Raison d'être (entreprise)

La raison d'être d'une entreprise désigne la façon dont elle entend jouer un rôle dans la société au-delà de sa seule activité économique.

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En France, elle a notamment été définie par Jean-Dominique Senard dans le cadre de son travail mandaté par le gouvernement français sur l’objet social des entreprises : « La raison d'être permet de joindre le passé au présent ; c'est l'ADN de l'entreprise. Elle n'a pas de signification économique, mais relève plutôt de la vision et du sens »[1].

La raison d'être est l'équivalent des termes « purpose » ou « mission statement » communément utilisés dans les pays anglo-saxons.

Un statut juridique défini par la loi Pacte

Le concept de « raison d’être » gagne en visibilité dans le débat public français à la suite de son apparition dans le rapport L'entreprise, « objet d'intérêt collectif »[2], élaboré sous la supervision de Jean-Dominique Senard, alors président du groupe Michelin, et de Nicole Notat, alors présidente de Vigeo-Eiris. Le rapport, remis au ministre de l’Économie Bruno Le Maire le 9 mars 2018[3], présente la raison d’être comme une réponse au court-termisme dans la gestion des entreprises : « la raison d'être fournira à la plupart des conseils d'administration un guide pour les décisions importantes, un contrepoint utile au critère financier de court-terme, qui ne peut servir de boussole »[4].

Le terme de « raison d'être » a par la suite été repris dans le texte de la loi Pacte, qui s’inspire des recommandations du rapport Notat-Senard pour modifier l’article 1835 du code civil[5] de façon à ouvrir aux entreprises la possibilité d’inscrire une raison d’être dans leurs statuts : « Les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité »[6].

Si la loi française prévoit ainsi la possibilité que la raison d'être d’une entreprise soit inscrite dans ses statuts, certaines entreprises choisissent de formuler une raison d'être sans l'inscrire dans leurs statuts, à l'exemple de Veolia[7]. Dans ce cas, la raison d’être n’a donc pas d'existence juridique.

Exemples de raisons d’être

Parmi les grandes entreprises françaises ayant formulé une raison d'être, on peut citer les exemples suivants.

  • Michelin : « Offrir une meilleure façon d'avancer »[8]
  • Atos : « Contribuer à façonner l’espace informationnel »[9]
  • SNCF : « Apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète »[10]
  • Orange : « Être l'acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable »[11]
  • Carrefour : « Proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers l'ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d'adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d'être leader de la transition alimentaire pour tous. »[12]
  • Veolia : « Contribuer au progrès humain, en s'inscrivant résolument dans les Objectifs de Développement Durable définis par l'ONU, afin de parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous »[13]
  • PwC : « Bâtir la confiance en notre société »[14]
  • EDF: « Construire un avenir énergétique neutre en CO2 conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l'électricité et à des solutions et services innovants »[15]

Un concept qui s’inscrit dans une réflexion sur le rôle des entreprises

L'émergence du concept de raison d’être en France reflète une montée de l’intérêt pour la question du sens dans l'entreprise, non seulement dans l'hexagone, mais aussi à l’échelle internationale.

Aux États-Unis, l'importance du « purpose » pour guider la stratégie d'une entreprise a été soulignée par le directeur général du fonds d'investissement BlackRock, dans sa lettre annuelle aux dirigeants d'entreprise de 2019, intitulée « Purpose & Profit » (« Raison d'être & profit ») : « Lorsqu'une entreprise exprime et comprend vraiment sa raison d'être, elle fonctionne avec la focalisation et la discipline stratégique qui produisent la rentabilité sur le long terme. La raison d'être unifie le management, les employés, et les communautés. Elle guide le comportement éthique et crée un garde-fou essentiel contre les actions qui vont contre l'intérêt des parties prenantes »[16]. Dans la même lettre, il indique que BlackRock s'intéressera dorénavant à la façon dont les entreprises dans lesquelles le fonds investit intègrent la raison d'être à leur stratégie.

La Business Roundtable, association qui a pour membres les dirigeants de grandes entreprises américaines, a elle aussi manifesté son intérêt pour la question du sens et de la raison d'être. En août 2019, elle a publié une déclaration signée par 181 dirigeants d'entreprises et selon laquelle la raison d'être d'une entreprise, ne pouvant être limitée à la seule poursuite du profit, doit prendre en compte l'ensemble des parties prenantes qui peuvent être affectées par son activité : clients, employés, fournisseurs, communautés et actionnaires[17].

En France, 77 % des salariés des grandes entreprises estiment que, « au-delà de son activité économique, leur entreprise joue un rôle au sein de la société », d'après le « baromètre de la raison d'être », un sondage réalisé par l’Ifop pour le cabinet de conseil No Com[18].

Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, chargé de la loi Pacte, rattache le concept de « raison d'être » contenu dans la loi à la nécessité d'adapter le capitalisme pour mieux faire converger intérêt particulier d'une entreprise et intérêt général : « Nous avons modifié le code civil pour que les entrepreneurs puissent donner du sens à leur activité avec la raison d’être. La raison d'être c'est le sens que les entreprises donneront à leurs activités économiques, c'est leur manière de participer à un meilleur fonctionnement de la société. Intérêt général et intérêt économique ne doivent plus s'opposer, ils doivent aller de pair. La lutte contre le réchauffement climatique et contre les inégalités doit faire partie des objectifs des entreprises. C'est comme cela que nous bâtirons une économie plus juste et plus efficace pour le XXIe siècle » [19].

Les dimensions en jeu dans la formulation de la raison d'être

Dans un essai universitaire consacré à la raison d'être, Bertrand Valiorgue souligne que le simple ajout d'une raison d'être dans les statuts d'une entreprise ne va pas, à lui seul, mettre l'entreprise spontanément sur une dynamique de progrès social et environnemental[20]. Quatre éléments sont susceptibles de donner de la consistance et de la matérialité à la raison d'être d'une entreprise : la qualité de l'intention stratégique formulée par les dirigeants, la cohérence du portefeuille d'activités détenues par l'entreprise, la présence d'actifs et ressources stratégiques et le dialogue avec les parties prenantes. Si la raison d'être n'impacte pas ou n'entraîne pas une dynamique de transformations de ces quatre dimensions, il y a alors toutes les chances pour la notion se transforme en outil de communication.

Travaux universitaires

Communiquer la « raison d'être » de l'organisation nécessite pour le dirigeant une recherche de sens. Une première thèse universitaire à propos de la raison d'être instituée par la loi Pacte a été soutenue par Éric Gautier[21], enseignant-chercheur et ancien président-fondateur de l'AFNEUS, le 8 novembre 2018[22] à l'université Panthéon-Assas. Elle décrit un modèle[23] pour accéder au sens profond d'une entreprise : la singularité révélée, issue des recherches de Patrick Mathieu.

Notes et références

  1. Jean-Dominique Senard, « Jean-Dominique Senard : « Le sens et le pourquoi nourrissent la motivation » », sur https://business.lesechos.fr/,
  2. « Le rapport senard Notat veut réconcilier l'entreprise et la société »
  3. Nicole Notat, Jean-̟Dominique Senard, avec le concours de Jean-Baptiste Barfety, « L'entreprise, objet d'intérêt collectif », sur minefi.hosting.augure.com,
  4. « L'entreprise : l'objet de l'intérêt collectif », sur Ministère de l'Économie et des Finances,
  5. Code civil : Article 1835 », Legifrance
  6. LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, (lire en ligne)
  7. « Veolia se dote d'une raison d'être »
  8. « Groupe Michelin |Une meilleure façon d'avancer », sur Michelin Corporate (consulté le )
  9. « Profil », sur Atos (consulté le )
  10. « Notre raison d’être », sur SNCF (consulté le )
  11. « Orange dévoile sa raison d’être : toute l’entreprise s’engage », sur www.orange.com (consulté le )
  12. « Carrefour fait de la « transition alimentaire » sa raison d'être », sur Les Échos, (consulté le )
  13. « Veolia se dote d’une Raison d'être », sur Veolia (consulté le )
  14. « La « raison d'être » de PwC est « de bâtir la confiance en notre société » », sur Les Échos, (consulté le )
  15. « « Raison d'être » : EDF s'engage devant ses actionnaires », sur Les Échos, (consulté le )
  16. (en) « Terms and conditions », sur BlackRock (consulté le )
  17. (en) Updated Statement Moves Away from Shareholder Primacy et Includes Commitment to All Stakeholders, « Business Roundtable Redefines the Purpose of a Corporation to Promote ‘An Economy That Serves All Americans’ », sur www.businessroundtable.org (consulté le )
  18. « « Raison d'être » des entreprises : les salariés ouverts mais exigeants », sur Les Échos, (consulté le )
  19. « Bruno Le Maire : « Le capitalisme du XXe siècle n’est plus viable » », Quotidien, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  20. Bertrand Valiorgue, La raison d'être de l'entreprise, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, , 64 p. (ISBN 978-2-84516-916-6)
  21. « Singularité et raison d'être... disruptive — ilec », sur www.ilec.asso.fr (consulté le )
  22. « Soutenance de thèse d'Éric Gautier : « La révélation de la singularité identitaire par le consultant » », sur Lab Management et Spiritualité, (consulté le )
  23. « La 'raison d'être' authentique », sur www.bod.fr (consulté le )
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