Marquis de Morès

Antoine-Amédée-Marie-Vincent Manca-Amat de Vallombrosa, connu sous son titre de marquis de Morès, est un aventurier et militant politique français, né le et mort le à El Ouatia, en Tunisie.

Les Manca-Amat de Vallombrosa

La famille Manca-Amat est une très vieille famille originaire de Sassari dans le royaume de Sardaigne qui vécut sous domination espagnole jusqu’en 1713, devint alors autrichienne puis, à partir de 1720, savoyarde.

Lorsque le duc de Savoie devient roi de Sardaigne ; don Antonio Manca-Amat, marquis de Morès et de Montemaggiore, reçoit en 1775 du roi Victor-Amédée III, contre le paiement de 70 000 livres savoyardes, le titre de duc d’Asinara, nom d'une île de Sardaigne.

Un neveu obtient de Victor-Emmanuel Ier de le changer en « Vallombrosa », nom d'une localité voisine de l’île.

Le grand-père du marquis de Morès, Vincenzo Manca-Amat, n’ayant pas réussi à faire échouer un complot contre le roi Charles-Félix, voit ses biens confisqués par la Couronne et s’exile en France dans les années 1820. Il épouse à Paris, le , Claire de Galard de Brassac de Béarn (1809-1840) avant de rentrer en 1832 en possession de ses biens ; il meurt le .

Son fils Richard (Riccardo) Manca-Amat (Paris, 1834 – Pouilly-sur-Loire, 1903), duc de Vallombrosa et d'Asinara, épouse en 1857 Geneviève de Pérusse des Cars (Paris, 1836 – Abondant, 1886), fille d'Amédée de Pérusse des Cars, 2e duc des Cars et général qui en avait commandé la 3e division lors de la conquête de l'Algérie.

À vingt-deux ans, Richard mène une expédition à travers l’Inde ; en 1858 il acquiert d'un riche anglais un palais à Cannes, qu'il revend en 1893.

Le couple aura quatre enfants, deux fils, Antoine et Amédée de Vallombrosa, et une fille Claire, comtesse Lafond.

Les premières années

Antoine fait ses études à Cannes au collège Stanislas puis se présente à Saint-Cyr dont il sort breveté, en 1878, comme lieutenant de cavalerie, promotion Plewna. En 1876 Il a eu pour condisciples Charles de Foucauld et Philippe Pétain également compagnons de chambrée[1].

Il étudie à l'école de cavalerie de Saumur et est envoyé en Algérie où il participe à une expédition contre une rébellion. Il y livre son premier duel. À sa majorité, il reçoit le titre de marquis de Morès et de Montemaggiore.

En 1882 il quitte l’armée et il est versé dans le cadre de réserve du 22e dragons.

Le au château de La Bocca[2], propriété de sa belle-famille à Cannes, il épouse Medora von Hoffman (1856-1921), fille du baron Louis, riche banquier new-yorkais ; le Prince de Galles, futur Édouard VII, hôte assidu de la baronne Athénaïs von Hoffman et de nombreux membres de l’aristocratie internationale assistent, en l’église Sainte-Marguerite, au mariage qui donne lieu à une somptueuse cérémonie.

L’aventure américaine

Medora von Hoffman (XIXe siècle).

Il part en 1883 pour les États-Unis et après avoir travaillé dans la banque new-yorkaise de son beau-père, s’établit dans les badlands au Dakota du Nord où il fonde une ville qu’il baptise du nom de sa femme, Medora. Il crée un ranch et une compagnie de diligences. Il a plusieurs duels au pistolet, est arrêté à plusieurs reprises pour meurtres et toujours acquitté. Il faillit même se battre avec son voisin Theodore Roosevelt. Il organise des poursuites contre des voleurs de bétail.

Il se livre à l’élevage intensif du bétail. Au lieu d’envoyer les bœufs à Chicago, il imagine créer son propre abattoir à Medora et alimenter directement les boucheries du pays. Difficulté de trouver du bétail de qualité, lutte avec les barons de la viande de Chicago, ainsi que, dit Georges Bernanos, la "coalition des éleveurs et des banques juives[3]", son affaire décline et il rentre en 1886, ruiné.

La demeure américaine qu’il construit comme pavillon d’été et de chasse, est aujourd’hui un musée Le Château de Mores et fait partie d’un domaine qui inclut également le de Mores Memorial Park.

Au Tonkin

Sur les conseils de son père, il s’embarque, en , avec sa femme à Marseille pour Bombay ; ils se rendent ensuite à Calcutta, puis au Népal et rentrent en France au printemps 1888. C'est sur le bateau du retour où se trouvent de nombreux officiers rentrant du Tonkin, qu'il imagine alors divers projets dont celui de la construction d'un chemin de fer de la frontière chinoise au golfe du Tonkin.

Il obtient des autorités de pouvoir étudier son projet et quitte Marseille le . En escale à Hong Kong il aurait eu un duel avec un autre aventurier français, Marie-Charles David de Mayrena, l’auto-proclamé « roi des Sedangs ». En 1889 il est rappelé en France, Ernest Constans, premier Gouverneur général de l'Indochine, qui s’oppose à cette réalisation, ayant été nommé Ministre de l’intérieur pour lutter contre le général Boulanger.

En France

Morès se lance alors dans la politique et fonde la Ligue antisémitique de France avec Édouard Drumont et à sa disparition, il fondera en sa propre organisation, Morès et ses amis.

De par son activité en Amérique, il s’intéresse au sort des bouchers de l’abattoir de La Villette qui vont constituer sa « troupe de choc » pour les combats de rue, portant un sombrero et une chemise rouge de cow-boy ; il mène les actions et tient des meetings avec Jules Guérin.

Il rejoint Drumont comme rédacteur à La Libre Parole et lance en une campagne antisémite accusant un groupe de bouchers juifs d'avoir fourni de la viande avariée à l’Armée[4]. En , il est condamné à trois mois de prison pour ses écrits.

Duel du marquis de Morès contre le capitaine Mayer.

Il multiplie les duels, d’abord avec le journaliste et député de gauche Ferdinand-Camille Dreyfus.

Une série d'articles dans "La Libre Parole" soutient qu’il faut "exclure tous les Juifs de l’armée française" (T.M., "Meyer, le Dreyfus oublié", in Le Nouvel Observateur n) 1494, 1993). Se considérant insulté et désireux de sauver l’honneur des « trois cents officiers français de l’armée active qui appartiennent au culte israélite », l’un d’eux, André Crémieu-Foa, provoqua Drumont en duel. Mais il lui fut interdit de se battre par les autorités militaires. Un autre officier juif, le capitaine Armand Mayer, prit alors sa place face au marquis de Morès qui le tua à l'île de la Jatte (alors île de la Grande Jatte) le [5]. La mort du capitaine Armand Mayer suscita une vive émotion dans toute la France. L'avocat Edgar Demange, qui défendra plus tard le capitaine Dreyfus, obtint son acquittement. Théodore Herzl s'inspira de ce fait divers pour écrire sa pièce de théâtre Le Nouveau Ghetto[6].

Ennemi de Georges Clemenceau, Morès participe en 1893 à la campagne haineuse menée contre le député sortant du Var, en contribuant notamment à l'exploitation du « faux Norton » destiné à présenter le grand orateur radical comme un agent stipendié de l'Angleterre.

Sa mort

Devant l'émotion soulevée par la mort de Mayer, mais surtout parce que Clemenceau révèle que Morès a emprunté de l’argent au banquier juif Cornelius Herz, associé au scandale de Panama, il part pour l’Algérie où il fonde en 1894 le « Parti antisémite algérien », pensant se rallier les musulmans.

Pour combattre l’hégémonie anglaise en Afrique, à la suite de la crise de Fachoda, il imagine réunir des tribus nomades, en particulier à travers les confréries des Senoussis et des Tidjane. Il décide de se rendre en Tunisie en . Malgré l’opposition du résident général Millet, il organise une caravane pour se diriger vers la frontière libyenne. Il reçoit l'assistance du Cheikh Mohammed ben Otsmane El Hachaichi, un érudit tunisien francophile, qui propose de l’accompagner pour le présenter au chef de la confrérie Senoussis.

En route, il recrute des Touaregs et renvoie les Tunisiens, mais trompé par ces derniers, il est tué le au lieu-dit « El Ouatia », à la frontière de la Tunisie et de la Libye.
Sa dépouille est ramenée le à Kebili. L’affaire est reprise dans la presse ; Medora von Hoffman fait déclencher une enquête avec l'aide du député Jules Delahaye ; les assassins sont arrêtés et l’un d’eux condamné à mort mais gracié sur demande de Medora.

Ses obsèques sont célébrées à la Cathédrale Notre-Dame de Paris, le dimanche , en présence de Georges Louis Humbert, représentant du président de la République Félix Faure, du duc d'Orléans, ainsi que de nombreux militaires et députés. Maurice Barrès, Édouard Drumont et Jules Guérin firent son éloge funèbre[7].

D'abord inhumée au cimetière Montmartre, sa dépouille fut transférée au cimetière du Grand Jas à Cannes, où sa tombe est ornée de son portrait et de celui de sa femme par Prosper d'Épinay.

Une allée et une rue du Marquis du Morès existent toujours à Garches, commune dont Charles Devos, administrateur de La Libre Parole entre 1895 et 1916, a été maire de 1925 à 1931[8].

Notes et références

  1. Jean-François Six, Charles de Foucauld autrement, France, Desclée de Brouwer, coll. « Biographie », , 447 p. (ISBN 978-2-220-06011-8), p. 20.
  2. Château de La Bocca.
  3. Georges Bernanos, La Grande peur des bien-pensants, Grasset, 1931, in Enquête sur l'histoire, No 6, printemps 1993, « Le marquis de Morès et la ligue antisémitique », p. 17.
  4. Éric Fournier, La Cité du sang [PDF], Paris, Libertalia, 2008.
  5. Frédéric Viey, « La Bataille de Meaux ou Les prémices de l’Affaire Dreyfus » [PDF], judaicultures.info.
  6. Le Nouveau Ghetto [PDF].
  7. « Figaro : journal non politique », sur Gallica, (consulté le ).
  8. Bertrand Joly, « Antidreyfusards, antidreyfusisme : une histoire à écrire », Jean Jaurès : cahiers trimestriels, no 137, juillet-septembre 1995, p. 89.

Voir aussi

Bibliographie

  • Félicien Pascal, L'assassinat de Morès ; un crime d'État (Imprimerie Hardy & Bernard, Paris, 1902);
  • Jules Delahaye, Les assassins et les vengeurs de Morès, 3 volumes (éditions Victor Retaux. Paris, 1905);
  • Arthur Bernède, L'assassinat du Marquis de Morès (Paris, 1931).
  • Charles Droulers, Le Marquis de Morès 1858-1896 (Plon, Paris, 1932);
  • René Fraudet (pseud. Pierre Frondaie), L'Assassinat du marquis de Morès (Éditions Émile-Paul frères, 1934);
  • R. Bauchard, Le père de Foucauld et le marquis de Morès à l'École de cavalerie de Saumur (Imprimerie Girouard et Richou, Saumur, 1947);
  • Alain Sanders, Le Marquis de Morès, un aventurier tricolore 1858-1896 (éd. Godefroy de Bouillon, 1999);
  • Antonio Areddu, Il Marchesato di Mores : Le origini, il duca dell'Asinara, le lotte antifeudali, l'abolizione del feudo e le vicende del marquis de Morès (Cagliari, Condaghes, 2011).

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