L'Amour victorieux

Amor Vincit Omnia (« L'amour triomphe de tout ») généralement traduit par L'Amour victorieux est une œuvre peinte vers 1601-1602[1] par l'artiste italien Le Caravage, et exposée à la Gemäldegalerie de Berlin.

Historique

Caravage peint cette œuvre entre 1601 et 1603 sur commande de Vincenzo Giustiniani, aristocrate et riche banquier de Rome. À partir de cette époque, le peintre concentre son travail sur des œuvres religieuses commandées par le clergé[réf. souhaitée], et c'est donc ici l'une de ses dernières œuvres pour un commanditaire privé.

On peut rapprocher cette œuvre d'un autre tableau de Caravage intitulé L'Amour endormi et réalisé environ six ans plus tard autour d'un thème semblable,

Description et analyse

Le tableau représente Cupidon (équivalent dans la mythologie romaine de l'Éros grec), allégorie de l'Amour, sous les traits d'un garçon brun, nu, portant de larges et sombres ailes d'aigle[2]. Il est juché en équilibre sur ce qui semble être une table recouverte d'un drap, une jambe avancée vers le spectateur et l'autre repliée vers l'arrière; son bras gauche est lui aussi caché vers l'arrière. La pose n'est pas sans rappeler Le Génie de la Victoire (1532-1534), sculpture de Michel-Ange pour le tombeau de Jules II[3].

Le Génie de la Victoire de Michel-Ange (1532-1534). Caravage avait peut-être cette œuvre en tête lorsqu'il a composé la pose de son Cupidon.

Dans la main droite il porte des flèches, attributs classiques de Cupidon. Autour de lui et sur le sol ont été placés des emblèmes des passions humaines : un violon et un luth, une armure, un sceptre et une couronne, une équerre et un compas, une plume et une partition de musique, des feuilles, un globe astral… La musique, la guerre, le pouvoir, le savoir sont donc aux pieds de l'Amour.

Le tableau illustre ainsi un des poèmes des Bucoliques de Virgile (églogue X, Gallus, v. 69): « Omnia vincit amor et nos cedamus amori », « l'Amour vainc tout et nous aussi, cédons à l'amour »[4].

La partition de musique montre la lettre V, probablement en référence au commanditaire Vincenzo Giustiniani. Il a été suggéré que la couronne soit en référence aux ambitions de Giustiniani concernant l'île de Chios sur laquelle sa famille génoise régnait (avant domination turque)[5]; ainsi, tous les objets le concerneraient, les instruments pour son amour de la musique et des arts, l'armure pour ses futures conquêtes...

Le peintre Orazio Gentileschi baptisera le tableau Amour terrestre, et ce fut immédiatement un succès dans les cercles intellectuels de Rome. Un poète écrivit trois madrigaux et un autre une épigramme latine reprenant le vers de Virgile Omnia Vincit Amor ; mais ce n'est que lorsque le critique Giovanni Pietro Bellori écrira une biographie du Caravage en 1672 que l'œuvre prendra ce titre.

L'allégorie à l'épreuve du réalisme

Cette représentation de Cupidon étonne par son caractère réaliste. Techniquement tout d'abord, Caravage utilise la technique du clair-obscur de façon poussée. Le fond est quasiment noir et la seule lumière vient de la carnation claire du personnage et du tissu blanc sur lequel il est assis. La palette ne reprend que des tons bruns et blancs. Le réalisme est d'autant plus marquant que le personnage est quasiment de taille réelle (la toile mesure 1,56 m de hauteur sur 1,16 m de largeur).

Alors que les représentations habituelles, de l'époque jusqu'à nos jours, représentent Cupidon sous les traits d'un jeune garçon angélique et idéalisé parfois asexué, il prend ici les traits d'un garçon au regard plus aguicheur que charmeur, pas réellement beau, aux allures d'un enfant des rues. L'allégorie est ici mêlée au réel, à tel point que l'on peut se demander s'il s'agit réellement d'une représentation de Cupidon ou du garçon déguisé en Cupidon.

Érotisme et pédérastie

À partir du XXe siècle, certains commentateurs mettent en avant l'érotisme de cette peinture ou la relation et attirance pédéraste supposée de Caravage envers ce modèle. En effet, la position de Cupidon et son regard peuvent revêtir un caractère sexuel ambigu pour le spectateur ; il est également possible de remarquer les flèches empoignées par la main droite, ainsi que l'aile gauche, pointées toutes deux vers les organes génitaux de l'ange, ce qui pourrait constituer une forme d'invitation allégorique à la passion charnelle. Toutefois, il semble que l'allusion soit récente et que les contemporains du tableau, Giustiniani au premier chef, n'y aient rien trouvé de choquant. Celui-ci place même l'œuvre en bonne place dans sa collection. D'autre part, l'approche à la nudité des enfants et à la sexualité n'avaient rien de commun au XVIIe siècle avec celle qui est la plus courante trois ou quatre siècles plus tard[6]. L'historien d'art américain Richard E. Spear souligne[réf. souhaitée] que les allusions à l'homosexualité ou à la pédérastie de Caravage n'apparaissent pas chez ses commentateurs contemporains, mais qu'elles sont apparues dans les critiques modernes. Sa collègue allemande Sybille Ebert-Schifferer confirme cette analyse en rappelant que c'est le regard sexualisé des XXe et XXIe siècles qui rend provocante la présence sensuelle des personnages de Caravage  y compris celui de l’Amour victorieux[7].

Concernant la relation entre Caravage et son modèle, Richard Symonds, un visiteur anglais à Rome en 1649-1651 décrit le personnage comme étant un servant de Caravage[8]. Selon l'historien Giani Pappi, ce garçon, qui apparaît dans plusieurs peintures du Caravage, ne serait autre que Cecco Boneri dit Cecco del Caravaggio, qui plus tard devint lui-même peintre[réf. souhaitée].

Œuvres dans lesquelles figurerait ce garçon

L'Amour Divin et l'Amour Profane

En 1602, peu après que le tableau eut été terminé, le cardinal Benedetto Giustiniani (frère de Vincenzo et collaborateur de sa collection) commanda une peinture à Giovanni Baglione.

Le peintre et critique Giovanni Baglione qui admirait Caravage pour sa technique et s'en est beaucoup inspiré, était aussi son ennemi déclaré et a souvent eu maille à partir avec lui. En réponse à l'Amour victorieux, il peint plusieurs versions d'un tableau intitulé L'Amour divin et l'Amour profane mettant en scène le même jeune garçon surpris par un ange divin lors de frasques sexuelles avec un satyre ou un démon, et ce dans un style calqué sur celui de Caravage. Dans l'une de ces versions conservées à Rome, le satyre tourne la tête vers le spectateur, et l'on peut y reconnaître les traits de Caravage caricaturé par Baglione.

Propriétaires successifs

Notes et références

  1. Ebert-Schifferer 2009, p. 291.
  2. Description de Joachim von Sandrart (1606-1688) citée par Peter Robb, dans M: The Caravaggio Enigma, p. 194: « A life size Cupid after a boy of about twelve...[who] has large brown eagle's wings, drawn so correctly and with such strong colouring, clarity and relief that it all comes to life. »
  3. (en) Jonathan Jones, « Caravaggio: 'He lived badly, brutally' », sur The Guardian, (consulté le ).
  4. « Virgile - Bucoliques - X », sur bcs.fltr.ucl.ac.be (consulté le ).
  5. Puglisi 2005, p. 201-202.
  6. (en) David Carrier, « Principles of Art History », .
  7. Ebert-Schifferer 2009, p. 266-267.
  8. « Ye body and face of his (Caravaggio's) owne boy or servant thait (sic) laid with him », Richard Symonds cité par Peter Robb, M, p. 194.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • Sybille Ebert-Schifferer (trad. de l'allemand par Virginie de Bermond et Jean-Léon Muller), Caravage, Paris, éditions Hazan, , 319 p., 32 cm (ISBN 978-2-7541-0399-2).
  • Catherine Puglisi (trad. de l'anglais par D.-A. Canal), Caravage, Paris, Phaidon, (1re éd. 1998), 448 p. (ISBN 978-0-7148-9995-4), 1re éd. française 2005, réimp. brochée 2007.
  • Peter Robb, M: The Caravaggio Enigma, Duffy & Snellgrove, Sydney, 1998.

Liens externes

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