La Ronde de nuit
La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch (titre officiel ; en néerlandais De compagnie van kapitein Frans Banninck Cocq en luitenant Willem van Ruytenburgh maakt zich gereed om uit te marcheren), plus connu comme La Ronde de nuit (De Nachtwacht ou Nachtwacht), est un portrait de groupe réalisé par Rembrandt en 1642.
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Il représente une compagnie de la milice bourgeoise des mousquetaires d'Amsterdam, commandée par Frans Banning Cocq, sortant en armes d'un bâtiment. Cette toile se trouve au Nouveau Rijksmuseum d’Amsterdam, dont c'est l’œuvre exposée la plus populaire. Ce tableau a été peint l'année de la mort de Saskia, la première épouse de Rembrandt, et s'assombrit inexorablement en raison d'un apprêt au bitume de Judée[1], d'où le nom de la Ronde de nuit donné au XIXe siècle, ce qui peut apparaître comme un contresens, ce portrait collectif étant diurne.
Commande
Ce tableau est une commande financée par dix-huit membres de la compagnie dont les noms sont inscrits sur l'écusson suspendu à la porte que franchissent les personnages. Rembrandt a reçu 1 600 florins pour réaliser cette toile[2] (le salaire annuel d'un ouvrier de l'époque étant de l'ordre de 250 florins). L'écusson a été rajouté après la livraison de la toile, sur demande, on le suppose, des commanditaires, par Rembrandt ou par un de ses élèves. Les travaux préparatoires de l'œuvre semblent dater d'à partir de 1639, pour un travail qui aura duré près de quatre ans. La toile était destinée à décorer la grande salle du premier étage de la Maison des arquebusiers (le siège de la milice) d'Amsterdam, qui, après des travaux faits en 1638, avait des dimensions imposantes (notamment une hauteur sous plafond de quatre mètres). Ce bâtiment, dont le nom en néerlandais est Kloveniersdoelen, est un des monuments historiques de la ville, situé sur la rive de l'Amstel, sur la rue Nieuwe Doelenstraat ; c'est actuellement un hôtel.
Les dimensions originales du tableau étaient de 5 × 3,87 m, elles ont été réduites par un découpage intervenu en 1715, qui fait de la toile actuelle une œuvre encore immense de 4,38 × 3,59 m[3]. En effet, cette année-là, le tableau est transféré à l'hôtel de ville (sur le Dam) dont les murs étaient trop petits[2]. Une copie par Gerrit Lundens de la toile complète, réalisée avant le découpage, est exposée à la National Gallery de Londres.
Au cours de l'occupation de la Hollande par Napoléon Ier, la toile est ensuite transférée plusieurs fois avant de rester durablement dans la Trippenhuis (maison de la famille Trip) qui devient un musée d'art, où elle est exposée jusqu'en 1885, année où est ouvert le Nouveau Rijksmuseum. La toile est démontée et mise à l'abri dans divers abris pendant la guerre de 1939-1945. Comme d'autres œuvres célèbres, elle a subi des tentatives de dégradation, notamment au couteau (1911[3], 1975[3]) et à l'acide (1990[3]). L'œuvre est aujourd'hui toujours exposée au Rijksmuseum.
Titre de l’œuvre
Le titre exact de l'œuvre est La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch, du nom des commanditaires représentés au centre du tableau[2]. Le titre La Ronde de Nuit est une tradition infondée datant du XIXe siècle[2]. C'est la saleté et le vieillissement du vernis qui donnaient l'illusion de la nuit, qui pouvait passer pour normale dans l’œuvre de Rembrandt, familier de scènes très obscures.
De plus le liant, contenant du bitume, comme dans Le Radeau de la Méduse, l'assombrit avec le temps. Lors de la restauration du tableau faite en 1947, la peinture est réapparue comme les contemporains de Rembrandt avaient pu l'admirer. Ce tableau qu'on avait pris l'habitude de considérer comme une scène nocturne s'est révélé être une représentation d'un groupe sortant à la lumière du jour.
Composition
La lumière, les couleurs, et les jeux de lignes du tableau (lances, fusils, bannière) mettent en vedette au regard les deux officiers du centre et la petite fille en robe jaune. Mais cette petite fille est en fait la représentation symbolique de l'épouse de Rembrandt Saskia. Rembrandt a tiré une ligne droite qui passe à la hauteur des yeux de Saskia tout en rejoignant à la hauteur des yeux cachés de leurs trois enfants morts en bas âge, qui y sont représentés aussi symboliquement, il les a faits grandir comme il avait désiré qu'ils vivent ; la trajectoire de cette même ligne rejoint les yeux de Rembrandt qui s'est placé une seconde fois dans le tableau, symbolisant ainsi qu'il a composé une double composition, celle de sa commande et sa famille qui se trouve à rebours dans le tableau. Mais cette même ligne passe également au bout de l'index du Sergent Rombout Kemp, continue à sa bouche, car il s'adresse à son voisin. En fait, cette même ligne touche l'oreille de ce dernier. Il est aussi remarquable, que cette même ligne touche également l'œil du lieutenant Ruythenburch. On y trouve symboliquement aussi les cinq sens. Cette ligne de vie est une preuve extraordinaire que Rembrandt avait voulu faire un hommage intemporel à sa femme et à ses trois enfants disparus, Rombertus et les deux Cornelia. La dernière des Cornelia fut blottie derrière la tête de sa mère, seule place où Rembrandt pouvait l'introduire. Saskia fut d'ailleurs toujours montrée enceinte dans le tableau, attendant son quatrième qui devait s'appeler Titus[4].
Au centre se trouvent Frans Banning Cocq, en noir, tendant la main de façon frappante vers le spectateur, le capitaine de la compagnie et également bourgmestre d'Amsterdam, et Willem van Ruytenburch, son lieutenant, dont la pertuisane semble menacer de sortir de la toile. Ces effets visuels ont été longuement travaillés par Rembrandt, comme le montre l'analyse aux rayons X[5] menée par les conservateurs hollandais. Parmi les dix-huit commanditaires du tableau, seul un troisième est identifié avec certitude, il s'agit du porte-enseigne Jan Visscher Cornelisen, qui brandit le drapeau de la compagnie. Derrière son épaule gauche, la tradition critique prétend identifier un quatrième personnage, Rembrandt lui-même, dans le visage dont on ne voit qu'un œil[6].
Toujours en avant-plan, mais de façon plus décalée, on aperçoit une masse de militaires, plus proprement appelés arquebusiers. Parmi cette foule, on fait ressortir, avec une accentuation de lumière, une jeune fille qui, de par son accoutrement, illustre les symboles militaires des arquebusiers que Rembrandt veut développer. Elle tient un poulet mort qui est signe de défaite de l’adversaire, de plus, les griffes du poulet représentent le blason des kloveniers (les soldats maniant le klover, nom désignant en néerlandais une arquebuse du XVIe siècle).
Les armes indiquent les grades dans la milice : bâton de commandement pour le capitaine, pertuisane pour le lieutenant, hallebardes pour les sergents, piques et arquebuses pour les simples miliciens.
En arrière-plan, on peut voir un édifice jamais identifié qui est sans doute un bâtiment servant de fort aux militaires. L’éclairage est très limité dans le but de mettre l’avant-plan en plus grande importance.
Le maniement de l'arquebuse est illustré à la manière de certains manuels militaires de l'époque :
- sur la gauche, un milicien remplit de poudre le fût de son arquebuse, grâce à une des doses préparées à l'avance, en tubes, qu'il porte suspendues autour de sa poitrine. Ces doses, outre qu'elles facilitent le dosage de la poudre et donc la fiabilité du tir, comprennent souvent également la bourre (tissu, papier) qu'on tassera sur la charge de poudre et la balle qui complètera le chargement ;
- juste derrière la tête de van Ruytenburch, un milicien ou peut-être un enfant, coiffé d'un casque orné de feuilles de chêne, tire un coup de feu qu'on devine surtout au geste de l'homme au second plan entre les deux officiers ;
- à droite, enfin, un vieux milicien souffle soit sur le couvre-bassinet pour faire tomber l'excédent de la poudre d'amorçage, soit pour ranimer le feu d'une des extrémités incandescentes de la mèche. On tire en faisant descendre une mèche allumée, bien visible sur ce personnage, jusqu'au bassinet amorcé de poudre fine. Au fond du bassinet, un petit trou — dit lumière — permet de communiquer la flamme à la charge principale au fond du canon. (Le détail de ces manœuvres peut être observé dans les maniements d'armes de Jacob De Gheyn l'Ancien ou celui de Lostelneau.)
Analyse technique
La technique principale que Rembrandt a utilisée est le clair-obscur. Ce procédé jumelé avec l’asymétrie des militaires les uns par rapport aux autres donne l’impression d’un mouvement vers l’avant. Cette impression est accentuée par les personnages eux-mêmes et leurs mouvements dans tous les sens. La lumière provient d’un point supérieur aux personnages avec une légère tendance vers la gauche. Elle éclaire surtout le centre du tableau où les personnages les plus importants sont situés. Les couleurs utilisées sont assez sobres, à l’exception de certains personnages ayant des costumes de couleurs plus vives. Les teintes, en général, oscillent du noir au beige, tout en incorporant des couleurs plus vives accentuant les parties plus emblématiques.
Lien avec le courant artistique baroque
La représentation faite de Rembrandt des gardes civils dans La Ronde de nuit est nouvelle pour l'époque. Habituellement, on les représente de façon très sobre, en rang ou assis placidement autour d’une table. Mais cette fois, ils prennent une allure totalement différente, donnant même une impression de fête. Toutefois le style et les procédés techniques utilisés par Rembrandt sont bien de l’époque baroque. Le clair-obscur mentionné précédemment, l’émotion vive des personnages et l’effet de mouvement sont des éléments octroyant à ce tableau son identité purement baroque.
Vandalismes et restauration
Le , au musée Rijksmuseum d'Amsterdam, La Ronde de nuit est une première fois vandalisée par un homme qui lui inflige douze coups de couteau, ce qui nécessite six mois de restauration. Le , un visiteur néerlandais jette sur le tableau de l'acide sulfurique concentré, qui n'endommage pas trop la toile[7].
Le commence la plus grande restauration jamais réalisée du tableau. Ce projet, qui coûte plusieurs millions d'euros, permet au public d'assister à la restauration au musée, derrière une paroi en verre, ou via Internet[8].
Culture populaire
Le tableau a inspiré le morceau The Night Watch au groupe King Crimson sur l'album Starless and Bible Black, paru en 1974.
Notes et références
- Conséquence courante jusqu'au XIXe siècle
- « Peinture : « Ronde de nuit » de Rembrandt, une déconcertante parade militaire », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Poutchie Gonzales, « Attaques au couteau ou à l'acide : les outrages que la "Ronde de nuit" de Rembrandt a subis au fil du temps », sur www.franceinter.fr, (consulté le )
- On peut retrouver ces indications dans le livre La Ronde de nuit. L'énigme révélée. (ISBN 2-920217-40-2), édition française de : Rembrandt's Nightwatch; The Mystery Revealed, de Georges Boka. Dans le Los Angeles Times, Book Review, Robertson Davies cite : « ce que dit Boka doit être pris au sérieux, et les historiens ne peuvent l'enlever de là ».
- On peut examiner le cliché du secteur de la pertuisane de van Ruytenburch sur le site (en anglais) du Rijksmuseum.
- « « La Ronde de nuit » de Rembrandt : mutinerie en clair-obscur », sur Beaux Arts (consulté le )
- « Le 6 avril 1990, La Ronde de nuit de Rembrandt est aspergée d'acide », sur FIGARO, (consulté le )
- « La "Ronde de nuit" de Rembrandt restaurée en public, une première ! », sur Franceinfo, (consulté le )
Annexes
Bibliographie
- Jean Leymarie, La Peinture hollandaise, Skira, Genève, 1956, 256 p.
- Svetlana Alpers, L’Atelier de Rembrandt, Gallimard, Paris, 1991, 377 p.
- (en) Gary Schwartz, The Night Watch, Rijksmuseum Amsterdam, 2002 ( (ISBN 9789040095559)).
Filmographie
- La Ronde de nuit, long métrage de Peter Greenaway, 2007 — Critique du film sur Télérama.fr.
Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- Google Arts & Culture
- (de) Bildindex
- (nl + en) RKDimages
- Page de la Ronde de nuit sur le site du Rijksmuseum
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