Pierre Seel

Pierre Seel, né le à Haguenau et mort le à Toulouse, est la seule personnalité homosexuelle française à avoir témoigné à visage découvert de sa déportation durant la Seconde Guerre mondiale pour motif d'homosexualité.

Pierre Seel
Pierre Seel, en 2000.
Naissance
Haguenau
Décès (à 82 ans)
Toulouse
Nationalité française
Activité principale
militant
Distinctions
Rue portant son nom à Toulouse[1] (2008) et à Paris (2019), plaque mémorielle à Mulhouse (2010)

Biographie

Jeunesse

En 1940, à dix-sept ans à peine, Pierre Seel se fait voler sa montre dans un parc de Mulhouse, connu comme lieu de rencontres d'homosexuels. Il va porter plainte au commissariat. À son insu, son nom a été inscrit[pas clair] dans le fichier des homosexuels du commissariat.

Quelques mois après l'invasion allemande, il est convoqué à la Gestapo. Le , il est arrêté, interrogé, torturé et violé pendant deux semaines puis il est envoyé au camp de sûreté et de redressement de Schirmeck-Vorbruck, proche du camp de concentration de Natzweiler-Struthof nouvellement créé sur le ban de la commune de Natzwiller.

« Un jour, les haut-parleurs nous convoquèrent séance tenante sur la place de l'appel. (…) Il s'agissait en fait d'une épreuve autrement plus pénible, d'une condamnation à mort. Au centre du carré que nous formions, on amena, encadré par deux SS, un jeune homme. Horrifié, je reconnus Jo, mon tendre ami de dix-huit ans. (…) Puis les haut-parleurs diffusèrent une bruyante musique classique tandis que les SS le mettaient à nu. Puis ils lui enfoncèrent violemment sur la tête un seau en fer blanc. Ils lâchèrent sur lui les féroces chiens de garde du camp, des bergers allemands qui le mordirent d'abord au bas-ventre et aux cuisses avant de le dévorer sous nos yeux. Ses hurlements de douleur étaient amplifiés et distordus par le seau sous lequel sa tête demeurait prise. Raide et chancelant, les yeux écarquillés par tant d'horreur, des larmes coulant sur mes joues, je priai ardemment pour qu'il perde très vite connaissance. (…) Depuis, il m'arrive encore souvent de me réveiller la nuit en hurlant. Depuis plus de cinquante ans, cette scène repasse inlassablement devant mes yeux. Je n'oublierai jamais cet assassinat barbare de mon amour. Sous mes yeux, sous nos yeux. Car nous fûmes des centaines à être témoins. Pourquoi tous se taisaient-ils aujourd'hui ? Sont-ils donc tous morts ? (…) Mais je pense que certains préfèrent se taire pour toujours, redoutant de réveiller d'atroces souvenirs comme celui-ci parmi tant d'autres. Quant à moi, après des dizaines d'années de silence, j'ai décidé de parler, de témoigner, d'accuser. »

En il est libéré mais, à 18 ans, en , comme tous les Alsaciens et les Mosellans de son âge, il est incorporé de force dans l’armée allemande et doit aller se battre sur le front russe[2]. À la Libération, si comme la plupart des déportés, il ne s’étend pas publiquement sur l’enfer qui fut aussi le lot de tant d’autres, il le peut d’autant moins que la révélation de la cause spécifique de cette déportation, son homosexualité, était à l’époque impensable, et l’aurait condamné à un rejet total, y compris de la part des déportés politiques et résistants. L'armée allemande en avait fait, de plus, un de ces « malgré-nous » alors souvent mal vus. À l’enfer dont il réchappait à vingt-deux ans, s’ajoutera celui de devoir se taire pour pouvoir se réadapter en se coulant dans son milieu familial de bourgeoisie établie et pour préserver les siens pendant trente ans  ce sera un souci constant douloureusement assumé  contre une opinion alors totalement intolérante envers tout soupçon d’homosexualité. Ce n’est qu’après avoir élevé ses trois enfants, pris sa retraite et, en 1978, s'être séparé d’avec son épouse qu’il s'estimera en mesure de témoigner publiquement.

Militantisme

En 1982, resté catholique de foi, il est révolté par des propos homophobes de l’évêque de Strasbourg, Mgr Léon-Arthur Elchinger. Il sort du silence, quarante ans après sa déportation et témoigne de ce qu'il a vécu dans une lettre ouverte. Les 2 et , Pierre Seel livre son bouleversant témoignage dans l'émission de Daniel Mermet, Là-bas si j'y suis[3], diffusée sur France Inter. À la suite de cette émission en 1994, il écrit un livre avec Jean Le Bitoux Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel. Grâce à lui et au soutien de quelques militants, la reconnaissance de la déportation homosexuelle se fait enfin, lentement et surtout très tardivement. Lionel Jospin, alors Premier ministre, l'évoque en 2001. Puis en avril 2005, le président de la République, Jacques Chirac, en parle à l'occasion de la Journée nationale du souvenir de la déportation du  :

« En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait — je pense aux homosexuels — étaient poursuivis, arrêtés et déportés. »

À la suite de ses révélations, une partie de sa famille rompt avec lui.

Dès 1995, Pierre Seel est invité à apporter son témoignage au public, dans plusieurs villes (Lille, Besançon, Marseille…) et sur la fréquence Radio Campus. Pierre Seel est interviewé en 1998 par l'USC Shoah Foundation Institute créé par Steven Spielberg[4].

Son témoignage apparaît également dans le documentaire sur la déportation homosexuelle, Paragraphe 175 (2000) réalisé par Rob Epstein et Jeffrey Friedman.

Le film documentaire Amants des hommes[5] d'Isabelle Darmengeat sur la déportation homosexuelle en France reprend et utilise des extraits lus de l'autobiographie, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel.

Décès

Pierre Seel meurt le . Ses obsèques religieuses ont lieu dans l'intimité trois jours plus tard à Toulouse où il vécut sa vie professionnelle et sa retraite pendant les trente-sept dernières années de sa vie. Il est aujourd'hui inhumé dans le cimetière de Bram, dans l'Aude[6].

Hommages posthumes

Municipaux

Les plaques de la rue Pierre Seel, à Toulouse.
Plaque mémorielle sur une façade du théâtre de Mulhouse.

Le , la ville de Toulouse annonce qu'elle engage une procédure afin de baptiser une rue du centre ville du nom de Pierre Seel[1],[7]. À l’unanimité du conseil municipal du , la décision est entérinée.

La nouvelle rue, qui donne sur le port Saint-Sauveur, est inaugurée le par le maire de Toulouse. La plaque de rue porte l'inscription : « Rue Pierre-Seel - Déporté français pour homosexualité (1923-2005) » et « Carrièra Pierre Seel Deportat francés per omosexualitat » (en occitan)[8],[9],[10].

Le , le maire de Mulhouse Jean-Marie Bockel donne son accord de principe à l'apposition d'une plaque commémorative à Pierre Seel sur l'immeuble où se situait la maison de ses parents[11]. Un an plus tard, face au refus émanant du nouveau propriétaire des lieux, la municipalité donne son aval à une solution englobant aussi d'autres déportés pour motif d'homosexualité[12]. Ainsi, 65 ans après la fin du dernier conflit mondial, une plaque mémorielle a été apposée sur une façade du théâtre municipal, celle qui donne sur le Square Steinbach. Son inauguration a eu lieu le , en présence de Jean-Marie Bockel, alors secrétaire d’État à la Justice, de Rudolf Brazda ainsi que de représentants de l'association Les « Oublié(e)s » de la Mémoire[13] qui ont porté le projet, soutenus par les associations gaies et lesbiennes locales[14].

Le , un hommage lui a été rendu à l'occasion du 10e anniversaire de sa mort : sur sa tombe en présence de Claudie Mejean, maire (PS) de Bram et Danièle Mouchague, conseillère régionale (PS) du Languedoc-Roussillon. Une seconde gerbe a été déposée à Toulouse, rue Pierre-Seel[15].

Le , une rue Pierre-Seel est inaugurée à Paris dans le 4e arrondissement, entre la rue de Rivoli et la Rue du Roi-de-Sicile[16].

Cinéma

Bibliographie

Notes et références

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

  • Portail de l’Alsace
  • Portail LGBT
  • Portail de la Seconde Guerre mondiale
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.