Leopold Trepper

Leopold Zakharovitch Trepper, né le à Nowy Targ, en Pologne (à l'époque Autriche-Hongrie), et mort le à Jérusalem, alias Leiba Domb, « Jean Gilbert » et « Le Grand Chef », est un organisateur politique polonais et espion soviétique, ayant participé à la Résistance allemande au nazisme comme cadre du réseau Orchestre rouge.

Dans un ouvrage paru en 2015, l'universitaire Guillaume Bourgeois met non seulement en doute que Trepper et son réseau aient fourni une quelconque information stratégique à l'Union soviétique, mais l'accuse d'avoir été un « imposteur » ayant livré de lui-même une grande partie de son réseau.

Biographie

Il naît le à Nowy Targ, en Galicie (à l’époque en Autriche-Hongrie) de Juifs polonais. Au décès de son père, en 1917, la famille reste sans le sou, alors que le traité de Versailles place la Galicie dans le territoire polonais naissant. Dès sa jeunesse, il milite dans l’organisation de jeunesse juive sioniste Hachomer Hatzaïr.

En 1920, il accède à la direction centrale du mouvement, quitte le lycée et devient apprenti chez un horloger. En 1921, sa famille s’installe à Dombrowa en Silésie, où il découvre l’affreuse condition ouvrière. En 1923, il est l’un des meneurs de la grève générale de Cracovie, contre laquelle le gouvernement polonais lance ses cavaliers. Il est contraint de se cacher, puis emprisonné avant de quitter le pays.

En 1924, il part en Palestine avec une dizaine de camarades. En 1925, il adhère au Parti communiste palestinien ; son objectif est d’unir l’action des Juifs et des Arabes contre les militaires britanniques. En 1928, il est enfermé à la prison de Saint-Jean-d'Acre. Libéré, il se rend en URSS où il est recruté par le GRU, le renseignement militaire soviétique. Il est ensuite envoyé en France, où il prend contact avec le Parti communiste français. À Paris, il exerce divers métiers. Il crée un hebdomadaire en langue yiddish : Die Morgen.

En 1937, Trepper est recruté par le chef du GRU, Ian Berzine. Il met en place à partir de 1938 un réseau d’information entre la Belgique et la France, appuyé par quelques-uns de ses camarades ayant participé à l’aventure palestinienne (notamment Hillel Katz). Il applique l'idée de I. K. Berzin : fonder une entreprise commerciale avec une façade hautement respectable, et des clients allemands (souvent institutionnels) qui servent de caution morale et fournissent de plus l'occasion (et les modes de transport) de déplacements professionnels ; par ailleurs les profits commerciaux donnent une indépendance financière à l'espion, l'aident à maintenir un train de vie qui éloigne les soupçons, et de plus subviennent aux besoins du réseau[1]. Cette entreprise, c'est « le Roi du caoutchouc », société sise rue Royale à Bruxelles qui développe un commerce d'imperméables en liaison avec la Suède. Trepper lancera même des affaires avec l'armée allemande d'occupation, tandis que le siège clandestin de son réseau, rue des Atrébates à Bruxelles, centralise tout renseignement sur l'activité politique et militaire de l'Allemagne à partir d'informations collectées jusqu'à Berlin, mais aussi à travers l'Europe occupée, qui sont envoyées à Moscou par radio, non en phonie, mais en langage morse codé.

Contrairement à l'idée répandue par Trepper selon laquelle son réseau aurait été particulièrement efficace, l'universitaire Guillaume Bourgeois met en doute que Trepper et son réseau aient finalement fourni aucune information stratégique à l'Union soviétique[2]. Les Allemands, qui en connaissent l'existence sans pouvoir en découvrir le siège, le surnomme l'Orchestre rouge par référence au « concert » d'émissions radios clandestines alimentant Moscou en informations qu'ils entendent chaque nuit, mais dans des conditions qui en rendent le repérage difficile et dans un code qu'ils ne parviennent pas à percer. Les émetteurs sont des « boîtes à musique » et les opérateurs des « pianistes ».

Le réseau agit en Allemagne (avec notamment Harro Schulze-Boysen et Arvid Harnack), collectant des informations dans les milieux militaires et civils, de même qu'en France et qu'en Belgique (où Trepper est secondé par un autre officier du GRU : Anatoli Gourevitch), en Suisse (où le résident est Alexandre Radó), au Danemark et aux Pays-Bas (où il travaille en parallèle avec le réseau « Pascal » de Constantin Loukitch Efremov).

Quelques mois avant l'agression allemande contre l'URSS (l'opération Barbarossa de juin 1941), Trepper parvient à envoyer des informations précises à Moscou sur la date de l'attaque[réf. nécessaire]. D'autres espions soviétiques, comme Richard Sorge et Alexandre Radó ont, eux aussi, délivré la même information, mais Staline croit à une intoxication de la propagande britannique et néglige de mettre l'Armée rouge en état d'alerte.

Mais l'« Orchestre rouge » est démantelé durant l'année 1942 par l'Abwehr qui a su profiter d'une imprudence de Moscou permettant de situer le lieu des émissions dans un quartier de Bruxelles. Pour l'historien Guillaume Bourgeois, le démantèlement est davantage lié à une série de bévues commises par Trepper[3]. Un repérage par camion à radiogoniométrie localise la rue des Atrébates à Bruxelles, ce qui permet aux Allemands de réussir un beau coup de filet en arrêtant plusieurs membres du réseau. Trepper, qui était absent au moment de la descente de la police allemande, survient alors que la maison est gardée par des soldats. Payant d'audace, il se fait passer pour un colporteur avec un talent de simulation tel qu'il est éconduit par une sentinelle. Mais il sera finalement arrêté le .

Guillaume Bourgeois affirme que Trepper a livré de lui-même les hommes et les femmes de son réseau[2]. Selon la version de Trepper, la Gestapo tente d’en faire un agent double, mais il serait parvenu à informer le GRU de ce retournement. En réalité le Kriminalrat Heinz Pannwitz avait mis au point un plan d'intoxication de Moscou appelé Funkspiel et basé sur l'ambiguïté de possibles négociations de paix avec tour à tour l'Ouest et l'Est. Toujours selon Trepper, celui-ci fit mine d'y participer tout en parvenant à envoyer par le biais d'un émetteur du Parti communiste français un rapport à Moscou détaillant le retournement du réseau par le Kommando allemand.

Par la suite, transféré en France, Trepper parvient à s’échapper en . Au cours d'un transfert en voiture à travers Paris, ayant su gagner la confiance de certains Allemands il obtient de pouvoir s'acheter un médicament dans une pharmacie parisienne. Mais la pharmacie, en plus de l'entrée principale, a un deuxième accès et Trepper parvient à filer. Il va se cacher dans la « Maison Blanche », maison de retraite de Bourg-la-Reine avec une pseudo garde-malade, Madame Ray, qui est arrêtée. Mais il parvient encore à fuir grâce à l'aide de deux Belges membres de la Résistance à Paris, Suzanne et Claude Spaak. La directrice de l'établissement, Madame Parrend et son adjointe, ignorantes des occupations de Trepper, sont déportées en Allemagne. Et Trepper réapparaît dans la résistance intérieure française après la libération de Paris, tandis que Suzanne Spaak, qui s'est réfugiée à Bruxelles, y est arrêtée et est fusillée à Paris, peu avant l'arrivée des troupes alliées. L'amie de cœur que Trepper avait trouvé le temps de conquérir à Bruxelles, Georgie de Winter, est déportée dans plusieurs camps successifs, mais survit pour aller finir ses jours dans le midi de la France. Elle ne reverra jamais Trepper.

La guerre s'achevant, les autorités soviétiques rappellent Trepper en Russie pour faire rapport sur la totalité de ses activités. Il est condamné par les autorités soviétiques pour haute trahison[3] et purge une dizaine d'années d'emprisonnement à la Loubianka. Il évite l'exécution en raison d'amis bien placés, mais reste en prison jusqu'en 1955 (2 ans après la mort de Staline).

Libéré, il retourne en Pologne avec son épouse dont il a trois fils. Il devient chef d'une association culturelle juive. Il rencontre l'historien Gilles Perrault auquel il donne sa version des événements et à qui il affirme avoir berné les Allemands[3]. En 1967, celui-ci publie son livre enquête sur l'Orchestre rouge, qui devient un best-seller et fait connaître Trepper au grand public occidental. Après la guerre des Six Jours et l'aggravation de l’antisémitisme en Pologne, Trepper décide d’émigrer en Israël. Le gouvernement polonais refuse jusqu'à ce qu'il soit forcé, par les protestations internationales, de permettre à un certain nombre de Juifs d'émigrer[réf. nécessaire].

Trepper s'installe à Jérusalem en 1974. En 1975, il publie son autobiographie, Le Grand Jeu. Il meurt le à Jérusalem.

Critiques et révisions historiques

La vie et l'action de Trepper, telles que Gilles Perrault et lui-même les ont présentées et popularisées, sont fortement mises en doute par l'historien Guillaume Bourgeois dans son ouvrage consacré à l'Orchestre rouge en 2015. Bourgeois affirme pour sa part que l'Orchestre rouge n'a fourni aucune information capitale concernant l'appareil de guerre national-socialiste et accuse Trepper d'avoir été « un super-menteur, fondamentalement un imposteur qui par accident devient un héros alors qu'il ne le méritait pas du tout »[2].

Notes et références

  1. Selon l'article du Der Spiegel, « ptx ruft Moskau » (« ptx appelle Moscou ») du 20 mai 1968
  2. Pour éclairer l'histoire de "l'Orchestre rouge", lanouvellerepublique.fr, 19 octobre 2015
  3. La véritable histoire de l'orchestre rouge, rdv-histoire.com, 9 octobre 2015

Bibliographie

Souvenirs et mémoires

  • Léopold Trepper, Le grand jeu : Mémoires du chef de l'orchestre rouge, Paris, Albin Michel, , 417 p. (ISBN 978-2-226-00176-4)
  • Anatoli Gourevitch, Un certain monsieur Kent, Paris, Grasset, , 315 p. (ISBN 2-246-46331-9)
  • Jean-Paul Liégeois, « L'espion malgré Staline - Entretien avec Léopold Trepper », L'Unité - L'Hebdomadaire du Parti Socialiste, no 160, (lire en ligne)

Récit romancé

Étude historique

Filmographie

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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