Nicétas d'Héraclée

Nicétas d'Héraclée est un clerc byzantin ayant vécu dans la seconde moitié du XIe et au début du XIIe siècle, à la fois grammairien, théologien, canoniste, et nommé sur le tard métropolite d'Héraclée de Thrace[1]. Il est le dernier grand caténiste de l'époque byzantine.

Pour les articles homonymes, voir Nicétas.

Carrière

C'est un personnage sur lequel les connaissances se sont beaucoup précisées ces dernières décennies. Il était neveu du métropolite Étienne de Serrès (toujours vivant en 1071) et est souvent désigné comme « Νικήτας ὁ τοῦ Σερρῶν », ce qui signifie « Nicétas le neveu du métropolite de Serrès » (et non pas « Nicétas de Serrès », comme souvent indiqué autrefois)[2]. Une référence personnelle (une invocation pieuse) dans un opuscule grammatical de jeunesse[3] révèle qu'il était prôximos (principal) de l'école attenante aux églises des Chalcoprateia[4], et qu'il y enseignait donc la grammaire, peu après la mort de son oncle Étienne. Ensuite, il passa à l'école patriarcale de Sainte-Sophie, où il exerça les fonctions de didascale (des Psaumes, de l'Apôtre, de l'Évangile) : c'est avec cette qualité qu'il apparaît dans l'intitulé des lettres que lui adressa Théophylacte d'Ohrid (après son accession à son siège d'archevêque en 1088 ou 1089). D'autres intitulés de textes lui attribuent la charge de skeuophylax (sacristain) de Sainte-Sophie. Dans ces diverses fonctions il avait le grade de diacre.

En avril 1117, il participa au synode convoqué pour examiner les accusations d'hérésie contre Eustrate de Nicée : il se montra alors l'un des accusateurs les plus farouches de son ancien collègue, n'hésitant pas à remettre sur le tapis l'affaire Jean Italos, qui datait de trente-cinq ans (« Il croit pouvoir échapper à la condamnation comme il a évité naguère d'être condamné avec Jean Italos »)[5]. Il se posait ainsi en adversaire des « dialecticiens » qui prétendaient expliquer les dogmes religieux à la lumière de la raison.

En 1117[6], il fut promu métropolite d'Héraclée de Thrace, l'un des titres les plus élevés de la hiérarchie ecclésiastique byzantine[7]. On ignore la date de sa mort.

Dans l'histoire de la littérature religieuse byzantine, Nicétas d'Héraclée est l'auteur des dernières et plus vastes chaînes exégétiques sur les textes bibliques, réalisées sûrement en tant que didascale de Sainte-Sophie : chaînes sur les Psaumes[8], sur les épîtres de saint Paul (Romains I, Corinthiens et Hébreux, semble-t-il) et sur les évangiles. Pour ces derniers, on conserve les chaînes sur Matthieu, Luc et Jean ; celle sur Marc était en projet quand il rédigeait celle sur Luc, elle-même postérieure aux deux autres (« Τὰ δὲ καὶ ἐν τῷ Μάρκῷ διδόντος Θεοῦ ἐροῦμεν »), mais on ne sait si elle a été réalisée[9]. Par rapport aux chaînes des siècles précédents, on relève une double évolution : d'une part, pour le contenu, le recours à des sources plus riches et variées ; d'autre part, formellement, le retour à une disposition en pleine page, avec alternance entre texte biblique et exégèse, qui était celle des plus anciennes chaînes (Ve – VIe siècle), mais avait été supplantée à partir du VIIe siècle par une présentation du commentaire sous forme de scholies marginales. La chaîne la plus souvent citée est celle sur Luc, œuvre immense, en quatre livres, réunissant 3302 extraits de 69 auteurs connus (et de quelques inconnus). Les auteurs les plus présents sont, dans l'ordre décroissant, Jean Chrysostome, Cyrille d'Alexandrie, les Cappadociens, Théodoret de Cyr, Athanase d'Alexandrie, Isidore de Péluse, Titus de Bostra, Maxime le Confesseur.

La chaîne sur Luc a été diffusée en Italie du Sud où un manuscrit au moins a été copié (Bibliothèque vaticane, Vat. gr. Vaticanus gr. 1611, copié peut-être à Rossanovers 1116-1117).

Des morceaux choisis de la chaîne sur Luc furent traduits en latin à la demande de Thomas d'Aquin en vue de la composition de sa Catena aurea sur les évangiles.

Nicétas a également commenté par scholies une partie de l'œuvre de Grégoire de Nazianze (seize discours[10], et les sentences en strophes tétrastiques), et les Canons liturgiques de Jean Damascène. Dans le domaine du droit canon, il a laissé aussi des Réponses canoniques à Constantin, évêque de Pamphilos[11].

Édition

  • Christos Th. Krikonis, Συναγωγὴ Πατέρων εἰς τὸ Κατὰ Λουκᾶν Εὐαγγέλιον, Vyzantina Keimena kai Meletai 9, Thessalonique, Kentron Byzantinôn Ereunôn, 1973, p. 1-530 (non pas édition, mais description précise de la chaîne sur Luc à partir du manuscrit Athon. Iviron 371).
  • Peter van Deun (éd.), « Nicétas d'Héraclée. Commentaire sur l'évangile de saint Matthieu : édition critique du chapitre 4 », Byzantion 71, 2001, p. 517-551.

Bibliographie

  • Venance Grumel, article « Nicétas d'Héraclée », Dictionnaire de théologie catholique.
  • Daniel Stiernon, article « Nicétas d'Héraclée, métropolite byzantin, fin du XIe - début du XIIe siècle », Dictionnaire de spiritualité, vol. 11, col. 219.
  • Jean Darrouzès, « Notes de littérature et de critique », Revue des études byzantines 18, 1960, p. 179-194 (spéc. 179-184).
  • Robert Browning, « The Patriarchal School at Constantinople in the Twelfth Century », Byzantion 33, 1963, p. 11-40 (spéc. 15-17).
  • Bram Roosen, « The Works of Nicetas Heracleensis ὁ τοῦ Σερρῶν », Byzantion 69, 1999, p. 119-144.
  • Alexander Kazhdan, « Niketas of Herakleia » dans (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, t. 3, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re éd., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208), p. 1481.
  • Gilles Dorival, Les chaînes exégétiques grecques sur les Psaumes : contribution à l'étude d'une forme littéraire (thèse, Université de Paris-4, 1983), Louvain, Peeters, 1986, 1989, 1992 (3 tomes).
  • Gilles Dorival, « Des commentaires de l'Écriture aux chaînes », in Claude Mondésert (dir.), Le monde grec ancien et la Bible, Paris, Beauchesne, 1984, p. 361-386.
  • Gilles Dorival, « La reconstitution du Commentaire sur les Psaumes d'Eusèbe de Césarée grâce aux chaînes exégétiques grecques, en particulier la chaîne de Nicétas », Studia Patristica, vol. XV, Berlin, Akademie Verlag, 1984.
  • Christophe Guignard, La lettre de Julius Africanus à Aristide sur la généalogie du Christ : analyse de la tradition textuelle, édition, traduction et étude critique, Walter de Gruyter, 2011 (« Les témoins du texte : la chaîne de Nicétas sur Luc », p. 56-79).

Notes et références

  1. Ne pas confondre avec Héraclée du Pont.
  2. Confusion d'autant plus fréquente qu'au début des textes manuscrits le nom de l'auteur figure souvent au génitif : « Νικήτα τοῦ τοῦ Σερρῶν », avec deux fois l'article au génitif.
  3. Voir J. Darrouzès (1960).
  4. Les écoles « publiques » de Constantinople étaient rattachées à des églises. Celles des Chalcoprateia étaient en fait trois (de la Théotokos, de Saint-Jacques et du Christ Antiphônète), situées près de la Basilique, à proximité de Sainte-Sophie. De l'autre côté de la Basilique se trouvait l'église Saint-Théodore Ta Sphôrakiou, dotée également d'une école, dont le prôximos, à peu près à la même époque, était Eustrate de Nicée.
  5. Édition de son discours, prononcé pendant la session du 27 avril 1117 : Pierre Joannou, « Le sort des évêques hérétiques réconciliés. Un discours de Nicétas de Serrès contre Eustrate de Nicée », Byzantion 28, 1958 (paru en 1959), p. 1-130.
  6. Dans le manuscrit Vaticanus gr. 1611, copié à partir du 11 juin 1116 et achevé au plus tôt en mai 1117, il est encore qualifié de « diacre et didascale ». Plusieurs auteurs cités en bibliographie tiennent pour assuré qu'il était déjà métropolite au moment de son intervention dans le synode d'avril 1117. Mais pas Daniel Stiernon, qui indique qu'il le devint « en 1117, sans doute après le 19 mai ».
  7. Le métropolite d'Héraclée, titré également exarque de Thrace et de Macédoine, siégeait en fait à Rhaidestos. À l'origine, l'évêque de Constantinople était son suffragant (jusqu'en 381), et il avait conservé un rôle éminent dans l'intronisation du patriarche (c'est lui qui lui remettait sa crosse).
  8. Prologue de la chaîne sur les Psaumes reproduit en PG, vol. CXIX, col. 699-714.
  9. Peut-être est-ce la chaîne anonyme sur Marc publiée par Pierre Poussines à Rome en 1672. Certaines autres chaînes qui lui sont parfois attribuées (sur Isaïe, sur Job, etc.) ne se distinguent guère, parfois, d'autres attribuées à des auteurs différents (la chaîne sur Isaïe de Jean le Drongaire, par exemple).
  10. Les scholies sur les discours 1 et 11 sont en PG, vol. XXXVI, col. 963-984, et la version latine des scholies sur les discours 38, 39, 40, 44 et 45 en PG, vol. CXXVII, col. 1177-1480.
  11. Pamphilos était un siège épiscopal de Thrace (l'actuel Pavlo-Köy, en Turquie d'Europe), suffragant de la métropole d'Héraclée. Six réponses sont reproduites en PG (vol. CXIX, col. 936-937) : ce sont celles qui figurent dans le recueil Jus græco-romanum de Leunclavius. Mais il y en a d'autres : Alexis S. Pavlov a édité treize réponses, précédées des questions, dans la formulation d'origine, et huit autres telles qu'elles figurent dans le recueil de Matthieu Blastarès.
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