James Eastland
James Oliver Eastland ( – ) était un avocat et homme politique américain, membre du Parti démocrate, sénateur du Mississippi au Congrès des États-Unis en 1941 puis de 1943 à 1978[1],[2].
James Eastland est connu pour sa longue carrière au Sénat, où il fut le secrétaire inamovible du Comité judiciaire de 1956 à 1978, mais aussi pour son anticommunisme, son opposition au mouvement des droits civiques et sa défense de la ségrégation raciale dans les États sudistes.
Biographie
Enfance
Eastland est né à Doddsville, fils de Woods Eastland, un planteur de coton.
Plusieurs mois auparavant, Woods avait orchestré le lynchage de Luther Holbert ainsi que de son épouse, qu'il avait accusé d'avoir tué son fils de 21 ans, nommé James; ils furent brulés vif en public, devant une foule de mille personnes. Il nomma le nouveau-né en son honneur[1],[3],[4].
Études
Entre 1922 et 1927, il entreprit des études universitaires à l'Université du Mississippi, à Vanderbilt et enfin à l'Université de l'Alabama.
Mandats inférieurs
Avocat et homme politique, il est élu représentant à la chambre basse du Mississippi où il siège de 1927 à 1932. Il est partisan du gouverneur populiste Theodore G. Bilbo[1].
Parallèlement, il développe la plantation familiale, qui atteindra une superficie de 6 000 acres (24,28113852 kilomètres carrés) et récoltera près de 100 000 US$ par an en subventions jusqu'à ce qu'un plafond de 50 000 US$ fut voté par le Congrès[1].
Sénateur des États-Unis
En 1941, il est nommé au Sénat des États-Unis pour succéder au sénateur Pat Harrison, mort en cours de mandat. Il ne se présente pas à l'élection spéciale qui suit dans l'année et attend 1942 pour postuler pour un mandat complet. Il est élu lors des primaires démocrates contre Wall Doxey (qui lui avait succédé sur ce même siège). Il profita de ses bonnes relations avec le président Franklin Delano Roosevelt pour obtenir une augmentation de l'aide fédérale au Mississippi[5].
Eastland est réélu sénateur à 5 reprises. Bien que défenseur farouche de la ségrégation raciale et critique de sa Grande société[Note 1][6], il était aussi très lié à Lyndon B. Johnson, qu'il continua à voir dans son ranch après son mandat présidentiel, ainsi qu'aux Kennedy[6]. En 1966, pour la première fois il fait face à une concurrence sérieuse de la part du parti républicain, en la personne de Prentiss Walker, qui fit campagne largement à sa droite, mais fut néanmoins réélu.
En 1955, il est nommé président de la commission judiciaire du Sénat, malgré l'opposition, menée par Herbert H. Lehman, causée par ses propos extrêmes, tenus au Sénat, sur le plan racial, contre la Cour suprême ainsi que sur d'autres sujets comme lorsqu'il décrivit New York comme étant un état communiste, ses liens avec les Citizens' Councils lui étant également reprochés; cependant, lors du vote, les sénateurs choisirent de respecter la tradition d'ancienneté et choisirent Eastland pour diriger ce comité, Lehman et Wayne Morse étant les seuls à voter contre[7],[8].
En 1967 il présida la commission parlementaire sur les émeutes urbaines[9].
En 1972, il est encore réélu avec 58 % des suffrages contre le républicain Gil Carmichael. Parallèlement, Eastland refusa de soutenir le démocrate George McGovern lors de l'élection présidentielle de 1972 mais apporta son soutien à Jimmy Carter en 1976.
Durant son dernier mandat de sénateur, Eastland fut président pro tempore du Sénat des États-Unis, ce qui le plaça plusieurs fois dans une position élevée dans l'ordre de succession présidentielle des États-Unis[10].
En dépit de ses positions extrémistes, il est resté apprécié par la majorité de ses collègues démocrates, notamment pour la manière dont il avait présidé la commission judiciaire du Sénat, et tissa des liens personnels avec des progressistes comme Ted Kennedy, Joe Biden et Phil Hart[11],[12]. Il avait cependant utilisé son influence afin de faire nommer des ségrégationnistes à la magistrature fédérale tels que William Harold Cox[2].
Il modéra même ses anciennes positions racistes notamment en embauchant des mississippiens noirs dans l'équipe de la commission judiciaire du Sénat. En 1978, en vue de sa campagne de réélection, il reçut même le soutien de Aaron Henry, président de la National Association for the Advancement of Colored People mais finalement il renonça à se présenter et éclata en sanglots après qu'Henry lui dit que son attitude était trop connotée auprès des noirs[5],[6].
Le siège fut remporté par le républicain Thad Cochran; il choisit de démissionner un jour avant la fin légale de son mandat afin de lui donner un jour d'ancienneté supplémentaire.
Après la politique
Bien qu'il affirma ne rien regretter de ses positions passées, il devint un contributeur régulier de la NAACP[5].
Sa santé devenant de moins en moins bonne, il eut à abandonner le whisky et le cigare et mourut en 1986 d'une pneumonie[5].
La bibliothèque de droit de l'université du Mississippi fut baptisée en son honneur.
Positions politiques
Ségrégation et droits civiques
Comme on pouvait s'attendre de la part d'un démocrate du Mississippi de l'époque, Eastland, surnommé la "voix du Sud blanc", était un partisan sans complexe de la ségrégation et de la suprématie blanche[13],[7].
En 1944, il affirma que les noirs appartenaient à une race inférieure; il répéta à plusieurs reprises ces accusations[14].
I have no prejudice in my heart, but the white race is the superior race and the Negro race an inferior race and the races must be kept separate by law.
« Je n'ai pas de préjugés dans mon cœur mais la race blanche est la race supérieure, la race noire une race inférieure et les races doivent être séparées par la loi. »
L'année suivante, en plein Sénat, il affirma, en opposition à la Fair Employment Practice Committee, que les soldats noirs avaient mal servi tandis que les soldats blancs du sud avaient combattu pour la suprématie blanche[15],[16],[17].
L’arrêt Brown v. Board of Education fut l'une de ses cibles favorites, et il appela publiquement et plusieurs fois à désobéir à cette décision[18] comme ici à Senatobia le [19],[6]; il accusa la Cour suprême d'avoir été sous influence communiste lorsque cet arrêt fut rendu[20].
On May 17, 1954, the Constitution of the United States was destroyed because of the Supreme Court's decision. You are not obliged to obey the decisions of any court which are plainly fraudulent sociological considerations.
« Le 17 mai 1954, la constitution des États-Unis a été détruite à cause d'une décision de la Cour suprême. Vous n'avez aucune obligation d'obéir aux décisions d'une cour qui sont des considérations sociologiques aussi évidemment frauduleuses. »
De même, un an auparavant, le il fit l'apologie de la ségrégation en plein Sénat, affirmant qu'il s'agissait d'une institution nécessaire à la paix publique et aux libertés individuelles[6],[21],[22],[23]:
The southern institution of racial segregation or racial separation was the correct, self-evident truth which arose from the chaos and confusion of the reconstruction period. Separation promotes racial harmony. It permits each race to follow its own pursuits, and its own civilization. [...] it is the law of nature, it is the law of God, that every race has both the right and the duty to perpetuate itself. All free men have the right to associate exclusively with members of their own race, free from governmental interference, if they so desire. Free men have the right to send their children to schools of their own choosing, free from governmental interference and to build up their own culture, free from governmental interference.
« L'institution de la ségrégation raciale ou de la séparation raciale dans le Sud [est née] du chaos et de la confusion de la période de la Reconstruction. La séparation promeut l'harmonie raciale. Elle permet à chaque race de mener à bien ses propres activités, de suivre sa propre civilisation. [...] C'est la loi de la nature, c'est la loi de Dieu, que chaque race ait à la fois le droit et le devoir de se perpétuer. Tous les hommes libres ont le droit de s'associer exclusivement aux membres de leur propre race, libres de toute ingérence gouvernementale, s'ils le désirent. Les hommes libres ont le droit d'envoyer leurs enfants dans les écoles de leur choix, libres de toute ingérence gouvernementale, et de renforcer leur propre culture, libres de toute ingérence gouvernementale. »
Au cours du Boycott des bus de Montgomery, le , il fit un discours contre le NAACP lors d'un meeting des conseils de citoyens dans cette ville devant un auditoire de 10 000 personnes; pendant ce temps, des tracts, d'auteurs inconnus, appelaient, dans une parodie de la Déclaration d’indépendance, à "abolir la race noire[24],[25],[26],[Note 2]."
Lors de l'affaire des Meurtres de la Freedom Summer, il affirma, au téléphone avec Lyndon Johnson, qu'il s'agissait d'une manœuvre publicitaire[6],[27].
Il se vantait publiquement, devant des audiences au Mississippi, de s’être fait coudre des poches spéciales à ses costumes pour contenir la centaine de propositions de lois concernant les droits civiques qui passaient devant sa commission et qu'il ne voulait pas voir aboutir en son absence[1],[6].
Il soutenait la Rhodésie, dont il louait l'"harmonie raciale" qui selon lui manquait en Amérique, bien qu'il critiquait par endroit ce qu'il qualifiait de ségrégation insuffisante[28],[29].
Il fut membre d'un comité du Pioneer Fund, une fondation eugénique, chargé de l'attribution de fonds à des chercheurs dans le domaine des liens entre intelligence et race[30].
Anti-communisme
L'autre point majeur de sa carrière fut un anti-communisme intransigeant, qui souvent se mêlait d'opposition au mouvement des droits civiques, vu comme faisant partie d'une conspiration communiste[31],[20],[32]. Eastland décrivait la Guerre froide comme une lutte entre les "civilisations orientales et occidentales" et une bataille entre "les hordes de l'Est et une civilisation occidentale de 2 000 ans[33]."
En 1945, il demanda à Truman de ne pas occuper brutalement l'Allemagne, afin d'en faire un bastion contre le communisme[1]. De même, il fit voter une loi facilitant l'exportation de coton au Japon afin de reconstruire son industrie textile[34].
Ainsi, de 1955 jusqu'à sa dissolution, le United States Senate Subcommittee on Internal Security (en), chargé de traquer la subversion communiste intérieure, fut dirigé par Eastland[5].
Il accusa plusieurs membres de la Cour suprême d’être des sympathisants communistes, sur la base de décisions qu'ils ont rendu lors de cas concernant les époux Rosenberg ou bien la ségrégation[20].
Son opposition à l'accession d'Hawaï au rang d'état fédéré fut motivé par le fait qu'il considérait les principaux dirigeants comme étant des communistes ou des sympathisants, et que ses deux sénateurs seraient "contrôlés par Moscou"[8], ce qui lui valut un accueil bien peu chaleureux lors d'une visite en 1956[35],[Note 3].
Il était un proche d'Otto Otepka, chef de la sécurité du Département d'État des États-Unis chargé d'épurer l'administration des subversifs et qui fut renvoyé en 1963 pour avoir transmis des documents confidentiels à Eastland[36].
Bibliographie
- (en) J. Lee Annis, Big Jim Eastland : The Godfather of Mississippi, Univ. Press of Mississippi, , 400 p. (ISBN 978-1-4968-0615-4, lire en ligne)
- (en) Chris Myers Asch, The Senator and the Sharecropper : The Freedom Struggles of James O. Eastland and Fannie Lou Hamer, Univ of North Carolina Press, , 392 p. (ISBN 978-0-8078-7805-7, lire en ligne)
Notes et références
Notes
- Il fut l'un des sept démocrates à s’être opposés à la création de Medicare, vota contre Head Start et le Appalachian Regional Development Act.
- Ces tracts lui furent attribués par erreur.
- A la radio, un DJ l'avait notamment appelé "James Bigot" avant de passer des disques de musiciens noirs en son honneur.
Références
- (en) « James O. Eastland | Mississippi History Now », sur www.mshistorynow.mdah.ms.gov (consulté le )
- (en) « Minor: Eastland held sway over Miss. politics for decades », sur The Clarion Ledger (consulté le )
- (en-US) « Luther Holbert and Wife: Burned at Stake for Allegedly Murdering Two Men », sur Black Then, (consulté le )
- (en) « BURNED AT STAKE BY MISSISSIPPI MOB Negro and Wife Pay Penalty for Murder », Los Angeles Herald, , p. 3 (lire en ligne, consulté le )
- (en-US) Marjorie Hunter, « James O. Eastland Is Dead at 81; Leading Senate Foe of Integration », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
- (en) Scott Crass, Statesmen and Mischief Makers : : Officeholders Who Were Footnotes in the Developments of History from Kennedy to Reagan, Xlibris Corporation, (ISBN 978-1-5144-0384-6, lire en ligne)
- (en) Duane Tananbaum, Herbert H. Lehman : A Political Biography, SUNY Press, , 980 p. (ISBN 978-1-4384-6319-3, lire en ligne), p. 441
- (en) « James O. Eastland On Some Local Figures », Honolulu Record, , p. 4 (lire en ligne, consulté le )
- « UNE COMMISSION SÉNATORIALE ENQUÊTE SUR LES ÉMEUTES RACIALES », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- (en) « Breathing Easier—For a While, Anyway—With Inouye as President Pro Tempore | History News Network », sur historynewsnetwork.org (consulté le )
- (en) D. Elisabeth Glassco, « Joe Biden, James Eastland, Just Getting Along, and Cutting Your Own Throat », sur Medium, (consulté le )
- « Primaire démocrate : Joe Biden présente ses excuses après ses propos controversés », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- (en-US) « Mike Wallace Interview with Senator James Eastland | C-SPAN.org », sur www.c-span.org (consulté le )
- (en) Curt Johnson, 500 Years of Obscene-- and Counting, December Press, (ISBN 978-0-913204-34-4, lire en ligne), p. 1
- (en) United States Congress, Congressional Record : Proceedings and Debates of the ... Congress, U.S. Government Printing Office, (lire en ligne)
- (en) Chris Myers Asch, The Senator and the Sharecropper : The Freedom Struggles of James O. Eastland and Fannie Lou Hamer, Univ of North Carolina Press, , 368 p. (ISBN 978-0-8078-7202-4, lire en ligne), p. 116-117
- Mary Louise Roberts, Des GI et des femmes. Amours, viols et prostitution à la Libération : Amours, viols et prostitution à la Libération, Le Seuil, , 416 p. (ISBN 978-2-02-115653-9, lire en ligne)
- Charles Cadoux, La Cour Suprême et le problème noir aux États-Unis, R. Pichon & R. Durand-Auzias, (lire en ligne), p. 247
- Nicole Bacharan, Histoire des noirs américains, Editions Complexe, , 335 p. (ISBN 978-2-87027-524-5, lire en ligne), p. 97
- (en) John E. Reinecke, « Eastland in His Own Words », Honolulu Record, , p. 2 (lire en ligne, consulté le )
- (en) Scott Crass, Statesmen and Mischief Makers : : Officeholders Who Were Footnotes in the Developments of History from Kennedy to Reagan, Xlibris Corporation, (ISBN 978-1-5144-0384-6, lire en ligne)
- (en) « James Eastland », sur Spartacus Educational (consulté le )
- (en) Congressional Record : Proceedings and Debates of the ... Congress, U.S. Government Printing Office, (lire en ligne), p. 7255
- (en) « Civil Rights Movement History & Timeline, 1955 », sur www.crmvet.org (consulté le )
- (en) Taylor Branch, Parting the Waters : America in the King Years 1954-63, Simon and Schuster, , 1088 p. (ISBN 978-1-4165-5868-2, lire en ligne)
- (en) « Alabama's White Citizens Rally Against Integration · HERB: Resources for Teachers », sur herb.ashp.cuny.edu (consulté le )
- (en-US) Michael Beschloss, « ‘Think They Got Killed?’ 1964, L.B.J. and Three Civil Rights Icons », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
- « M. IAN SMITH S'EST VU REFUSER UN VISA D'ENTRÉE AUX ÉTATS-UNIS », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Gerald Horne, From the Barrel of a Gun : The United States and the War against Zimbabwe, 1965-1980, UNC Press Books, , 400 p. (ISBN 978-1-4696-2559-1, lire en ligne)
- (en-US) Grace Lichtenstein, « Fund Backs Controversial Study of ‘Racial Betterment’ », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
- Vicki Onufriu, « De la démagogie en Amérique : le sénateur James O. Eastland du Mississippi et la répression anticommuniste envers les militants du mouvement des droits civiques, 1948-1965 », sur archipel.uqam.ca, (consulté le )
- Collectif, All power to the people, Syllepse, , 330 p. (ISBN 978-2-84950-505-2, lire en ligne)
- (en) Peter J. Katzenstein, Rethinking Japanese Security : Internal and External Dimensions, Routledge, , 304 p. (ISBN 978-1-135-97693-4, lire en ligne), p. 203
- (en) Ellen Israel Rosen, Making Sweatshops : The Globalization of the U.S. Apparel Industry, University of California Press, , 336 p. (ISBN 978-0-520-23337-9, lire en ligne), p. 35
- (en) « Eastland Ducks Statehood Questions; Called "Bum," "Phony," by Bridges », Honolulu Record, , p. 6 (lire en ligne)
- Jacques Amalric, « Le retour d'un chasseur de sorcières », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- Portail de la politique aux États-Unis
- Portail du Mississippi