Massacre de Haymarket Square
Le massacre de Haymarket Square, survenu à Chicago le , constitue le point culminant de la lutte pour la journée de huit heures aux États-Unis, est un élément majeur de l'histoire de la journée internationale des travailleurs du 1er mai[1].
Pour l’article homonyme, voir Haymarket (homonymie).
Rassemblements
Tout commence lors du rassemblement du à l'usine McCormick de Chicago. Cet événement s’intégrait dans la revendication pour la journée de huit heures de travail quotidien, pour laquelle une grève générale mobilisant 340 000 travailleurs avait été lancée. August Spies, militant anarchiste, est le dernier à prendre la parole devant la foule des manifestants.
Au moment où la foule se disperse, 200 policiers font irruption et chargent les ouvriers. Il y a un mort et une dizaine de blessés. Spies rédige alors dans le journal Arbeiter Zeitung un appel à un rassemblement de protestation contre la violence policière, qui se tient le . Ce rassemblement se voulait avant tout pacifiste. Un appel dans le journal The Alarm appelait les travailleurs à venir armés, mais dans un seul but d’autodéfense, pour empêcher des carnages comme il s’en était produit lors de bien d’autres grèves.
Le jour venu, Spies, ainsi que deux autres anarchistes, Albert Parsons et Samuel Fielden, prennent la parole. Le maire de Chicago, Carter Harrison, assiste aussi au rassemblement. Lorsque la manifestation s'achève, Harrison, convaincu que rien ne va se passer, appelle le chef de la police, l'inspecteur John Bonfield, pour qu'il renvoie chez eux les policiers postés à proximité. Il est 10 heures du soir, les manifestants se dispersent, il n'en reste plus que quelques centaines dans Haymarket Square, quand 180 policiers de Chicago chargent la foule encore présente. Quelqu'un jette une bombe sur la masse de policiers, en tuant un sur le coup. Dans le chaos qui en résulte, sept agents sont tués, et les préjudices subis par la foule élevés, la police ayant « tiré pour tuer ». L’événement devait stigmatiser à jamais le mouvement anarchiste comme violent et faire de Chicago un point chaud des luttes sociales de la planète. On soupçonne l'agence de détectives privés Pinkerton de s'être introduite dans le rassemblement pour le perturber, comme elle avait l'habitude de le faire contre les mouvements ouvriers, engagée par les barons de l'industrie[2].
Après l’attentat, sept hommes sont arrêtés, accusés des meurtres de Haymarket. August Spies, George Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden. Un huitième nom s'ajoute à la liste quand Albert Parsons se livre à la police.
Procès
Le procès s'ouvre le à la cour criminelle du comté de Cook dans le centre de Chicago. C'est avant tout le procès des anarchistes et du mouvement ouvrier[3]. La sélection du jury compte par exemple un parent du policier tué. Le procureur Julius Grinnel déclare ainsi lors de ses instructions au jury :
« Il n'y a qu'un pas de la République à l'anarchie. C'est la loi qui subit ici son procès en même temps que l'anarchisme. Ces huit hommes ont été choisis parce qu'ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent.
Messieurs du jury : condamnez ces hommes, faites d'eux un exemple, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société.
C'est vous qui déciderez si nous allons faire ce pas vers l'anarchie, ou non. »
Le , tous sont condamnés à mort, à l'exception d'Oscar Neebe qui écope de 15 ans de prison. Un vaste mouvement de protestation international se déclenche. Les peines de mort de Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden sont commuées en prison à perpétuité (ils seront tous les trois graciés le ). Louis Lingg se suicide en prison. Quant à August Spies, George Engel, Adolph Fischer et Albert Parsons, ils sont pendus le . Les capitaines d'industrie sont conviés à assister à la pendaison sur invitation.
Les exécutés sont réhabilités par la justice en 1893. Le gouverneur de l'Illinois John Peter Altgeld déclara que le climat de répression brutale instauré depuis plus d'un an par l'officier John Bonfield était à l'origine de la tragédie :
« Alors que certains hommes se résignent à recevoir des coups de matraque et voir leurs frères se faire abattre, il en est d'autres qui se révolteront et nourriront une haine qui les poussera à se venger, et les événements qui ont précédé la tragédie de Haymarket indiquent que la bombe a été lancée par quelqu'un qui, de son propre chef, cherchait simplement à se venger personnellement d'avoir été matraqué, et que le capitaine Bonfield est le véritable responsable de la mort des agents de police[4]. »
L'évènement connut une intense réaction internationale et fit l'objet de manifestation dans la plupart des capitales européennes. George Bernard Shaw déclara à cette occasion :
« Si le monde doit absolument pendre huit de ses habitants, il serait bon qu'il s'agisse des huit juges de la Cour suprême de l'Illinois[5]. »
Dans la fiction
- The Bomb, roman de Frank Harris paru en 1908, retrace le déroulement des événements suivant l'hypothèse que Rudolph Schnaubelt, membre du groupe anarchiste de Louis Lingg mais non arrêté, serait le lanceur de la bombe[6]. Le livre a été traduit en français sous le titre La Bombe[7].
Notes et références
- (en) Encyclopædia Britannica : « Haymarket Riot ».
- (en) Howard Zinn, A popular history of the united states.
- Normand Baillargeon, L'ordre moins le pouvoir, Agone, p. 100.
- « While some men may tamely submit to being clubbed and seeing their brothers shot down, there are some who will resent it and will nurture a spirit of hatred and seek revenge for themselves, and the occurrences that preceded the Haymarket tragedy indicate that the bomb was thrown by some one who, instead of acting on the advice of anybody, was simply seeking personal revenge for having been clubbed, and that Capt. Bonfield is the man who is really responsible for the death of the police officers. » Cité dans Reasons for pardoning Fielden, Neebe and Schwab (1893), p. 49, Musée d'histoire de Chicago.
- Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, Agone 1980, trad.fr. 2002, p. 314.
- Version en ligne disponible en anglais.
- Frank Harris [trad. Anne-Sylvie Homassel], La Bombe, La dernière goutte, 2015 (ISBN 9782918619239), notice éditeur.
Annexes
Bibliographie
- Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Agone, 2002 (ISBN 2-910846-79-2), notice éditeur
- Paul Avrich, The Haymarket Tragedy, Princeton University Press, 1984 ; édité en poche en 1986
- Albert Parsons et August Spies, Haymarket : pour l'exemple, éditions Spartacus, 2006 (ISBN 2-902963-52-1)
- Normand Baillargeon, L'Ordre moins le pouvoir : histoire & actualité de l'anarchisme, Marseille, Éditions Agone, , 217 p. (ISBN 978-2-7489-0097-2)
- Ronald Creagh, Histoire de l'anarchisme aux États-Unis d'Amérique : les origines, 1826-1886, La Pensée sauvage, 1981, texte intégral
- Maurice Dommanget, Histoire du 1er mai, La Tête de Feuilles, 1972 ; rééd. Le Mot et le Reste, 2006
- Aviv Etrebilal, Les Cinq « Martyrs » de Chicago : innocents ou coupables ?, Des Ruines, no 1,
- Daniel Semelen, Manuel Fernandez, « Histoire du Premier Mai »(Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), dans La Raison dirigé par Marc Blondel, ancien secrétaire général du syndicat Force ouvrière (FO) et président de la Fédération nationale de la libre pensée, no 432,
- David Rappe, « Les Martyrs de Chicago », Le Monde libertaire, no 1121, -
- « À l’origine du Premier mai : les martyrs de Chicago », Confédération nationale du travail (France) 76,
- « Les Martyrs de Chicago - aux origines du 1er mai », Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication (FILPAC-CGT),
Radio
- Jean Lebrun, Philippe Pelletier, Les anarchistes : le moment terroriste, et après ?, France Inter, , écouter en ligne.
Iconographie
- Flavio Costantini, Chicago, , 1974, en ligne.
Notices
Articles connexes
Liens externes
- (en) The Haymarket Affair Digital Collection par la Chicago Historical Society
- Les cinq « martyrs » de Chicago : Innocents ou coupables ?, Aviv Etrebilal, Des Ruines, no 1, .
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