 60 p. (lire en ligne).
  5. Maurice Tubiana, La science au cœur de nos vies, Odile Jacob, (lire en ligne), p. 190.
  6. Gerald Karp, Biologie cellulaire et moléculaire, De Boeck Supérieur, (lire en ligne), p. 674.
  7. La sénescence n'est cependant pas un mécanisme parfait d'inhibition de la tumorigenèse car les cellules sénescentes sécrètent in vitro des substances carcinogènes qui peuvent favoriser à long terme le développement de certaines tumeurs.
  8. Georgia Barlovatz-Meimon, Xavier Ronot, Culture de cellules animales, Lavoisier, (lire en ligne), p. 328.
  9. (en)Intercellular competition and the inevitability of multicellular aging, Paul Nelson et Joanna Masel
  10. (en) Hayflick L, Moorhead PS., « The serial cultivation of human diploid cell strains », Exp Cell Res, no 25, , p. 585-621 (PMID 13905658, lire en ligne).
  11. (en) Dimri GP, Lee X, Basile G, Acosta M, Scott G, Roskelley C, Medrano EE, Linskens M, Rubelj I & Pereira-Smith O (1995) « A biomarker that identifies senescenthuman cells in culture and in aging skin in vivo » Proc Natl Acad Sci.U.S.A. 92:9363-7. PMID 7568133.
  12. (en) Bo Yun Lee, Jung A. Han, Jun Sub Im et Amelia Morrone, « Senescence-associated β-galactosidase is lysosomal β-galactosidase », Aging Cell, vol. 5, no 2, , p. 187–195 (ISSN 1474-9726, DOI 10.1111/j.1474-9726.2006.00199.x, lire en ligne, consulté le )
  13. Odélie Tacita, « Les causes biologiques du vieillissement et de la limitation de la durée de vie - work for human longevity », work for human longevity, (lire en ligne, consulté le ).
  14. Jeanne Mialet-Perez, Victorine Douin-Echinard, Daniel Cussac, Antoine Bril et Angelo Parini, « Vieillissement - Une question de cœur ? », sur inserm.fr, Med Sci, 31 novembre 2015 (DOI 10.1051/medsci/2015311101).
  15. Pierre-François Roux et Oliver Bischof, « La sénescence, une destinée cellulaire aux multiples visages », sur ens.fr,

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

(fr)

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