Opération Raisins de la colère

L'opération Raisins de la Colère est le nom d'une opération militaire de l'armée israélienne en , visant pendant 16 jours les forces du Hezbollah au Liban du Sud afin de faire cesser les tirs de lance-roquettes multiple contre les villes du Nord d'Israël, et particulièrement contre la ville de Kiryat Shmona.

Pour les articles homonymes, voir Les Raisins de la colère (homonymie).

Opération Raisins de la colère

Informations générales
Date 11 avril 1996 – 27 avril 1996
Lieu Liban du Sud
Nord d'Israël
Casus belli
  • 30 mars 1996, 20 missiles contre le Nord d'Israël par le Hezbollah.
  • 9 avril 1996, 30 missiles contre le Nord d'Israël par le Hezbollah.
  • 6 blessés parmi les civils israéliens.
Issue Cessez-le-feu.
Belligérants
Israël
Armée du Liban sud
Hezbollah
Syrie
Commandants
Shimon Peres
Amnon Lipkin-Shahak (en)
Moustapha Tlass
Hassan Nasrallah
Pertes
3 soldats tués

62 civils israéliens blessés
20 000 à 30 000 réfugiés israéliens
14 membres du Hezbollah tués
une dizaine de soldats syriens tués

154 à 170 civils libanais tués
350 civils libanais blessés
350 000 à 500 000 réfugiés libanais

639 roquettes ont visé le Nord d'Israël. En réponse à ces attaques, plus de 1 100 raids ont été menés par l'armée de l'air israélienne et plus de 25 000 bombes ont été larguées.

À la suite de la médiation de la France et des États-Unis, un cessez-le-feu est obtenu le pour empêcher davantage de victimes parmi les civils. Cette offensive a fait en 16 jours 175 morts et 351 blessés, pour l'essentiel des civils, et jeté sur les routes du Liban plus de 300 000 réfugiés.

L'un des épisodes les plus marquants de ce conflit est le bombardement de Cana, une installation de l'ONU touchée par les obus israéliens, qui a entraîné la mort de 118 civils libanais.

Contexte de l'escalade

Cette opération se déroule 14 ans après l'opération Paix en Galilée de 1982 au cours de laquelle l'armée israélienne avait envahi le Liban jusqu'à Beyrouth pour y déloger l'OLP et établir en 1985 une zone tampon dans le Sud du Liban afin d'empêcher les attaques contre le territoire israélien. En 1993, les forces israéliennes mènent l'opération Justice rendue pendant une semaine, en vain, pour mettre un terme aux actions du Hezbollah qui poursuit ses attaques contre Tsahal, l'Armée du Liban sud et des zones habitées[1].

En , Israël tente une nouvelle fois de soumettre le Hezbollah en lançant l’opération « Raisins de la colère », nom de code donné par l’armée israélienne à son intervention. Mais le contexte est nouveau. À la tête d’un gouvernement travailliste, le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, qui a initié avec Yasser Arafat le processus d'Oslo en 1992, a été assassiné à Tel Aviv par un jeune extrémiste israélien le . Shimon Peres lui a succédé dans une situation difficile. Des élections ont été fixées au pour élire le futur Premier ministre et le Parlement (la Knesset). La campagne électorale qui oppose le nouveau leader du Likoud, Benyamin Netanyahou, à Shimon Peres, est particulièrement violente. La droite conservatrice et religieuse accuse le gouvernement d’avoir négligé la sécurité de la population civile israélienne habitant à proximité de la frontière libanaise et exposée aux tirs répétés de katiouchas du Hezbollah, notamment à Kyriet Shemona, petite ville de 20 000 habitants tout au Nord d'Israël. De fait, à l'approche des élections israéliennes les incidents provoqués par le Hezbollah se multiplient.

Casus belli

En et surtout en , le Hezbollah a intensifié ses attaques contre le territoire israélien, faisant un grand nombre de victimes civiles et donnant l’impression qu’il voulait l’échec de Shimon Peres aux élections à venir. L’opposition israélienne se déchaîne. En particulier deux incidents ont précipité la crise. Le , deux hommes sont tués à Yater (en) au Liban par un missile lancé par l’armée israélienne. Le Hezbollah répond par le tir de vingt missiles contre le nord d’Israël. Une bombe explose sur une route, tue un garçon libanais de quatorze ans et blesse trois personnes au village de Barashit, ce qui donne une raison au Hezbollah de tirer trente nouveaux missiles contre les villes du nord d’Israël, le . Les missiles du Hezbollah font six blessés parmi les civils israéliens. L’état-major de Tsahal annonce le le déclenchement de l’opération contre le Liban qui commence le lendemain[2].

Déroulement de l'opération

Première phase de l'opération israélienne

D’entrée de jeu l’opération militaire israélienne est massive. S’il n’y pas d’intervention des troupes israéliennes au sol, des bombardements intensifs se développent avec intervention de l’aviation (plusieurs centaines de raids aériens), la marine et l’artillerie. Les cibles sont les installations du Hezbollah et de ses combattants dans le sud du Liban et dans la Bekaa. Tsahal cible aussi les installations et les infrastructures civiles du Liban sur tout le territoire, y compris à Beyrouth et jusqu’à Tripoli, détruisant des routes, des ponts, des installations portuaires et les centrales électriques alimentant la capitale.

En outre, par la voie de messages radio et télévisés, l’armée israélienne invite la population du sud Liban à évacuer les villes et les villages pour isoler et frapper les forces du Hezbollah. Plus de 300 000 habitants sont jetés sur les routes et cherchent refuge vers le nord. L’objectif annoncé par le gouvernement israélien est d’annihiler définitivement la capacité militaire du Hezbollah et de forcer le gouvernement libanais à mettre un terme aux activités des milices sur son territoire. Côté israélien 30 000 personnes évacuent la zone frontalière pour échapper aux attaques du Hezbollah.

Initiative française

D’emblée l’opération militaire israélienne a soulevé beaucoup d’émotion et d’interrogations à Paris. Le Président français Jacques Chirac et le Premier ministre libanais Rafiq Hariri avaient des liens personnels étroits. Quelques jours avant le début du conflit, Jacques Chirac avait fait un voyage d’État au Liban et en Égypte. Devant le Parlement libanais il avait insisté sur l’attachement de la France à « l’intégrité territoriale » et à la « souveraineté » du Liban. Lors de son voyage officiel en Égypte, dans un discours prononcé devant les étudiants de l’université du Caire, il avait lancé avec solennité « la nouvelle politique arabe et méditerranéenne de la France ». L’opération militaire israélienne venait ainsi comme un défi aux initiatives diplomatiques de la France dans la région.

C’est dans ce contexte que le Président français décide d’envoyer le ministre des Affaires étrangères Hervé de Charette sur place avec mission « d’obtenir la cessation des combats et de chercher des arrangements qui garantissent la sécurité des populations de part et d’autre de la frontière libanaise[3] » (déclaration d’Alain Juppé devant l’Assemblée nationale le ). De fait, le ministre français va devoir s’imposer comme médiateur, allant de Tel Aviv à Damas, en passant par Beyrouth et même par Le Caire pendant 13 jours jusqu’à la pleine résolution de la crise, réinventant un exercice de cette shuttle diplomacy chère à Henry Kissinger, mais absente des usages diplomatiques en France.

La médiation française n’allait cependant pas de soi. Les réactions furent plutôt contrastées: pour le Liban en général, et pour Rafiq Hariri personnellement, c’était comme une bouée de sauvetage; à Tel Aviv, au contraire, l’initiative française troublait le jeu; à Damas, le Président syrien Hafez el-Assad, d’abord hésitant, s’est bientôt montré ouvert aux démarches françaises. Reste l’attitude américaine: Warren Christopher, le secrétaire d’État du Président Bill Clinton, a très mal accueilli les démarches françaises et a cherché de bout en bout à éliminer la France du règlement de la crise. Dans ses mémoires, Jacques Chirac raconte avoir été avisé de bonne source que si la France voulait se mêler de cette négociation, elle « se heurterait à une résistance féroce des États-Unis[4] ».

Drame de Cana

Le peu après 14 heures, des tirs d’artillerie issus de deux batteries israéliennes installées sur la frontière avec le Liban frappent pendant près de quinze minutes un camp de la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban) situé à proximité du village de Cana où se trouvaient un bataillon de soldats fidjiens, mais aussi près de 800 civils venus y chercher refuge pour fuir les opérations militaires. Bilan : 118 morts, 150 blessés, presque tous des réfugiés libanais[5].

Ce drame va changer la donne. Une polémique monte au sujet de l'identité du responsable de ce massacre. Les États-Unis, qui avaient jusqu’alors laissé Israël mener son offensive, cherchent désormais une issue négociée au conflit et envoient Warren Christopher, qui arrive sur place le . Shimon Peres est de son côté prêt à transiger, la Syrie aussi.

Fin du conflit et cessez-le-feu

La négociation était désormais ouverte. Pour l’essentiel elle s’est déroulée à Damas, où Hafez el-Assad s’entretenait aussi bien avec Warren Christopher qu’avec Hervé de Charette. Le refus sans concession du secrétaire d’État américain de s’entendre avec le ministre français et sa volonté « féroce » d’écarter la France du règlement final du conflit ont compliqué les choses mais n’ont pas fait obstacle à une issue positive. Le ministre français avait fait connaitre dès le dans un projet d’accord les points qui lui paraissaient importants : il fallait un texte écrit, le Hezbollah devait s’engager définitivement à ne plus s’en prendre à la population civile israélienne, de son côté Israël devait prendre des engagements similaires à l’égard des civils vivant au Liban sud, enfin il fallait créer un comité pour surveiller et garantir la bonne application de ces engagements, qui comprendrait les pays de la région concernés (Israël, Liban, Syrie) et des pays tiers garants (États-Unis, France). Pour obtenir l’engagement du Hezbollah, l’accord de la Syrie était indispensable, mais il fallait aussi celui de l’Iran. Ce fut l’objet de deux entretiens qu’Hervé de Charette a eu avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Akbar Velayati, à l’ambassade de France à Damas.

Au terme de la négociation, l’accord s’est fait sur ces bases, avec un texte rédigé par la délégation américaine, agréé par la France, et accepté par les pays en cause mais gardant un caractère informel, c’est-à-dire non signé par les parties. Le comité, devenu « groupe de surveillance », comprenait les cinq membres ci-dessus évoqués sous la coprésidence de la France et des États-Unis.

L’arrangement ainsi négocié fut présenté à la presse le à 17 h à Tel Aviv par Shimon Peres et Warren Christopher, et à Beyrouth par Rafiq Hariri et Hervé de Charette. Il prenait effet le lendemain à 4 h. Par la suite des dispositions complémentaires concernant le fonctionnement du groupe de surveillance ont été négociées à Washington et agréées par les parties le .

Impact de l'opération

Le groupe de surveillance a commencé ses travaux dès le mois de . Il se réunit à Naqoura, au siège de la FINUL, et est composé de militaires et de diplomates. Ainsi, diplomates et militaires israéliens côtoyaient leurs homologues syriens et libanais. La coprésidence est assurée, avec une rotation tous les cinq mois, par un diplomate américain et un français qui ont collaboré étroitement. Le groupe fonctionne par consensus. Saisi de tout incident, il a la tâche de substituer à l’enchaînement des représailles, la reconnaissance des responsabilités et la réaffirmation des engagements pris. Or, il a fonctionné à la satisfaction générale pendant quatre années et il a assuré aux populations civiles du nord d’Israël et celles vivant au sud Liban une longue période proche de la paix. II a cessé de fonctionner quand le gouvernement d’Ehud Barak a décidé le retrait de Tsahal du sud Liban et a interrompu sa participation aux travaux du groupe. Par ailleurs, l’échec de négociations entre la Syrie et Israël créait une nouvelle donne et une relation plus tendue entre les deux pays.

Il convient enfin de rappeler que l’opération Raisins de la Colère et les conditions dans lesquelles elle s’est déroulée a contribué à l’échec de Shimon Peres aux élections du qui a vu la victoire sur le fil de Benjamin Netanyahou. En effet, les Arabes israéliens votaient traditionnellement dans leur majorité en faveur du parti travailliste. Cette intervention militaire les a conduit à s’abstenir, permettant la victoire de son opposant par 30 000 voix. Indirectement, cette opération, conçue au départ comme un moyen de renforcer sa position, s’est retournée contre Shimon Peres. Un gouvernement Likoud qui ne cachait pas son hostilité à l’égard des accords d’Oslo, est mis en place. Cette intervention malencontreuse a eu ainsi non seulement des conséquences de politique intérieure mais a aussi affecté le succès du processus de paix initié en 1993.

Notes et références

  1. (en) « Military operations by Lebanese guerilla forces », sur hrw.org.
  2. Amnesty International, Rapport annuel 1996,
  3. Déclaration d’Alain Juppé devant l’Assemblée nationale, le 16 avril 1996
  4. Jacques Chirac, « Le temps présidentiel, mémoires 2 », Paris, Nil, , 155-156 p.
  5. (en) United Nations, Report of the Secretary General’s military adviser concerning the Qana killing, New York,

Annexes

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Bibliographie

  • Hervé de Charette, Opération Raisins de la Colère, histoire d’un succès diplomatique français, Paris, Cnrs éditions, . 
  • Delafon (Gilles) et Sancton (Thomas) : Dear Jacques….cher Bill…Au cœur de l’Élysée et de la Maison Blanche 1995-1996, Paris, Plon, 1999.
  • Frey (Adam). The Israel-Monitoring group : an operationnal Review. Research notes, no 3, 19 september 1997, The Washington Institute for Near East Policy.
  • Tannous (Manon-Nour), Chirac, Assad et les autres. Les relations franco-syriennes depuis 1946, Paris, PUF, 2017.

Articles connexes

  • Portail sur le conflit israélo-arabe
  • Portail d’Israël
  • Portail du Liban
  • Portail du terrorisme
  • Portail des années 1990
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.